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L'interculturalisme majoritariste et les femmes : une relation ambiguë

Published online by Cambridge University Press:  28 September 2023

Anne Iavarone-Turcotte*
Affiliation:
Chaire de recherche du Canada en éthique féministe, Centre de recherche en éthique, Université de Montréal, 2910, Boul. Édouard-Montpetit, 3ème étage, bureau 313, Montréal, QC H3T 1J7, Canada
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Résumé

Dans cet article, je propose une analyse critique de la réponse des trois principaux théoriciens de l'interculturalisme majoritariste – Gérard Bouchard, Jérôme Gosselin-Tapp et Michel Seymour – à la question des minorités internes. Cette question est de savoir comment protéger le droit des minorités religieuses de pratiquer leur religion (tel que créé ou facilité par le multiculturalisme ou l'interculturalisme) sans violer le droit des femmes en leur sein de mener une vie exempte d'oppression (tel que défendu par le féminisme). Je soutiens que la réponse de ces auteurs est ambiguë, en ce sens qu'elle embrasse simultanément deux postures – la fermeté et la flexibilité – qui, lorsque considérées ensemble, sont contradictoires et, lorsque considérées séparément, présentent des problèmes spécifiques. Si dans le cas particulier du foulard islamique, ces auteurs élargissent momentanément leur perspective, leurs arguments à ce chapitre commandent des nuances importantes pour le moment absentes de leur raisonnement.

Abstract

Abstract

In this article, I critically analyze the response offered by Gérard Bouchard, Jérôme Gosselin-Tapp and Michel Seymour – the three main theorists of “majoritarian interculturalism” – to the question of internal minorities. This question is how to protect religious minorities’ right to practice their religion (as created or facilitated by multiculturalism or interculturalism) without violating their female members’ right to lead a life free from oppression (as defended by feminism). I argue that these authors’ response is ambiguous, in that it simultaneously embraces two postures – firmness and flexibility – which, when taken together, are contradictory and, when taken separately, present specific problems. If, in the particular case of the Islamic headscarf, these authors momentarily broaden their perspective, their arguments in this regard call for important nuances that are currently absent from their reasoning.

Type
Étude originale/Research Article
Creative Commons
Creative Common License - CCCreative Common License - BY
This is an Open Access article, distributed under the terms of the Creative Commons Attribution licence (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted re-use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Copyright
Copyright © The Author(s), 2023. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Introduction

Depuis au moins la fin des années 1980 (Poulter, Reference Poulter1987), une question refait surface périodiquement dans les sociétés plurielles et pluralistes : comment protéger les minorités culturelles (et en particulier religieuses) comme groupes sans enfreindre les droits des personnes minorisées dans ces groupes (et en particulier des femmes)? C'est la question des minorités au sein des minorités (Eisenberg et Spinner-Halev, Reference Eisenberg2005) ou « minorités internes » (Green, Reference Green and Kymlicka1995). Elle se pose lorsque des groupes minoritaires demandent à l’État de reconnaître – ou même seulement de tolérer – des pratiques comportant un potentiel d'oppression sexisteFootnote 1 : coupure génitale féminine, polygamie, « défense culturelle » en droit criminel, foulard islamique (encore et toujours); la liste est longue et sans cesse renouvelée.

C'est au nom entre autres du multiculturalisme que les minorités en cause formulent leurs demandes. Un exemple suffira, trouvé dans le contexte canadien. Dès le début des années 1990 et jusqu'en 2003, la Canadian Society of Muslims a fait campagne auprès de l’État ontarien pour qu'il l'autorise à arbitrer des divorces en vertu du droit islamique. Cet organisme réclamait – dans ses mots – la « reconnaissance », l’« autonomie » et même la « souveraineté » de la minorité musulmane canadienne, et citait dans ses écrits le multiculturalisme comme l'un des fondements normatifs de sa demande (Ashe et Helie, Reference Ashe2014: 150–151). Conséquemment, dans cet exemple comme dans plusieurs autres cas perçus – à tort ou à raison – comme mettant à risque les droits des femmes, c'est la critique féministe de ce modèle qui, la première, a posé la question des minorités internes, et qui a ensuite porté ce dossier en priorité.Footnote 2

