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Le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits : une exploration au prisme d’une analyse des coûts humains et financiers de la justice

Published online by Cambridge University Press:  02 May 2024

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Résumé

Les modes alternatifs de règlement des conflits s’inscrivent dans une volonté de transformation de l’organisation de la justice en cherchant à régler « autrement » les litiges judiciarisés. L’émergence de ces modes répond également aux impératifs de la nouvelle gouvernance publique, où les questions de l’efficacité et de la célérité de la justice deviennent cardinales. Ces modes alternatifs exigent que les parties y participent volontairement. Or, les justiciables composent avec certaines contraintes subjectives qui se répercutent sur leur motivation à s’engager sur la voie d’un mode alternatif de règlement des conflits. À partir de données empiriques, ce texte présente de quelle façon les coûts humains et financiers qu’assument les justiciables sont susceptibles de se répercuter sur leur décision de s’engager sur une telle voie, laquelle découle généralement de l’atteinte d’un point de rupture par rapport à ces coûts. Cette recherche, effectuée au Québec, fait état de la situation en droit civil, en droit criminel et en droit administratif.

Abstract

Abstract

Alternative dispute resolution methods reflect a desire to transform the justice system by seeking to resolve legal disputes “differently”. The emergence of these methods also responds to the imperatives of the new public governance, where the speedy and efficient delivery of justice is primary. These alternative methods require the voluntary participation of all parties. However, litigants deal with certain subjective constraints that impact their motivation to engage in an alternative dispute resolution process. Based on empirical data, this article explains how the human and financial costs borne by litigants can influence their decision to pursue such a method, usually resulting from reaching a breaking point regarding these costs. This research, conducted in Quebec, provides an overview of the situation in civil law, criminal law, and administrative law.

Type
Research Article/Article de Recherche
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Creative Common License - CCCreative Common License - BY
This is an Open Access article, distributed under the terms of the Creative Commons Attribution licence (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted re-use, distribution and reproduction, provided the original article is properly cited.
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© The Author(s), 2024. Published by Cambridge University Press on behalf of Canadian Law and Society Association / Association Canadienne Droit et Société

Au Québec, en novembre 2014, près d’une soixantaine d’intervenant·e·s du milieu juridique, dont la ministre de la Justice de l’époque, Stéphanie Vallée, adhéraient à la Déclaration de principe sur la justice participative. Cette Déclaration, échafaudée à l’initiative du Barreau de Montréal, rappelle que « [la] justice participative est une approche, complémentaire à la justice traditionnelle, qui vise à prévenir et à résoudre les conflits. [Elle] mise sur la participation active et responsable du citoyen qui pourra choisir, selon le degré d’implication qu’il souhaite, le ou les moyens à utiliser pour résoudre complètement ou partiellement le conflit »Footnote 1. Dans son rapport intitulé La transformation des rapports humains par la justice participative, la Commission du droit du Canada souligne que la justice participative permettrait aux citoyen·ne·s de déployer leur agentivité en les encourageant à prendre une part active à des décisions les concernant au premier chefFootnote 2. La justice participative favorise par ailleurs le recours à des modes « alternatifs » de prévention et de règlement des conflits afin d’éviter, ou du moins de minimiser, l’intervention du ou de la jugeFootnote 3. En matière civile, les modes privés de prévention et de règlement des conflits sont une figure de proue de la réforme de la procédure civile, entrée en vigueur le 1er janvier 2016Footnote 4.

Ces modes alternatifs de prévention et de règlement des conflits prennent diverses formes et interviennent à différents moments. Ainsi, tel un continuumFootnote 5, il s’agit autant de stratégies visant en amont la prévention des conflits que de moyens visant à mettre un terme à ceux-ci de façon plus ou moins « coopérative »Footnote 6. Depuis le recours à un service de médiation dans l’enceinte ou en marge de l’institution judiciaire jusqu’à la désignation d’un arbitre qui tranchera le conflit survenu entre les parties, les modes alternatifs s’insèrent autant dans la gestion juridictionnelle que non juridictionnelle des conflitsFootnote 7.

La popularité croissante des modes alternatifs de règlement des conflits est inextricablement liée aux enjeux contemporains concernant l’accès à la justiceFootnote 8. Ces modes seraient un antidote aux principaux obstacles à un « système de justice ouvert à tous, abordable et efficace »Footnote 9, soit les coûts et délais déraisonnables découlant du recours aux tribunauxFootnote 10. Certains préconisent le recours à ces modes alternatifs comme « des procédés de justice à l’égal des modes judiciaires » afin d’améliorer l’accès à la justiceFootnote 11.

Le principal narratif autour duquel s’articulent les modes alternatifs de règlement des conflits susceptibles de judiciarisation repose sur le fait que les parties participent volontairement à ceux‑ciFootnote 12. Ce narratif met en scène le ou la justiciable réifié·e en acteur ou actrice rationnel·le disposant des ressources nécessaires pour prendre en amont une décision parfaitement informée et adaptée à sa réalité. Or, comme nous le verrons, la décision des justiciables de s’engager sur la voie d’un mode alternatif découle plutôt de l’atteinte d’un point de rupture par rapport aux coûts humains et financiers que ceux-ci et celles-ci doivent assumer tout au long de leur trajectoire judiciaire (2). Avant de présenter les résultats d’une recherche effectuée au Québec, nous situerons l’émergence de ces modes alternatifs dans les différents domaines du droit faisant l’objet de nos travaux et procéderons à certaines précisions sur le plan terminologique (1).

I. Considérations sémantiques et genèse d’un phénomène protéiforme

L’étude du rapport qu’entretiennent les justiciables avec les modes alternatifs de règlement des conflits impose que l’on s’arrête à certaines considérations sémantiques. Comme nous le verrons, une multiplicité d’expressions et de termes sont mobilisés, lesquels ne renvoient pas nécessairement aux mêmes pratiques (I.1). De plus, il convient de signaler que le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits n’est pas l’apanage de la justice civile : les négociations entre les parties interviennent également en matière administrative et criminelle (I.2).

1. Bref survol terminologique

Le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits oppose généralement la justice traditionnelle, qui suppose l’adjudication par une personne en situation d’autorité par rapport à un·e justiciable, sujet passif, composant avec un système qui le ou la dépasse et le ou la dépossède, à la justice participative, qui suppose une certaine agentivité des parties.

Un survol de la littérature, de la législation et des outils développés par diverses institutions permet de recenser un éventail de termes et d’expressions afin de désigner ces modes alternatifs de règlement des conflitsFootnote 13.

Ainsi, on fera référence à des modes « alternatifs » ou « privés » de règlement des « différends », des « litiges » ou des « conflits »; dans certains cas, on ajoutera une référence à la prévention des litiges et des conflitsFootnote 14. Ces modes alternatifs ou privés de règlement ou de prévention peuvent intervenir en marge de l’institution judiciaire ou dans son enceinte : c’est notamment le cas des conférences de règlement à l’amiable, lesquelles se déroulent sous l’auspice d’un·e magistrat·eFootnote 15, ainsi que de la médiation à l’occasion d’une réclamation à la Division des petites créances de la Cour du QuébecFootnote 16. Les modes alternatifs de règlement des conflits réfèrent également à l’adjudication par la voie de l’arbitrageFootnote 17. On peut aussi référer au processus entrepris par les parties : on évoquera alors que les parties ont entamé des négociations ou encore qu’elles ont participé à une séance de médiation ou de conciliation. Quant à elles, les expressions « règlement », « entente » et « transaction » désignent généralement l’issue de ce processus.

Aux fins de cet article, nous avons privilégié l’expression « modes alternatifs de règlement des conflits ». L’expression « modes alternatifs » fait ici référence aux modes de résolution des conflits permettant d’éviter le recours au juge. Au-delà de la justice civile, le présent article explorera le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits en matière administrative et criminelle. Les modes alternatifs visant la prévention de certains litiges sont écartés du champ du présent article.

2. Le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits : genèse d’une institutionnalisation progressive

Bien que les modes alternatifs de règlement des conflits se présentent de façon polymorphe selon les domaines du droit, les pourparlers et rapports transactionnels entre les parties prédatent leur reconnaissance formelle par les règles de procédure, et ce, que l’on soit en matière civile (I.2.1), administrative (I.2.2) ou criminelle (I.2.3).

2.1 Matière civile

Au Québec, c’est en droit de la famille que l’on retrouve les premières traces d’une institutionnalisation des modes alternatifs de règlement des conflits. En effet, au Québec, bien avant l’entrée en vigueur de la réforme de la procédure civile, le 1er janvier 2016, obligeant désormais les parties à considérer le règlement à l’amiable de leur conflit avant de s’adresser aux tribunauxFootnote 18, les premières démarches visant à généraliser le recours à la médiation familiale débutent dès les années 1970Footnote 19. Devant l’augmentation du nombre de ruptures conjugales au Québec, un comité de travail fut chargé en 1978 de réfléchir à la mise en place d’un service de médiation familialeFootnote 20. Un projet pilote émergea de ces travaux : le Service de conciliation à la famille de la Cour supérieure du Québec fut mis sur pied au début des années 1980 dans le district de MontréalFootnote 21.

