Hostname: page-component-848d4c4894-wg55d Total loading time: 0 Render date: 2024-06-07T23:40:34.404Z Has data issue: false hasContentIssue false

«On fait du travail social en fait» : Perceptions de leur rôle par les avocat‑e‑s dans le cadre du processus de détermination du statut de réfugié

Published online by Cambridge University Press:  10 December 2021

Charlotte Dahin*
Affiliation:
Faculté des sciences sociales, Institut d’études féministes et de genre, Université d’Ottawa, cdahin@uottawa.ca Centre de Recherche en Science Politique, Université Saint-Louis Bruxellescharlotte.dahin@usaintlouis.be
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

The collaborative involvement of legal and healthcare professionals is often crucial when managing the consequences of the difficult experiences of those seeking asylum and the impact of these on the construction of the asylum application itself. While such collaboration is not always possible, this article focuses on the experiences of lawyers specialized in immigration law, who are often faced with challenges that do not fall strictly within the legal sphere but must be understood in order to support a successful asylum claim. This article examines the different perceptions among these lawyers as to the scope and limits of their role in this context. Some place greater emphasis on the distinction between professions and the limits of each person’s role. Others appear to express a more nuanced perspective, proposing specific strategies to better manage certain aspects related to mental health in particular.

Résumé

Résumé

L’intervention et la collaboration de professionnel‑le‑s du système juridique et de la santé sont souvent indispensables pour gérer les conséquences des expériences difficiles vécues par les personnes qui demandent l’asile et leurs répercussions sur la construction de la demande. Alors que cette collaboration n’est pas toujours possible, cet article s’intéresse aux expériences des avocat‑e‑s spécialisé‑e‑s en droit de l’immigration, souvent confronté‑e‑s à des difficultés qui ne relèvent pas de la sphère strictement juridique mais qui doivent être appréhendées pour construire la demande de la meilleure manière. Cet article s’intéresse aux différences de perceptions de ces avocat‑e‑s quant à l’étendue et aux limites de leur rôle dans ce contexte, certain‑e‑s mettant davantage l’accent sur la distinction entre les professions et les limites du rôle de chacun‑e alors que d’autres semblent plus nuancé‑e‑s. Des stratégies spécifiques pour mieux gérer certains aspects liés à la santé mentale sont notamment avancées par ces dernières et ces derniers.

Type
Articles
Copyright
© The Author(s), 2021. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Association of Law and Society

Introduction

Le processus de détermination du statut de réfugié est un processus complexe composé de différentes étapes difficiles à traverser sans aide. Les personnes qui s’y engagent peuvent rencontrer de nombreuses difficultés, que ce soit sur les plans légal et administratif (en lien avec les conditions de la définition de refugié-e et les étapes du processus), ou sur d’autres plans tels que celui de leur installation au sein du pays d’accueil (Fiske et Kenny Reference Fiske and Kenny2004, 137-138). En particulier pour les personnes qui n’étaient pas déjà installées au Canada au moment de faire leur demande d’asileFootnote 1, de nombreux éléments se superposent et s’enchaînent alors qu’elles doivent, d’une part, prendre les mesures nécessaires pour leur demande d’asile (trouver un-e avocat-e, déposer les formulaires dans les délais impartis, etc.) et, d’autre part, assurer leur installation dans le pays d’accueil. Elles peuvent ainsi rencontrer des difficultés en lien avec leur établissement (logement, nourriture, etc.) auxquelles peuvent s’ajouter ou se combiner des difficultés par rapport à la famille (gestion du couple et des enfants, etc.), ainsi qu’à leur santé mentale. Ces dernières difficultés, souvent mentionnées dans les publications sur le sujet, peuvent trouver leur origine dans les événements qui ont poussé ces personnes à fuir leur pays et/ou dans des événements qui sont arrivés en route pour le pays d’accueil, mais aussi au Canada même, en raison des difficultés du processus de demande d’asile (Graffin Reference Graffin2019a; Fiske et Kenny Reference Fiske and Kenny2004, 142).

Dans le cadre spécifique de ce processus, les difficultés que les personnes rencontrent d’un point de vue légal et administratif, ainsi que sur d’autres plans (établissement, famille, santé, etc.), entretiennent des liens complexes. C’est ainsi que des problèmes qui peuvent être perçus comme n’étant pas directement liés aux aspects juridiques et administratifs auront des incidences sur le processus d’asile, et inversement. Des difficultés liées à l’établissement au niveau du pays d’accueil et la gestion des enfants, par exemple, peuvent avoir une incidence sur les procédures, qu’il s’agisse de soumettre les formulaires obligatoires dans les délais impartis ou de se préparer à l’audience. Des difficultés liées à la santé mentale peuvent également avoir différentes répercussions, car elles peuvent compliquer plusieurs étapes du processus ainsi que l’évaluation de la crédibilité de la personne (voir la section II. 1). Sans accès à des soins médicaux et de santé mentale, de même qu’à des services qui permettent d’accéder aux éléments de première nécessité, la possibilité pour les personnes qui demandent l’asile de participer pleinement au processus juridique a déjà été considérée comme limitée, voire impossible (Ardalan Reference Ardalan2015, 3).

Pour passer à travers le processus et obtenir de l’aide, les demandeurs et demandeuses d’asile font appel à toute une série de personnes qui vont jouer un rôle important dans la construction de la demande (avocat‑e‑s, psychologues, travailleurs sociaux et travailleuses sociales, etc.). Bien que ces professionnel‑le‑s soient traditionnellement perçu‑e‑s comme étant responsables d’aspects différents (aspects juridiques pour les avocat‑e‑s vs aspects non juridiques pour les autres), ceux‑ci sont en réalité tellement imbriqués, particulièrement dans le cadre du processus de demande d’asile, que les différent professionnel-le-s seront souvent amené‑e‑s non seulement à collaborer, mais aussi, dans certains cas, à appréhender des aspects considérés comme relevant du rôle d’autres professions.

J’ai eu l’occasion, dans le cadre des recherches pour ma thèse (voir la partie III sur la méthodologie), de rencontrer plusieurs avocat‑e‑s spécialisé‑e‑s en droit de l’immigration à Ottawa et de constater, lors de nos discussions, des différences entre leurs perspectives sur l’étendue et les limites de leur rôle en tant qu’avocat‑e‑s, notamment par rapport à la gestion de la santé mentale de leurs client‑e‑s. Ces discussions soulignaient particulièrement les différences concernant les perceptions, réactions et approches des avocat‑e‑s par rapport aux aspects de leur travail qui sortaient de la sphère strictement juridique. Deux questionnements en particulier sont nés de ces réflexions. Le premier concerne les perspectives des avocat‑e‑s spécialisé‑e‑s en droit de l’immigration et les façons dont ils et elles perçoivent l’étendue et les limites de leur rôle. Le deuxième concerne l’adoption possible par ces personnes de stratégies spécifiques pour gérer les aspects qui sortent des perceptions traditionnelles de ce qui entre ou non dans les obligations de l’avocat‑e.

Justification de la recherche

Comme mentionné plus haut, dans le cadre de la préparation de la demande d’asile, les avocat‑e‑s, non spécifiquement formé‑e‑s à gérer des situations où la santé physique et mentale est engagée, sont souvent amené‑e‑s à collaborer avec des personnes qui ont vécu des situations difficiles et qui rencontrent des difficultés particulières liées à leur santé. Ces difficultés de santé étant susceptibles d’avoir des conséquences négatives sur la possibilité de construire le dossier et de le défendre, il est donc crucial de s’intéresser à la manière dont les avocat-e‑s perçoivent leur rôle dans ce contexte, et aux liens possibles avec le développement de stratégies pour gérer ces points délicats, particulièrement au regard du risque de vie ou de mort encouru par les personnes qui demandent l’asile en cas de rapatriement. Des recherches ont, par exemple, démontré que les ressources investies par la personne responsable de la représentation juridique relativement aux preuves et à l’intervention de certain‑e‑s expert‑e‑s sur la question de la santé physique et mentale de leurs client‑e‑s sont un élément qui joue au niveau du taux de succès (Ramji-Nogales, Schoenholtz et Schrag Reference Ramji-Nogales, Schoenholtz and Schrag2007, 340-341).

