Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Négligence révélatrice d'une certaine insouciance méthodologique à l'égard de l'historiographie traditionnelle marocaine, la littérature généalogique constitue un secteur particulièrement négligé par la recherche moderne. Dans sa compilation magistrale sur l'historiographie des dynasties sharifiennes, Lévi- Provençal abordait la généalogie (ansāb) comme faisant partie du genre biographique. Il insistait sur son abondance et sur ses liens avec la littérature hagiographique (manāqib). Les généalogies rebutaient, elles étaient le produit du sharifisme qui incitait les lettrés à composer « ces listes de noms qui peuvent sembler à peu près sans objet » ‘ et dont la lecture ne valait l'effort patient que dans la perspective d'éventuelles « bribes d'histoire », véritables accidents du texte.
Genealogical literature (ansāb) is considered here to reflect a “written memory” of family charisma. Various strategies are interwoven into the text: acts of devotion in search of divine blessing and the Prophet's intercession, the State's concern to exert administrative control as the grantor of privileges, the will of the aristocracy to preserve its titles of nobility and to protect itself from any possible intrusion.
Muhammad al-Tālib Ibn al-Hājj (d. 1857) wrote “a general survey of the notable sharif-s residing in Fes”. This text is first studied as being in line with the local genealogical tradition. Then, the author tries to define the terms of classification and genealogical authentication.
The itinerary followed by the text calls to mind the family tree pattern. The terms used to designate subdivisions and enumerations are heavy with symbols. Authentication is grounded on learned tradition, legal documents and supernatural signs (miracles, dreams). These different references are frequently interchanged.
Analysis of the social practices in connection with such a major notion as genealogy (nasab), enables a methodological perspective to be distinguished that allows the historical narrative's coherence to be detected; at the same time, a symbolic dimension may be integrated into the social history of pre-colonial Morocco.
1. Lévi-Provençal, E., Les historiens des Chorfa, essai sur la littérature historique et biographique au Maroc du XVIe au XXe siècle, Paris, Larose, 1922, p. 48.Google Scholar C'est pourtant l'approche littérale de ces textes qui intéressa la sociologie coloniale française. Cf. Salmon, G., « Les Chorfa Idrissides de Fès d'après Ibn at-Tayyib Al-Qadiry », Archives marocaines, t. 1, 1904, pp. 425– 453 Google Scholar ; « Les Chorfa Djilala de Fès », t. 3, 1905, pp. 97-118 ; « Ibn Rahmoûn et les généalogies chérifiennes », t. 3, 1905, pp. 159-265. La publication des généalogies aidait à cerner les titres d'une « noblesse religieuse », relais potentiel de la pénétration pacifique ; elle permettait en outre de connaître « la répartition et l'influence territoriale de ces sharīf-s ». Plus tard, la monographie de J. Couste (Les grandes familles indigènes de Salé, 1925, Rabat, Imprimerie officielle, 1931) reflétera les préoccupations analogues du Protectorat, désireux de se concilier l'élite urbaine. Le sommaire est éloquent : « familles nobles », « familles religieuses ou maraboutiques », « familles influentes », « familles disparues ou en voie de disparition ».
2. Mièoe, J.-I., Le Maroc et l'Europe, 1830-1*94,Paris, PUF, 1961-1963, 4 vols.Google Scholar
3. On pourrait parler d'une école de G. Ayache. Ses principales caractéristiques sont la réhabilitation des sources nationales et un intérêt soutenu pour le xixe siècle ; les recherches négligent le champ urbain et pèchent souvent par un manque de problématisation.
4. Cf. Les travaux d' Laroui, A., notamment l'Histoire du Maghreb, un essai de synthèse, Paris, Maspéro, 1970 Google Scholar, où l'auteur dégage la présence de l'archétype dans l'historiographie maghrébine. Une mise au point théorique en est livrée dans « Les Arabes et l'Histoire », dans La crise des intellectuels arabes, Paris, Maspéro, 1974, pp. 21-44.
