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De la fragilité des systèmes politiques

Published online by Cambridge University Press:  28 July 2009

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Quiconque s'est occupé du problème des révolutions n'a pas manqué de se heurter à celui, combien irritant, de la définition. Le mot de révolution s'est chargé, au cours des siècles, de tant de résonances puisées à la réalité ou aux aspirations, que le même mot peut recouvrir des champs scientifiques — sans parler des champs idéologiques — les plus divers (1). II semble, pourtant, qu'on ne puisse pas éviter d'inclure dans son acception une référence au pouvoir et 'entendrai done par révolution toute prise illègale du pouvoir. La définition retenue est suffisamment large pour designer des faits aussi variés qu'une révolution de palais, un coup d'État militaire latinoaméricain ou les révolutions anglaise et francaise. Je maintiens qu'une définition aussi large est nécessaire, si l'on veut éviter le risque de manquer des phénomènes essentiels à la compréhension des sociétés. La littérature sociologique sur les révolutions — combien pauvre et limitée — manifeste le mépris le plus définitif pour les coups d'État militaires. Ce qui ne laisse pas de m'étonner. Car de quel droit décidet-on du degré d'intérêt scientifique d'un probléme? Si un coup d'État peut être de peu d'enseignement, leur retour périodique est, par contre, l'indicateur le plus important de l'état d'une sociét. De plus, une définition plus étroite que la mienne repose sur une décision arbitraire, qu'une autre décision tout aussi arbitraire peut venir contredire.

Type
Permanent non-Revolution
Copyright
Copyright © Archives Européenes de Sociology 1971

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References

(1) Nous devons à P. Calvert une fort opportune mise au point sémantique et historique du concept. II ne fait qu'abonder dans mon sens, en considérant que le mot a des implications fonciérement politiques et doit être réservé à un usage politique. Calvert, Voir Peter, Revolution (London, Pall Mall, 1970)CrossRefGoogle Scholar.

(2) Dahrendorf, Ralf, Über einige Probleme der soziologischen Theorie der Revolution, Archives européennes de sociologie, II (1961), 153162CrossRefGoogle Scholar.

(3) J'y vois, pour ma part, le point de départ d'une analyse sociologique de la folie, de la maladie, du crime et du suicide, du moins de certaines de leurs formes.

(4) Pour un exposé un peu fouillé de ces variables, je me permets de renvoyer au chapitre IV de mon livre, Les phénomènes révolutionnaires (Paris, P.U.F., 1970)Google Scholar.

(5) Albert Soboul réussit l'exploit d'écrire un livre de 635 pages sur la crise de l'Ancien Régime sans consacrer une ligne au systéme politique! (Soboul, Albert, La civilisation et la Révolution francaise (Paris, Arthaud, 1970)Google Scholar, I: La crise de l'Ancien Régime). Ceera, espérons-le, pour le deuxiéme volume.

(6) L'auteur est revenu à plusieurs re-prises sur ce théme: Davies, James C., Toward a Theory of Revolution, American Sociological Review, XXVII (1962), 519CrossRefGoogle Scholar; Human Nature in Politics (New York, Wiley, 1963)Google Scholar; The J-Curve of Rising and Declining Satisfaction as a Cause of Some Great Revolutions and a Contained Rebellion, in Violence in America. The complete official Report to the National Commission on the Causes and Prevention of Violence, June 1969, pp. 671–709.

(7) On peut, en passant, en déduire un point de doctrine. Contrairement à la conscience commune — surtout par les temps qui courent — les systèmes stables ne sont pas ceux qui ne connaissent ni conflits ni crises, mais ceux qui leur permettent de se développer jusqu'á leur conclusion (qui peut être une mutation profonde), sans qu'une rupture intervienne dans le système politique.

(8) Le systéme politique suisse répond exacteraent à ces deux conditions. Signalons une excellente étude toute récente sur la nonviolence politique suisse: Steiner, Jürg, Gewaltlose Politik und kulturelle Vielfalt. Hypothesen entiwickelt am Beispiel der Schweiz (Bern/Stuttgart, P. Haupt, 1970)Google Scholar.

(9) L'hypothése peut prendre de la consistance dans certaines communautés fermées et marginales. Ainsi la Frise a connu pendant des siècles un systéme stable fondé sur une démocratic de petits paysans, jaloux de leur indépendance et de leurs libertés. Pour des raisons qui tiennent pro-bablement à leur éloignement par rapport aux foyers actifs de la civilisation médiévale, les Frisons ont pu construire une société correspondant à la volonté générale d'un monde paysan: une pluralité de petites entreprises familiales, une sorte d'aurea mediocritas autarcique.