Cette recherche vise donc à mieux comprendre le rôle que pensent devoir jouer les avocat‑e‑s dans cette situation, ainsi qu’à présenter les stratégies que certain‑e‑s d’entre eux et elles adoptent pour gérer les éléments auxquels ils et elles sont confronté-e-s. Les avocat‑e‑s spécialisé‑e‑s dans le domaine de l’immigration ont beaucoup d’expériences en rapport avec les personnes qui demandent l’asile et les réfugié‑e‑s. Comprendre leurs expériences et leurs perspectives en tant que non professionnel‑le‑s de la santé et du travail social peut aider à en savoir plus sur les défis et stratégies liés au fait de travailler et d’offrir des services à cette population (dans un contexte où l’accès à d’autres professionnel‑le‑s n’est pas toujours facile et les délais parfois très courts) (Lopez et Boie Reference Lopez and Boie2012, 41). Ne serait-ce que par rapport à la détection de problèmes de santé mentale pendant le processus, le rôle de l’avocat‑e est tellement important que certain‑e‑s auteur‑e‑s ont affirmé que l’avocat‑e était la personne qui avait le plus de chance de détecter une possible situation problématique à ce niveau chez les demandeurs et demandeuses d’asile (Wilson-Shaw, Pistrang et Herlihy Reference Wilson-Shaw, Pistrang and Herlihy2012, 3).

Dans la première partie de cet article, je reviendrai sur quelques éléments du processus à suivre pour obtenir le statut de réfugié qui permettront de mieux contextualiser les liens entre les difficultés que peuvent rencontrer les demandeurs et demandeuses d’asile, la construction et l’évaluation de leur dossier et, enfin, la prise de décision sur leur cas. La deuxième partie passe en revue les publications pertinentes qui s’intéressent d’abord surtout à l’intérêt des avocat‑e‑s pour les problématiques de santé mentale chez leurs client‑e‑s dans le cadre du processus de demande d’asile, et ensuite, à leur perception de leur rôle et de la gestion des émotions. La troisième partie concerne la méthodologie de cette recherche, soit plus d’informations sur les entrevues qui sont à la base de ce projet ainsi que sur la technique d’analyse des données. Les deux dernières parties comprennent la présentation des résultats et une discussion qui présente, entre autres, différentes stratégies et solutions discutées par les avocat‑e‑s eux‑mêmes et elles‑mêmes.

I. Processus pour obtenir le statut de réfugié au Canada et difficultés liées aux traumas et à la santé mentale

L’objectif du processus de demande d’asile est de démontrer que la personne qui fait la demande répond à la définition de réfugié au sens de la Convention de 1951 relative au statut de réfugiéFootnote 2. Cette définition, incorporée en droit canadien à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, établit comme étant un‑e réfugié‑e une personne « qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays; b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner »Footnote 3. Les personnes qui déposent une demande d’asile doivent alors démontrer qu’elles répondent aux éléments de cette définition et courent le risque, si elles ne parviennent pas à convaincre, d’être renvoyées dans leur pays d’origine. Plus concrètement, faire une demande pour avoir le statut de réfugié signifie suivre un processus complexe, composé de différentes étapes, dont le dépôt du formulaire de fondement de demande d’asile (qui contient le compte‑rendu de la crainte de persécution dans le pays d’origine) et la soumission de documents à l’appuiFootnote 4, qui se termine par la présentation du cas lors de l’audience face à un‑e commissaire.

Une partie des personnes qui demandent le statut de réfugié ayant vécu des expériences difficiles, telles que de la torture, des formes de violences sexuelles, etc., dans le pays d’origine et/ou de transit, ainsi que dans le pays d’accueil (en cas de détention, par exemple, voir Cleveland, Rousseau et Kronick Reference Cleveland, Rousseau and Kronick2012; Cleveland et al. Reference Cleveland, Kronick, Gros and Rousseau2018), celles-ci peuvent présenter différents niveaux de troubles liés à la santé mentale (anxiété, dépression, syndromes de stress post‑traumatiques, etc. (Kronick Reference Kronick2018)) qui peuvent avoir une incidence sur leur traversée du processus de demande d’asile. En effet, les traumas et troubles de santé mentale sont susceptibles de jouer un rôle important dans ce contexte, alors qu’il est demandé aux demandeurs et demandeuses d’asile de raconter en détail, et de manière convaincante aux yeux d’un‑e commissaire canadien‑ne, les abus qu’ils et elles ont vécus. C’est ainsi que les personnes ne vont pas toujours dévoiler certaines de leurs expériences pourtant pertinentes à la construction du dossier, mais trop difficiles à aborder. Alors qu’elles doivent démontrer qu’elles courent un risque de persécution, le fait de ne pas dévoiler ces expériences dès le début peut avoir des conséquences importantes sur la suite du processus (une personne qui ne révèle une expérience de persécution que plus tard pourrait être accusée de l’inventer pour donner plus de poids à son dossier). Aussi, même si ces personnes décident de dévoiler leurs expériences, elles ne seront pas toujours en mesure de le faire de manière claire et directe, tel qu’entendu dans une perspective canadienne (voir la partie II. 1 sur l’intérêt des avocat‑e‑s pour les problématiques de santé mentale).

Le processus étant particulièrement complexe, les demandeurs et demandeuses d’asile ont la possibilité de collaborer avec un‑e avocat‑e dans la préparation de leur demande et c’est d’ailleurs ce qui se passe dans la majorité des cas au Canada (Rehaag Reference Rehaag2011). Les actions des avocat‑e‑s en ce qui concerne la gestion de la santé mentale et physique de leurs client‑e‑s peuvent jouer un rôle important, dans certains cas, dans l’élaboration de la demande, notamment du point de vue de la construction et de l’évaluation de la crédibilité.

II. Espaces de pratique, prise en charge et perceptions des rôles

Les avocat‑e‑s et les travailleurs sociaux et travailleuses sociales sont traditionnellement vu‑e‑s comme responsables des difficultés rencontrées par leurs client‑e‑s selon des perspectives très différentes, les un-e‑s s’occupant de la partie juridique du processus et les autres de la partie « sociale » ou « médicale ». Bien qu’il y ait effectivement des différences entre leurs perspectives, leurs manières de percevoir certaines situations, et surtout leur formation, les liens entre les deux espaces (juridique et social) sont si forts dans le cadre du processus de demande d’asile que les deux types de professionnel‑le‑s sont souvent amené‑e‑s à gérer des aspects autres que ceux tombant traditionnellement dans leur sphère de pratique (Fiske et Kenny Reference Fiske and Kenny2004, 138). Ainsi, les avocat‑e‑s ne s’occupent pas seulement des éléments légaux de la demande, mais vont souvent se trouver confronté‑e‑s à des situations où d’autres éléments qui sortent strictement de la sphère juridique vont entrer dans leur sphère de travail (voir, par exemple, Baily et al. Reference Baily, Henderson, Taub, O’Shea, Einhorn and Verdeli2014, 4.5).

À ma connaissance, il ne semble pas y avoir de publications qui traitent spécifiquement des liens entre la perception qu’ont les avocat‑e‑s dans le domaine de l’immigration de leur rôle et leur gestion des aspects non juridiques d’un cas. Il existe, par contre, des publications sur l’intérêt (stratégique) des avocat‑e‑s pour les problématiques de santé mentale (section II. 1). Bien que ces publications n’abordent pas spécifiquement la question des différences concernant les perceptions du rôle et de l’incidence possible sur l’intérêt porté à ces problématiques, les éléments présentés ci‑dessous donnent des informations sur le contexte dans lequel les avocat‑e‑s vont s’intéresser à la santé mentale de leurs client‑e‑s et les décisions qu’ils et elles vont prendre à ce propos, dont celle d’adresser le ou la client‑e à d’autres professionnel‑le‑s. Cette partie aborde également la question de la détection des problèmes de santé mentale par les avocat‑e‑s.

Ensuite, les publications portant sur certaines parties difficiles du travail des avocat‑e‑s abordent également des points intéressants pour cette recherche et sont examinées dans la partie II. 2.

1. Intérêt (stratégique) des avocat‑e‑s pour les problématiques de santé mentale

Outre la question de la manière dont ils et elles perçoivent leur propre rôle, il est établi dans la littérature que les avocat‑e‑s vont souvent s’intéresser à la santé de leur client‑e en tant que celle‑ci peut avoir une incidence importante sur les progrès et la construction du dossier. Dans ce contexte, elles et ils vont souvent adresser le ou la client‑e à un‑e autre professionnel‑le, ce qui est déterminant à plusieurs niveaux dans le cadre du processus d’obtention du statut de réfugié (Wilson-Shaw, Pistrang et Herlihy Reference Wilson-Shaw, Pistrang and Herlihy2012, 2).

