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LE STATUT DE LA RAISON PRATIQUE CHEZ AVEMPACE

Published online by Cambridge University Press:  18 February 2011

Makram Abbès
Affiliation:
École Normale Supérieure de Lyon, Laboratoire Triangle15 Parvis René Descartes, BP 7000, 69342 Lyon Cedex 07, France Email: makram.abbes@ens-lyon.fr

Abstract

This paper seeks to draw attention to the existence of strong practical rationality in the work of Avempace, despite the primacy of theoretical reason, and of the search for an intelligible that is devoid of any link with the material and considered itself as the supreme end of human existence. The arguments used to defend the idea entail analysing the concept of “prudence” in Avempace, as well as that of “right thinking”, which is prominent in the determination of the way of life that philosophers must adopt in unjust cities. In addition, the elucidation of these aspects is a measure of the intellectual distance between Avempace and the mystics, both on the ethical-political and ontotheological levels.

Résumé

L'objectif de ce travail est d'attirer l'attention sur l'existence d'une forte rationalité pratique dans l'œuvre d'Avempace, malgré la primauté accordée à la raison théorique, et à la quête d'un intelligible dénué de tout lien avec la matière et pris en lui-même comme la fin suprême de l'existence humaine. Les arguments servant à défendre cette idée mobilisent les analyses de la notion de “prudence” chez Avempace, ainsi que celle de “pensée droite”, fortement présente au niveau de la détermination de la conduite que le philosophe doit adopter dans les cités injustes. L'élucidation de ces aspects permet, parallèlement, de prendre la mesure de la distance intellectuelle qui sépare Avempace des mystiques à la fois sur le plan éthico-politique et sur le plan onto-théologique.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Cambridge University Press 2011

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References

1 Druart, T-A., “La fin humaine selon Ibn Bājjah”, Bulletin de philosophie médiévale, 23 (1981): 5964, p. 60CrossRefGoogle Scholar. Traduction légèrement modifiée.

2 Ibn Bāǧǧa, Tadbīr al-mutawaḥḥid, dans Fakhri, M., Rasāʾil Ibn Bāǧǧa al-ilāhiyya (Beyrouth, 1991), p. 41Google Scholar. Sauf indication contraire, les autres textes d'Ibn Bāǧǧa cités dans ce travail, Risālat al-wadāʿ (la Lettre d'adieu), Ittiṣāl al-ʿaql bi-al-insān (l'Épître sur la jonction de l'Intellect avec l'homme) et Fī al-ġāya al-insāniyya (Sur la fin humaine) feront référence à cette édition.

3 Voir Abbès, M., “Gouvernement de soi et des autres chez Avempace”, Studia Islamica, 100/101 (2005): 113–60Google Scholar.