(10) J'ai déjà signalé le partage de l'empire inca entre Huascar et Atahualpa. Le partage qu'imposa Louis le Pieux entre Lothaire, Louis le Germanique et Charles le Chauve entraîna une suite de guerres qui affaiblit l'empire carolingien au point qu'un conquérant plus décidé que le Sarrasin, le Normand ou le Hongrois, aurait eu peu de mal à s'en emparer.

(11) Himmler aimait à envoyer, sans explication, des hommes passer quelques mois en camp de concentration, puis à les nommer, toujours sans explication, à un poste important. Des généraux soviétiques se sont retrouvés, sans transition, d'un camp à la tête d'une armée sur le front.

(12) C'est pourquoi il faut s'élever contre la confusion fréquente entre libéralisme et faiblesse. Le libéralisme dit qu'on ne peut être puni qu'en application d'une loi existante, à l'instauration de laquelle on a participé directement ou indirectement. Un point c'est tout: la sévérité des sanctions n'est pas un point de doctrine, mais dépend de l'état des moeurs. Si un dirigeant ne fait pas tout pour éliminer ceux qui refusent les règles du jeu, en usant de la ruse et de la violence, il est soit mou, soit complice, il n'est pas libéral.

(13) C'est pourquoi un régime monopo-liste ne peut devenir pluraliste sans risquer de périr. Quant au régime terroriste, il est condamné à perpétuer le terrorisme. Or, ainsi que je viens de le montrer, tant que l'usage de la violence reste proportionné aux attaques, le pouvoir est stable. II s'ensuit que la proposition la plus générale quel'on puisse établir sur l'éiologie des révolutions, est la proposition de Pareto: une révolution sur-vient quand l'élite dirigeante se refuse à faire usage de la force dont elle a le mono-pole.

(14) Si l'on voulait faire une étude des origines du système suisse, il serait difficile de décider si l'horreur de la guerre civile est cause ou effet de la neutralité. Le fait est que la guerre du Sonderbund (1847) n'a cessé de hanter la conscience politique, de même que la révolution de 1640 a déterminé chez les Anglais une répulsion apparemment définitive pour la guerre civile. Les Francais n'en ont pas connu de sérieuse: c'est proba-blement une des raisons pour lesquelles ils jouent si allégrement et si souvent à la révolution.

(15) Jürg Steiner (op. cit.) a bien saisi cette dialectique de l'intérieur et de l'exte-rieur pour expliquer le système suisse. Ainsi, p. 297:≪Wenn in der eidgenössischen Geschichte gewaltsame Konflikte aus- brachen, bestand immer die Gefahr, daß die europäischen Großmächte eingriffen. Der Grund lag einerseits in der strategisch interessanten Position der Schweiz, ander-seits in der Tatsache, daß die inner-schweizerischen Konflikte häufig den Kon-flikten im internationalen System entspra-chen. Das Eingreifen der Großmächte schloss immer das Risiko in sich, daß die Schweiz als politisches System auseinander-brechen würde. Um eine solche ≫Bestra-fung≪ zu vermeiden, bildete sich immer stärker die soziale Norm heraus, daß im Interesse des Fortbestehens der Schweiz interne Konflikte friedlich zu lösen seien≫. L'on comprend le caractére aigu du probléme des résidents étrangers: ce n'est pas par égoïsme, mais par la conscience qu'il y va de l'avenir même du système suisse, que des citoyens s'inquietent de la proportion qu'ils représentent (10%).

(16) Cf. Oppenheim, Léo, La Méopotamie. Portrait d'une civilisation (Paris, Gallimard, 1970), pp. 178179Google Scholar.

(17) Cf. Coles, Paul, La lutte contre les Turcs (Paris, Flammarion, 1969)Google Scholar.

(18) Je suis les distinctions, qui me paraissent utiles, établies par Passerin, Alexandre D'ENTRÈVES dans La notion de l'État (Paris, Sirey, 1969)Google Scholar. II désigne par puissance la capacité brute d'imposer sa volonté; par pouvoir, une capacité qualifiée par la loi; par autorité, la capacité légitimée par l'obéissance des gouvernés.

(19) Je ne suis pas sur qu'il faille attacher une grande importance à l'investiture divine: cela importe beaucoup à l'institution royale, mais pas au titulaire. II est toujours possible et facile de justifier une usurpation par l'indignité du prédécesseur.