5. Bourdieu, P. écrit que « la subjectivité socialement constituée (…) appartient à l'objectivité », fans Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p. 210.Google Scholar
6. « Ni l'insignifiance apparente du propos ni la convention de genre n'abolissent sa dignité d'interlocuteur. » Berque, J., L'intérieur du Maghreb, XVe-XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1978.Google Scholar Des fragments de l'historiographie maghrébine y sont minutieusement remis en perspective. Le même effort est poursuivi dans Ulémas, fondateurs, insurgés du Maghreb-XVIIe siècle, Paris, Sindbad, 1982. L'hagiographie retrouve chez l'auteur une épaisseur documentaire insoupçonnée.
7. Si l'on excepte quelques travaux de J. Berque (ouvrages cités), il s'avère que la recherche historique ignore généralement la dimension symbolique de la société urbaine et le contenu social de phénomènes symboliques tels que le sharifisme et le mysticisme. Par contre, le maraboutisme et la généalogie ont constitué des outils d'interprétation de la société rurale. Pour E. Gellner, le sharifisme, corollaire de la sainteté (cf. le concept de « lignage sacré ») institue l'arbitrage dans une structure tribale segmentée et instable : voir « Pouvoir politique et fonction religieuse dans l'Islam marocain », AnnalesE.S.C., mai-juin 1970, pp. 699-713. De son côté, L. Valensi appréhende la mémoire du groupe tribal en fonction d'un temps social légitimant la possession d'un territoire. Cf. Fellahs tunisiens, La Haye-Paris, Mouton, 1977. Quant à A. Hammoudi, il questionne les rapports entre pouvoir et sainteté en milieu présaharien. Dans le cadre d'une compétition politique fondée sur le contrôle d'enjeux stratégiques tels que les terres et les axes commerciaux, la généalogie prestigieuse est un atout symbolique qui ferait partie d'un paradigme confrérique, les zaouias étant conçues comme étant des « noyaux de pouvoir ». Cf. « Sainteté, pouvoir et société, Tamgrout aux xviie et xviiie siècles », Annales E.S. C, mai-août 1980, pp. 615-641.
8. Cf. Mezzine, M., Fās wa bādiyatuhā min 1549 ila 1637, musāhama fl tārīkh al-Maghrib al-Sa'dt, D.E.S., inédit, Rabat, 1979Google Scholar ; Cigar, N., « Société et vie politique à Fès sous les premiers ‘Alawites, 1660-1830 », Hespéris-Tamuda, vol. XVIII, 1978-1979, pp. 93–172 Google Scholar ; Le Tourneau, R., Fès avant le Protectorat, étude économique et sociale d'une ville de l'Occident musulman,Casablanca, S.M.L.E., 1949.Google Scholar
9. Originalité illustrée a contrario par les éclipses que connaissaient Rabat et Marrakech lors des déplacements des capitales. Cf. Caillé, J., La ville de Rabat jusqu'au Protectorat français, Paris, Vanoest, 1949 Google Scholar ; Deverdun, G., Marrakech, des origines à 1912, Rabat, 1955.Google Scholar Dans ces deux études, l'approche archéologique accompagne une compilation événementielle à temporalité dynastique. L'histoire sociale y fait terriblement défaut.
10. Berque, J., « Ville et université, aperçu sur l'histoire de l'école de Fès », Revue historique de Droit français et étranger, vol. XXVII, 1949, pp. 64–117.Google Scholar
11. Muhammad al-Ṭālib b. Ḥamdūn Ibn Al-Hàjj, Al-Ishrâf ‘als man bi-Fās min mashshîr alashr¯af‘( « Aperçu d'ensemble sur les sharīf-s notables résidant à Fès »), mss, BG, Rabat, D. 653 (dorénavant Ishrāf).
12. Sur la place de la littérature généalogique dans l'élaboration de l'historiographie arabe, voir notamment ‘A Dori, Baḥth Fī nash ‘at ‘ilm al-tārīkh ‘indal- ‘Arab, Beyrouth, Imprimerie Catholique, 1960, p. 18 ss ; Rosenthal, F., A History ofMuslim Historiography, Leyde, Brill, 1968, p. 95 ss.Google Scholar
13. Les Marocains entourent les sharīf-s d'un respect et d'une vénération inégalés ailleurs. Voir les remarques du généalogiste fassi AL-Walīd AL-'IRĀQĪ (d. 1849), dans Al-Durr al-nafīsFī man bi-Fās min Banū Muhammad Ibn Nafīs, mss, BR, Rabat, 1109, p. 10. L'auteur fait une remarque intéressante. Au Maroc, on ne sentit pas lebesoin démarquer l'appartenance sharifienne au moyen de signe vestimentaire. Suit une disgression sur cette tradition adoptée au Mashreq. Depuis le me siècle de l'hégire (règne de l'abbasside al-Māmūn) \esAhlal-Bayt portent un habit vert ; plus tard on réduira la distinction à un morceau de tissu vert surmontant le turban. Pourquoi cette couleur ? C'est que le noir était l'emblème des Abbassides, le blanc était revendiqué par l'ensemble des musulmans, le rouge était illicite, et le jaune était la couleur des juifs.