Placé.es sur la défensive, les multiculturalistes, mais aussi les pluralistes d'autres camps, se sont penché.es souvent et longuement sur cette question.Footnote 3 Étrangement, il en va autrement des interculturalistes, pourtant également visé.es par certaines formes de la critique (Bouchard, Reference Bouchard2012: 13, 113; Seymour & Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018: 242–244). Sur la question des femmes, les partisan.nes de ce modèle sont étonnamment silencieux.euses. À mon avis, ce silence peut s'expliquer d'au moins deux manières. D'abord, ces partisan.nes sont peu nombreux.euses. J'inclus dans cette catégorie tout.e « intellectuel.le » ayant produit une défense véritable de ce modèle, appuyée par des arguments normatifs nombreux. Le plus souvent, c'est dans la théorie – et en particulier dans la philosophie – que se retrouve ce type de plaidoyer. En ce sens, on peut dire – un peu différemment – que l'interculturalisme n'a été que peu théorisé. Mais l'exercice n'est certes pas réservé aux philosophes, et les arguments : pas tous philosophiques. On en a pour preuve plusieurs ouvrages de référence sur l'interculturalisme, produits respectivement par un sociologue et historien (Bouchard, Reference Bouchard2012), par un politologue (Zapata-Barrero, Reference Zapata-Barrero2019) et par un acteur de la société civile (Cantle, Reference Cantle2012). Quoi qu'il en soit, si la littérature scientifique sur l'interculturalisme foisonne d’écrits empiriques – donc plus descriptifs – sur l'interculturalisme comme objet politique, comme fait historique, comme discours (et j'en passe),Footnote 4 elle ne comporte que peu d’écrits se réclamant explicitement de ce modèle et cherchant tout aussi explicitement à en démontrer, dans le détail et dans la nuance, la valeur. Or, c'est le plus souvent dans les écrits de ce type que l'on retrouve une réplique aux critiques adressées à un courant de pensée.

Ensuite, si l'interculturalisme s'est peu intéressé au sort des femmes dans les minorités religieuses, c'est qu'il s'est affairé en priorité à se différencier du multiculturalisme,Footnote 5 et que la différence dont il s'est réclamé a – la plupart du temps – été trouvée ailleurs. Ainsi, certain.es interculturalistes ont prétendu avoir une conception plus complexe et sophistiquée des notions de culture, d'identité (individuelle et collective) et de diversité (Gagnon, Reference Gagnon2000: 17; Cantle, Reference Cantle2012: 153–156, 167–168, 173, 181–183, 204, 207, 211; Reference Cantle, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 140–142, 144, 149; Zapata-Barrero, Reference Zapata-Barrero, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 58–60). Par exemple, là où le multiculturalisme proposerait une vision réifiée et réductrice des identités culturelles comme homogènes et fixes, l'interculturalisme en offrirait une vision ancrée dans le cosmopolitisme, insistant sur leur caractère pluriel et changeant (Cantle, Reference Cantle2012: 153–156, 167–168, 173, 181–183, 204, 207, 211; Reference Cantle, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 140–142, 144, 149; Zapata-Barrero, Reference Zapata-Barrero, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 58–60). De ce fait, le modèle interculturaliste serait plus adapté à la « super-diversité » des sociétés modernes, résultat de la mondialisation (Cantle, Reference Cantle, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 133–136; Zapata-Barrero, Reference Zapata-Barrero, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016 : 56). D'autres interculturalistes ont défendu l'idée que leur modèle privilégiait la résolution démocratique (par opposition à juridique ou « procédurale ») des conflits de cultures (Gagnon, Reference Gagnon2000: 14; Bouchard, Reference Bouchard2012: 62–63, 85, 115; Cantle, Reference Cantle2012: 189, 193; Gagnon et Iacovino, Reference Gagnon, Iacovino, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 116–117, 123). Dans ce schème, les limites de l'expression des différences culturelles sont débattues dans l'espace public plutôt que devant les tribunaux (Gagnon et Iacovino, Reference Gagnon, Iacovino, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 117). D'autres distinctions, plus subtiles, ont été notées quant aux métaphores respectivement utilisées par l'interculturalisme (le vivre-ensemble) et le multiculturalisme (la mosaïque), quant au paradigme central qu'ils retiennent eu égard à la pluriethnicité (la convergence culturelle dans le cas de l'interculturalisme; le relativisme culturel pour le multiculturalisme), quant à leurs fondations morales (deux versions distinctes du libéralisme), quant à leur vision de l’État (en particulier canadien) et quant aux dynamiques de pouvoir qu'ils identifient et admettent (forces centripètes pour l'interculturalisme; forces centrifuges pour le multiculturalisme) (Gagnon et Iacovino, Reference Gagnon, Iacovino, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016 : 123).