Parallèlement, la médiation privée se développa dans plusieurs villes de la provinceFootnote 22. La Loi sur le divorce, modifiée en 1985, imposait pour sa part à l’avocat·e « de discuter avec son client de l’opportunité de négocier les points qui peuvent faire l’objet d’une ordonnance alimentaire ou d’une ordonnance de garde, et de le renseigner sur les services de médiation qu’il connaît et qui sont susceptibles d’aider les époux dans cette négociation »Footnote 23. En 1997, la Loi instituant au Code de procédure civile la médiation préalable en matière familiale et modifiant d’autres dispositions de ce code imposait aux parties de participer à une séance d’information gratuite sur la médiation en cas de demande contestée portant sur la garde des enfants, les aliments ou le partage des biensFootnote 24. Le recours à la médiation familiale demeurait quant à lui volontaire, mais, afin de favoriser le recours à ce processus, le coût des six premières séances de médiation était défrayé par l’ÉtatFootnote 25. Depuis 2012, ce sont 5 heures de médiation gratuites qui sont allouées dans le cadre d’une séparation parentale, auxquelles peuvent ultérieurement s’ajouter deux heures et demie afin de réviser un jugement ou une ententeFootnote 26. La mise en place d’un système subventionné a assurément contribué à l’utilisation de ce service juridique par les parents suite à une séparation. Selon les statistiques produites par le ministère de la Justice, près de 84 % des couples avec enfants qui ont utilisé la médiation familiale au cours de l’année 2017 sont parvenus à une ententeFootnote 27.

2.2 Matière administrative

Qu’en est-il en matière administrative, c’est-à-dire lorsqu’un litige oppose l’État et une personne, physique ou moraleFootnote 28 ? Les organismes administratifs et les tribunaux quasi judiciaires ont été conçus afin de pallier le formalisme des institutions judiciairesFootnote 29. Or, au fil du temps, un certain rapprochement s’est opéré entre la justice administrative et le modèle contradictoire ayant cours devant les tribunaux judiciaires. Le caractère simple et souple censé caractériser la justice administrative cède de plus en plus le pas à une justice fortement procéduraliséeFootnote 30. Dès 1991, le rapport du Groupe de travail sur l’accessibilité à la justice liait le recours aux modes alternatifs à un meilleur « accès à la justice », notamment en matière de droit administratifFootnote 31. Ses auteurs soulignaient alors que « la justice administrative privilégiée par l’État québécois pour contrer les effets de la sur‑judiciarisation de la justice traditionnelle s’était à son tour sur-judiciarisée » et que la justice administrative était devenue « trop complexe, trop longue et trop coûteuse »Footnote 32. Il convenait donc, selon ces auteurs, d’envisager des voies alternatives au traitement de ces litiges.

Si le recours à des modes alternatifs de règlement des conflits en matière administrative peut être exploré à l’aune de différents litiges relevant de ce contentieux, l’institutionnalisation de ces mécanismes dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles Footnote 33 (ci‑après « LATMP ») nous semble constituer un terreau fertile pour saisir de quelle façon les modes alternatifs ont rapidement frayé leur chemin en matière administrative. Cette loi pose les jalons en matière de reconnaissance et de réparation des lésions professionnelles. Sur le plan administratif, cette mise en œuvre fait intervenir au premier chef la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci‑après « CNESST »). Une décision rendue par la CNESST pourra être contestée par le travailleur ou la travailleuse ou son employeur devant un tribunal quasi judiciaire, le Tribunal administratif du travail (ci‑après « TAT »).

La LATMP prévoit, depuis son entrée en vigueur en 1985, que les parties peuvent parvenir à une ententeFootnote 34, laquelle devrait être entérinée par le TAT. Qu’en est-il toutefois de ce mécanisme d’entérinement des transactions qui offre, rappelons-le, certaines garanties dans le cadre de la mise en œuvre d’une loi d’ordre public? Depuis 1998, le nombre d’ententes entérinées stagne, alors que le nombre de désistements a fait un bon statistique fulgurant. Or, il semble qu’un nombre important de ces désistements découle d’un accord intervenu entre les parties, mais non entériné par le tribunalFootnote 35. Plusieurs critiques peuvent être formulées au sujet de ces transactionsFootnote 36 : l’une des plus importantes concerne les répercussions d’une telle entente sur les droits futurs de la personne accidentée ou maladeFootnote 37. Ainsi, une entente pourrait survenir en vertu de laquelle un montant forfaitaire est octroyé en contrepartie de l’abandon de la réclamation, renversant de ce fait la reconnaissance de la nature professionnelle d’une lésion. Une telle entente aura cependant pour effet d’empêcher dans le futur toute reconnaissance, et donc toute indemnisation, en cas de rechute, de récidive ou d’aggravation de la condition.

2.3 Matière criminelle

En matière criminelle, le mode alternatif de règlement des conflits se présente différemment. Avant d’être jugée, toute personne accusée est appelée à répondre à l’accusation en reconnaissant ou en niant sa culpabilité. Pour enregistrer le plaidoyer de culpabilité, le ou la juge doit s’assurer de sa validitéFootnote 38. Pour être valide, le plaidoyer doit être « volontaire, sans équivoque et informé »Footnote 39. Très souvent, ce plaidoyer de culpabilité est fait à la suite d’une entente (que l’on nomme aussi « suggestion commune » ou « recommandation conjointe ») avec le ou la procureur·e responsable de la poursuite. En matière criminelle, le « plea bargaining » ou l’« entente sur le plaidoyer » est loin d’être un phénomène nouveauFootnote 40. En 1989, la Commission de réforme du droit du Canada définissait l’entente sur le plaidoyer comme « toute entente suivant laquelle l’accusé accepte de plaider coupable, le poursuivant s’engageant en échange à adopter ou à ne pas adopter une ligne de conduite donnée »Footnote 41 . En 1987, la Commission canadienne sur la détermination de la peine soulignait que la « négociation » pouvait intervenir quant à trois aspects, soit les accusations, la peine et les faits en causeFootnote 42. Dans les faits, les négociations portent le plus souvent sur la peineFootnote 43.

Ainsi, certains dossiers « se règlent » également en matière criminelle. Ces négociations se soldent généralement par une entente présentée à un·e juge qui l’entérinera sauf si le critère de l’intérêt public n’est pas satisfaitFootnote 44. Il n’existe pas de mécanisme structuré et réglementé encadrant ces négociationsFootnote 45 bien qu’elles soient très fréquentes. On estime au Québec que près de 95 % des condamnations criminelles sont issues d’un plaidoyer de culpabilité de la personne accusée, ce qui évite la tenue d’un procèsFootnote 46.

Les ententes sur le plaidoyer soulèvent différentes critiquesFootnote 47. Certaines personnes évoquent les enjeux de transparence auxquels donne lieu la pratique des négociations, celles‑ci se déroulant à huis closFootnote 48. D’autres estiment que certaines règles d’équité procédurale sont parfois bafouées sans que de tels comportements ne soient sanctionnés par les tribunauxFootnote 49. Finalement, en plus de générer des disparités entre les peines négociées et non négociéesFootnote 50, les différentes pratiques de négociations ont pour effet de créer de la disparité entre les peines.

En dépit de ces critiques, cette pratique est loin de s’estomper. Au Québec, la Cour du Québec, la Cour supérieure et la Cour d’appel offrent un service de conférence de facilitation en matières pénale et criminelleFootnote 51. La conférence de facilitation en matières pénale et criminelle est un processus « qui favorise le cheminement du dossier dans lequel il est appliqué en facilitant la recherche de la solution judiciaire qui convient le mieux aux parties impliquées »Footnote 52. Une telle conférence peut être demandée par les deux parties de façon conjointe à n’importe quelle étape du processus judiciaire, « mais préférablement avant le début du procès »Footnote 53. La conférence se déroule à huis clos, « suivant des règles souples de nature à favoriser l’accord des parties sur les points en litige »Footnote 54. Un·e juge pourra agir comme facilitateur·trice et, à ce titre, présider la conférence de facilitation.

Dans le but d’encadrer cette pratique et de diminuer le délai avant l’enregistrement du plaidoyer de culpabilité, le Programme de l’offre de règlement rapide a été mis sur piedFootnote 55. L’objectif explicite poursuivi est double : « en plus de favoriser dès le départ le dialogue entre les parties, l’offre de règlement rapide diminue le nombre d’audiences requises par dossier, et ce, dans le respect du droit applicable »Footnote 56. Sur ce document, le ou la procureur·e consigne « la meilleure offre de peine » et l’accusé·e aura alors 120 jours pour prendre une décisionFootnote 57.

Ce portrait du recours, conçu comme volontaire, aux modes alternatifs de règlement des conflits en matières familiale, administrative et criminelle nous conduit à explorer l’influence des coûts humains et financiers avec lesquels les justiciables composent quand ils et elles font appel à ces mécanismes.

II. Les coûts de la justice et le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits : l’importance du « point de rupture »

Quelles sont les raisons qui motivent les justiciables cheminant dans un dossier ayant été judiciarisé à s’engager sur la voie d’un mode alternatif afin de mettre un terme au processus? Les résultats d’une recherche empirique portant sur les coûts qu’assument les justiciables tout au long de leur trajectoire judiciaire révèlent que ces coûts ne sont pas sans effet sur les raisons les motivant de s’engager sur cette voie.