14. Remarque frappante à la consultation des catalogues de la Bibliothèque Générale (BG) et de la Bibliothèque Royale (BR) de Rabat. Cf. aussi la recension d“A. IBN Sūda, Dalīl mu'arrikh al-Maghrib al-Aqṣā, Casablanca, Dâr al-Kitäb, 1965, 2 vols.
15. Nous employons le terme « aristocratie » avec beaucoup de réserve. Dans la littérature historique, les sharīf-s occupent une place qui varie selon la perspective méthodologique adoptée : élite de la naissance prenant place aux côtés des élites du négoce et du savoir (R. LE Tourneau, op. cit.) ; groupe solidaire participant à une structure sociale fondée sur les liens du sang (N. Cigar, op. cit.) ; ordre légitimant l'hégémonie makhzénienne (A. Laroui, Origines sociales et culturelles du nationalisme marocain, 1830-1912, Paris, Maspero, 1977). En fait, le sharifisme semble traverser l'ensemble du tissu social urbain. Il contribue à structurer des réseaux de clientèle tout en constituant un mode d'accumulation bourgeoise. Il s'agit là de directions qui mériteraient des enquêtes approfondies.
16. Ms, BG, Rabat, K. 383 (dorénavant Nuṣḥ). Sur l'auteur, voir notamment M. Ben Chekroun, La vie intellectuelle marocaine sous les Mérinides et les Wattāsides, Rabat, 1974, pp. 368- 372 ; Muhammad b. Ja'far al-Kattànl, Salwat al-anfas wa mụḥādathat al-akiās bi-man uqbira min al- ‘ulamā wa-l-ṣulaḥā’ bi-Fâs, litho, Fès 1891 (dorénavant Salwa), t. 2, pp. 144- 146.
17. Ibn al-Sakkāk meurt en 1415, à l'âge de 80 ans. C'est donc un contemporain d'Ibn Khaldūn. Fait significatif puisque l'auteur du Nuṣḥ énonce un discours nettement objectivé par la Muqaddima. Pour Ibn Khaldūn, la généalogie s'inscrit dans l'efficacité d'un mythe lié à l'esprit de corps (‘aṣabiyya) ; elle prend donc place dans une théorie de l'État.
18. Le jāh est le prestige lié au pouvoir, au rang, dans un système où le sultanat ordonne la stratification sociale et la distribution des richesses. Cf. notamment A. Cheddadi, « Le système du pouvoir d'après Ibn Khaldoûn », AnnalesE.S.C., mai-août 1980, pp. 534-550. Cet article, qui met au jour « une notion méconnue », signale en fait un thème qui mériterait une investigation plus ample dépassant la problématique Khaldūnienne.
19. Pour la mise au point éclairant le contexte historique relatif à Ibn al-Sakkāk, nous nous inspirons essentiellement de M. Kably, « Musāhama Fī tārīkh al-tamhīd li-ẓuhūr dawlat al- Sa'diyyïn », Revue de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines (Rabat), n° 3-4, 1978, pp. 7-50. Cette étude, qui frappe par son argumentation très fouillée, remet en question la confusion que les historiens ont établie entre renouveau du sharifisme et poussée mystique. Kably nous permet de mieux comprendre l'émergence de la dynastie saâdienne.