Premièrement, eu égard au formulaire de fondement de la demande d’asile (FDA), crucial dans le processus car il contient le compte-rendu de la crainte de persécution comme mentionné plus haut (section I), si le demandeur ou la demandeuse obtient du soutien rapidement (ce qui n’est pas toujours possible en raison des délais et/ou des financements), il ou elle pourrait potentiellement être plus apte à révéler plus d’informations au moment de remplir le FDA et éviter ainsi les retards dans le dévoilement. Ces retards peuvent avoir des conséquences très lourdes sur le processus, notamment en lien avec la crédibilité, comme expliqué dans le paragraphe suivant (Rousseau et al. Reference Rousseau, Crépeau, Foxen and Houle2002; Wilson-Shaw, Pistrang et Herlihy Reference Wilson-Shaw, Pistrang and Herlihy2012, 2; Baily et al. Reference Baily, Henderson, Taub, O’Shea, Einhorn and Verdeli2014, 12).

Une autre raison pour les avocat‑e‑s d’adresser leurs client‑e‑s à d’autres professionnel‑le‑s est l’obtention d’un rapport d’expert attestant de leurs problèmes de santé (Baily et al. Reference Baily, Henderson, Taub, O’Shea, Einhorn and Verdeli2014, 4; Liew et Galloway Reference Liew and Galloway2015, 266). Le rapport d’expert peut aider de différentes façons, notamment en tant que soutien du témoignage de la personne, ou pour la demande d’un accommodementFootnote 5, mais surtout eu égard à la crédibilité, un élément déterminant du processus de demande d’asile au Canada. En effet, le processus tel qu’il existe actuellement se concentre principalement sur la vérification des faits présentés dans la demande, suivi de l’examen et de l’évaluation de la crédibilité de la personne (Crépeau et Nakache Reference Crépeau and Nakache2008; Rehaag Reference Rehaag2017; Tomkinson Reference Tomkinson2019). La question de la crédibilité est intensément discutée dans les publications où l’on souligne l’existence d’une certaine confusion et de nombreux malentendus concernant l’évaluation de la crédibilité. Bien qu’il n’y ait pas de règles formelles sur la question, Rehaag explique que cette évaluation peut se baser sur une série de facteurs tels que des inconsistances et des omissions non expliquées dans les preuves avancées, des inconsistances entre les preuves et les informations sur le pays d’origine, la plausibilité et même l’attitude de la personne ou la manière dont elle témoigne (Rehaag Reference Rehaag2017, 40). Or, de nombreuses recherches ont démontré combien il peut être compliqué, pour les personnes qui ont vécu des expériences difficiles, non seulement de parler de ces expériences, mais aussi et surtout d’en parler d’une manière qui paraisse crédible aux yeux des personnes qui prennent la décision d’accorder ou non le statut de réfugié (voir, par exemple, Rousseau et al. Reference Rousseau, Crépeau, Foxen and Houle2002; Steel, Frommer et Silove Reference Steel, Frommer and Silove2004). Le travail sur cette question de la crédibilité est un point important du processus dans lequel les avocat‑e‑s jouent un rôle (Halluin-Mabillot Reference Halluin-Mabillot2012; Murray Reference Murray2015; Tomkinson Reference Tomkinson2019), notamment en adoptant différentes stratégies, y compris la collaboration avec d’autres professionnel‑le‑s tout au long du processus. Ainsi, l’obtention d’un rapport d’expert peut aider à expliquer au ou à la commissaire pourquoi la personne a de la difficulté à s’exprimer de manière cohérente et souligner que les difficultés à témoigner ou les incohérences ne sont pas liées à la crédibilité de la personne mais aux traumatismes qu’elle a vécus (Rousseau et al. Reference Rousseau, Crépeau, Foxen and Houle2002; Wilson-Shaw, Pistrang et Herlihy Reference Wilson-Shaw, Pistrang and Herlihy2012, 3).

La question de la décision des avocat‑e‑s d’adresser le ou la client‑e à d’autres professionnel‑le‑s est intimement liée à la question de leur détection de troubles de santé mentale chez cette personne: détectent‑ils et elles les troubles de santé mentale chez les personnes qui leur font face? En plus des raisons qui vont pousser les représentants légaux et représentantes légales à renvoyer et/ou à demander un rapport d’expert, des auteur‑e‑s se sont intéressé‑e‑s aux éléments qui jouent un rôle dans la détection de troubles de santé mentale chez leurs client‑e‑s par les avocat‑e‑s dans le domaine de l’immigration. C’est le cas de Wilson-Shaw, Pistrang et Herlihy (Reference Wilson-Shaw, Pistrang and Herlihy2012, 6) qui expliquent que cette détection se fait sur la base de plusieurs éléments : l’attitude du ou de la client‑e (agressivité, etc.), les expériences du ou de la client‑e ainsi que les connaissances, expériences (avec d’autres client‑e‑s ou expériences personnelles) et formations des avocat‑e‑s‑ en santé mentale. L’instinct est également mentionné. Ces auteur‑e‑s expliquent aussi comment l’inquiétude de certain‑e‑s avocat‑e‑s quant au fait de ne pas pouvoir s’occuper de la santé mentale de leurs client‑e‑s les avaient poussés à les adresser à des professionnel‑le‑s de la santé (Wilson-Shaw, Pistrang et Herlihy Reference Wilson-Shaw, Pistrang and Herlihy2012, 7). L’importance de ces questions est soulignée dans les publications qui relèvent comment une mauvaise appréhension des troubles de santé mentale peut potentiellement contribuer à entraîner une décision ordonnant le retour du demandeur ou de la demandeuse d’asile dans son pays d’origine où il ou elle pourrait être à risque de subir des persécutions et, dans certains cas, d’en mourir (Wilson-Shaw, Pistrang et Herlihy Reference Wilson-Shaw, Pistrang and Herlihy2012, 2). D’autres auteur‑e‑s se sont aussi intéressé‑e‑s aux perspectives des travailleurs sociaux et travailleuses sociales dans l’élaboration de rapports destinés à être utilisés dans le cadre du processus de demande du statut de réfugié (Baranowski, Moses et Sundri Reference Baranowski, Moses and Sundri2018).

Les éléments présentés ci‑dessus décrivent le contexte dans lequel les avocat‑e‑s vont s’intéresser à certains aspects non juridiques, certaines des stratégies développées pour gérer ces aspects et certaines des raisons pour ce faire, que ce soit des raisons pratiques (avoir besoin d’un rapport d’expert par exemple) ou autre (inquiétude de ne pas pouvoir gérer les points non juridiques). Des éléments des publications sur l’aptitude même des avocat‑e‑s à détecter certains troubles de santé mentale sont également présentés.

2. Perceptions du rôle et gestion stratégique des émotions

Ensuite, les publications qui s’intéressent à certains aspects difficiles du travail des avocat‑e‑s, notamment suite à leurs contacts répétés avec des personnes qui vivent des traumas importants et les conséquences de ces difficultés sur leur rôle (Baillot, Cowan et Munro Reference Baillot, Cowan and Munro2013; Graffin Reference Graffin2019a; Reference Graffin2019b; Surawski, Pedersen et Briskman Reference Surawski, Pedersen and Briskman2008; Westaby Reference Westaby2010) abordent des points intéressants pour cette recherche, notamment par rapport à la question de la perception qu’ont les avocat‑e‑s de leur rôle. En effet, des éléments de ces publications soulignent certains aspects de la façon dont les avocat‑e‑s comprennent ce qui est considéré comme professionnel ou non, les retombées de ces aspects sur les stratégies adoptées et les conséquences pour les client‑e‑s (dépersonnalisation, etc.). Les paragraphes ci-dessous s’intéressent plus précisément à la question de la gestion des émotions par les avocat‑e‑s.