4 Nous gardons provisoirement cette traduction jusqu'à la fin de notre travail où nous en proposons une autre.

5 El-Alaoui, J-E., Rasāʾil falsafiyya li-Abī Bakr Ibn Bāǧǧa (Beyrouth-Casablanca, 1983), pp. 170–4Google Scholar. Nous partageons l'analyse de J-E. El-Alaoui sur la question de l'authenticité de ces textes et de leur fausse attribution à Avempace (ibid., pp. 15–65), et, comme lui, nous écartons la possibilité d'une évolution interne de la pensée d'Avempace vers un registre théologico-mystique, même si ses textes sur la fin suprême de l'homme ou bien sur les intelligibles théoriques contiennent quelques notations rapides permettant ce genre de glissement. D'une manière générale, les textes authentiques s'arrêtent à l'examen du stade le plus élevé de la noétique sans vouloir s'engager dans une métaphysique de l'essence ni dans une assimilation des résultats obtenus à propos de l'intellect agent avec une théorie des anges ou des âmes célestes. Avempace résiste par ailleurs à toute récupération de la théorie de l'émanation qui est pourtant présente chez al-Fārābī. Comme le montrent ses textes, cet aspect cosmologique mêlant astronomie et noétique ne l'intéresse pas directement, ni l'interprétation religieuse de ces mêmes thèmes telle qu'elle a pu se développer avec Avicenne et qu'il a dû au moins connaître à travers al-Ġazālī. Le statut de ces fragments nous laisse donc perplexe parce qu'ils sont susceptibles d'être interprétés de deux manières différentes. Ils peuvent, d'un côté, renvoyer à un changement important, survenu peut-être à la fin de la vie d'Avempace, mais nous penchons vers le rejet de cette hypothèse car si elle avait réellement eu lieu, cette “conversion” aurait dû être connue d'Ibn Ṭufayl et d'Averroès, surtout qu'elle engage des options philosophiques centrales pour ces deux auteurs liées à leurs attitudes à l'égard d'al-Ġazālī et d'Avicenne. Ainsi, si cette transformation avait eu lieu, les critiques adressées par Ibn Ṭufayl à Avempace au début de Ḥayy ibn Yaqẓān n'auraient pas été justifiées et seraient fondées sur une méconnaissance des derniers textes d'Avempace. D'un autre côté, le fait qu'ils soient ancrés dans les thèmes développés par Avempace montre que ces fragments cherchent à prolonger sa noétique par une réflexion savante d'ordre astronomique et religieux qui, de toute évidence, ne faisait pas partie des centres d'intérêt d'Avempace, même dans ses écrits les plus aboutis. Cela nous amène à rajouter une autre hypothèse à celles qui ont été formulées par J-E. El-Alaoui à propos de la paternité de ces fragments, à savoir qu'ils seraient d'Ibn al-Imām. En effet, dans la mesure où ces textes contiennent toujours, en plus des éléments de la philosophie d'Avempace, une ouverture de type néoplatonicien confirmée par la référence au Livre du bien pur de Proclus ou de type avicennien présente à travers la citation de ʿUyūn al-masāʾil (attribué également à al-Fārābī), nous estimons que ces passages sont écrits par quelqu'un qui connaissait très bien la pensée d'Avempace, mais qui pouvait, grâce à sa culture philosophique, l'interpréter selon une orientation philosophique qui, à l'exception de celle d'Averroès, a eu tendance à l'emporter au XIIe siècle que ce soit en Orient ou en Andalousie. Élève d'Avempace et destinataire privilégié de ces trois derniers textes (Lettre d'adieu, Épître sur la jonction et De la faculté intellectuelle), Ibn al-Imām est par ailleurs invité par Avempace lui-même, et ce à plusieurs reprises, à modifier l'expression de ses propres textes et à en améliorer la composition, ce qui aurait légitimé une transition potentiellement présente dans les vrais textes d'Avempace. Toutefois, il ne s'agit là que d'une simple hypothèse que nous ne pouvons étayer par aucun argument concret.

6 Ibid., p. 170.

7 Ibid., p. 171.

8 Ibid., pp. 173–4.

9 Pour une synthèse sur la question de l'intellect, voir Elamrani-Jamal, A., article “ʿAQL (intellect)”, dans Auroux, S. (dir), Les notions philosophiques. Dictionnaire, tome 1 (Paris, 1990), pp. 141–3Google Scholar.

10 Cette explication est étayée par une analogie inspirée de la théorie de l'émanation qui compare l'Intellect à Dieu, le Moteur et l'Agent, l'imagination chez l'homme aux âmes célestes qui reçoivent les ordres divins, et les membres corporels à la nature. L'auteur donne l'exemple du soleil qui en étant dirigé par un Intellect suprême, Dieu, meut la nature et agit sur elle par la chaleur, produisant ainsi des effets semblables à ceux qu'on voit par exemple sur les plantes (nourriture, croissance, génération).

11 Le Gouvernement du solitaire, p. 91.

12 Ibid., p. 76.

13 Ibid., p. 91.

14 Ibid., p. 140.

15 Ibid., p. 137 et p. 140.

16 Ibid., p. 160. Cette citation montre que la rédaction de l'Épître sur la jonction était concomitante de celle du chapitre sur la faculté rationnelle.

