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Causa Prima et esse dans le Liber de causis selon Thomas d'Aquin et Siger de Brabant*

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

David Piché
Affiliation:
Université Laval

Abstract

After a presentation of the main onto-theological theses contained in the Liber de causis, the author explains how they were received and interpreted by Thomas Aquinas and Siger of Brabant in their respective commentaries on the short treatise “de primis causis rerum.” Starting from a mistranslation of the word “yliathim,” Thomas “injects” into the De causis his own doctrine of the distinction between being and essence. As for Siger, while he is often regarded as an adversary of Thomas Aquinas, his ideas about the ontological difference between the Prime Cause and the created beings are on the very lines of the Thomasian lecture of the Liber de causis.

Type
Articles
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 1999

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References

Notes

1 La fine pointe des études concernant le Liber de causis se trouve actuellement dans l'incontournable ouvrage de Costa, C. D'Ancona, Recherches sur le Liber de causis, Paris, Vrin (Études de philosophie médiévale, vol. 72), 1995Google Scholar. Pour une très éclairante synopsis sur le De causis, cf. Solère, J.-L., «Livre des causes (Liber de causis)», dans Encyclopédic philosophique universelle, t. 3, 1, Paris, PUF, 1992, p. 676682Google Scholar; voir aussi de Libera, A., La philosophie médiévale, Paris, PUF (Premier cycle), 1993, p. 7681Google Scholar. Le texte latin du De causis a été édité par Pattin, A., «Le Liber de Causis. Édition établie à l'aide de 90 manuscrits avec introduction et notes», dans Tijdschrift voor Filosofie, vol. 28 (1966), p. 90203.Google Scholar

2 Rappelons que le Liber de causis est, essentiellement, un remaniement réfléchi de certaines propositions des Éléments de théologie de Proclus infléchies dans le sens d'un monothéisme créationniste et modifiées en fonction d'une simplification dans la constitution de la hiérarchie suprasensible : sur ce dernier point, le Liber de causis effectue un «retour a Plotin» en ne conservant que trois hypostases suprasensibles, à savoir l'Un, l'lntelligence et l'Âme. On trouve le texte des Éléments de théologie en français, introduit et annoté dans Trouillard, J., Proclos. Éléments de théologie, Paris, Aubier-Montaigne, 1965.Google Scholar

3 Il importe de mentionner que le De causis ne détient aucunement le monopole de ce geste philosophique fondamental: Porphyre, le pseudo-Denys ainsi que le traducteur-adaptateur qui a produit le complexe textuel que forment les Plotiniana arabica, pour ne mentionner que ceux-ci, s'entendent également pour dire que le Premier Principe est «être», bien que chacun d'eux offre une interprétation propre et particulière de l'«étantité» du Premier Principe. De plus, il semblerait très probable que le Liber de causis ait subi l'influence des Plotiniana arabica sur ce point, et l'hypothèse voulant que l'auteur de ces derniers se soit inspiré du corpus «dyonisien» n'est pas dénuée de fondement. Sur cette doctrine de l'identite entre la Cause Première et l'être dans le De causis et ses sources, cf. C. D'Ancona Costa,Recherches, p. 17–18; 35; 39–40, n. 68; 43–46; 52; 54; 63–66; 72; 78; 81–83; 97–99; 107–109; 113–119; 121–153; 236; 238 et 247. Sur Porphyre, cf. Hadot, P., Porphyre et Victorinus, t. 1, Paris, Études Augustiniennes, 1968 (spécialement p. 147297; 408–418 et 488–493)Google Scholar; voir aussi Hadot, P., «Dieu comme acte d'être dans le néoplatonisme», dans Dieu et l'être. Exégèses d'Exode 3,14 et de Coran 20,11–24, Paris, Études augustiniennes, 1978, p. 67–63Google Scholar, ainsi que P. Hadot, «L'être et l'etant dans le néoplatonisme », dans Études néoplatoniciennes, Neuchâtel, La Baconnière, 1973, p. 27–41. Pour le status quaestionis concernant les Plotiniana arabica, cf. Aouad, M., «La Theologie d'Aristote et autres textes du Plotinus Arabus», dans Dictionnaire desphilosophes antiques, t. 1, sous la dir. de R. Goulet, Paris, Éditions du CNRS, 1989, p. 541590.Google Scholar