La question des émotions est pertinente car elle a une incidence sur la relation client‑e/avocat‑e et la construction de la demande d’asile à plusieurs niveaux. Ainsi, de manière générale, le jeu des émotions peut agir sur le développement d’une relation de confiance entre l’avocat‑e et le ou la client‑e, que ce soit pour mettre le ou la client‑e à l’aise ou, au contraire, pour « tester » certaines parties de son témoignage (Westaby Reference Westaby2010, 160). Les émotions peuvent aider à renforcer la confiance entre les deux parties, mais aussi, selon certain‑e-s auteur-e-s, permettre à l’avocat‑e de jouer sur l’intimidation, par exemple lorsque l’audience approche à grands pas (Pierce Reference Pierce1995; Sheer Reference Sheer1999; Westaby Reference Westaby2010, 160). La perception par les avocat-e-s de leur profession et du degré d’implication dans la relation avec le ou la client-e qu’ils et elles estiment convenable d’adopter peut cependant influencer ce jeu des émotions, ce qui peut potentiellement avoir une incidence sur la gestion des aspects non juridiques d’un cas et des conséquences pour les client-e-s.

Ainsi, pour certain-e-s avocat-e-s, un excès d’émotions entraînerait un risque de devenir trop impliqué-e-s et de perdre la distance requise par rapport au dossier, ce qui est parfois considéré comme étant « non professionnel » (Westaby Reference Westaby2010, 161; voir également Harris Reference Harris2002). Dans ce contexte, l’idée d’un certain « détachement » par rapport au ou à la client‑e est présentée comme requise par les avocat‑e‑s pour ne pas être considéré‑e‑s comme non professionnel‑le‑s. Baillot, Cowan et Munro (Reference Baillot, Cowan and Munro2013, 527-28) invoquent également les perceptions de certain‑e‑s acteurs et actrices de la justice dans le domaine de l’immigration quant à l’importance de la répression des émotions dans le domaine juridique pour des raisons d’impartialité et de performance.

Or, certaines publications traitent des conséquences négatives liées aux différentes techniques de détachement, telles que le développement de réticences à appréhender des histoires d’abus et de traumas – qui peuvent pourtant jouer un rôle central dans une demande d’asile, comme mentionné plus haut. Des auteur-e-s évoquent également le risque de développer une suspicion générale à l’égard des client-e-s, ainsi qu’un sentiment de routine (Baillot, Cowan et Munro Reference Baillot, Cowan and Munro2013, 532). Graffin (Reference Graffin2019b, 45) mentionne aussi un risque de dépersonnalisation, autrement dit un risque de commencer à considérer les client‑e‑s comme des cas ou des numéros, plutôt que des individus. Ces éléments illustrent l’incidence que peuvent avoir certaines perceptions de leur rôle par les avocat‑e‑s sur leur implication eu égard à certaines expériences difficiles des personnes qui demandent l’asile.

III. Méthodologie

1. Contexte de la recherche et recrutement des participant‑e‑sFootnote 6

Les idées à la base de cet article prennent leur source dans les recherches que je mène dans le cadre de ma thèse de doctorat, qui s’intéresse aux expériences des femmes qui demandent l’asile pendant le processus de détermination du statut de réfugié et leurs relations avec leur avocat-e. Plus particulièrement, à l’aide notamment du concept de l’agentivité et dans une perspective intersectionnelle, je m’intéresse à la recherche d’aide par les personnes qui demandent l’asile, aux décisions prises sur les plans légal et procédural, et à l’effet du genre et d’autres structures de pouvoir dans ce contexte.

Alors que certaines questions traitaient spécifiquement de la manière dont les avocat-e-s gèrent les expériences difficiles de leurs client‑e‑s, la majorité des discussions ont fait ressortir des éléments liant leurs pratiques et stratégies à la perception de leur rôle. Quatorze entrevues avec des avocat-e-s (douze femmes et deux hommesFootnote 7) ont été réalisées à Ottawa, quatre en français et dix en anglais.Footnote 8 Les participant-e‑s travaillaient dans des structures variées, essentiellement (mais pas uniquement) en pratique privée (7) ou dans une clinique juridique (6). Une personne travaillait dans une structureFootnote 9 qui n’est ni un bureau privé ni une clinique juridique. Certain-e-s pratiquaient uniquement le droit des réfugié‑e‑s, d’autres pratiquaient en alternance avec d’autres domaines. Leurs années d’expérience variaient entre un an et demi et trente ans.

Les participant-e-s ont été recruté-e-s de différentes manières. Les premiers et premières participant-e-s potentiel-le-s, dont j’avais trouvé les informations sur Internet, ont été contacté‑e‑s par l’envoi d’un courriel expliquant le projet et contenant une invitation à participer. Une personne que j’ai contactée a proposé de transférer mon courriel à plusieurs autres avocat‑e‑s de la région. J’ai également rencontré un participant grâce à une connaissance, et une participante lors d’une conférence à l’Université. Les autres participant-e-s ont été recruté-e-s au moyen du système dit « boule de neige ». Le nombre limité de participant-e-s et les techniques de recrutement utilisées font que la représentativité ne peut pas être garantie : bien que cette recherche présente des éléments illustratifs, ceux-ci ne peuvent pas être généralisés. Cependant, les éléments ayant émergé et les perspectives échangées permettent de mettre en avant des informations qui pourront potentiellement faire avancer les publications sur le sujet, publications peu nombreuses jusqu’ici (Graffin Reference Graffin2019b, 37; Westaby Reference Westaby2010, 158).

2. Entrevues et analyse des données

Des entrevues semi structurées ont été réalisées. Le choix des entrevues semi structurées a été fait sur la base des objectifs de mon projet de thèse, qui, contrairement à cet article, vise à mettre davantage l’accent sur les expériences des personnes qui demandent l’asile, ce qui constitue une limite pour la présente recherche qui se centre sur les perspectives des avocat-e-s. Les entrevues semi structurées donnent néanmoins à la personne interrogée la possibilité d’aborder d’autres sujets (Graffin Reference Graffin2019b, 37) et au chercheur de les explorer davantage, et c’est dans ce contexte que le sujet de l’étendue et des limites de leur rôle dans la gestion des aspects non strictement juridiques a été soulevé par les participant-e-s. Le sujet de cet article est donc connexe à la recherche de ma thèse et non le centre de celle-ci, ce qui peut entraîner une certaine limite concernant les informations collectées. Ainsi, cette recherche vise à proposer une ouverture sur un sujet peu exploré et insiste sur le fait que d’autres études pourraient s’intéresser à développer ce sujet davantage à l’avenir.

L’analyse thématique, qui permet l’identification progressive de tendances et de thèmes parmi les données, a été utilisée pour l’analyse de la transcription des entrevues (Braun et Clarke Reference Braun and Clarke2006). Cette technique d’analyse a déjà été utilisée dans le cadre de projets similaires (voir, par exemple, Graffin Reference Graffin2019b). Une partie des thèmes pour cette recherche a été identifiée assez tôt, au regard de la récurrence de certaines idées lors des entrevues, et d’autres se sont développés par la suite grâce à une analyse des transcriptions et une réflexion plus approfondie en lien avec les questions de recherche pour ce projet. Le logiciel Nvivo a été utilisé pour soutenir l’analyse. Le rôle des chercheur-e-s dans l’utilisation de l’analyse thématique doit néanmoins être souligné dans la mesure où les thèmes ne sont pas simplement découverts par la chercheure, mais sélectionnés par elle en fonction de ses intérêts (Taylor et Ussher Reference Taylor and Ussher2001, cités dans Braun et Clarke, Reference Braun and Clarke2006).

IV. Division des tâches… mais avec quelques nuances

1. Tâches divisées selon les professionnel‑le-s

L’idée d’une certaine division des tâches entre les professionnel-le-s (l’idée que les avocat-e-s s’occupent des tâches juridiques et que les autres professionnel-le-s s’occupent des autres tâches) a été mentionnée par plusieurs avocat-e-s. Les extraits concernant cette division allaient souvent de pair avec l’idée d’une distanciation par rapport aux autres professions (« moi, je ne suis pas médecin, psychologue, etc. »), et un rappel des limites et de l’importance du rôle de chacun‑e.

Ainsi, certaines tâches (connaissance de la jurisprudence, assemblage du dossier, obtention des informations pertinentes, etc.) sont considérées comme « des tâches pour les avocat-e-s » en opposition à d’autres tâches considérées comme relevant du rôle d’autres professionnel-le-s (la recherche d’un logement, l’accès à l’aide sociale, la santé physique et mentale, etc.). Un participant mentionne explicitement cette division entre les tâches et explique : « Ça [ne] fait pas partie des aires juridiques. Donc, on [n’]est pas nécessairement obligé, ou bien placé, pour les diriger. Je les dirige souvent aux organismes X et Y » (John, avocat).