20. Brionon, J., Aminé, A., Boutaleb, B., et al, Histoire du Maroc, Paris, Hatier/Casablanca, Librairie Nationale, 1967, pp. 156–157.Google Scholar
21. Sur cette conjoncture, voir A. Laroui, Histoire du Maghreb, op. cit., pp. 187-192.
22. Les ṣiqillī-s descendent des sharīf-s ḥusainī-s qui ont gouverné la Sicile aux temps du pouvoir musulman shī'ite. Après la reconquête chrétienne, ils regagnent l'Andalus et se parent d'un patronyme prestigieux référant à l'Islam refoulé et revanchard. Ensuite ils traversent le détroit, et là ils se subdivisent en deux branches : la première (qui intéresse notre propos) s'installe à Sebta où elle occupe une position éminente ; la seconde s'installe à Marrakech où les Almohades lui offrent une situation privilégiée dans le corps judiciaire, cette branche remontera ultérieurement à Fès où elle donnera un grand nombre de faqīh-s. Le prestige des ṣiqillī-s est donc bien antérieur au renouveau du sharifisme.
23. Ces sharīf-s hasanî-s immigrèrent au Tafilalet à la fin du xiiie siècle.
24. J. Brionon, A. Aminé, B. Boutaleb et al., op. cit., p. 167 ss.
25. Dans l'introduction du Nush, l'auteur nous dit qu'il a été commandité par des sharīf-s notables. Ailleurs, il attribue le mérite de la généalogie incontestable aux Jūtī-s et aux Siqillī-s, manière de dire que ces deux lignées devraient échapper au retournement de l'attitude makhzénienne. Ibn al-Sakkāk adopte ainsi la cause de l'élite sharifienne, ce qui contredit sa dénonciation du jāh.
26. M. Kably, op. cit., p. 47 ss. Pour un aperçu descriptif sur cette zaouia, voir G. Salmon, « Le culte de Moulay Idrïs et la mosquée des Chorfa à Fès », Archives Marocaines, t. 3, 1905, pp. 413-429.
27. M. Kably, op. cit., pp. 57-59. Pour A. Laroui, l'émergence du pouvoir sharifien correspondait à l'opportunité d'une force extrinsèque qui devait cimenter une société marquée par une fragmentation profonde. Cf. L'histoire du Maghreb, op. cit., pp. 223-226.
28. Le Dīwān al-ashrāf établi sur l'ordre d'Aḥmad al-Manṣūr est encore introuvable. En revanche, on dispose d'un registre concernant des familles auxquelles le même souverain attribua les revenus des successions vacantes. Cf. mss, BR, Rabat, 3122.
29. Sur les lignées sharifiennes qui immigrèrent à Fès durant l'époque saâdienne, voir M. Mezzine, op. cit., t. 1, pp. 96-110.
30. M. Lakhdar, art. « al-Kassâr », Encyclopédie de l'Islam, 2e éd., t. 4, p. 766.
31. Correspondance frappante : le sultan Ismaïl a régné entre 1672 et 1727, et les maîtres incontestés de la tradition généalogique fassie sont ‘A. Salām al-Qādirī (d. 1698) et Muḥammad al-Masnāwī al-Dīlā'ī (d. 1724).
32. Ce n'est qu'au xve siècle qu'on redécouvre l'épopée mystique pourtant lointaine de Mawlây ‘A. Salâm b. Mashîsh (d. 1228 ?).
33. G. Drague, Esquisse d'histoire religieuse du Maroc, confréries et zaouias, Paris, Peyronnet, s.d. (1951), p. 42).
34. Mss, BG, Rabat, D. 1484 (dorénavant Shudhùr). Sur l'auteur, voir G. Salmon, « Ibn Rahmoûn et les généalogies sharifiennes », op. cit.
35. J. Berque, Ulémas, fondateurs, insurgés du Maghreb, op. cit., chap. 7.
36. Litho, Fès, 1891 (dorénavant Durr Saniy). Sur l'auteur, voirE. LÉVI-Provençal, op. cit., pp. 276-280 ; Lakhdar, M., La littérature marocaine sous la dynastie alawite, Rabat, Éd. Nord- Africaines, 1971, pp. 112–115.Google Scholar
37. Qādirl fut initié à la mystique par Qāsim Lakhṣāṣī, Ahmad al-Yamanī et Ahmad b. ‘Abdallāh Ma'an. Les biographes insistent sur son assiduité aux mausolées des saints, notamment Mawlay ‘A. Salâm b. Mashîsh.
