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La constitution autochtone du Canada John Borrows, Québec : Presses de l'Université du Québec, 2020, pp. 478

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La constitution autochtone du Canada John Borrows, Québec : Presses de l'Université du Québec, 2020, pp. 478

Published online by Cambridge University Press:  02 September 2021

Louise Nachet*
Affiliation:
Université Laval (louisenachet@gmail.com)
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © The Author(s), 2021. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Si le système juridique canadien a contribué à protéger les droits et les libertés des citoyens de la fédération, celui-ci demeurera inachevé tant que les traditions juridiques autochtones ne seront pas mieux reconnues. Tel est le constat sur lequel l’éminent juriste autochtone John Borrows fonde sa réflexion. Contrairement à ce que sous-entendent l'interprétation discriminante et moralement infondée de la doctrine de la conquête, les traditions juridiques autochtones n'ont jamais disparues. Elles continuent d'exister comme droit, sauf si elles sont incompatibles avec l'affirmation de la souveraineté de la Couronne, si elles ont été cédées volontairement par traité, ou si le gouvernement les a éteintes. À travers un argumentaire aussi riche que didactique, l'auteur démontre donc comment l'intégration des traditions juridiques autochtones peut contribuer à la construction d'un système multi-juridique souhaitable pour les peuples autochtones mais aussi pour l'ensemble de la société canadienne.

Pour Borrows, la mise en œuvre des traditions juridiques autochtones nécessite de mieux comprendre leurs différentes sources que sont le domaine du sacré, le droit naturel, le droit délibératif, le droit positif, et la coutume. Ces sources ont tendance à interagir entre elles, faisant des traditions juridiques autochtones des régimes de droit vivants, capables d’évoluer, à l'image des communautés dans lesquelles elles se manifestent. L'auteur mentionne aussi l'importance de la transmission orale des lois dans les sociétés autochtones qui assure la vitalité, la pertinence, et la flexibilité du droit. Il poursuit ensuite par l'examen de huit traditions juridiques autochtones différentes afin d'en illustrer la richesse et la complexité pour cadrer et résoudre les conflits. Néanmoins, Borrows tient également à souligner les similitudes entre les traditions juridiques autochtones et non-autochtones dont il faut aussi reconnaître la nature culturellement contingente.

Borrows soutient que la coexistence de multiples ordres juridiques, notamment de la common law et du droit civil, est un système au cœur de la fédération canadienne qui a permis de protéger et de promouvoir l'héritage multiculturel du pays. Ainsi, l'intégration des traditions juridiques autochtones procède d'un approfondissement de ce système multi-juridique et acte la reconnaissance et la légitimité de ces traditions. L'utilisation des traités constitue un exemple de système multi-juridique faisant coexister common law, droit civil, et traditions juridiques autochtones, par lequel ces dernières peuvent être reconnues et s'exercer. Borrows envisage l'application du droit autochtone sur une base territoriale par l'intermédiaire des différents gouvernements autochtones ayant des responsabilités sur les réserves et d'autres territoires autochtones afin de renforcer la nature démocratique du droit canadien. Dans un souci de convaincre du bienfondé démocratique de son plaidoyer, Borrows prend le temps de répondre aux réserves et aux préoccupations de ses interlocuteurs dans un chapitre où il traite des questions liées à l'intelligibilité, l'accessibilité, l'égalité, l'applicabilité, et la légitimité du droit autochtone. Cette prise de recul critique permet aux lecteurs de mieux comprendre comment la mise en œuvre des traditions juridiques autochtones renforce les droits et l'égalité au Canada, et non l'inverse.

Mais si l'on admet que la plus grande intégration des traditions juridiques autochtones au sein du système canadien est souhaitable, quels sont les acteurs à même de mener une telle réforme? Telle est la question qui occupe Borrows dans les derniers chapitres de l'ouvrage. Plusieurs acteurs pertinents pour renforcer les traditions juridiques autochtones sont identifiés. Les gouvernements autochtones mais aussi non-autochtones sont en mesure d'adopter des lois pour la reconnaissance et l'harmonisation des traditions juridiques autochtones. Les tribunaux autochtones, fédéraux, et provinciaux pourraient aussi aller dans ce sens en établissant des mécanismes d'interprétation appropriés et en s'assurant d'une meilleure représentativité autochtone et d'une meilleure connaissance du droit autochtone au sein de la magistrature. De par leur rôle central dans la reproduction des paradigmes juridiques dominants, les barreaux et les facultés de droit peuvent également constituer des institutions déterminantes pour la reconnaissance, la critique, et la promotion des traditions juridiques autochtones.

Dans l'avant-dernier chapitre, Borrows saisit l'occasion de mettre en pratique les propositions développées dans son ouvrage en faveur de la reconnaissance et de l'harmonisation de l'ensemble des traditions juridiques du Canada à travers les enjeux liés à la reconnaissance et la confirmation juridique des conceptions cosmologiques anichinabées. Ce cas pratique permet de se rendre compte des défis mais aussi du potentiel lié à la pleine reconnaissance du pluralisme juridique. Ce pluralisme permettrait de repenser nos relations juridiques de manière à permettre la meilleure participation des peuples autochtones à la construction d'un avenir commun, de diminuer la conflictualité, de contester la domination coloniale, et de favoriser l'agentivité des individus et des communautés. En cela, Borrows démontre comment les paradigmes juridiques en vigueur constituent des espaces légitimes de décolonisation et de dialogue interculturel.

L'objectif de cet ouvrage est très ambitieux. Il s'agit autant d'un travail académique qu'un manifeste appelant à une réforme profonde des structures juridiques canadiennes. Un plaidoyer pour un constitutionnalisme fécond dans lequel l'auteur entend dépasser les conceptions essentialisées de la tradition et les interprétations oppressantes du droit afin de régénérer les cultures juridiques autochtones et non-autochtones dans le contexte canadien contemporain. Sans nier l'ampleur de la tâche, l'auteur considère que cette réforme constitue une voie prometteuse pour faire avancer les droits des peuples autochtones au Canada, compte tenu de leur position minoritaire au sein de la population.

L'ouvrage de Borrows parvient à un bel équilibre entre la description et la prescription, dont la clarté et la solidité saura interpeller un lectorat bien plus large que celui des juristes. Ceci est d'autant plus appréciable étant donné la nature intrinsèquement politique de la réflexion de Borrows, qui cherche à créer un dialogue constructif entre les Canadiens autochtones et les Canadiens non-autochtones qui pourraient être amenés à considérer leurs propres lois sous un jour nouveau.