L’objectif général de la recherche est de mettre en lumière les effets de ces coûts sur les décisions que les justiciables prennent tout au long de leur trajectoire dans le système de justice, ainsi que sur leur perception du droit et de la justice. Les résultats ci-présentés sont issus d’une collecte de données auprès d’acteurs et actrices clés et de justiciables cheminant dans des dossiers en matières familiale, criminelle et administrativeFootnote 58. Entre les mois de mai 2018 et mai 2019, nous avons conduit 24 entretiens semi-dirigés individuels ou de groupe avec des avocates, des juges ainsi qu’avec des personnes représentantes d’organismes de défense individuelle et collective de droits agissant auprès de justiciables dans des dossiers en matières familiale, criminelle et administrativeFootnote 59; au total, nous avons ainsi rencontré trente-six informateurs et informatrices clés. Le recrutement des acteurs et actrices clés s’est fait par la méthode « boule de neige » . Ces acteurs et actrices clés ont été rencontré·e·s à une seule reprise.

Entre les mois de septembre 2018 et février 2022, nous avons réalisé quatre-vingts (80) entretiens avec des justiciables dans les trois mêmes domaines de droit; certaines personnes ont été rencontrées à deux reprises, soit en début et en fin de processus. Nous avons rencontré soixante-neuf (69) justiciables. Parmi ceux-ci et celles-ci, quinze (15) étaient représenté·e·s par une avocate de l’aide juridique; trente‑quatre (34) étaient représenté·e·s par une avocate de pratique privée; et neuf (9) étaient représenté·e·s par une avocate de pratique privée, mais grâce à un mandat d’aide juridique. Dix (10) justiciables n’étaient pas représenté·e·s et, dans un seul cas, l’information n’a pu être obtenue avec certitude. Le recrutement des justiciables s’est fait par le biais de partenariats avec des cabinets d’avocat·e·s qui acceptaient de discuter du projet de recherche avec leurs clients ou encore grâce à des organismes de défense des droits. Le seul critère d’inclusion était d’être engagé dans un litige judiciarisé dans l’un des trois domaines de droit à l’étude. Toutes les personnes rencontrées se sont donc portées volontaires pour participer à l’étude, souhaitant verbaliser l’expérience qu’elles étaient en train de vivre ou qu’elles avaient vécue. Ces entrevues ont permis de mieux comprendre la nature des coûts avec lesquels les justiciables doivent composer et l’incidence de ces derniers sur leur trajectoire dans le système de justice. Lors de la réalisation des verbatims, les personnes répondantes se voyaient attribuer un code alphanumérique, et tous les noms de personnes, de compagnies, de villes, de régions étaient anonymisés afin de préserver leur anonymatFootnote 60. Les deux formes d’analyse de contenu identifiées par Blanchet et GotmanFootnote 61 ont donc été utilisées, soit l’analyse par entretien et l’analyse thématique. L’analyse des données s’est faite au moyen du logiciel NVivo.

La référence aux « coûts » est délibérée et renvoie implicitement à la nature transactionnelle des activités de justice. Il s’agit ici de faire état des ressources que le ou la justiciable engage tout au long de sa trajectoire dans le système de justice. L’auteur Martin Gramatikov a proposé un important travail de conceptualisation et de catégorisation des coûts individuels de la justiceFootnote 62. Selon cet auteur, les coûts individuels de la justice se répartissent en deux méta catégories, soit les coûts financiers et les coûts humains.

La catégorie des coûts financiers est constituée des coûts tangibles et d’opportunité. Les coûts tangibles (ou « out-of-pocket costs »Footnote 63) sont facilement quantifiables puisqu’ils se rapportent aux frais encourus par les justiciables tout au long de la trajectoire judiciaire. Ces coûts concernent principalement les honoraires professionnels d’avocat·e·s et de notaires, les indemnités payables aux témoinsFootnote 64, les frais liés à l’obtention d’expertise, les frais et honoraires prévus au Tarif d’honoraires des huissiers de justice Footnote 65 et les dépenses relatives aux déplacements afin de se rendre, par exemple, au Palais de justiceFootnote 66. En matière civile, la question des coûts financiers de la justice impose que l’on prenne également en compte les « frais de justice »Footnote 67, lesquels sont généralement payés par la partie ayant perdu à la partie qui a eu gain de causeFootnote 68. S’ajoutent à ceux‑ci des coûts, dits d’opportunité, reliés au temps alloué aux démarches judiciairesFootnote 69. Il s’agit, par exemple, du temps consacré à la préparation et la participation à celles-ci et pendant lequel les justiciables ne pourront pas travailler et seront incidemment privés de rémunération.

Les coûts humains découlent des émotions négatives, du stress et des dommages aux relations que peut entrainer l’expérience judiciaire, lesquels peuvent avoir un impact préjudiciable sur la santé physique et mentale des justiciablesFootnote 70. N’étant ni statiques ni isolés les uns des autres, les coûts humains et financiers doivent être étudiés de manière dynamique et interreliée.

Nos résultats de recherche suggèrent que les coûts de la justice, que ceux‑ci soient subis ou anticipés, sont au cœur de la décision de s’engager sur la voie d’un mode alternatif, et ce, peu importe la nature du litige. Nous commencerons par présenter un bref portrait des coûts avec lesquels les justiciables cheminant dans des dossiers judiciarisés en matière familiale, administrative et criminelle sont susceptibles de composer (II.1). Comme nous le verrons, à différents moments clés, les justiciables font état de l’atteinte d’un point de rupture quant aux coûts subis ou anticipés de la justice. L’atteinte de ce point de rupture constituera la motivation principale de ces personnes pour s’engager sur la voie d’un mode alternatif (II.2).

1. Typologie des coûts individuels en matière familiale, administrative et criminelle

Que l’on soit en matière familiale, administrative ou criminelle, il semble que les coûts associés à la représentation par un·e professionnel·le du droit soient un obstacle de taille pour plusieurs justiciables n’ayant pas accès à l’aide juridiqueFootnote 71. Depuis le 1er mai 2023, une personne seule qui gagne un revenu annuel maximal de 27 775 $ aura accès sans frais à un·e avocat·e. Certaines personnes dont le revenu annuel dépasse ce seuil peuvent néanmoins avoir accès à l’aide juridique suivant le volet contributif. Ce volet contributif permet à une personne admissible de bénéficier des services juridiques moyennant une contribution financière, qui s’échelonne, conformément à un barème préétabli, par tranches de 100 $ jusqu’à un maximum de 800 $Footnote 72. Ce volet permet ainsi de connaître à l’avance la somme des coûts reliés aux besoins juridiques. Cette contribution doit être versée dans les quinze jours de la délivrance de l’attestation d’admissibilité, mais il peut y avoir un étalement des versements pour une période maximale de six mois après la conclusion d’une entente avec le directeur général ou la directrice générale du centre communautaire juridique.

Le système d’aide juridique est basé sur un modèle mixte public-privé. D’une part, certain·e·s justiciables admissibles à l’aide juridique peuvent recourir aux services d’un·e avocat·e employé·e par la Commission des services juridiquesFootnote 73. D’autre part, les justiciables qui en feront la demande se verront délivrer des mandats d’aide juridique qui leur permettront d’être représenté·e·s par l’avocate ou l’avocat de pratique privée de leur choix. Contrairement au modèle traditionnel de facturation en fonction d’un tarif horaire, la rémunération des avocat·e·s de pratique privée qui acceptent des mandats d’aide juridique est déterminée par les tarifs d’aide juridique basés sur une tarification forfaitaire. Comme le souligne le Guide d’organisation du travail et de facturation pour les avocats et avocates de pratique privée acceptant les mandats d’aide juridique, selon la nature du dossier, un montant forfaitaire peut être associé à un seul acte, comme la présentation d’une demande de prolongation, ou alors inclure toutes les étapes nécessaires pour remplir le mandat, comme l’ouverture du dossier, la recherche, les rencontres avec le ou la client·e, la rédaction des procédures judiciaires ainsi que la présence de l’avocat·e lors de l’audienceFootnote 74.

Nos résultats révèlent également que les personnes accusées peuvent éprouver des difficultés à trouver un·e avocat·e en pratique privée qui accepte de mobiliser certains moyens de défense, dont ceux fondés sur la Charte canadienne des droits et libertés Footnote 75. En effet, ces moyens de défense exigent souvent de longues heures de préparation. Pour les personnes accusées qui ne sont pas admissibles à l’aide juridique, un tel recours peut s’avérer trop couteux. Comme le souligne une personne répondante, « souvent les requêtes sur la Charte, mes clients ne peuvent pas se les payer et c’est plate parce qu’il y a des violations [commises] par l’État, leurs droits ont été violés et ils ne sont pas capables de le faire valoir »Footnote 76. Pour les personnes admissibles à l’aide juridique, certaines répondantes soulignent que les montants prévus au tarif de l’aide juridique en pareille matière sont si basFootnote 77 que les avocates et avocats de pratique privée risquent de refuser ces mandats.

Les coûts liés à l’obtention d’une expertise seront également, dans certains cas, un important obstacle. Que l’on soit en matière familiale, criminelle ou administrative, certains dossiers exigent le dépôt d’un rapport d’expert·e. Les personnes admissibles à l’aide juridique n’ont aucuns frais à débourser en ce qui concerne les expertises. Par contre, il semble que les sommes exigées par les expert·e·s aillent régulièrement au-delà des montants remboursés par le tarif de l’aide juridiqueFootnote 78. Ainsi, une certaine pratique semble s’être développée en vertu de laquelle des travailleur·euse·s payent « la différence » entre ce que l’expert·e demande et ce que l’aide juridique rembourse. Or, cela est contraire aux règles en vigueurFootnote 79.