Cette idée de division est parfois associée à une indication claire de ne pas exercer une autre profession que celle d’avocat‑e. Ainsi, la majorité des participant-e-s mentionnent à un moment ou un autre qu’ils et elles ne sont ni des médecins, ni des psychologues, ni des travailleurs sociaux et travailleuses sociales, ni des professionnel-le-s de la santé, soulignant la différence entre ces professions et la leur. Le fait qu’il est important de comprendre les limites et le rôle de chacun‑e est souvent abordé en lien avec cette distanciation, comme l’illustre cet extrait: « L’autre problème, c’est que je ne suis pas travailleuse sociale. Donc, il faut écouter, il faut être empathique, hum… mais il faut savoir renvoyer aux personnes qui peuvent aider. Moi, je suis avocate. Et donc, il faut se souvenir de ce rôle, c’est très important » (Jessica, avocate).

Cet extrait illustre aussi un autre point revenu à plusieurs reprises. C’est ainsi que l’indication de ne pas exercer une autre profession et l’importance du rôle de chacun‑e sont aussi mentionnées parmi les raisons pour lesquelles les avocat-e-s renvoient à d’autres personnesFootnote 10, selon la formule : «je ne suis pas X, donc je réfère ». Ce nouvel extrait illustre cette dernière formule : « Nous, on [n’]est pas médecin, on [n’]est pas psychologue (…) [donc] vous essayez de trouver une cohorte de personnes de soutien autour, soit un counsellor ou un psychologue, un médecin (…). On [n’]est pas psychologue, psychiatre. Pour ça, on essaie d’avoir une équipe de soutien » (Anne, avocate).

Enfin, certain-e-s participant-e-s ont donné quelques indices plus précis sur leurs perceptions du rôle que l’avocat-e doit jouer. Tout comme le témoignage de Jessica ci-dessus, qui mentionne le fait d’être empathique, certain-e-s avocat-e-s abordent dans ce contexte la question des émotions et de la distance requise pour faire leur travail. Les deux extraits suivants illustrent la position de certain-e-s avocat-e-s qui soulignent au contraire que le rôle de l’avocat-e n’est pas de consoler ou même d’être empathique, mais d’assembler les différents éléments et de construire le dossier :

Tu dois connaître ton rôle. Ton rôle n’est pas d’être leur meilleur ami ou leur confident. Ce n’est pas ton rôle ou celui de leur conseiller, si quelqu’un est en train de pleurer, ton travail n’est pas de pleurer. Ton rôle est d’être l’avocate. Et tu peux être sympathique, tu peux être sensible, mais c’est à toi de monter leur dossier pour euxFootnote 11. (Corinne, avocate; ma traduction)

Il y a longtemps, j’ai compris que mon travail n’était pas d’être empathique. Je peux faire preuve de tact mais j’ai besoin d’avoir mes informations pour être préparéFootnote 12. (Henry, avocat)

Une participante avance également l’idée que certaines caractéristiques des avocat-e-s ne les mettraient pas dans la meilleure position pour encadrer des personnes qui ont vécu des expériences traumatiques : « En tant qu’avocats, nous devenons très concentrés sur le temps et très pratiques, et ce n’est pas toujours génial quand cela concerne des personnes qui ont beaucoup de traumas »Footnote 13 (Sarah, avocate; ma traduction).

2. Nuances

Certain-e-s participant-e-s se prononcent de façon plus nuancée et se distancient, de manière plus ou moins importante, des éléments présentés ci-dessus.

Ainsi, certain-e-s auront tendance à moins insister sur la distanciation entre les professions et le rôle de chacun‑e, en particulier en ce qui concerne le travail social et le rôle des travailleurs sociaux et travailleuses sociales, certain-e-s expliquant qu’en fait, ils et elles font du travail social ou qu’ils et elles sont des travailleurs sociaux ou des travailleuses sociales :

C’est comme avec des clients très vulnérables, oh my god, c’est comme on fait, on a du travail social. En fait, c’est ça. Quand la personne a une équipe, ou a un travailleur social, donc, c’est bien de pouvoir parler à la personne. Mais vraiment, je pense à une de mes clientes les plus vulnérables (…) puis hum… faut que ça roule, puis hum… c’est comme, plus la personne est vulnérable, plus ça demande un travail comme hands on. (Chanelle, avocate)

Être une avocate en droit de l’immigration, c’est être aussi une travailleuse sociale. Franchement, c’est quasiment à cela que cela revientFootnote 14. (Geneviève, avocate; ma traduction)

L’extrait suivant illustre aussi un discours de « rapprochement » entre les professions et de superposition des tâches, mais qui rappelle toutefois certains éléments de la tendance générale (limites du rôle de chacun‑e, importance du renvoi à d’autres personnes, etc.) :

(…) parfois, vous vous sentez comme si vous étiez une travailleuse sociale, hum… oui. Je pense que c’est important pour les avocat‑e‑s de connaître leurs limites et je ne suis pas une travailleuse entraînée dans le domaine de la santé mentale, une psychologue. Et je pense que, juste par le fait de travailler avec ces populations, vous en arrivez à reconnaître les conséquences des traumas, et c’est important de comprendre les traumas au moins en partie parce que cela affecte… Pour moi, cela affecte la chance de la demande d’asile. Mais, ce à quoi je suis devenue bonne, c’est à connaître les ressources adéquates pour renvoyer les gens à d’autres personnes (…) Faire la demande d’asile lorsque quelqu’un arrive au Canada, c’est juste la première partie. Il faut arranger le logement, l’éducation, l’emploi et tout ça, donc habituellement renvoyer à une des organisations d’établissement au Canada et elles ont de bien meilleures ressources que moi pour aider les personnes avec ces éléments‑là. Donc, oui, j’essaie de seulement rester dans mon domaine (« stick to my lane ») et m’assurer que les personnes savent où trouver du soutien mais, même lorsque vous essayez vraiment de vous concentrer sur la partie juridique, évidemment vous avez à faire à des personnes, et elles ont toutes sortes de problèmes différents donc… vous passez beaucoup de temps à parler d’autres choses aussiFootnote 15. (Catherine, avocate; ma traduction)

Une autre participante explique qu’elle considère que cela fait partie de ses obligations professionnelles de s’instruire et développer des stratégies concernant la gestion de la santé mentale des personnes qu’elle conseille (tout en reconnaissant qu’elle renvoie aussi à d’autres professionnel‑le‑s) :

J’ai souvent été la personne qui les renvoie à un-e psychologue hum… ou pour une thérapie ou d’autres choses. Et hum… j’ai juste l’impression aussi que cela fait partie de nos obligations professionnelles, que je lis juste beaucoup je… comment gérer hum… les client‑e‑s qui traversent des épisodes en lien avec leur santé mentale, quand ils ou elles sont en face de toi, des stratégies pour aiderFootnote 16. (Noémie, avocate; ma traduction)

Une autre participante formule la même idée mais dans une perspective plus large que la seule question de la gestion des troubles de santé mentale : « Je pense effectivement que cela fait partie de notre rôle un peu comme “mieux se porte un-e client-e, meilleures sont ses chances”, qu’il s’agisse de son degré d’installation ou même de son habileté à témoigner s’il ou si elle est connecté-e à la communauté »Footnote 17 (Sarah, avocate; ma traduction).

Certain-e-s de ces participant-e-s considèrent même que c’est indispensable pour bien faire son travail, pour être un bon avocat ou une bonne avocate :

Si tu veux être une avocate efficace, tu dois être capable de communiquer avec tes client‑e‑s et tu dois éliminer certains de ces obstacles. Donc, si cela signifie que je dois apprendre des techniques d’ancrage (« grounding techniques ») je vais les apprendre pour que mes client‑e‑s puissent se sentir à l’aise avec moiFootnote 18. (Noémie, avocate; ma traduction)

Puis pour un‑e client‑e qui a un‑e avocat‑e qui ne sait pas quoi faire de toute sa détresse, puis qui doit soudainement être en train d’écouter, de réconforter de… écoute, il y a certaines personnes qui vont dire « ce n’est pas notre travail », mais je veux dire ça fait partie du travail, si tu veux bien faire ton travail, à mon avis hum (Chanelle, avocate)

V. Discussion

Les résultats soulignent différents éléments quant à la perception qu’ont les avocat-e-s de leur rôle et de l’étendue des tâches respectives des professionnel-le-s, avec une tendance générale qui met davantage l’accent sur la distinction entre les professions et les limites du rôle de chacun et chacune, et des points de vue plus nuancés. L’analyse des données semble montrer que les participant-e-s partagent généralement des éléments de cette tendance générale, bien que certain‑e‑s d’entre eux et elles s’en distancient quelque peu.