17 Ibid., p. 114. En ce qui concerne l'Éthique à Nicomaque, le chapitre ayant inspiré Avempace est le Livre X abordant la question du plaisir et qui, dans l'une des versions utilisées par les philosophes arabes, a été décalé d'un livre en raison de l'insertion d'un livre entre le VI et le VII. Voir sur ce point Akasoy, A. et Fidora, A. (éd.), The Arabic Version of The Nicomachean Ethics (Leiden-Boston, 2005), p. 55Google Scholar. Quant aux textes d'al-Fārābī, la Lettre d'adieu (p. 131) mentionne l'Épître sur l'intellect et montre que c'est principalement ce texte qui a inspiré Avempace.

18 Alfarabi, , Risalat fi'l-ʿaql, texte édité par Bouyges, M. (Beyrouth, 1938), p. 16Google Scholar.

19 Ibn Bāǧǧa, Épître sur la jonction de l'intellect avec l'homme, pp. 170–1. Pour une analyse détaillée de ces points, voir Altmann, A., “Ibn Bājja on man's ultimate felicity”, dans Harry Austryn Wolfson Jubilee Volume, English section, volume I (Jerusalem, 1965), pp. 4787Google Scholar. Pour une comparaison de la pensée d'Avempace avec celle d'al-Fārābī, voir Pinès, S., “The limitation of human knowledge”, dans Twersky, I. (éd.), Studies in Medieval Jewish History and Literature (Cambridge, 1979), pp. 86–8Google Scholar notamment.

20 Ces lignes sont en contradiction avec le dernier fragment des Épîtres éditées par J-E. El-Alaoui, p. 199.

21 Ibn Bāǧǧa, Épître sur la jonction, pp. 168–9.

22 Dans la mesure où nous avons déjà répondu à ces questions dans un travail précédent, nous nous permettons d'y renvoyer (voir Abbès, “Gouvernement de soi et des autres chez Avempace”), tout en précisant que nous apportons ici des éléments nouveaux liés à l'analyse de la notion de “prudence”, afin d'étayer davantage notre interprétation de la philosophie politique d'Avempace.

23 Al-Fārābī, , Fuṣūl muntazaʿa, édité par al-Najjar, F-M. (Beyrouth, 1993), pp. 54–5Google Scholar. Pour la traduction française, voir Al-Fārābī, Aphorismes choisis, traduction, introduction et lexique par S. Mestiri et G. Dye. Commentaire par G. Dye (Paris, 2003), § 38, pp. 73–4.

24 Ibid., § 42, p. 76.

25 Al-Fārābī, , Kitāb al-Ḥurūf, édité par Mahdi, M., 3e éd. (Beyrouth, 2004), § 112, p. 133Google Scholar.

26 Al-Fārābī, , Kitāb al-Milla, édité par Mahdi, M. (Beyrouth, 1991), pp. 58–9Google Scholar. Pour la traduction française, nous renvoyons à De la religion, dans Farabi, Deux traités philosophiques, introduction, traduction et notes par D. Mallet (Damas, 1989), § 14 d, pp. 135–6.

27 Al-Fārābī, Aphorismes choisis, §39, p. 74.

28 Ibid., § 51, p. 79 et § 85, p. 111.

29 Ibid., §58, p. 84. Voir aussi, De la religion, § 14 d, pp. 135–6.

30 Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 13, 1144a 25. Nous citons la traduction de J. Tricot (Paris, 2007). Voir aussi Aubenque, P., La Prudence chez Aristote (Paris, 2009)Google Scholar, appendice III, “La prudence chez Kant”, notamment p. 195.

31 Al-Fārābī, Aphorismes choisis, §52 et §53, pp. 79–80. Voir aussi le § 37, pp. 71–3 à propos de cet usage de ḥikma appliqué aux arts pratiques lequel doit rester, pour al-Fārābī, purement métaphorique.

32 La prudence (al-taʿaqqul) est mentionnée trois fois dans les écrits d'Avempace, dans le Gouvernement du solitaire, p. 57 et p. 64 ainsi que dans la Lettre d'adieu, p. 137. Notons que dans les trois occurrences, Avempace précise qu'il s'agit de “l'intellect mentionné par Aristote dans le Livre VI de l'Éthique à Nicomaque”.