Pour les personnes qui ne sont pas admissibles à l’aide juridique, les praticiennes rencontrées ont indiqué que les honoraires et autres frais de justice constituent l’obstacle principal pour les justiciables. Les données d’une récente enquête révèlent que 76,7 % des personnes répondantes estiment qu’elles ne pourraient pas payer plus de 100 $ par heure pour les services d’un·e avocat·eFootnote 80. Pour 50 % des personnes répondantes, ces tarifs devraient s’établir à moins de 75 $ par heure et à moins de $50 pour 41,5 % d’entre elles. Il est également intéressant de noter que la tranche de taux horaire médian paraissant acceptable est plus élevée chez les hommes que chez les femmes : pour les hommes, elle se situe entre 201 $ et 250 $ par heure et pour les femmes, entre 101 $ et 150 $Footnote 81. À l’instar d’autres études, nos résultats de recherche suggèrent que la facturation au taux horaire engendrerait chez les justiciables une grande incertitude, ceux‑ci pouvant difficilement évaluer le coût de la représentationFootnote 82. Selon certaines recherches, les coûts liés aux honoraires des professionnel·le·s du droit pour les justiciables de la classe moyenne expliquent directement l’augmentation du nombre de justiciables non représenté·e·s devant les tribunaux canadiensFootnote 83.

Nos résultats révèlent que les praticien·ne·s déploient différentes pratiques afin de pallier les difficultés financières auxquelles font face les justiciables. Certain·e·s moduleront les services offerts en fonction de la capacité de payer des justiciables alors que d’autres établiront des modalités de paiement individualisées. Plusieurs praticiens et praticiennes de pratique privée estiment faire du « pro bono » dans plusieurs de leurs dossiers, assumant, de facto, une partie des coûts inhérents au processus judiciaire.

Enfin, les autres coûts tangibles auxquels les justiciables sont susceptibles de faire face sont ceux liés aux déplacements. En région éloignée, les justiciables peuvent avoir à parcourir d’importantes distances pour se faire entendre, notamment en matière familiale, puisque les procédures se déroulent nécessairement dans l’enceinte d’un Palais de justice. En matière criminelle, étant donné que les accusations déposées contre une personne le sont sur le lieu où l’infraction présumée a été commise, il arrive que les personnes accusées doivent se déplacer afin de se rendre dans le district judiciaire dans lequel se déroulent les procédures judiciairesFootnote 84.

Les coûts humains associés au processus judiciaire sont également de nature protéiforme. Les résultats de notre recherche révèlent que le processus est une importante source de stress qui devient parfois un obstacle majeur, voire insurmontable. Le fait que le processus en lui‑même soit susceptible de porter atteinte ou d’envenimer la relation entre les parties semble également préoccuper. Les propos rapportés en entrevue évoquent les appréhensions d’une expérience que l’on perçoit comme essentiellement belliqueuse, certains justiciables ne souhaitant pas « ouvrir la guerre »Footnote 85, « aller se déchirer devant le juge »Footnote 86, pour un procès qui « laisse[ra] des cicatrices »Footnote 87. Le sentiment d’être incapable « de passer à autre chose » tant et aussi longtemps que le processus est en cours semble également constituer un coût humain important, certain·e·s justiciables estimant que leur vie « est sur le “hold” en attendant la fin de tout ça »Footnote 88. Dans certains cas, le lieu physique qu’est le Palais de justice constitue en soi une source de stress. Finalement, le fait que le litige soit tranché par un tiers semble également être une source de méfiance pour les justiciables. En matière criminelle, plusieurs justiciables craignent d’être pénalisé·e·s s’ils et elles ne font pas « preuve de bonne foi » en plaidant coupableFootnote 89.

Plusieurs personnes accidentées ou malades du travail composeront avec un stress financier important, notamment lorsque l’objet même de la contestation judiciarisée devant le Tribunal administratif du travail est l’accès à des indemnités de remplacement du revenu. Le potentiel effet négatif sur la santé psychologique des « tracasseries administratives » découlant du processus de contestation a été discuté dans la jurisprudence des tribunaux administratifsFootnote 90. Sauf exceptionFootnote 91, les juges administratif·ve·s qui sont confronté·e·s à des réclamations s’articulant autour des effets de ces tracasseries sont généralement porté·e·s à distinguer « entre un problème de santé mentale attribuable à la lésion professionnelle et à ses conséquences, qui constituerait une lésion professionnelle pouvant donner droit à l’indemnisation, et un problème de santé mentale attribuable au processus d’indemnisation, problème considéré comme la conséquence de “tracasseries administratives” et ne pouvant donner lieu à l’indemnisation »Footnote 92. Pourtant, d’aucuns prétendent que les effets néfastes liés au processus de contestation pourraient également donner droit à une indemnisation en vertu du régimeFootnote 93.

2. Les coûts individuels de la justice et les modes alternatifs : la modélisation d’un point de rupture

L’étude empirique des coûts de la justice et de leurs effets permet de réinterroger, à différentes étapes du processus, l’incidence de ceux‑ci sur les stratégies déployées par les justiciables.

Nos résultats de recherche révèlent que certain·e·s justiciables choisiront de s’engager sur la voie d’un règlement négocié lors de l’atteinte d’un certain point de rupture, lequel se manifestera à deux moments clés : dans une perspective d’anticipation des coûts associés au processus ou, encore, après avoir effectivement encouru certains coûts.

L’anticipation de certains coûts incitera des justiciables à vouloir mettre un terme au processus qui ne fait souvent que s’amorcer. L’anticipation des coûts financiers liés au procès, dont ceux afférents à la préparation du dossier et à la tenue de l’enquête et de l’audition, motive parfois cette décision. Une justiciable s’est exprimée ainsi à ce sujet : « Elle [son avocate] m’a dit que tu sais, si on va au tribunal et qu’on y est physiquement, c’est 1500 $ par jour. Alors quand j’ai vu ce montant, j’ai perdu mon souffle. Et j’ai envisagé de ne plus poursuivre »Footnote 94. Plusieurs justiciables semblent également évaluer, en amont, les répercussions de la poursuite du processus sur le plan professionnel. Ainsi, certain·e·s justiciables souhaiteront régler leur dossier afin d’éviter des coûts d’opportunité se rapportant notamment au manque à gagner salarial.

Les personnes accidentées ou malades du travail cheminant dans un dossier judiciarisé devant le Tribunal administratif du travail ont également reconnu être inquiètes à l’idée de ne pas pouvoir assumer les coûts liés à l’obtention de l’expertise médicale. L’avenue d’un règlement négocié pourra alors être proposée par leur représentant·e. Il n’en demeure pas moins que l’obtention d’un règlement relativement satisfaisant imposera que le dossier soit « prêt », voire que la partie plaignante ait « constitué sa preuve », ce qui exige donc souvent de procéder aux expertises médicales lorsqu’elles sont requises pour le dossier. Or, il semble que des personnes feront le choix d’entamer une démarche de conciliation sans avoir obtenu une expertise au préalable, compromettant un certain « rapport de force »Footnote 95.

Les coûts humains avec lesquels les justiciables composent inciteraient plusieurs à « négocier » l’issue de leur dossier. Il semble que l’idée même du procès, de façon générale, « terrorise » plusieurs personnes, lesquelles se sentent intimidées par l’idée de devoir témoigner. Il semble également que la crainte que le processus ne détériore des relations interpersonnelles soit également un facteur qui motivera le choix de négocier un règlement assez tôt dans le processus, voire de plaider coupable en matière criminelle. Ainsi, certaines personnes éviteront d’invoquer un moyen de défense à leur disposition afin de ne pas prolonger le processus. Cela semble particulièrement vrai lorsque la personne accusée souhaite préserver les liens l’unissant à la personne plaignante. Voici comment une répondante résume cet état :

Des gens qui me disent « c’est mon ex et je l’aime encore » ou « j’ai beaucoup de respect pour elle je suis convaincu que ce qu’elle raconte n’est pas arrivé, mais je ne veux pas que tu la contre-interroges » […], ça aussi on le voit. […] On leur dit, « attends, je veux me battre un peu plus dans ton dossier » et c’est eux qui nous disent « non, non ». Pour des raisons qui ne sont pas financières, mais pour un coût humain qu’eux entrevoient pour eux ou pour quelqu’un d’autre, ils vont nous demander de plaider coupable.Footnote 96

D’autres chercheront une mesure de rechange à la judiciarisation du litige en cours de processus. Si le fait d’être fortement « engagées » dans le processus peut conduire certaines personnes à vouloir « se rendre au fond »Footnote 97, d’autres seront incitées, faute de ressources, à régler le dossier autrement qu’en poursuivant la voie de la judiciarisation du conflit. Que ce soit en matière familiale, administrative ou criminelle, l’incapacité de payer des justiciables incite plusieurs d’entre elles et eux à mandater leur représentant·e à trouver une solution négociée, voire à plaider coupable.