Mais surtout, la « différence interculturaliste » s'est beaucoup articulée autour de l'idée que ce modèle promeuve les échanges ou « interactions » entre les cultures et entre leurs membres (d'où son nom), au contraire du multiculturalisme, qui lui isolerait (prétendument) les cultures et les ghettoïserait (Bouchard, Reference Bouchard2012: 52, 66–68, 101; Reference Bouchard, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 79; Cantle, Reference Cantle2012: 157; Zapata-Barrero, Reference Zapata-Barrero, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 54–55, 63; Reference Zapata-Barrero2019: 18). De ce fait, l'interculturalisme permettrait à la fois de lutter contre le racisme, la discrimination et les autres maux découlant de la méconnaissance de l’« Autre » – c'est la théorie du contact (Allport, Reference Allport1954) – et de générer, en lieu et place, un sentiment d'identification à cet « Autre », de confiance envers lui et de solidarité avec lui, de même qu'un sentiment d'appartenance à l'ensemble partagé avec lui (Bouchard, Reference Bouchard, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 79; Loobuyck, Reference Loobuyck, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 229–231; Zapata-Barrero, Reference Zapata-Barrero2019: 149–154, 219, 232). Cet ensemble est une culture commune faite d'ouverture plutôt que de repli, où l'on recherche et chérit les ressemblances plutôt que les différences (Cantle, Reference Cantle2012: 181–183, 211; Zapata-Barrero, Reference Zapata-Barrero2019: 133). Cet argumentaire est à ce point répandu dans la littérature scientifique sur l'interculturalisme que le philosophe François Boucher y voit un courant dominant dans sa conceptualisation : le courant « interactionniste » (Boucher, Reference Boucher2016: 64). Cette école de pensée est associée en particulier au contexte et auteur.trices européen.nes.

On peut penser qu'il n'y a pas de lien évident entre l'idée d’échanges interculturels et le problème des minorités internes, ou on peut penser que ce lien existe et aurait pu/dû être développé. Quoi qu'il en soit, l'idée n'a pas été élaborée dans ce sens. À preuve, les deux principaux théoriciens de l'interculturalisme interactionniste (Boucher, Reference Boucher2016: 64), Ted Cantle et Ricard Zapata-Barrero, sont parfaitement silencieux sur la question des minorités internes, telle qu'elle concerne les femmes dans les minorités religieuses (Cantle, Reference Cantle2012; Zapata-Barrero, Reference Zapata-Barrero2019).

Dans ce paysage littéraire lacunaire, un petit échantillon fait figure d'exception. Il s'agit des écrits de Gérard Bouchard et du philosophe Jérôme Gosselin-Tapp, dans le second cas avec ou sans son collègue et acolyte et Michel Seymour. Fort de son expérience comme Commissaire à la Commission Bouchard-Taylor, Bouchard a offert la première et la principale synthèse de la pensée politique autour de l'interculturalisme québécois, une synthèse en forme de plaidoyer qui fait aujourd'hui autorité (Bouchard, Reference Bouchard2012). De son côté, Gosselin-Tapp s'est proposé dans sa récente thèse de doctorat de pousser plus loin l'interculturalisme québécois en lui fournissant un ancrage philosophique plus important et élargissant ses domaines d'application (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021).Footnote 6 Sa pensée en la matière s'est aussi construite de concert avec le philosophe Michel Seymour dans leur ouvrage La nation pluraliste (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018).

Au contraire d'autres chercheur.euses s’étant intéressé.es à l'interculturalisme, Bouchard, Gosselin-Tapp et Seymour abordent de front la question des minorités internes et y offrent une réponse détaillée. Cette réponse participe d'un autre courant dominant dans la théorisation de l'interculturalisme : le courant « majoritariste » (Boucher, Reference Boucher2016 : 64), axé sur l'idée que ce modèle reconnaît et protège (et doit reconnaître et protéger) non seulement les cultures minoritaires (comme le fait le multiculturalisme), mais également la culture majoritaire qui les accueille, en particulier lorsque cette culture est à la fois une majorité et une minorité, dont la survie est menacée (Bouchard, Reference Bouchard2012: 16, 58, 186; Reference Bouchard, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 79, 85, 89, 92–96; Gagnon et Iacovino, Reference Gagnon, Iacovino, Meer, Modood and Zapata-Barrero2016: 112; Rocher, Reference Rocher2015: 42).