38. Lévi-Provençal, op. cit., pp. 301-302 ; M. Lakhdar, op. cit., pp. 152-158.
39. Cf. Natījat al-taḥqīq Fī ba'd, ahl al-sharaf al-wathīq (” Résultats d'enquête sur certains sharīf-s confirmés »), litho, Fès, 1891. L'auteur nous apprend que Ṭāhir b. ‘A. Salām al-Qādirī, sur le point de partir aux Lieux Saints, voulut se munir d'un document généalogique, précaution requise par les aléas et les occupations du séjour. Un opuscule est plus léger et plus facile à manier qu'une pile d'actes familiaux. Et le pèlerin de s'adresser à Masnâwï qui s'exécuta de bonne grâce.
40. Autre exemple notoire : al-Tāwdī Ibn Sūdā (d. 1795) fut initié à la mystique par le Shaiīf et walī Ahmad b. Muhammad al-Siqillï. Il lui consacra une biographie, et ses écrits sont souvent invoqués pour confirmer la généalogie des Siqilll-s. Cf. LÉVI-Provençal, op. cit., pp. 334-336 ; M. Lakhdar, op. cit., pp. 257-262.
41. LÉVI-Provençal, op. cit., pp. 336-340.
42. Ibid., pp. 342-345. Cf. aussi quelques sources traditionnelles telles que ‘A. Raḥmān IBN ZAÏDÀN, Al-'Izz wa-l-sawla Fī ma'ālim nuzum al-dawla, Rabat, Imprimerie Royale, 1961-1962 (dorénavant Izz), t. 2, p. 12 ;Salwa,t. l,pp. 157-158.
43. Nazm al-durr wa-l-la'āl fī shurafā’ ‘Aqbat Ibn ṣawwāl, mss, microfilm, B.G., Rabat, 1720 (dorénavant Nazm). Il est à signaler que la majorité des autres ouvrages sur la généalogie des Kattānī-s ont été rédigés par des auteurs appartenant à cette famille.
44. Justifions notre choix. Une relative exhaustivité puisque l'Ishrāf recense les hasani-s et les husaïnī-s. Par ailleurs, l'ouvrage maintient une perspective citadine alors qu'un répertoire ultérieur s'attarde sur les prolongements nationaux des lignées inventoriées. Il s'agit de Idrïs Alfudaili, Al-Durar al-bahiyya wa-l-jawShir al-nabawiyya fī- l-furū’ al-ḥasaniyya wa-l-ḥusaïniyya, litho, Fès, 1896, 2 vol. Sur l'auteur, voir LÉVI-ProvenÇAL, op. cit., pp. 374-375.
45. Les différents registres du texte généalogique ont fait l'objet de notre recherche intitulée Aristocratie citadine, pouvoir et discours savant au Maroc pré-colonial, contribution à une relecture de la littérature généalogique fassie, XVe-début du XXe siècle, thèse, 3e cycle, Paris VII, 1984. Le présent article en est un fragment légèrement remanié.
46. Ibn Al-Hàjj laisse notamment de côté les Saâdiens, reproduisant ainsi les réductions d'A. Qàdiri (cf. Durr Saniy).
47. Ishrâf, pp. 33a-33b ; 53a ; 55b-56a ; 94b ; 108a. Dans les louanges des biographes, le respect des Ahlal-Bayt trouve parfois son couronnement dans l'alliance matrimoniale. Rappelons le cas du ‘ālim Qaṣṣâr qui ne prenait femme que chez les sharīf-s. Cf. Salwa, t. 2, p. 63.
48. Voir figure.
49. Ishraf, p. 5b. Nous retrouvons la même assertion dans Aḥmad b. Yaḥyā al-Wansharīsī, Al-Mï’yār al-mu'rib wa-l-jāmi'al-mughrib ‘an fatawī ahl Ifrīqiya wa-l-Andalus wa-l-Maghrib, éd. M. MAjn(dir), Rabat, Ministère des Awqâf et des Affaires Islamiques, t. 1,1981,p. 507.Surle ‘ālim Maqqarl, voir art. deE. LÉVI-Provençal, Encyclopédie de l'Islam, lre éd., t. 3, pp. 184-185.