Les personnes plus nuancées semblent davantage souligner les liens entre les deux espaces, certain-e-s mettant en place des stratégies spécifiques en vue de développer des connaissances dans des domaines qui ne sont pas traditionnellement considérés comme relevant de leur rôle. Certain-e-s d’entre eux et elles estiment d’ailleurs que le développement de ces stratégies est nécessaire pour remplir leurs obligations professionnelles et jouer leur rôle d’avocat-e‑s de la meilleure manière. Bien que cela puisse être remis en question (notamment par ceux et celles qui estiment que cela ne fait pas partie de leur travail), des publications ont démontré certains effets positifs de ces stratégies (expliqués dans les paragraphes suivants), soulignant qu’il est important de s’intéresser aux différences de perceptions des avocat-e-s à ce sujet lorsque l’on sait à quel point certains éléments qui sortent de la sphère strictement juridique peuvent jouer un rôle dans la construction et l’évaluation de la demande.

Dans tous les cas, l’importance du renvoi à d’autres professionnel‑le‑s est amplement soulignée, que ce soit par les personnes qui adhèrent à la tendance générale de manière moins nuancée ou par celles qui s’en détachent, traduisant une reconnaissance générale des limites du rôle de chacun et chacune, et de l’importance de collaborer dans le contexte spécifique du processus de détermination du statut de réfugié. Comme mentionné ci‑dessus, l’importance pour les avocat-e-s de développer des connaissances et des stratégies est soulignée par plusieurs participant-e-s. Dans cette optique, ces participant-e-s ont mentionné plusieurs stratégies pour s’instruire et développer ces connaissances et qualités qu’elles considèrent comme essentielles dans le cadre de leur profession. Ces stratégies incluent les recherches et la lecture des publications pertinentes ainsi que le suivi de formations.

Des auteur-e-s ont déjà reconnu ailleurs qu’il est important pour les personnes qui travaillent avec des demandeurs et demandeuses d’asile de prendre connaissance des publications pertinentes (Fiske et Kenny Reference Fiske and Kenny2004, 145). En ce qui concerne les formations, une participante au moins a déclaré que la formation juridique qu’elle avait reçue aurait gagné à comprendre un cours en travail social et en psychologie « pour être capable de bien représenter son ou sa client‑e » (Chanelle, avocate). Bien que la pratique du droit implique nécessairement d’être en contact avec d’autres personnes, le manque d’attention de la formation juridique à cet aspect de la profession a déjà été souligné dans les publications, la situation ayant néanmoins évolué avec les années, notamment avec la mise en place de formations pratiques plus directes (dans des cliniques par exemple) ainsi que l’introduction de cours portant sur certains aspects plus psychologiques de la pratique du droit (Sternlight et Robbennolt Reference Sternlight and Robbennolt2008, 438-439). Des auteur-e-s ont alors argumenté en faveur d’une collaboration plus spécifique entre les disciplines, notamment entre la psychologie et le droitFootnote 19 (Sternlight et Robbennolt, Reference Sternlight and Robbennolt2008). D’autres études ont également insisté sur la réaction positive des représentant-e-s de la justice à des formations concernant les problèmes de santé mentale considérées comme très utiles pour prendre des décisions dans le cadre du processus (Wilson-Shaw, Pistrang et Herlihy Reference Wilson-Shaw, Pistrang and Herlihy2012, 7).

Une autre participante a mentionné qu’il était important de développer des approches du droit qui tiennent compte des traumas (trauma-informed lawyering) :

Les approches du droit qui tiennent compte des traumas, mais c’est une manière d’appréhender la pratique du droit en considérant le trauma de la personne. Et il y a de très bonnes formations là-dessus, et hum… pour créer un espace sûr (…) les approches du droit qui tiennent compte des traumas nous aident, je pense, à connecter avec nos client‑e-s d’une meilleure manière (…). Je pense qu’il y a des soins qui tiennent compte des traumas dans le domaine des soins de santé, et ce sont des types similaires de principes, et je pense que cela a commencé dans le domaine des soins de santé, et quelqu’un l’a amené aux avocat‑e‑s et a dit : « hé les avocat-e-s! vous devez être de meilleures personnes » ha ha ha et nous avons dit okFootnote 20. (Sarah, avocate; ma traduction)

Certaines publications présentent les effets positifs de ces approches qui ont pour objectif de placer les réalités des expériences traumatisantes du ou de la client‑e au centre de la relation client-e/avocat-e et d’ajuster la pratique en fonction de l’expérience particulière du ou de la client‑e (Katz et Haldar Reference Katz and Haldar2015). Il est intéressant de noter que ces approches comprennent également le développement de stratégies de préservation pour les avocat-e-s eux-mêmes ou elles-mêmes afin de contrebalancer les effets de la gestion des expériences difficiles de leurs client‑e‑s sur leur propre santé mentale (Katz et Haldar Reference Katz and Haldar2015, 361). La mise en visibilité et l’adoption des approches du droit qui tiennent compte des traumas pourraient donc être utiles à plusieurs niveaux alors que les publications ont démontré l’incidence, importante pour les avocat‑e‑s, de leur travail sur leur propre santé mentale (Westaby Reference Westaby2010; Baillot, Cowan et Munro Reference Baillot, Cowan and Munro2013; Graffin Reference Graffin2019a; Reference Graffin2019b).

Ces lectures et formations peuvent devenir particulièrement utiles du fait du manque de spécialistes dans certains cas ou des délais qui s’écoulent avant d’avoir un rendez-vous avec l’un‑e d’entre elles ou eux, éléments soulignés par plusieurs avocat‑e‑s pendant les entrevues. Dans ce contexte, les avocat‑e‑s se retrouvent parfois dans des situations où il ne sera pas possible de renvoyer leur client‑e à quelqu’un d’autre dans les temps impartis, et il sera donc nécessaire de gérer ces aspects non juridiques eux-mêmes ou elles-mêmes (Wilson-Shaw, Pistrang et Herlihy Reference Wilson-Shaw, Pistrang and Herlihy2012). Cet aspect mentionné dans la littérature a été confirmé par les participant‑e‑s dans les entrevues.Footnote 21

Dans le cadre du processus de demande d’asile, les aspects juridiques du processus sont fortement liés à d’autres aspects non juridiques, en rapport notamment avec la santé, qui doivent être pris en considération. Que les avocat‑e‑s insistent sur la division des tâches entre les professionnel‑le‑s ou qu’ils et elles aient un discours plus nuancé, l’imbrication de ces aspects peut justifier la nécessité de développer des stratégies (dont les effets positifs sont mentionnés dans les publications) pour assurer une représentation efficace. Alors que les avocat‑e‑s n’ont pas toujours l’opportunité (ou la volonté, notamment s’ils et si elles estiment que ce n’est pas leur rôle) de développer une ou plusieurs de ces stratégies, une autre possibilité – celle de faire intervenir un‑e professionnel‑le de la santé ou un travailleur social ou une travailleuse sociale dès la première rencontre avec le ou la client‑e et les avantages de cette démarche – est mentionnée dans certaines publications. Ainsi, des auteur‑e‑s ont essayé de développer un modèle de coopération entre différent‑e‑s professionnel‑le‑s actifs et actives dans le cadre du processus de demande d’asile, 144, et ont démontré que la présence d’un travailleur social ou d’une travailleuse sociale dès les premières rencontres entre l’avocat‑e et le ou la client‑e pouvait être particulièrement utile, notamment en vue de décider comment présenter l’information aux client‑e‑s de la meilleure manière et d’aider au maintien d’un sentiment de sécurité pour les client‑e‑s dès la première rencontre (Fiske et Kenny Reference Fiske and Kenny2004, 144). D’après ces auteur‑e‑s, cela pourrait aider non seulement à renforcer la crédibilité de la personne, mais aussi à offrir plus d’espace aux demandeurs et demandeuses d’asile pour participer activement au processus (Fiske et Kenny Reference Fiske and Kenny2004, 137).