Sur le plan des coûts humains, nos résultats de recherche indiquent que plusieurs souhaitent « passer à autre chose » dans un contexte où leur vie semble « être mise sur pause » pendant un processus judiciaire qui perdure dans le temps. En matières administrative et criminelle, les acteurs et actrices clés rencontré·e·s ont identifié le stress généré par le processus comme étant la raison première motivant les justiciables à vouloir régler un dossier. Il semble même que, pour certaines personnes, « avant d’être une question [d’argent], ça va être une question de stress. De vouloir mettre ça derrière eux »Footnote 98. Pour plusieurs, il semble préférable de mettre « rapidement fin à l’hémorragie » plutôt que de naviguer dans un processus qui semble constituer « une montagne insurmontable »Footnote 99.

En définitive, le point de rupture survient parfois de façon prospective, dans l’anticipation de coûts humains ou financiers. Dans d’autres cas, le point de rupture survient lorsque la personne n’est plus en mesure d’assumer les coûts liés au processus judiciarisé. Il semble que lorsqu’un tel point de rupture est atteint, la voie du règlement soit aussitôt envisagée, et ce, peu importe l’avis de celles et ceux qui représentent les intérêts des justiciables. Certaines répondantes pratiquant en matière familiale et criminelle ont reconnu faire face à un règlement qu’elles estimaient « inéquitable », mais accepté par leur client·e qui souhaitait « arrêter cette chicane-là ». Même lorsque les justiciables se font déconseiller cette option par leur avocate, certaines personnes préconisent une telle avenue, et ce dans un objectif très clair de réduire les coûts, humains ou financiers liés à une procédure litigieuse. Une avocate rencontrée estime d’ailleurs que les délais en vertu desquels les personnes accusées doivent signifier leur volonté d’enregistrer un plaidoyer constituent une forme de « pression indue ». Ces pratiques soulèvent certes des questions sur le plan déontologique et certaines avocates rencontrées choisissent de cesser d’occuper ou encore, de faire signer une décharge dans laquelle leurs client·e·s confirment avoir été conseillé·e·s de refuser l’offre proposée.

Conclusion

Les modes alternatifs de règlement des conflits, en tant que système de régulation sociale, sont aussi sinon plus anciens que le système juridictionnelFootnote 100. À certains égards, ces modes alternatifs sont un moyen de remédier aux limites des modes d’adjudication traditionnels, notamment « leur incapacité à répondre dans certaines circonstances à une démocratisation des processus du droit »Footnote 101.

Au cours des dernières années, les modes alternatifs de règlement des conflits ont été fortement institutionnalisés. Cette institutionnalisation répond essentiellement à des impératifs d’efficacité et d’économies, les modes alternatifs étant perçus comme une façon de réduire les délais et les coûts de la justiceFootnote 102. À cet égard, le Plan stratégique 2019-2023 du ministère de la Justice établit comme enjeu stratégique l’accès à la justice en soutenant le déploiement de modes alternatifsFootnote 103.

Notre recherche nous a permis de constater que, dans plusieurs cas, la décision de recourir à un mode alternatif de règlement des conflits est prise à la suite de l’atteinte d’un point de rupture par rapport aux coûts humains et financiers inhérents au processus judiciaire. Pour plusieurs justiciables, le recours aux modes alternatifs de règlement constitue donc un choix contraint et un moyen d’éviter d’être plongé·e·s dans un univers inconnu dont ils et elles saisissent difficilement les tenants et les aboutissants. Les modes alternatifs sont donc susceptibles de perpétuer des inégalités d’accès à la justice, et non l’inverseFootnote 104.

Malgré l’institutionnalisation croissante des modes alternatifs, certaines questions demeurent. Comment agit-on afin de rendre le droit et ses institutions, dont les tribunaux, plus agiles et plus accessibles, tant sur le plan du droit substantif que du recours aux instances assurant sa mise en œuvre? Compte tenu de l’importance grandissante que prennent les modes alternatifs de règlement des conflits dans l’offre de services juridiques par l’État, il semble également pressant de s’interroger sur les formes de participation qu’ils permettent réellement, ainsi que sur les outils et les ressources dont disposent les justiciables lorsqu’ils et elles s’engagent dans un tel processus. Comme le soulignait Owen Fiss, en 1984, le choix de recourir à un mode alternatif peut engendrer un déséquilibre de pouvoir entre les parties, ce qui conduira, en bout de piste, à un résultat favorable à celui ou celle qui dispose du plus de ressources pour financer le litigeFootnote 105. En somme, la conception actuelle de l’accès à la justice mise de l’avant par les gestionnaires du système de justice n’aborde pas suffisamment les questions structurelles de « marchandisation de la justice ». Au contraire, l’accès à la justice se conceptualise comme découlant d’un choix individuel, en imposant aux justiciables de choisir une voie de règlement plutôt qu’une autreFootnote 106. Or, dans bien des cas, ce choix est manifestement contraint.

Il n’en demeure pas moins que d’autres changements sont à prévoir. En 2020, le Groupe de travail de l’Association du Barreau canadien sur les enjeux juridiques liés à la COVID-19 a été chargé d’évaluer, pour l’immédiat et l’avenir, les problèmes de prestation des services juridiques résultant de la pandémie de COVID-19Footnote 107. Dans son rapport, le Groupe de travail fait état du recours aux mécanismes de règlement des différends en ligne, lesquels font appel à des processus et moyens technologiques nouveaux, dont des plateformes numériques, afin de faciliter et d’accélérer le règlement des litiges « avec l’objectif général de réduire au minimum le besoin de surveillance judiciaire »Footnote 108. Or, ces mécanismes ne sont pas une panacée. Comme le souligne le Groupe de travail, certains domaines du droit se prêtent plus difficilement aux mécanismes de règlement des différends en ligne. Ces pratiques, qui ne sont pas nouvellesFootnote 109, devront être encadrées et, surtout, mieux étudiées afin de comprendre leurs implications, en mettant au cœur de l’analyse l’expérience de différents groupes de justiciables.

Footnotes

*

Les autrices souhaitent remercier les personnes répondantes pour leur participation généreuse à la recherche dont cet article fait état. Les autrices remercient également les personnes ayant procédé à l’évaluation du présent texte pour leur lecture minutieuse et leurs commentaires généreux.

References

1 Ministère de la Justice du Québec, Stratégie ministérielle de promotion et de développement des modes de prévention et de règlement des différends en matière civile et commerciale 2018-2021, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2018, à la p. 11; Barreau de Montréal, Déclaration de principe sur la justice participative <https://imaq.org/wp-content/uploads/2014/11/declaration-de-principe-sur-la-justice-participative1.pdf>.

2 Commission du droit du Canada, La transformation des rapports humains par la justice participative, JL2-22/2003F, Ottawa, 2003, aux pp. xv et xvi; Guillemard, Sylvette, « Médiation, justice et droit : un mélange hétéroclite », Les Cahiers de droit 53, no 2 (2012) : 189 CrossRefGoogle Scholar.

3 Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale, L’accès à la justice en matière civile et familiale : une feuille de route pour le changement, Québec, 2013, à la p. 12.

4 Plusieurs souhaitaient intégrer un tel changement de cap dans les règles de procédure civile depuis un moment. Sur cette question, Marie-France Chabot, voir, « Des raisons et des manières d’intégrer la médiation dans le système de justice civile », Les Cahiers de droit 40, no 1 (1999) : 91 CrossRefGoogle Scholar.

5 Roberge, Jean-François, La justice participative : changer le milieu juridique par une nouvelle culture intégrative de règlement des différends (Cowansville : Yvon Blais, 2011), 58 Google Scholar.

6 L’arbitrage est souvent présenté comme mode de règlement non judiciaire des différends : Hogue, Marie-Josée et Roy, Véronique, « L’arbitrage conventionnel », dans Régler autrement les différends, dir., Lafond, Pierre-Claude (Montréal : LexisNexis, 2015), 147 Google Scholar; Morin, Jean et Lachance, Martine, Les modes privés de règlement des différends, 4e éd. (Montréal : Wilson & Lafleur, 2019)Google Scholar; Ministère de la Justice du Québec, supra note 1.

7 Sur cette question, voir notamment Woodman, Gordon R., « The alternative law of alternative dispute resolution », Les Cahiers de droit 32, no 1 (1991) : 3 CrossRefGoogle Scholar.

8 Lafond, Pierre-Claude, L’accès à la justice civile au Québec : portrait général (Cowansville : Yvon Blais, 2012)Google Scholar.

9 McLachlin, Beverley, « Accès à la justice et marginalisation : l’aspect humain de l’accès à la justice », Les Cahiers de droit 57, no 2 (2016) : 339 CrossRefGoogle Scholar.

10 Ibid.; Gallié, Martin et Besner, Louis-Simon, « De la lutte contre les délais judiciaires à l’organisation d’une justice à deux vitesses : la gestion du rôle à la Régie du logement du Québec », Les Cahiers de droit 58, no 4 (2018) : 711 CrossRefGoogle Scholar; Piquet, Hélène, « Les mots et les maux des réformes de la justice civile », Les Cahiers de droit 63, no 1 (2022) : 237 CrossRefGoogle Scholar; Ministère de la Justice du Québec, Plan stratégique 2019-2023, 2019.