33 Une différence subsiste toutefois dans le fait qu'Avempace regroupe, comme Aristote, les sciences pratiques et théorétiques sous la dénomination des excellences dianoétiques (al-kamālāt al-fikriyya), alors qu'al-Fārābī désigne par “les excellences dianoétiques” les sciences visant la pratique et le bonheur terrestre. La sagesse qui vise le bonheur céleste et suprême constitue à elle seule une catégorie qu'il nomme “excellences théorétiques” (kamālāt naẓariyya). Voir Kitāb Taḥṣīl al-saʿāda, dans Al-Fārābī, , al-Aʿmāl al-falsafiyya, tome 1, édité par Al-Yasin, J. (Beyrouth, 1992)Google Scholar, §1, p. 119.

34 Voir le Gouvernement du solitaire, p. 76, et la Lettre d'adieu, p. 136. La même idée est exprimée dans al-Qawl fī al-quwwa al-nāṭiqa, dans Les Cahiers du groupe de recherche sur la philosophie islamique II, sous la direction de M. M. Alozade (Fes, 1999), p. 226.

35 Ibid., p. 137.

36 Ibid., p. 57.

37 Ibid., p. 56.

38 Ibid., p. 57.

39 Citons à titre d'exemple Tanbīh al-mulūk wa-al-makāʾid (De l'avertissement des rois et des ruses), attribué à al-Ǧāḥiẓ (Beyrouth, 2007), pp. 132–3, consacrées à la ruse mise en œuvre par Muʿāwiya et ʿAmr ibn al-ʿĀṣ contre ʿAlī.

40 Voir par exemple Ibn Ruḍwān al-Māliqī, al-Šuhub al-lāmiʿa fī al-siyāsa al-nāfiʿa (le Livre des étoiles brillantes en matière de politique profitable) (Beyrouth, 2004), p. 170. Sur l'identification de la ruse à la prudence analysée par les philosophes, voir p. 166.

41 Alfarabi, Risalat fi'l-ʿaql, pp. 4–7.

42 Al-Murādī, , Kitāb al-Siyāsa (De la politique) (Casablanca, 1981), p. 133Google Scholar.

43 Ibid., pp. 141–2.

44 Voir l'écho de ces débats dans Ibn Abī al-Ḥadīd, Šarḥ Nahǧ al-balāġa (Beyrouth, 1998), tome 10, pp. 133–5.

45 Nous écartons l'idée d'une adhésion d'Avempace au Shiisme avancée par Zyadè, M. dans son édition de Tadbīr al-mutawaḥḥid (Beyrouth, 1978), p. 65Google Scholar, note 8. La défense de ʿAlī relève chez Avempace, non pas d'une conviction idéologique comme nous pouvons le lire dans la littérature apologétique, mais d'une stricte réflexion morale et politique sur le bon gouvernement de soi et des autres.

46 Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 13, 1144a 25.

47 Druart, “La fin humaine selon Ibn Bājjah”, p. 61. Pour le texte arabe, voir Sur la fin humaine, p. 102.

48 Ibid., p. 62. Traduction modifiée. Voir p. 102 pour le texte arabe.

49 Avempace évoque ce texte dans le Gouvernement du solitaire en affirmant qu'al-Ġazālī parle du plaisir de la contemplation du monde divin en le comparant à la contemplation des grandes cités. Or, cette comparaison n'existe nullement dans al-Munqiḏ min al-ḍalāl (la Délivrance de l'égarement). Il s'agirait donc d'une confusion chez Avempace entre al-Ġazālī et un autre mystique.

50 Le Gouvernement du solitaire, pp. 55–6.

51 Ṭufayl, Ibn, Ḥayy ibn Yaqẓān, texte édité par Nader, A-N. (Beyrouth, 1986), p. 19Google Scholar.