4 Tout au long de cette étude, nous utiliserons le texte latin et la traduction française qui se trouvent dans Magnard, P., Boulnois, O., Pinchard, B., Solère, J.-L., La demeure de l'≖ctre. Autour d'un anonyme. Étude et traduction du Liber de Causis, Paris, Vrin (Philologie et Mercure), 1990Google Scholar. Nos références au texte du Liber de causis (= Ldc) se lisent comme suit: le premier chiffre renvoie au numéro de la proposition (=prop.) selon le découpage (arabe) du texte en 31 propositions; le second chiffre, s'il est present, situe entre crochets droits, renvoie au numéro de la proposition selon le découpage (latin) du texte en 32 propositions — en effet, dans la version latine du Livre des causes, la quatrième proposition se scinde en deux, donnant ainsi naissance à une cinquième proposition, ce qui veut dire que, dans le texte latin, toutes les propositions subséquentes à la quatrième sont décalées d'un numéro par rapport à l'original arabe; finalement, le ou les dernier(s) chiffre(s), placé(s) après la virgule, indique(nt) le ou les numéro(s) des paragraphes en lesquels se divise chacune des propositions du texte établi dans l'ouvrage ci-haut mentionné à cette note.

5 Cf. Ldc, prop. 2,20 et 4, 40.

6 Ce mot résulte de la «translittération» en latin du terme arabe «hilya» qui signifie «forme» ou «détermination formelle». Cf. C. D'Ancona Costa, Recherches, p. 107, n. 35.

7 Cf. Ldc, prop. 8[9], 90.

8 Cf. Ldc, prop. 15[16], 132. C'est bien parce qu'il est leseul être capable de créer et libre de toute limitation ontique que le Premier est dit, dans un autre passage du Liber de causis, être au-dessus de l'être achevé (primum est supra completum : Ldc, prop. 21[22], 168).

9 Cf. Ldc, prop. 17[18], 148 et 19[20], 158. Conformément à un autre passage du Liber de causis, on doit dire que l'Être Premier est non seulement cause du fait que les choses sempiternelles et corruptibles soient, mais également cause de leur persistance dans l'être (ens purum est causa durabilitatis et causa rerum sempiternarum omnium et destructibilium : Ldc, prop. 31[32], 216).

10 Cf. Ldc, prop. 5[6], 57–63 et 21 [22], 166.

11 Par conséquent, nous ne chercherons pas à mettre au jour le sens exact que l'auteur du De causis a accordé à sa doctrine de la Cause Première comme être — ce qui exigerait la lecture et l'analyse de l'original arabe ainsi qu'une comparaison de ce dernier avec sa version latine — mais plutôt la façon dont cette doctrine a été comprise, interprétée et «retraduite» par ces deux importants philosophes du xIIIe siecle que furent Thomas d'Aquin et Siger de Brabant.

12 Notre étude s'appuie sur l'édition critique suivante : Sancti Thomae de Aquino super librum de causis expositio, Saffrey, H. D., éd., Fribourg-Louvain, Société philosophique-Nauwelaerts (Textus Philosophici Friburgenses, vol. 4/5), 1954Google Scholar. Pour l'analyse des problèmes d'histoire littéraire soulevés par ce texte, cf. H. D. Saffrey, «Introduction», dans ibid., p. XXXH-XXXIX. Pour un survol des positions prises par l'Aquinate vis-à-vis des principales doctrines du De causis, cf. Elders, L., «Saint Thomas d'Aquin et la métaphysique du Liber de causis», Revue thomiste, vol. 89, no3 (juillet-septembre 1989), p. 427442Google Scholar. Pour une analyse pénétrante de l'attitude exégétique manifestée par Thomas d'Aquin dans son Expositio super Librum de causis, cf. C. D'Ancona Costa, «Saint Thomas lecteur du Liber de Causis. Bilan des recherches contemporaines concernant le De causis et analyse de l'interprétation thomiste», dans Recherches, p. 229–258.