Conclusion

Cette recherche avait pour objectif de s’intéresser aux différentes perceptions des avocat‑e‑s spécialisé‑e‑s en droit de l’immigration concernant l’étendue et les limites de leur rôle sur le plan de la gestion des aspects non strictement juridiques d’un cas. Les personnes qui demandent le statut de réfugié ont souvent vécu des expériences difficiles dont les conséquences en matière de santé peuvent avoir une incidence sur la construction et l’évaluation de la demande. Le rôle de l’avocat‑e qui entoure le demandeur ou la demandeuse d’asile à cet égard est important, particulièrement dans les cas où il n’est pas possible de faire collaborer plusieurs professionnel‑le‑s dans différents domaines, comme cela arrive souvent dans le contexte d’un processus d’obtention du statut de réfugié, d’où l’intérêt des questions au centre de cet article.

Sur la base des publications s’intéressant à l’intérêt des avocat‑e‑s spécialisé‑e‑s en droit de l’immigration pour les problématiques de santé mentale et à leurs perceptions de leur rôle et de la gestion des émotions, ainsi que de l’analyse de quatorze entrevues réalisées à Ottawa, cette recherche a démontré l’existence d’une tendance générale à insister sur la division des tâches entre les professionnel‑le‑s, certain‑e‑s se détachant quelque peu de cette tendance. Bien que certain‑e‑s participant‑e‑s n’aient mentionné aucune stratégie spécifique, insistant plutôt sur la gestion des aspects strictement juridiques du cas, d’autres ont mentionné plusieurs stratégies pour s’instruire et développer des connaissances qu’ils et elles considèrent essentielles dans le cadre de leur profession.

Alors que l’idée de cette recherche est née dans le cadre de mon projet de thèse, projet qui aborde des questions connexes mais plus larges, des recherches futures pourraient s’intéresser à ce sujet de manière plus précise et développer les réflexions présentées dans cet article. Celui‑ci se proposait comme une ouverture sur un sujet qui n’a pas encore été tellement développé dans la littérature. La perspective des personnes qui demandent l’asile sur ces questions pourrait/devrait être davantage soulignée. À titre d’exemple, une des femmes réfugiées que j’ai rencontrée dans le cadre de mon projet, alors qu’elle expliquait pourquoi elle se sentait mal à l’aise avec son premier avocat, a comparé les différentes façons des avocat‑e‑s avec qui elle avait collaboré de traiter le renvoi à des professionnel‑le‑s de la santé, et critiqué la manière de faire du premier :

Il n’était pas capable… il vous dira juste, ok, vous avez besoin d’un psychothérapeute, vous devez aller sur les pages jaunes pour en avoir un et prendre un rendez-vous. Mais, au bureau de X, elles sont allées de l’avant pour en trouver un pour moi, ce qui était… car ce serait beaucoup plus facile pour mon avocat de le faire, et ensuite, pour moi, la cliente… donc, elles sont allées de l’avant pour me trouver le psychothérapeute, ont pris le rendez-vous et elles m’ont juste informée que ‘nous avons pris un rendez-vous pour vous à tel moment’Footnote 22. (Nathalie; ma traduction)

D’autres recherches pourraient s’intéresser aux raisons de ces différentes approches, aux possibles liens avec les différentes perceptions des avocat‑e‑s concernant leur rôle ainsi qu’à leurs conséquences.

Des recherches futures pourraient également s’intéresser à la question du genre comme structure et à la manière dont le genre influence les perceptions, mais aussi les relations entre les avocat‑e‑s et les personnes qui demandent l’asile. Westaby (Reference Westaby2010, 162), par exemple, mentionne l’existence de stéréotypes à l’égard de certains aspects du travail émotionnel comme le soin, l’attention et l’inquiétude, traditionnellement considérés comme caractéristiques des femmes, entraînant peut‑être un besoin, pour les avocat‑e‑s, de se distancier d’autres professions, la profession d’avocat‑e étant souvent associée à des traits considérés comme traditionnellement masculins comme la neutralité, la rationalité et la force. Les avocat‑e‑s étant jugé‑e‑s sur base de ces traits (Sommerlad Reference Sommerlad1994; Westaby Reference Westaby2010, 162), ceci pourrait expliquer la réticence de certain‑e‑s à s’engager davantage émotionnellement. D’autres recherches pourraient également s’intéresser aux différences en termes d’expériences, certain‑e‑s avocat‑e‑s ayant déclaré ailleurs avoir eu plus de difficultés au début de leur carrière (Westaby Reference Westaby2010, 163), ainsi qu’à la question de la structure dans laquelle travaillent les avocat‑e‑s (pratique privée, clinique juridique, etc.) et comment cette structure influence la relation avec les autres professionnel‑le‑s.

Footnotes

1 Certaines personnes vivent déjà au Canada avant de demander le statut de réfugié.

2 Convention relative au statut de réfugié, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 (entrée en vigueur : 22 avril 1954).

3 Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, article 96.

5 Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Directives numéro 8 du président : Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR. Tiré de https://irb.cisr.gc.ca/fr/legales.politique/politiques/Pages/GuideDir08.aspx

6 Un certificat d’approbation éthique a été obtenu auprès du Bureau d’éthique et d’intégrité de la recherche de l’Université d’Ottawa.

7 Alors que des tentatives pour recruter davantage d’hommes ont été déployées, les raisons de cette disproportion ne sont pas claires (moins d’hommes avocats en droit de l’immigration à Ottawa? Moins disponibles pour participer à une recherche universitaire? ou le hasard?).

8 Dans le cadre de ma thèse, j’ai aussi réalisé neuf entrevues avec des femmes qui ont demandé le statut de réfugié au Canada.

9 Non identifiée pour préserver l’anonymat.

10 Les raisons mentionnées dans la partie 2. a) sont aussi discutées par les participant‑e‑s tel que : le bien‑être du ou de la client‑e, obtenir un rapport d’expert, etc.

11 « You have to know your role. Your role is not to be their best friend and confidante. That’s not your job. Or their counsellor, if someone is crying, your job is not to cry with them. Your job is to be the lawyer and you could be sympathetic, you can be sensitive, but you still have to put their case together for them. »

12 « A long time ago, I figured out that my job is not to be empathetic. I can be tactful, but I need to get my information so that I can be prepared. »

13 « As lawyers, we get very time focused and very practical, and, like that is not always great when it comes to people who have a lot of traumas. »

14 « Being a refugee lawyer, you are also a social worker. Frankly, that’s pretty much what it comes down to. »

15 « (…) sometimes, you feel like you are a social worker, um, yeah. I think it’s important for lawyers to know their limits and I am not a trained mental health worker, psychologist. And I think, just by virtue of working with these populations, you come to recognize impacts of trauma and it’s important (to) understand trauma at least to some extent because it affects… To me, it affects the chance on refugee claim. But, um, what I have gotten good (at) is knowing the right resources to refer people to (…) Making the refugee claim when someone arrives in Canada is just part one. They have to figure out housing, education employment and all that, so usually referring to one of the settlement organizations in Canada and they have much better resources than I do to help support those parts of it. So, um, yeah I try to just stick to my lane and make sure that people know where to find the other support but, um, even when you try really hard to just stick to the legal part of it, obviously you are dealing with people and they have all kinds of different issues so… you spend a lot of time talking about other things too. »

16 « I have frequently been the person to refer them to a psychologist, um, or for therapy or whatever. And, um, I just also I feel like it is part of my professional duties, that I just read a lot I… how to deal with, um, clients who are going through mental episodes when they are in front of you right, strategies to help. »

17 « I do think it is part of our role a little bit, in, like, the better off a client is, the better their chances are either of their degree of establishment or even their ability to testify if they are connected to the community. »

18 « If you want to be an effective lawyer, you need to be able to communicate with your clients and you need to remove some of those barriers. So, if that means I have to learn some grounding techniques, I will learn that so my clients can feel comfortable with me. »

19 Sternlight et Robbennolt, bien que leur étude ne concerne pas spécifiquement le domaine du droit de l’immigration, expliquent en détail pourquoi avoir des connaissances en psychologie aide grandement les avocat-e-s dans leur travail en tant que cela leur permet de créer une meilleure relation avec le ou la client-e, obtenir davantage d’informations pertinentes, et mieux guider les client-e-s à travers les différentes options (Sternlight et Robbennolt Reference Sternlight and Robbennolt2008, 437-442).