52 Ibid., p. 24.

53 Cette critique d'al-Ġazālī par Avempace est remise en cause dans certains textes faisant partie des fragments classés par J-E. El-Alaoui parmi les textes apocryphes. Voir Rasāʾil falsafiyya li-Abī Bakr Ibn Bāǧǧa, p. 159. En tentant de réhabiliter al-Ġazālī et les mystiques, l'auteur de ce texte explique que la jonction pourrait se faire sur le mode propre aux prophètes et aux saints et que cette méthode est même supérieure à la méthode scientifique. Puis il recommande au destinataire de l'épître d'unir sa perfection scientifique à la méthode mystico-religieuse afin d'atteindre le bonheur ultime. L'auteur rejoint par là la voie d'Ibn Ṭufayl, et nous nous trouvons placé face à une alternative dont les termes sont inconciliables: ou bien Ibn Ṭufayl n'était pas au courant de cette évolution tardive d'Avempace (si évolution il y a) et de l'existence de ces textes qui s'orientent vers une intégration de la voie mystique mêlant péripatétisme et ġazālisme, ou bien le fragment est faussement attribué à Avempace.

54 Voir le travail Leaman, d'O., “Ibn Bājja on society and philosophy”, Der Islam, 57 (1980): 109–19Google Scholar.

55 Ibn ʿAṭāʾallāh al-Sakandarī, , Al-Tanwīr fī isqāṭ al-tadbīr (Le Caire, 1882), p. 8Google Scholar.

56 Ibid., p. 11.

57 Ibid., p. 10. Vu la polysémie du mot tadbīr et le contexte dans lequel il intervient, la première partie de la phrase (al-tadbīr fī isqāṭ al-tadbīr) pourrait également avoir le sens suivant: “S'il faut choisir, choisissons alors de ne pas choisir”.

58 Le Gouvernement du solitaire, p. 43. Notons, par ailleurs, que malgré les divergences au niveau de la conception de la rationalité pratique, Avempace rejoint sur ce plan la pensée des auteurs des Miroirs quant à l'adhésion totale à cette philosophie de l'action qui fait défaut dans certains traités mystiques. Voir la défense théologique du tadbīr dans al-Murādī, De la politique, p. 135.

59 Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 5, 1140 a 25.

60 Voir le Gouvernement du solitaire, p. 47, Sur la fin humaine, pp. 101–2, la Lettre d'adieu, pp. 126–7. La version arabe de l'Éthique à Nicomaque publiée par A. Akasoy et A. Fidora, p. 159, donne l'expression d'al-tamyīz al-ṣawāb qui n'est pas employée par Avempace, mais le mot tamyīz est très proche de raʾy ou de fikra, de même qu'il existe une parenté chez Aristote entre “règle droite” et “opinion droite”. Voir P. Ricœur, “A la gloire de la phronèsis”, dans La Vérité pratique. Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre VI, textes réunis par J-Y. Chateau (Paris, 1997), p. 18. Voir aussi Morel, P-M., Aristote (Paris, 2003), p. 206Google Scholar où il propose “norme rationnelle droite”, en plus de “règle droite” pour traduire “orthos logos”. J. Tricot, quant à lui, propose parfois “maxime générale de conduite” qui correspond parfaitement au concept de tadbīr et précise que l'orthos logos traduit l'idée que la pensée détermine la fin à atteindre. Voir l'Éthique à Nicomaque, note 3, p. 298. Bien qu'Avempace s'appuie fréquemment sur la République, nous excluons que la notion d'“opinion droite” soit de provenance platonicienne puisque, chez Platon, l'orthè doxa s'oppose à la vraie sagesse et renvoie au savoir détenu par le peuple, alors que chez Avempace elle caractérise le mutawaḥḥid. Voir par exemple la République, VI, 500d. La notion est surtout présente dans le Ménon, 96d1–98c4, mais Avempace ne cite pas ce texte.

61 Dans le Gouvernement du solitaire, le chapitre II, “Des actions humaines”, pp. 45–7, est entièrement consacré à ce point.

62 Ibid., p. 47. L'accord entre le désir et la pensée qui est au fondement de la vertu de prudence est souligné par Avempace à plusieurs reprises. Voir par exemple la Lettre d'adieu, pp. 126–7.