11 Axel-Luc Hountohotegbè, Sèdjro, « Quelques jalons pour des fondements théoriques aux réformes contemporaines de la justice civile : proposition de paradigmes pour un nouveau modèle de régulation sociale », Les Cahiers de droit 63, no 2 (2022) : 365 CrossRefGoogle Scholar.

12 Guillemard, Sylvette, « Comment mettre fin à son différend sans procès, selon le Code de procédure civile du Québec », Revue du notariat 118, no 2 (2016) : 359 CrossRefGoogle Scholar.

13 Nal, Emmanuel, « Qu’est-ce qu’une contrainte? » Tiers 14, no 2 (2015) : 17 Google Scholar.

14 Code de procédure civile, RLRQ, c C-25.01, art 1.

15 Ibid. art 161 et ss.

16 Richard-Alexandre Laniel, « Le pire règlement vaut mieux que le meilleur jugement » : une ethnographie des pratiques de médiation à la Division des petites créances de la Cour du Québec, mémoire, Université du Québec à Montréal, 2018.

17 La littérature anglo-saxonne réfère aussi largement à l’arbitrage : Farrow, Trevor C., Civil Justice, Privatization, and Democracy (Toronto : University of Toronto Press, 2014), 123 CrossRefGoogle Scholar et ss; Reynolds, Jennifer W., « The Lawyer with the ADR Tattoo », Cardozo Journal of Conflict Resolution 14 (2013) : 395 Google Scholar.

18 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, LQ 2014, c 1. Selon certaines auteures, le fait d’inscrire l’obligation de considérer le règlement amiable des conflits dans le Code de procédure civile serait d’ailleurs constitutif d’« une reconnaissance sociale importante pour la médiation familiale » :  Lambert, Danielle et Bérubé, Linda, La médiation familiale, étape par étape, 3e éd. (Montréal : LexisNexis Canada, 2016), 24Google Scholar.

19 Le ministère de la Justice définit la médiation familiale de la façon suivante : « La médiation familiale est un mode de résolution des conflits par lequel un médiateur impartial intervient auprès des parents pour les aider à négocier une entente équitable et viable, répondant aux besoins de chacun des membres de la famille et faisant l’objet d’un consentement libre et éclairé », Ministère de la Justice, « La médiation familiale, pour négocier une entente équitable », Justice Québec, https://www.justice.gouv.qc.ca/couple-et-famille/separation-et-divorce/la-mediation-familiale-pour-negocier-une-entente-equitable/.

20 Laverdure, Lucie, « La médiation familiale au Québec de 1970 à nos jours », dans La médiation familiale, dir. Laurent-Boyer, Lisette (Cowansville : Yvon Blais, 1998), 87 Google Scholar à la p. 89.

21 Ibid. à la p. 91.

22 Ibid. à la p. 92.

23 Loi sur le divorce, LRC, 1985, c 3 (2e supp), art 9(2). Cette disposition a été abrogée en 2019 : Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d’aide à l’exécution des ordonnances et des ententes familiales et la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et apportant des modifications corrélatives à une autre loi, LC 2019, c 16, art 9. L’actuel article 7.7(2) de la Loi sur le divorce prévoit désormais l’obligation, pour le ou la conseiller·ère juridique, d’encourager la personne qu’il ou elle représente à « tenter de résoudre les questions pouvant faire l’objet d’une ordonnance […] en ayant recours à tout mécanisme de règlement des différends familiaux » et de « l’informer des services de justices familiales qu’il connait et qui sont susceptibles de l’aider à résoudre les questions pouvant faire l’objet d’une ordonnance ».

24 Loi instituant au Code de procédure civile la médiation préalable en matière familiale et modifiant d’autres dispositions de ce code, LQ 1997, c 42, art 7 (Code de procédure civile, RLRQ c C-25 art 814.3 [Cpc (ancien)]). La possibilité d’une dispense pour motifs sérieux était prévue à l’article 814.10 Cpc (ancien).

25 Règlement sur la médiation familiale, (1993) 52 GO II 8649, art 10. Ce règlement découlait de la Loi modifiant le Code de procédure civile concernant la médiation familiale, LQ 1993, c 1, qui n’est entrée en vigueur que le 1er septembre 1997. La gratuité qui était prévue au règlement n’a donc jamais été appliquée avant cette date.

26 Règlement modifiant le règlement sur la médiation familiale, (2012) 46 GO II 5017, art 10.1.

27 Ministère de la Justice, « La médiation familiale, pour négocier une entente équitable », Justice Québec https://www.justice.gouv.qc.ca/couple-et-famille/separation-et-divorce/la-mediation-familiale-pour-negocier-une-entente-equitable/. Pour que les ententes issues de ce processus soient exécutoires, elles doivent toutefois être homologuées par le tribunal.

28 Il importe toutefois de souligner que les tribunaux administratifs entendent également des litiges opposant des parties privées : c’est notamment le cas en droit du travail pour les litiges entendus par un arbitre de grief ou par le Tribunal administratif du travail. Pour une analyse de la notion de « tribunal administratif » en matière de travail, Vallée, voir Guylaine, « Lois du travail (objet, effet, mécanismes d’application) », dans Rapports individuels et collectifs de travail, Québec, Jurisclasseur (Montréal : LexisNexis Canada, 2021)Google Scholar, fasc 2 au para 121. Voir, également, Serge Ghorayeb et Jean-Yves Brière, « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec, Droit public et administratif, Collection de droit 2021-2022, vol 8, (Montréal : Yvon Blais, 2021), 165.

29 Daniel Mockle, « Les modes alternatifs de règlement des litiges en droit administratif », dans Médiation et modes alternatifs de règlement des conflits : Aspects nationaux et internationaux, dir. Jean-Louis Beaudoin et Association Henri Capitant (section québécoise) (Cowansville : Yvon Blais, 1997), 85 à la p. 90.

30 Ibid. à la p. 97. Du cadre procédural applicable aux tribunaux quasi judiciaires aux règles de preuve qu’il convient de connaitre et de maitriser, d’aucuns diront que la justice administrative s’est graduellement « judiciarisée ».

31 Ministère de la justice du Québec, Groupe de travail sur l’accessibilité à la justice, Jalons pour une plus grande accessibilité à la justice, 1991, à la p. 189.

32 Legault, Marie-Josée, Urbani, Errico et Roux, Dominic, « Les effets de l’institutionnalisation d’une culture de règlement à l’amiable des conflits de travail au Québec sur l’accès à la justice et l’effectivité du droit du travail », Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 1 (2014) : 80 Google Scholar à la p. 85.

33 RLRQ c-3.001 [LATMP].

34 Line Corriveau, Voir notamment, « Les règlements en conciliation: comment assurer leur survie? », dans Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail 2004 (Cowansville : Yvon Blais, 2004), 151 Google Scholar.

35 En 1998-1999, 10,28 % des dossiers traités par la Commission d’appel des lésions professionnelles se réglaient à la suite d’une conciliation et l’entente en résultant avait été entérinée par ce tribunal. On recensait alors 28,32 % des dossiers ayant fait l’objet d’un désistement à la suite d’une conciliation. En 2017-2018, c’est 14,85 % des dossiers qui se réglaient à la suite d’une conciliation ayant engendré une entente entérinée par le Tribunal administratif du travail alors que 40,25 % des dossiers étaient fermés par l’effet d’un désistement faisant suite à une conciliation non entérinée. Voir Mathieu Charbonneau et Guillaume Hébert, La judiciarisation du régime d’indemnisation des lésions professionnelles au Québec (Québec : Institut de recherche et d’information socioéconomique du Québec, 2020); Lippel, Katherine, Lefebvre, Marie-Claire, Schmidt, Chantal et Caron, Joseph, Traiter la réclamation ou traiter la personne? Les effets du processus sur la santé des personnes victimes de lésions professionnelles (Montréal : UQÀM Services aux collectivités, 2005), 48 Google Scholar; Corriveau, supra note 34, à la p. 162.

36 Legault, Urbani et Roux, supra note 32; Voir aussi UTTAM, Livre vert sur la réparation des accidents et maladies du travail : vers une pleine réparation des lésions professionnelles, Consultation sur le régime de réparation des accidents et maladies du travail au Québec, 2013; Lippel, Katherine, « L’expérience du processus d’appel en matière de lésions professionnelles telle que vécue par les travailleuses et les travailleurs », dans Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail 2006 (Cowansville : Yvon Blais, 2006), 123 Google Scholar; Cox, Rachel, « Les ententes à l’amiable dans le contexte de lois d’ordre public : le cas de l’indemnisation des accidentés du travail », dans Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail (Cowansville : Yvon Blais, 2000), 55 Google Scholar.

37 Cox, ibid., à la p. 83.

38 Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 606.

39 Il s’agit de la traduction de « Voluntary, unequivocal et informed », que l’on retrouve dans R v Smoke, 2017 SKQB 345. Voir également Chloé Leclerc et Elsa Euvrard, « Pleading Guilty: A Voluntary or Coerced Decision? », Canadian Journal of Law and Society 34, no 3 (2019) : 457.

40 Pierre Béliveau, « Les modes alternatifs de règlement des litiges en droit pénal canadien », dans Médiation et modes alternatifs de règlement des conflits : aspects nationaux et internationaux, dir., Association Henri Apitant (section québécoise) et Jean-Louis Beaudoin (Montréal : Yvon Blais, 1997), 71.