13 Pour une étude comparative des exégèses respectives de Thomas d'Aquin et d'Albert le Grand sur le De causis, cf. de Libera, A., «Albert le Grand et Thomas d'Aquin interprètes du Liber de causis», Revue des sciences philosophiques et théologiques, vol. 74 (1990), p. 347378Google Scholar. Sur la place et le rôle du De causis dans le corpus de la science métaphysique selon les maicirc;tres de la Faculté des arts de l'Université de Paris dans les années 1230–1250 et selon Albert le Grand, cf. A. de Libera, «Structure du corpus scolaire de la métaphysique dans la première moitié duXIIIe siècle», dans L'enseignement de laphilosophie au XIIIe siècle. Autour du «Guide de l'étudiant» du ms. Ripoll 109, Actes du colloque international édités, avec un complément d'études et de textes, par C. Lafieur, avec la collaboration de J. Carrier, Turnhout, Brepols, 1997, p. 61–88 (spécialement p. 73–88).

14 Cf. Thomas d'Aquin, dans Ldc, prop.4a, p. 28, lig. 4–16; prop. 16a, p. 95, lig. 1–6etprop. 18a, p. 103, lig. 16–20. Comme nous le faisait remarquerun des deux évaluateurs anonymes du présent article, il importe de préciser que, selon Denys tel que l'expose Thomas d'Aquin, s'il est vrai de dire que Dieu est l'être de maniere sur-éminente, le nom d'étant (nomen entis) se dit toutefois de Dieu en tant qu'il désigne l'être qui precède de Dieu vers les créatures : «[… .]nomen entis, de Deo dictum, manifestat processionem essendi a Deo in creaturas[…]». Cf. S., Thomae Aquinatis in librum de divinis nominibus expositio, Pera, C., éd., Turin, Marietti, 1950, C. V, lig. 1, p. 233 (618).Google Scholar

15 Sur la notion de participation dans l'ontologie thomasienne, cf. Ho, J. Chiu Yuen, «La doctrine de la participation dans le commentaire de saint Thomas d'Aquin sur le Liber de causis», Revue philosophique de Louvain, vol. 70 (1972), p. 360383Google Scholar; Fabro, C., Participation et causalité selon S. Thomas d'Aquin, Louvain, Publications universitaires, 1961Google Scholar; Geiger, L. B., La participation dans la philosophie de S. Thomas d'Aquin, 2e édition, Paris, Vrin (Bibliothèque thomiste, vol. 23), 1953Google Scholar. Au sujet de l'ontologie thomasienne dans son ensemble, sans aucune exhaustivité et de façon très sélective, nous renvoyons aux ouvrages suivants : Gilson, É., L'être et l'essence, 2e édition, Paris, Vrin (Bibliothèque des textes philosophiques), 1987Google Scholar; l'exposé portant spécifiquement sur la philosophie de l'être de Thomas d'Aquin se trouve aux pages 81–123; Gilson, É., Le thomisme. Introduction à la philosophie de saint Thomas d'Aquin, 6e édition, Paris, Vrin (études de philosophie médiévale, vol. 1), 1986Google Scholar; voir spécialement les chapitres 3 et 4 («L'être divin» et «La réforme thomiste»), p. 99–189; C. Michon, «Le traité L'Étant et l'Essence de Thomas d'Aquin», dans Thomas d'Aquin et Dietrich de Freiberg, L'Être et l'essence. Le vocabulaire médiéval de l'ontologie. Deux traités «De ente et essential de Thomas d'Aquin et Dietrich de Freiberg, présentés et traduits par de Libera, A. et Michon, C., Paris, Seuil (Points / Essais), 1996, p. 3769Google Scholar; M.-D. Roland-Gosselin, Le «De ente et essentia» de S. Thomas d'Aquin. Texte établi d'après les manuscripts parisiens. Introduction, notes et études historiques, Le Saulchoir, Revue des sciences philosophiques et théologiques (Bibliothèque thomiste, vol. 8), 1926, p. 185199.Google Scholar