50. Dans le sens opposé, Ibn Khaldūn nous apprend que la généalogie de la dynastie fatimide a fait l'objet de contestation. Il s'agirait de « récits forgés, pour plaire aux faibles califes ‘abbassides, en dénigrant leurs actifs rivaux ». Le pouvoir de Baghdad aurait aussi laissé entendre qu'Idrïs II n'était pas le fils de son père, mais plutôt le bâtard de Rāshid. Ibn Khaldūn récuse la calomnie en se fondant sur les lois du ‘umrān. « Le mode de vie bédouin ne permet pas le secret » ; « les voisins peuvent toujours entendre, et les voisines voir ce que font les femmes, parce que les maisons sont basses et que les murs se touchent ». D'autre part, un Hadlth affirme que « l'enfant appartient au lit ». Cf. Muqaddima, trad. V. Monteil, Paris, Sindbad, 1978, t. 1, p. 38 ss.
51. Ishrāf, passim.
52. Shudhūr.p. 3 ;M. Gannūn,Al-Duraral-maknūna fī-l-nisbaal-sharīfa al-maṣūna,mss,BG, Rabat, K. 935, pp. 1-2.
53. L. Veccia-Vaglieri, art. « Fâtima », Encyclopédie de l'Islam, 2e éd., t. 2, pp. 861-870.
54. Wansharisi, op. cit., t. 2, pp. 545-546. A propos du même débat, signalons l'oeuvre d'iBN Qunfud (d. 1406), intitulée Tuhfatal-wārid fī ikhtiṣāṣ al-sharaf min qibalal-wālid, mss, microfilm, BG, Rabat, 187. L'auteur est par ailleurs bio-hagiographe et chroniqueur. Né à Constantine, il a étudié et exercé la judicature dans différentes parties du Maghreb. Sa période marocaine a duré dixhuit ans.
55. Ishrāf, p. 30a.
56. A. Zai'ŪR, Al-Karāma al-ṣūfiyya wa-l-usṬūra wa-l-ḥulm, Al-qiṬa’ al-lāwā ‘ī fī-l-dhāt al-'arabiyya, Beyrouth, Dār al-Ṭalī'a., 1977, pp. 215-217.
57. En guise d'exemple, retenons la figure de l'ancêtre des Shafshāwnī-s. Aḥmad Ibn Yahyâ est un faqlh « omniscient…, homme de lettres et mystique». Il arrive à Fès au cours de la seconde moitié du xe/xvie siècle puisque nous savons qu'il naît en 945/1538-1539 et meurt en 1001/1592-1593. Dans le Jbel, ses parents (sharīf-s ‘alamī-s) se nomment Awlād Ibn Yahya. Lui a étudié à Shafshāwen (Chauen), on le désignera comme Shafshāwnī, ethnique que ses descendants fassis garderont par la suite. Notons que la lignée se pare du prestige d'un bastion du jihâd. Cf. Ishrāf, pp. 59b-60a. Qādirī avance une autre version pour justifier l'adoption du patronyme. La dite lignée aurait eu des échanges matrimoniaux avec les Banū Rāshid, fondateurs de Shafshāwen. Durr Saniy, pp. 34-35.
58. Voir la partie sémantique de J. Cuisenier, A. Miquel, « La terminologie arabe de la parenté », L'Homme, juil.-déc. 1965, pp. 17-59.
59. Une généalogie bien établie est en elle-même un signe de noblesse. La survalorisation du nasab apparaît dans le champ sémantique du vocabulaire généalogique. Citons-en quelques exemples : - Dhurriyya et ‘itra nomment la progéniture en général, Dharīra signifie le parfum, et dharûr un médicament pour les yeux ; et ‘itra désigne de même un parfum et une plante médicinale. - Far’ (littéralement « branche ») réfère à la hauteur et à la noblesse.
60. Sur la répétition comme forme « d'assemblages », voir Barthes, R., Sade, Fourier, Loyola, Paris, Seuil, 1971, pp. 65–66.Google Scholar
61. Durr Saniy, p. 31 ; Ishrāf, p. 54b ss.
62. La « Rive des Kairouanais » est beaucoup plus fournie que la « Rive des Andalous ». Sur le contenu social des deux parties de la ville voir R. LE Tourneau, Fès avant le Protectorat, op. cit., pp. 122-147.
63. Dans la Muqaddima, Ibn Khaldūn réfute l'intérêt de l'isnād comme garant de l'information relative à l'histoire et aux sciences assimilées ; il préfère revenir aux lois de l’umrān. En revanche, le récit sacré impose de remonter aux origines, c'est-à-dire au message initial. Cf. Oumlil, A., L'Histoire et son discours, essai sur la méthodologie d'Ibn Khaldoun, Rabat, Publications de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 1979, p. 46.Google Scholar
64. Cf. infra, à propos des doutes sur la généalogie de la dynastie saâdienne. On invoque parfois la distraction du généalogiste.