41 Commission de réforme du droit du Canada, Les discussions et ententes sur le plaidoyer (1989, Document de travail 60), 4. Cette définition fait suite à celle proposée par la Commission en 1975 et qui définissait l’entente sur le plaidoyer comme « any agreement by the accused to plead guilty in return for a promise or a benefit », Commission de réforme du droit du Canada, Criminal Procedure: Control of the Process (1975, Document de travail 15), 45.

Nous ne traiterons pas des programmes de rechange, lesquels font intervenir d’autres acteurs et actrices et supposent que le dossier soit traité en marge du système judiciaire. Au Québec, le Programme de mesures de rechange général pour adultes a fait l’objet d’un projet pilote à la Cour du Québec dans les villes de Sherbrooke, Saguenay et Joliette, pour une durée de dix-huit mois, du 1er septembre 2017 au 31 mars 2019. Le déploiement provincial a ensuite débuté et, depuis, le programme est disponible à la Cour du Québec dans tous les districts judiciaires et est actuellement implanté dans neuf Cours municipales : Ministère de la Justice, « Programme de mesures de rechange général pour adultes », Justice Québec https://www.justice.gouv.qc.ca/programmes-et-services/programmes/programme-de-mesures-de-rechange-general-pour-adultes. Sur ce projet pilote, voir Catherine Rossi, Julie Desrosiers, Vicky Brassard, Laurence Marceau, Maude Cloutier et Alexandre Béland Ouellette, Le Programme de mesures de rechange général pour adultes 2017-2019 au Québec : Portrait, analyse et enjeux, Rapport de recherche soumis au ministère de la Justice du Québec (Québec : Université Laval, février 2020).

42 Commission canadienne sur la détermination de la peine, Réformer la sentence : une approche canadienne, Rapport (Ottawa, ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1987), 446 et 447. Pour une typologie des ententes sur le plaidoyer, voir également Joseph di Luca, « Expedient Mcjustice or Principled Alternative Dispute Resolution? A review of Plea Bargaining in Canada », Criminal Law Quarterly 50, no 1/2 (2005) : 14.

43 Piccinato, Milica Potrebic, Plea Bargaining (Canada, Department of Justice, International Cooperation Group, 2004)Google Scholar.

44 La Cour suprême du Canada s’est penchée sur les critères que les juges doivent considérer lorsque vient le temps d’accepter ou d’écarter une recommandation conjointe des parties. Selon le critère de l’intérêt public, le ou la juge au procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, « à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public », R c Anthony-Cook, 2016 CSC 43 au para 32. Voir plus récemment une application de ce principe dans R c Primeau, 2021 QCCA 1768.

45 Manikis, Marie et Grbac, Peter, « Bargaining for Justice: The Road Towards Prosecutorial Accountability in the Plea Bargaining Process », Manitoba Law Journal 40, no 3 (2017) : 85 Google Scholar; Nasheri, Hedeih, Betrayal of Due Process: A Comparative Assessment of Plea Bargaining in the United States and Canada (Lanham, University Press of America, 1998)Google Scholar, qui a comparé l’encadrement au Canada et aux États-Unis; Verdun-Jones, Simon N. et Tijerino, Adamira A., Victim Participation in the Plea Negotiation Process in Canada: A Review of the Literature and Four Models for Law Reform (Ottawa, Policy Centre for Victim Issues, 2002)Google Scholar.

46 Chloé Leclerc et Elsa Euvrard, Enquête au cœur des négociations des plaidoyers de culpabilité : Mieux comprendre pour réformer, (Montréal : Presses de l’Université du Québec (soumis)). George Fischer, Voir également, Plea Bargaining’s Triumph: A History of Plea Bargaining in America (Stanford, Stanford University Press, 2003)CrossRefGoogle Scholar; Noreau, Pierre, « Judiciarisation et déjudiciarisation : la part de la poursuite et de la défense », Criminologie 33, no 2 (2000) : 55 Google Scholar.

47 Leclerc et Euvrard, Enquête, supra note 46.

48 Herzog, Sergio, « Plea Bargaining Practices: Less Covert, More Public Support? », Crime and Delinquency 50, no 4 (2004) : 590 CrossRefGoogle Scholar; Potrebic Piccinato, supra note 43.

49 Manikis et Grbac, supra note 45; Voir aussi Mazen Raad, « Le vrai-faux plaidoyer de culpabilité », (29 mai 2010), blogue Thomson Reuters et Yvon Blais https://www.editionsyvonblais.com/blog/mazen-raad/le-vrai-faux-plaidoyer-de-culpabilite-542/.

50 Cohen, Stanley A. et Doob, Anthony N., « Public attitudes to plea bargaining », Criminal Law Quarterly 32, no 1 (1989) : 85 Google Scholar; Euvrard, Elsa et Leclerc, Chloé, « Les rapports de force lors des négociations des plaidoyers de culpabilité. Analyse du point de vue des avocats de la défense », Criminologie 48, no 1 (2015) : 191 CrossRefGoogle Scholar; Euvrard, Elsa et Leclerc, Chloé, « Les avocats de la défense dans les négociations des plaidoyers de culpabilité : quelles pratiques? », Champ pénal 12 (2015)Google Scholar.

51 Cour du Québec, « Conférence de facilitation en matières criminelle et pénale », Cour du Québec https://courduquebec.ca/modes-de-prevention-et-de-reglement-des-differends/chambre-criminelle-et-penale; Barreau de Montréal, « Cour supérieure – Chambre criminelle », Barreau de Montréal https://www.barreaudemontreal.qc.ca/avocats/outils/avocats-de-litige/cs-crim/; Cour d’appel du Québec, « Facilitation pénale », Cour d’appel du Québec https://courdappelduquebec.ca/conference-de-reglement-a-lamiable-et-facilitation-penale/facilitation-penale/.

52 Cour du Québec, supra note 51.

53 Ibid.

54 Ibid.

55 Directeur des poursuites criminelles et pénales, Rapport de gestion annuel (Québec, 2018-2019), 15.

56 Ibid.

57 Il semble que certains types d’infraction plus graves, comme les agressions sexuelles, les enlèvements d’enfants ou les violations de domicile de gens âgés ne soient pas admissibles aux offres de règlement rapide.

58 Pour ce volet, notre collecte de données s’est penchée sur les travailleurs et les travailleuses cheminant dans une contestation devant le TAT en vertu de la LATMP, supra note 33.

59 Nous avons rencontré vingt-sept avocates, quatre juges ainsi que cinq personnes représentant des organismes de défense individuelle et collective de droits. Parmi ces vingt-sept avocates, dix-huit étaient en pratique privée et six parmi elles ne prenaient pas de mandats d’aide juridique. Les neuf autres avocates étaient à l’emploi de l’aide juridique. Huit avocates pratiquaient en droit administratif; six en droit de la famille; et treize en droit criminel. Lorsqu’il sera question de ces répondant·e·s, le féminin sera employé afin d’éviter tout risque identificatoire fondé sur le genre.

60 Ainsi, par exemple, R-fam, désigne une personne cheminant dans un dossier en droit de la famille; A-crim désigne une avocate pratiquant en droit criminel.

61 Blanchet, Alain et Gotman, Anne, L’enquête et ses méthodes : l’entretien (Paris : Nathan, 1992), 94 Google Scholar.

62 Gramatikov, Martin, « A Framework for Measuring the Costs of Paths to Justice », The Journal Jurisprudence 2 (2009)Google Scholar.

63 Ibid. à la p. 27.

64 Règlement sur les indemnités et les allocations payables aux témoins cités à comparaître devant les cours de justice, RLRQ c C-25.01, r 0.5.

65 Tarif d’honoraires des huissiers de justice, RLRQ c H-4.1, r 11.

66 Gramatikov, supra note 62 à la p. 28.

67 Cpc, supra note 14, art 339 et ss; à noter que bien que la règle générale soit que les frais de justice sont dus à la partie qui a eu gain de cause, certaines exceptions demeurent, notamment en droit familial, où les frais de justice sont à la charge de chacune des parties.

68 Cpc, supra note 14, art 340.

69 Gramatikov, supra note 62 à la p. 31.

70 Stratton, Mary et Anderson, Travis, Social, Economic and Health Problems Associated with a Lack of Access to the Courts (Toronto : Forum canadien sur la justice civile, 2006)Google Scholar; Farrow, Trevor C. W., « What is Access to Justice? », Osgoode Hall Law Journal 51, no 3 (2014) : 957, à la p. 964CrossRefGoogle Scholar.

71 Trebilcock, Michael J., Anthony Duggan et Lorne Sussin, Middle Income Access to Justice (Toronto, University of Toronto Press, 2012)CrossRefGoogle Scholar; La juge Beverley McLachlin, Juge en chef du Canada, The Challenges We Face. Remarks of the Right Honourable Beverley McLachlin, P.C. Chief Justice of Canada to the Empire Club of Canada (Toronto, 2007); MacDonald, Roderick A., « Access to Justice in Canada Today: Scope, Scale and Ambitions », dans Access to Justice for a New Century – The Way Forward (Toronto : LSUC, 2005)Google Scholar; Schellenberg, G., Les solutions de rechange sous-étudiées à l’intention de la classe moyenne (Association du Barreau Canadien, 2013)Google Scholar

72 Notons que dans certaines situations, même ce montant peut s’avérer être excessif. En principe, si la personne bénéficiant des services d’aide juridique dépasse le délai de six mois prévu par la loi pour payer, l’avocat·e au dossier cessera d’occuper. Ainsi, une avocate nous racontait qu’à quelques reprises au courant d’une année, elle devait rencontrer ses supérieur·e·s afin d’éviter de cesser d’occuper dans des dossiers de ses client·e·s qui ne pouvaient pas payer dans le délai imparti.