63 Ibid., p. 58.

64 Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 7, 1141b2.

65 Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 5, 1140 b 5. Nous soulignons.

66 Le Gouvernement du solitaire, pp. 56–7.

67 Pinès, S., “La philosophie dans l'économie du genre humain selon Averroès: une réponse à al-Fārābī?”, dans Multiple Averroès (Paris, 1978), p. 194Google Scholar.

68 Ce sont souvent ces termes qui sont utilisés pour traduire le titre de cette œuvre, le Régime du solitaire ou le Gouvernement du solitaire, ou encore l'“isolé”, comme le propose Ch. Genequand dans “Loi morale, loi politique: al-Fārābī et Ibn Bāǧǧa”, Mélanges de l'Université Saint-Joseph, LXI (2008), pp. 491–514. Ce dernier affirme à juste titre que “l'isolé n'est pas physiquement isolé, un solitaire, mais seul de son espèce”, p. 506, mais le fait de choisir une forme grammaticale passive en français (l'isolé) pour rendre le participe actif en arabe (mutawaḥḥid) ne rend pas cette nuance que l'auteur cherche à souligner.

69 Le Gouvernement du solitaire, p. 43.

70 Ibid., p. 55.

71 Ibid., p. 126.

72 Abū al-ʿAlāʾ al-Maʿarrī, , al-Luzūmiyyāt (Beyrouth, 1986), p. 39Google Scholar.

73 Ces deux sens du mot tawaḥḥud sont mentionnés par M. Fakhri dans son introduction aux Rasāʾil, p. 29 et p. 31. Nous le suivons donc dans cette interprétation tout en l'approfondissant et en apportant les arguments qui la défendent.

74 Ibid., p. 171. Dans The Arabic Version of The Nicomachean Ethics p. 37, A. Akasoy et A. Fidora proposent Hermias plutôt qu'Hermès qui ne figure pas dans l'Éthique à Nicomaque, mais qu'Avempace cite, en s'appuyant sur le texte d'Aristote, comme un modèle de l'homme ayant atteint les rivages du divin.

75 Ibid., p. 170. Les analyses d'Avempace embrassent d'autres éléments notamment la discussion de la question de la métempsycose et celle de la théorie platonicienne des Idées. Vu les limites de ce travail, nous aborderons ces points dans une autre étude.

76 Ibid., p. 171.

77 Ibid., p. 166.

78 Il est certes possible de proposer d'autres traductions comme le Gouvernement de l'homme unique en son genre, qui rend bien la richesse de la notion de tawaḥḥud.

79 El-Alaoui, Rasāʾil falsafiyya li-Abī Bakr Ibn Bāǧǧa, p. 199. Ce texte contredit les passages cités plus haut sur la destruction de l'âme et du corps de ceux qui n'atteignent pas le troisième stade d'intellection, c'est-à-dire la jonction avec l'intellect actif.

80 Voir, à propos de la critique de l'art, les remarques d'Avempace sur les raffinés dans le Gouvernement du solitaire, p. 64. Quant à la critique du pouvoir, elle se trouve surtout dans Sur la fin humaine, pp. 102–3. Avempace rejoint par là le travail d'al-Fārābī qui, dans la Philosophie de Platon, passe en revue toutes les activités humaines et toutes les disciplines pour montrer que seule la philosophie mène au vrai bonheur. Voir Falsafat Aflāṭūn, dans Badawi, A., Aflāṭūn fī al-islām, 3e éd. (Beyrouth, 1982), pp. 533Google Scholar.

81 Aristote, Éthique à Nicomaque, X, 7–8.

* Je remercie vivement A. Hasnaoui et A. Elamrani-Jamal de m'avoir donné la possibilité de développer les idées contenues dans cet article en m'invitant dans le cadre de deux journées d'études consacrées à Ibn Bāǧǧa qu'ils ont organisées en 2008 et 2009. Je remercie également les deux rapporteurs dont les remarques m'ont été utiles pour préciser certains points dans ce travail.