16 Cf.Ldcprop. 8[9], 90–91.

17 Dans l'édition Saffrey : yliatim. Sur ce terme, cf. ci-dessus note 6; A. de Libera et C. Michon, «Glossaire des sources.….», dans Thomas d'Aquin et Dietrich de Freiberg, L'Être et l'essence, p. 33–34, et «Glossaire des textes», dans ibid., p. 250; Roland-Gosselin, Le « De ente et essential» de S. Thomas d'Aquin, p. 32, n. 2; 146–149 et 179–180.

18 Cf. ci-dessus p. 2, thèse 2.

19 Pour les développements qui précèdent, cf. Thomas d'Aquin, dans Ldc, prop. 9a, p. 64, lig. 4–23. Thomas n'est pas le seul commentateur du Liber de causis au XIIIe siècle, loin de là, à avoir compris le terme «yliathim» comme désignant un principe métaphysique qui correspond analogiquement à la matière : ainsi l'ont également compris, entre autres, Albert le Grand et Gilles de Rome. Cf. Alberti Magni De causis et processu universitatis a prima causa, Fauser, W., éd., dans Alberti Magni Opera omnia, t. 17, 2, Münster, Aschendorff, 1993, lib. 2, tract. 2, cap. 18, p. 110111Google Scholar (Qualiter intelligentia operans est ex hyliatin et forma). Gilles de Rome se meprend aussi au sujet de l'étymologie du terme «yliathim» et développe, sur la base de cette méprise, une doctrine ontologique semblable à celle de Thomas d'Aquin. Cf. Romanus, Aegidius, Super librum de causis, Venise, 1550 (reimpression : Francfort, Minerva GMBH, 1968), p. 35r.Google Scholar

20 Cf.Ldcprop. 17[18], 143.

21 Cf. Thomas d'Aquin, dans Ldc, prop. 18a, p. 102, lig. 4–11.

22 Cf. ibid., prop. 18a, p. 103, lig. 16–23.

23 À ce sujet, cf. C. D'Ancona Costa, «La doctrine de la création”mediante intelligentia” dans le Liber de Causis et dans ses sources», dans Recherches, p. 73–95.

24 Cf. Thomas d'Aquin, dans Ldc, prop. 18a, p. 104, lig. 1–14.

25 Cf. Ldc, prop. 21 [22], 166–167.

26 Pour un exposé de la doctrine thomasienne des universaux comme moment particulier s'inscrivant dans la longue durée historique de cette problématique, on ne saurait trop recommander la lecture de de Libera, A., La querelle des universaux. De Platon à la fin du Moyen Âge, Paris, Seuil, 1996 (p. 262283 concernant Thomas d'Aquin).Google Scholar

27 Pour tout ce qui précède, cf. Thomas d'Aquin, dans Ldc, prop. 22a, p. 115, lig. 16–30 et p. 116, lig. 1–8.

28 Cf. ibid, p. 116, lig. 23–28.

29 Concernant l'authenticité, la date de composition et les caractéristiques littéraires des Quaestiones super librum de causis de Siger de Brabant, cf. l'«Introduction» de Marlasca, A. dans Les Quaestiones super librum de causis de Siger de Brabant. Édition critique, Louvain-Paris, Publications universitaires-Nauwelaerts (Philosophes medievaux, t. 12), 1972, p. 1131Google Scholar. C'est à ce texte que nous renverrons dans la suite de notre étude. Voir aussi Steenberghen, F. V., Maître Siger de Brabant, Louvain-Paris, Publications universitaires-Vander-Oyez (Philosophes médiévaux, t. 21), 1977, p. 177221.Google Scholar

30 Cf. Marlasca, «Introduction», p. 12, 15, 18–22, 26 et 30; F. V. Steenberghen, Maître Siger de Brabant, p. 131–134, 174 et 377–383.