65. Muhammad AL-Ifrānī, Nuzhat al-hadī bi-akhbār mulūk al- qarn al-hādī, Rabat, Librairie al-Tālib, s.d., p. 3 ss; NĀṣIRĪ, Istiqṣā, Casablanca, Dār al-Kitāb, 1954-1956, t. 5, p. 3 ss; t. 6, p. 103 ss.
66. Extrait de Shudhūr trad. dansG. Salmon, « IbnRahmoûn… », op. cit., pp. 165-166. Nous y avons rectifié la transcription.
67. Nazm, p. 64 ss.
68. Le terme naqlb dérive de la racine N.Q.B. qui signifie « creuser », « chercher », « connaître ». Sur cette charge, voir Al-Māwardi, Les statuts gouvernementaux, trad. Fagnan, Alger, A. Jourdan, 1915,chap. 7,« De la charge de syndic des gens de noblesse ». Pour un historique de la niqāba au Maroc, cf. ‘Jzz, t. 2, pp. 72-113.
69. ‘A. Qādir Al-Shabīhī (d. 1687), Ta'līf fī ansāb al-shurafā’ al-ladhīna lahum shuhra bi-Fās, mss, BG, Rabat, D. 14 57, p. 83a ss.
70. Ne s'agit-il pas là d'une matière documentaire qui pourrait éclairer certains aspects des migrations et du rapport mysticisme/adoption du nasab sharifien ?
71. Ibid., pp. 80a-80b. 72. M. Kably, op. cit., pp. 17-18.
73. Cité dans ‘Jzz, t. 2, p. 106 ss.
74. D'où la notion de sama'al-fāshī. Cf. Wansharīsī, op. cit.,t. 2, pp. 547-548.
75. Ibid., pp. 514-515.
76. Tuhfat al-hādī al-mutrib fī raf ‘nasab shurafā’ al-Maghrib, mss, BG, Rabat, D. 965. Sur l'auteur, voir LÉVI-Provençal, op. d?., pp. 142-199.
77. L'alternance suggérée implique une centralisation inachevée et précaire. Ce thème constitue une des grandes lignes directrices de l'Histoire du Maghreb (collectif, op. cit.). Pour N. Cigar (op. cit.), le contexte urbain est marqué par une longue compétition qui tourne autour du contrôle d'enjeux tels que la force militaire, les fonctions administratives et l'impôt.
78. Zayani, op. cit., p. 261.
79. Une copie du dîwân ismaïlien est conservée à la BR, Rabat, mss. 2100.
80. Dans un autre contexte, le pouvoir marinide agita la contestation des généalogies pour justifier une réduction des privilèges accordés aux sharīf-s. Kably, op. cit., p. 36 ss.
81. Nush, pp. 30-31.
82. L'investigation est donc problématique. Zayānī, de son côté, préfère s'abstenir à l'égard des lignées non confirmées. Il déclare qu'il a limité son inventaire aux sharlf-s dont la généalogie est incontestée.
83. Nāsirī,Istiqsā, op. cit., t. 5, p. 5.
84. Entre la réserve du faqīh (Nāsirī) et l'apologétique du secrétaire makhzénien, nous retrouvons une problématique épineuse, celle de l'historiographie traditionnelle arabe. Comment les différents auteurs articulent-ils les deux types idéaux auxquels nous avons fait allusion ? Cf. Laroui, A., Mafhūm al-dawla, Casablanca, Centre Culturel Arabe, 1981, chap. 4.Google Scholar
85. Ishrāf, pp. 58b-59a. Dans son ouvrage sur la famille des Fāsï-s-Fihrï-s, le sultan alaouite Sulaïmân donne la même image sur la vigilance des Arabes andalous en matière de généalogie. Tout nouveau venu se réclamant d'une ascendance prestigieuse serait soumis à une véritable enquête dans son pays d'origine. Si la prétention s'avère fausse, l'imposteur est sanctionné et même expulsé. Ces mesures ne se limitent donc pas à la généalogie sharifienne. Cf. Ināyat ūtī-l-majd bi-dhikr al-Fāsī Ibn al-Jadd, Fès, Imprimerie Nouvelle, 1928, p. 9.