73 Entre 2019-2020 et 2020-2021, le nombre de dossiers confiés aux avocates et avocats permanents est passé de 92 836 à 75 957 : Commission des services juridiques, 49e rapport annuel de gestion 2020-2021 (Montréal, 2021), 59.

74 Jeune Barreau de Montréal, Guide d’organisation du travail et de facturation pour les avocats et avocates de pratique privée acceptant les mandats d’aide juridique (2019), 118.

Il importe de souligner que suite au rapport de 2022 du Groupe de travail indépendant sur la réforme de la structure tarifaire de l’aide juridique, une entente entre le gouvernement du Québec et le Barreau du Québec est intervenue, modifiant la structure tarifaire. Certains tarifs ont ainsi été majorés de 50 % : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/justice/publications-adm/rapports/GTI_2022-05-26_V5.pdf

75 Loi constitutionnelle de 1982, art 35, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

76 A-crim-08, à la p. 23.

77 Ces tarifs sont prévus à l’Entente entre le ministre de la Justice et le Barreau du Québec concernant le tarif des honoraires et les débours des avocats rendant des services en matières criminelle et pénale et concernant la procédure de règlement des différends, RLRQ c A-14, r 5.2.

78 Loi sur l’aide juridique et sur la prestation de certains autres services juridiques, RLRQ c A-14, art 5 d) et 83.22; les montants alloués aux expertises sont déterminés par le directeur général ou la directrice générale du centre d’aide juridique, voir Entente entre le ministre de la Justice et le Barreau du Québec concernant le tarif des honoraires et les débours des avocats dans le cadre du régime d’aide juridique et concernant la procédure de règlement des différends, RLRQ c A-14, r 5.1, art 154 et ibid, art 58.

79 Règlement sur l’aide juridique, RLRQ c A-14, r 2, art 23 : « Toute contribution exigible ne peut en aucun cas excéder le montant correspondant aux coûts de l’aide juridique pour les services juridiques faisant l’objet de l’attestation d’admissibilité »

80 Projet Accès au droit et à la justice, Sondage : Justice pour tous, 2018, http://adaj.ca/justicepourtous/sondage.

81 Ibid.

82 Barreau du Québec, La tarification horaire à l’heure de la réflexion, Rapport, février 2016.

83 Bernheim, Emmanuelle et Laniel, Richard-Alexandre, « Un grain de sable dans l’engrenage du système juridique. Les justiciables non représentés : problèmes ou symptômes? », Windsor Yearbook of Access to Justice 31 (2013) : 45 CrossRefGoogle Scholar.

84 Notons que pour que des accusations soient transférées d’un district judiciaire à un autre, l’accusé·e doit plaider coupable à ces accusations, voir Code criminel, supra note 38, art 479.

85 A-fam-01-02, à la p. 24; A-fam-04, à la p. 23; R-fam-02, à la p. 2.

86 A-fam-03, à la p. 19.

87 Ibid. à la p. 6.

88 A-trav-02, à la p. 14.

89 La littérature évoque la notion de « trial penalty ». Voir notamment Brian D. Johnson, « Trials and Tribulations: The Trial Tax and the Process of Punishment », Crime and Justice 48, no 1 (2019) : 313, aux pp. 313‑363.

90 Horth, Kevin, « La RRA psychologique : quelle est la cause déterminante? », dans Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail (Cowansville : Yvon Blais, 2018), 131 Google Scholar. Sur la position du Tribunal administratif du Québec, voir notamment Janick Perreault, Assurance automobile au Québec : L’indemnisation du préjudice corporel des victimes d’accident d’automobile, 2e éd. (Brossard, Publications CCH ltée, 2005); Perreault, Janick, « La caméra cachée de la SAAQ : la filature et la surveillance vidéo des victimes d’accident d’automobile », dans Développements récents en matière d’accidents d’automobiles (Cowansville : Yvon Blais, 2009), 157 Google Scholar.

91 Ainsi, un trouble psychologique qui découlerait de « tracasseries administratives » n’est considéré comme une lésion professionnelle que dans les cas d’« abus de façon telle que l’on particularise l’individu qui y est soumis par des mesures abusives, illégales, dilatoires et discriminatoires » : Legendre et Danone inc, 2008 QCCLP 4405 au para 81. Voir également DD et Compagnie A, 2010 QCCLP 7860, où la réclamation pour rechute, récidive ou aggravation de la lésion professionnelle initiale fut acceptée puisque la « nécessité d’assister à l’audience et le fait de devoir remémorer les événements ayant donné lieu à la lésion professionnelle initiale, déclenchée par du harcèlement psychologique et sexuel, ont rendu symptomatique une lésion psychologique qui avait été consolidée ». La réclamation de la travailleuse fut acceptée.

92 Katherine Lippel, Rachel Cox et Isabelle Aubé, « Droit de la santé au travail régissant les problèmes de santé mentale : prévention, indemnisation et réadaptation », dans Santé et sécurité au travail, fasc 27, Jurisclasseur Québec (Montréal : LexisNexis Canada, 2020) au para 59.

93 Katherine Lippel et al., supra note 35.

94 R-fam-04, à la p. 20.

95 Org-trav-02, à la p. 7.

96 A-crim-05, à la p. 16.

97 A-fam-01-02, à la p. 6. L’expression « se rendre au fond » réfère au fait pour une partie de se rendre jusqu’à l’instruction au fond, soit l’audition finale qui tranche le litige.

98 A-trav-08.

99 A-trav-04, à la p. 31.

100 Hountohotegbè, Sèdjro Axel-Luc, « La légitimité des modes amiables de prévention et de règlement des différends à l’ère du nouveau Code de procédure civile du Québec », Nouveaux Cahiers du socialisme 16 (2016) : 34 Google Scholar.

101 Ibid. à la p. 35.

102 Chaffai-Parent, Shana et Piché, Catherine, « La primauté de l’efficacité dans l’administration d’une justice en crise : solutions judiciaires dans une perspective nord-américaine », Revue générale de droit 51, no 1 (2021) : 161 CrossRefGoogle Scholar.

103 Ministère de la Justice du Québec, supra note 10. Voir notamment : « Objectif 1.3. Réduire les coûts pour les citoyens et les entreprises par le recours aux modes de prévention et de règlement des différends en matière civile » afin de permettre aux justiciables de régler leurs litiges de manière plus rapide et à moindre coût.

104 Currie, Ab, « A National Survey of the Civil Justice Problems of Low- and Moderate-Income Canadians: Incidence and Patterns », International Journal of the Legal Profession 13, no 3 (2006) : 217 CrossRefGoogle Scholar; Currie, Ab, The Legal Problems of Everyday Life: The Nature, Extent and Consequences of Justiciable Problems (Ottawa : Ministère de la justice du Canada, 2009)CrossRefGoogle Scholar; Farrow, Trevor C. W., Currie, Ab, Aylwin, Nicole, Jacobs, Les, Northrup, David et Moore, Lisa, « Everyday Legal Problems and the Cost of Justice in Canada: Overview Report », Canadian Forum on Civil Justice (2016)Google Scholar; Bernheim, Emmanuelle et Coupienne, Marilyn, « Faire valoir ses droits à la chambre de la jeunesse : état des lieux des barrières structurelles à l’accès à la justice des familles », dans « Special Issue: Shifting Normativities », Canadian Journal of Family Law 32, no 2 (2019) : 237 Google Scholar; Silverman, Stephanie J. et Molnar, Petra, « Everyday Injustices: Barriers to Access to Justice for Immigration Detainees in Canada », Refugee Survey Quarterly 35, no 1 (2016) : 109 CrossRefGoogle Scholar; Bernheim, Emmanuelle, « Judiciarisation de la pauvreté et non-accès aux services juridiques : quand Kafka rencontre Goliath », Reflets 25, no 1 (2019) :7193 CrossRefGoogle Scholar, réf. 71; Bernheim, Emmanuelle, Laniel, Richard-Alexandra et Jannard, Louis-Philippe, « Les justiciables non représentés face à la justice : une étude ethnographique du tribunal administratif du Québec », Revue des affaires sociales et juridiques de Windsor 39 (2018) : 67 Google Scholar; Bernheim, Emmanuelle et Laniel, Richard-Alexandre, « Le droit à l’avocat, une histoire d’argent », Revue du Barreau canadien 93, no 1 (2015) : 251 Google Scholar.

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106 Bernheim, Laniel et Jannard, supra note 104.

107 Association du Barreau canadien, Point de non-retour : Rapport du groupe de travail de l’ABC sur les enjeux juridiques liés à la COVID-19 (Ottawa, 2021)Google Scholar.

108 Ibid. à la p. 16.

109 Benyekhlef, Karim, « La résolution en ligne des différends de consommation : un récit autour (et un exemple) du droit postmoderne », dans L’accès des consommateurs à la justice (Montréal : Yvon Blais, 2010), 89 Google Scholar.