31 Cf. Siger de Brabant, Quaestiones super librum de causis (désormais = Q. super Ldc), quest. 20, p. 83–89 et quest. 36, p. 136–141.

32 Ce deuxième point sera amplement développé par la suite.

33 Cf. de Brabant, Siger, Quaestiones in Metaphysicam, Dunphy, W., éd., Louvainla-Neuve, Institut supérieur de philosophic (Philosophes médiévaux, t. 24), 1981, quest. 7, p. 4149Google Scholar; É. Gilson, L'être et l'essence, p. 73–80; Graiff, C. A., Siger de Brabant. Questions sur la Métaphysique, Louvain, Institut supérieur de philosophie (Philosophes médiévaux, t. 1), 1948, quest. 7, p. 1122Google Scholar; A. Marlasca, «Introduction», p. 21; Maurer, A., «Esse and Essentia in the Metaphysics of Siger of Brabant», Mediaeval Studies, vol. 8 (1946), p. 6886CrossRefGoogle Scholar; F. V. Steenberghen, Maître Siger de Brabant, p. 283–291.

34 Le «tournant» dans la vie intellectuelle de Siger s'est produit légèrement après l'année 1270, date à laquelle quelques-unes des positions doctrinales qu'il avait exposées dans ses écrits antérieurs ont été sévèrement condamnées par l'évêque de Paris, Étienne Tempier (cf. Chartularium Universitatis Parisiensis, Denifle, H. et Châtelain, É., éd., Paris, Delalain, 1889, t. 1, no 432, p. 486487)Google Scholar; de plus, une des thèses frappées d'interdit dans le syllabus parisien de 1270, l'unicité de l'intellect possible, a été solidement critiquée par Thomas d'Aquin dans son De unitate intellectus contra averroistas (cf. d'Aquin, Thomas, L'unité de l'intellect contre les Averroïstes, suivi des Textes contre Averroès antérieurs à 1270, texte latin, traduction, introduction, bibliographic, chronologie, notes et index par A. de Libera, Paris, GF-Flammarion [Bilingue], 1994)Google Scholar. Sous les pressions conjuguées de la censure ecclésiastique et de la critique philosophique, Siger a done été force de modifier son discours afin de le rendre plus clairement orthodoxe. Cf. A. Marlasca, «Introduction», p. 18–19.

35 Pour une présentation de l'ontologie de Siger couvrant l'ensemble de son œuvre, cf. F. V. Steenberghen, Maitre Siger de Brabant, p. 275è322.

36 Cf. Ldc, prop. 2,19–26. Nous tenons à préciser que notre présentation du commentaire de Siger au Liber de causis ne se déploiera pas suivant l'ordo quaestionum de cette œuvre, mais plutôt selon l'ordo rationum qui convient et s'accorde à la problématique onto-théologique que nous avons choisi d'explorer par la présente étude.

37 Une loi de détermination réciproque s'applique au couple être/essence comme elle s'applique, mutatis mutandis, au couple forme/matière : tout comme la forme détermine la matière en la faisant passer de la puissance à l'acte et que, réciproquement, la matière détermine la forme en la faisant passer de l'universalité à la singularité (la matière est principe d'individuation), de manière analogue l'être, qui apporte l'acte à l'essence ou qui, en quelque sorte, fait exister l'essence, se trouve réciproquement déterminé par l'essence qui le fait passer de l'«indifférenciation» à la diversification selon les genres et les espèces.

38 Pour tout ce qui précède, cf. Siger de Brabant, Q. super Ldc, Lemma, p. 55–56, lig. 84–93, quest. 9 et 9 bis; p. 58–60, quest. 19, p. 82–83.