20 « Trauma-informed lawyering, but it is a way of approaching lawyering that considers the person’s trauma. And there [are] really good workshops on it, and, um, to sort of create that safe space (…) trauma-informed lawyering helps us, I think, it helps us connect with our clients in a better way (…). I think there is trauma informed care on the health-care side so it’s similar types of principles, and I think it started in health care, and someone brought over into lawyers and said “hey, lawyers you need to be nicer people” ha ha ha and we said okay ».

21 Une demandeuse d’asile interrogée dans le cadre du projet a spécifiquement mentionné le fait que son avocat avait arrangé un rendez‑vous pour elle avec un psychologue mais que l’audience était arrivée avant la date du rendez-vous et qu’elle n’avait pas pu le rencontrer. Au moment de l’entrevue pour mon projet, elle n’avait pas encore rencontré de psychologue.

22 « He wasn’t able…he would just tell you, ok, you need a psychotherapist, you need to go to on the yellow pages to get one and book an appointment. But for X’s office, they went ahead to get one for me, which was… because it would be a lot easier for my lawyer to do that, then for I, the client… so they went ahead to get the psychotherapist for me, booked an appointment and they just informed that “we booked an appointment for you for such and such time”. »

References

Références

Ardalan, Sabrineh. 2015. Constructive or counterproductive – Benefits and challenges of integrating mental health professionals into asylum representation. Georgetown Immigration Law Journal 30 (1): 146.Google Scholar
Baillot, Helen, Cowan, Sharon, et Munro, Vanessa E.. 2013. Second‐hand emotion? Exploring the contagion and impact of trauma and distress in the asylum law context. Journal of Law and Society 40 (4): 50940.10.1111/j.1467-6478.2013.00639.xCrossRefGoogle Scholar
Baily, Charles, Henderson, Schuyler, Taub, Amanda, O’Shea, Glynnis, Einhorn, Honora, et Verdeli, Helen. 2014. The mental health needs of unaccompanied immigrant children: Lawyers’ role as a conduit to services. Graduate Student Journal of Psychology 15: 317.Google Scholar
Baranowski, Kim A., Moses, Melissa H., et Sundri, Jasmine. 2018. Supporting asylum seekers: Clinician experiences of documenting human rights violations through forensic psychological evaluation. Journal of Traumatic Stress 31 (3): 391400.CrossRefGoogle ScholarPubMed
Braun, Virginia, et Clarke, Victoria. 2006. Using thematic analysis in psychology. Qualitative Research in Psychology 3:77101.CrossRefGoogle Scholar
Cleveland, Janet, Kronick, Rachel, Gros, Hanna, et Rousseau, Cécile. 2018. Symbolic violence and disempowerment as factors in the adverse impact of immigration detention on adult asylum seekers’ mental health. International Journal of Public Health 63 (8): 1001–8.CrossRefGoogle ScholarPubMed
Cleveland, Janet, Rousseau, Cécile, et Kronick, Rachel. 2012. The harmful effects of detention and family separation on asylum seekers’ mental health in the context of Bill C-31. Brief submitted to the House of Commons Standing Committee on Citizenship and Immigration concerning Bill C-31, the Protecting Canada’s Immigration System Act.Google Scholar
Crépeau, François, et Nakache, Delphine. 2008. Critical spaces in the Canadian refugee determination system: 1989–2002. International Journal of Refugee Law 20 (1): 50122.10.1093/ijrl/een011CrossRefGoogle Scholar
Fiske, Lucy, et Kenny, Mary Anne. 2004. “Marriage of convenience” or a “match made in heaven”: Lawyers and social workers working with asylum seekers. Australian Journal of Human Rights 10 (1): 137–57.10.1080/1323238X.2004.11910774CrossRefGoogle Scholar
Graffin, Neil. 2019a. Protecting asylum practitioners from emotional strain and secondary trauma: Education, support and reform. European Journal of Current Legal Issues 25 (2).Google Scholar
Graffin, Neil. 2019b. The emotional impacts of working as an asylum lawyer. Refugee Survey Quarterly 38 (1): 3054.CrossRefGoogle Scholar
Halluin-Mabillot, Estelle d’. 2012. Les épreuves de l’asile : associations et réfugiés face aux politiques du soupçon. Paris: École des hautes études en sciences sociales.Google Scholar
Harris, Lloyd C. 2002. The emotional labour of barristers: An exploration of emotional labour by status professionals. Journal of Management Studies 39 (4): 553–84.CrossRefGoogle Scholar
Katz, Sarah, et Haldar, Deeya. 2015. The pedagogy of trauma-informed lawyering. Clinical Law Review 22 (2): 359–94.Google Scholar
Kronick, Rachel. 2018. Mental health of refugees and asylum seekers: Assessment and intervention. The Canadian Journal of Psychiatry 63 (5): 290–96.CrossRefGoogle ScholarPubMed
Liew, Jamie Chai Yun, et Galloway, Donald. 2015. Immigration Law, 2e éd. Essentials of Canadian Law. Toronto : Irwin Law.Google Scholar
Lopez, Anna, et Boie, Loana. 2012. Voices: Exploring the experiences of non-mental health professionals working with Mexican immigrants affected by deportation. Journal for Social Action in Counseling and Psychology 4 (1): 4053.CrossRefGoogle Scholar
Murray, David A. B. 2015. Real queer?: Sexual orientation and gender identity refugees in the Canadian refugee apparatus. Londres : Rowman & Littlefield International, Ltd.Google Scholar
Pierce, Jennifer L. 1995. Gender trials: Emotional lives in contemporary law firms. Berkeley : University of California Press.Google Scholar
Ramji-Nogales, Jaya, Schoenholtz, Andrew I., et Schrag, Philip G.. 2007. Refugee roulette: Disparities in asylum adjudication. Stanford Law Review 60 (2): 295411.Google Scholar
Rehaag, Sean. 2011. The role of counsel in Canada’s refugee determination system: An empirical assessment. Osgoode Hall Law Journal 49 (1): 71116.Google Scholar
Rehaag, Sean. 2017. I simply do not believe: A case study of credibility determinations in Canadian refugee adjudication. Windsor Review of Legal and Social Issues 38: 38-70.Google Scholar
Rousseau, Cécile, Crépeau, François, Foxen, Patricia, et Houle, France. 2002. The complexity of determining refugeehood: A Multidisciplinary analysis of the decision-making process of the Canadian immigration and refugee board. Journal of Refugee Studies 15 (1): 4370.CrossRefGoogle Scholar
Sheer, A. 1999. Client care for lawyers. Londres : Sweet & Maxwell.Google Scholar
Sommerlad, Hilary. 1994. The myth of feminisation: Women and cultural change in the legal profession. International Journal of the Legal Profession 1 (1): 3153.CrossRefGoogle Scholar
Steel, Zachary, Frommer, Naomi, et Silove, Derrick. 2004. Part I—The mental health impacts of migration: The law and its effects. International Journal of Law and Psychiatry 27 (6): 511–28.10.1016/j.ijlp.2004.08.006CrossRefGoogle ScholarPubMed
Sternlight, Jean R, et Robbennolt, Jennifer. 2008. Good lawyers should be good psychologists: Insights for interviewing and counseling clients. Ohio State Journal on Dispute Resolution 23 (3): 437548.Google Scholar
Surawski, Nadya, Pedersen, Anne, et Briskman, Linda. 2008. Resisting refugee policy: Stress and coping of refugee advocates. The Australian Community Psychologist 20 (2): 1629.Google Scholar
Taylor, Gary W., et Ussher, Jane M.. 2001. Making sense of S&M: A discourse analytic account. Sexualities 4 (3): 293314.CrossRefGoogle Scholar
Tomkinson, Sule. 2019. Trois nuances de l’expertise stratégique : le rôle des avocats dans la procédure d’asile. Politique et Sociétés 38 (1): 99128.CrossRefGoogle Scholar
Westaby, Chalen. 2010. “Feeling like a sponge”: The emotional labour produced by solicitors in their interactions with clients seeking asylum. International Journal of the Legal Profession 17 (2): 153174.CrossRefGoogle Scholar
Wilson-Shaw, Lucy, Pistrang, Nancy, and Herlihy, Jane. 2012. Non-clinicians’ judgments about asylum seekers’ mental health: How do legal representatives of asylum seekers decide when to request medico-legal reports? European Journal of Psychotraumatology 3 (1): 18406.10.3402/ejpt.v3i0.18406CrossRefGoogle ScholarPubMed