86. Ibnkhaldūn,Muqaddima, op. cit., t. 1, pp. 203-211.
87. — « Celui qui me voit en songe me voit réellement, car le diable ne prend jamais mes traits. » — « Il ne reste plus comme don prophétique que les mubashshirât. Qu'est-ce que les mubashshirāt ? lui demande-t-on. “ Les rêves pieux ”, répondit-il. » — « Le songe du croyant est un quarante sixième du don de prophétie. »
88. M. DE Certeau constate une démarche analogue dans l'hagiographie chrétienne. Dans l'art. « Hagiographie », Encyclopaedia Universalis, nous lisons : « Pour signifier chez son héros la source divine de l'action et de l'héroïcité des vertus, la vie de saint lui donne souvent une origine noble — le sang est la métaphore de la grâce — instaurant ainsi en hiérarchie sociale une exemplarité religieuse et sacralisant un ordre établi… L'insistance sur l'origine noble n'est qu'un symptôme de la loi qui organise la vie de saint. Alors que la biographie s'attache à déceler une évolution et donc des différences, l'hagiograhie postule que tout est donné à l'origine avec une « vocation », avec une « élection », ou, comme dans les vies de l'Antiquité, avec un éthos initial. L'évolution tient dès lors seulement à la manifestation de ce donné… »
89. Ishrâf, p. 54b.
90. Ahmad b. Muhammad Ibn Al-Hàjj, Al-Durr al-muntakhab al-mustahsan fi ba'd ma'āthir amīral-Mūminīn Mawlānā alHasan, mss, t. 4, microfilm, BG, Rabat, 590, p. 82.
91. Ishrāf, p. 36a. Cette marque distinctive revient dans de nombreuses hagiographies, notamment celles de Mawlāy Idrīs, saint patron de Fès.
92. Boukhari, El, Les traditions islamiques, trad. Houdas, O., Marcais, W., Paris, Imprimerie Nationale, Ernest Leroux, 1906-1914, t. 2, p. 549.Google Scholar
93. Ishrāf, p. 93b.
94. Ibid., p. 115a. Il s'agit là aussi d'un symbole transmis par la tradition. Les anges sont des êtres parfaits, faits de lumière ; et le Prophète a dit : « Quand ma mère m'a porté dans son ventre, elle a vu j aillir d'elle-même une lumière qui lui a éclairé les palais du Shām ». Cité dans Khalīl, K. A., Madmun al usturafî-l-fikral ‘arabî, Beyrouth, Dār al-Talī'a, 1980, p. 100.Google Scholar
95. A. IBN AL-HĀJJ, Al-Durr al-muntakhab, op. cit., pp. 122-123. Nous retrouvons les traits du « rêve messager », lié à l'autorité. Pour une mise au point sur cet aspect, voir B. Kllborne, Interprétations du rêve au Maroc, Claix, La Pensée Sauvage, 1978, p. 19 ss.
96. Weber, M., Économie et société, Paris, Plon, 1971, t. l,p. 253 ss.Google Scholar
97. A. Sebti, op. cit., pp. 57-59 ; chap. 6.
98. Le capital symbolique est « ce capital dénié reconnu comme légitime, c'est-à-dire méconnu comme capital (…) qui constitue sans doute avec le capital religieux, la seule forme possible d'accumulation lorsque le capital économique n'est pas reconnu ». P. Bourdieu, Le sens pratique, op. cit., pp. 200-201.
99. G. Duby, « Histoire sociale et idéologies des sociétés », dans Le Goff, J., Nora, P. (dir), Faire de l'Histoire, t. 1, « Nouveaux problèmes », Paris, Gallimard, 1976. pp. 157–158.Google Scholar L'auteur pense que les moments de crise connaissent généralement un accroissement du matériel permettant à l'historien d'accéder aux idéologies du passé. Certaines séquences relatives à la tradition généalogique fassie semblent illustrer cette assertion, mais au niveau de l'historiographie marocaine, la généralisation serait abusive.
100. Il faudrait relativiser les dichotomies écrit/oral, Islam urbain/Islam rural. Ces dichotomies sont souvent suggérées par les travaux historiques et anthropologiques sur la société tribale. Cf. supra, n. 7.