39 Cf. Siger de Brabant, Q. super Ldc, Lemma et commentum, p. 71; quest. 17, p. 77–80.

40 Cf. Siger de Brabant, Q. super Ldc, quest. 57, p. 195–197.

41 Cf. Siger de Brabant, Q. super Ldc, quest. 53, lig. 20–21, p. 183. Siger n'opère pas explicitement de rapprochement étymologique entre les termes «yliathim» et «yle» (ou «hyle», calque de ὔλη), mais il semble bien, d'après le contexte, qu'il comprenne «yliathim» comme un terme analogiquement relié à la matière, à la puissance ou à un principe métaphysique de réceptivité passive. Voir aussi, dans le même sens, ibid., quest. 48, lig. 71–78, p. 171 (où le terme «yliathim» est relié à anatura recipiens»). Dans un autre passage, «yliathim» est plutot mis en relation avec la finitude de l'être et de la puissance (virtus) des substances immatérielles en tant que réalités causees : «Virtus autem cuiuslibet substantiae immaterialis causatae finita est, cum et esse cuiuslibet causati [in]finitum sit et causatum habens yliathim, ut dicitur in littera» (cf. ibid., quest. 36, lig. 40–42, p. 137). Comme le fait judicieusement remarquer F. V. Steenberghen, autant le sens de la phrase citee que celui du contexte général de la quaestio 36 exigent que soit retranchée la particule «in» du terme «infinitum» : il convient done de lire «finitum» au lieu de «infinitum». Cf. F. V. Steenberghen, Maître Siger de Brabant, p. 315, n. 67.

42 Cf. nos remarques ci-dessus, note 37. Pour les propos qui vont suivre, cf. Siger de Brabant, Q. super Ldc, quest. 53, lig. 22–62, p. 183–184.

43 Siger de Brabant, Q. super Ldc, quest. 34, lig. 58, p. 132.

44 Pour tout ce qui précède, cf. ibid., quest. 22, p. 91–94; quest. 32, p. 124–127; quest. 34, p. 130–133; quest. 36, p. 136–141; quest. 37–38, p. 145–148; quest. 48, p. 169–172.

45 Une question subsiste, dont la réponse peut pointer vers un écart de pensée entre le maître brabancon et l'Aquinate : l'être en tant qu'acte de l'essence estil un acte d'être radicalement distinct de l'essence?

46 Cf. C. D'Ancona Costa, Recherches, p. 67 et 241.

47 Cf. Thomas d'Aquin, dans Ldc, prop. 6a, lig. 3–18, p. 47.

48 Le 7 mars 1277, l'évêque de Paris, Étienne Tempier, a condamné, parmi les 219 propositions censurées que contient son «syllabus», la thèse suivante : «Quod substantie separate sum sua essentia, quia in eis idem est quo est et quod est» (article 79). Si, dans cette proposition, on prend les expressions «quo est» et «quod est» respectivement au sens d'être et d'essence, alors elle est absolument contraire à la pensée thomasienne, c'est évident, et elle est également démentie par Siger de Brabant dans ses Quaestiones super librum de causis. Le texte de la condamnation parisienne de 1277 sur lequel ont travaillé tous les médiévistes jusqu'à ce jour est édité dans le Chartularium Universitatis Parisiensis, Denifle, H. et Châtelain, É., éd., Paris, Delalain, 1889, t. 1, no 473, p. 543558Google Scholar. On trouvera une nouvelle édition de ce décret, accompagnée d'une traduction française, dans D. Piché, avec la collaboration de Lafleur, C., La condamnation parisienne de 1277. Nouvelle édition, traduction française et commentaire historico-philosophique, Paris, Vrin (Sic et Non), à paraîtreGoogle Scholar. Pour la compréhension de cet événement capital qu'est l'acte de censure parisien de 1277, cf. principalement, Bianchi, L., Il vescovo e I filosofi. La condanna parigina del 1277 e l'evoluzione dell'aristotelismo scolastico, Bergame, Pierluigi Lubrina (Quodlibet, vol. 6), 1990Google Scholar; de Libera, A., Penser au Moyen Age, Paris, Seuil (Chemins de pensée), 1991Google Scholar; Hissette, R., Enquête sur les 219 articles condamnés à Paris le 7 mars 1277, Louvain-la-Neuve, Publications universitaires (Philosophes médiévaux, t. 22), 1977.Google Scholar