Ainsi compris et défini, l'interculturalisme porte en lui-même la promesse d'une réponse à la question des minorités internes. En effet, dans l'idée de protéger les cultures majoritaires se trouve celle de protéger leurs valeurs centrales. Lorsque ces cultures sont libérales, ce corpus inclut nécessairement – et prioritairement même – l’égalité hommes-femmes. Plus encore, l'idée de protéger à la fois et en même temps les majorités-minorités et les minorités qu'elles abritent fait naître le dilemme précis que soulève le problème des minorités internes, lorsque les intérêts et droits des groupes en présence s'entrechoquent. On peut penser alors qu'une attention accrue sera portée à ce problème, et potentiellement avec une sensibilité accrue.

C'est le cas dans les théories de Bouchard, Gosselin-Tapp et Seymour, qui, à ce chapitre, ont répondu à l'appel des féministes. Cela justifie en soi que l'on s'y attarde. Au-delà de cette attention méritée (de la part des féministes du moins), l'analyse de leur pensée permettra de faire avancer – ou plutôt démarrer plus substantiellement – la réflexion sur les femmes (et plus largement sur les minorités internes) dans la théorisation de l'interculturalisme. Une théorie ainsi nourrie et enrichie pourra permettre à son tour d'imaginer des réponses concrètes – politiques – à cette question cruciale, telle qu'elle se pose dans la réalité du monde vécu. Parions qu'en théorie comme en pratique, un tel développement constituera la prochaine étape ou le prochain « temps » (Lamy et Mathieu, Reference Lamy and Mathieu2020) de l'interculturalisme. Après tout, comme le veut le slogan : the future is female.

Mon exploration des thèses de Bouchard, Gosselin-Tapp et Seymour révèle que leur réponse à la question des minorités internes s'articule autour de trois idées centrales. D'abord, celle voulant que l’égalité hommes-femmes doive agir comme limite non négociable aux droits des minorités, une position de principe ferme à être affirmée clairement. Ensuite, celle voulant que cette égalité doive au contraire être mise en équilibre avec les autres droits, principes ou considérations pertinents dans un cas précis, un exercice d’équilibrage qui serait prescrit par l'interculturalisme et qui toucherait à son essence même. Enfin, celle voulant qu'en pratique et malgré cet exercice d’équilibrage, l’égalité des genres triomphe toujours et doit triompher en matière d'accommodement raisonnable. Dans les faits, il faudrait en cette matière revenir au principe et s'y accrocher.

Fermeté – flexibilité – fermeté : un cercle parfait. Il semblerait donc que sur la critique féministe, l'interculturalisme majoritariste, dans ses principales articulations théoriques, tourne en rond. Au minimum, cela crée une sorte d'ambiguïté (révélatrice d'une certaine ambivalence des auteurs); un problème en soi pour qui recherche des réponses claires et cohérentes. Mais le problème ne s'arrête pas là, car chacune des deux postures représentées sur ce cercle (fermeté et flexibilité) présente des problèmes spécifiques : la fermeté est irréaliste en pratique, la flexibilité… trop flexible, en ce sens qu'elle n'incarne pas un engagement assez fort en faveur du féminisme et au service des femmes. Par hypothèse, c'est en raison de ces problèmes respectifs que Bouchard, Gosselin-Tapp et Seymour oscillent d'une position à l'autre, comme insatisfaits par l'une autant que par l'autre.

Heureusement, dans le cas précis du foulard islamique, ces auteurs invoquent certaines considérations en dehors du cercle fermeté – flexibilité – fermeté. Ces considérations ont le mérite entre autres (et surtout) de recentrer la discussion sur les femmes, sur leurs droits et sur leurs choix. Mais des dangers guettent à ce niveau également, ce qui milite en faveur d'un approfondissement des arguments avancés à ce chapitre.

Dans ce qui suit, j'aborde tour à tour chacune de ces postures dans l'argumentaire des interculturalistes majoritaristes : les trois points du cercle (section 1), puis les arguments qui s'en éloignent et élargissent ainsi le spectre des considérations pertinentes (section 2).

1. De la fermeté à la flexibilité à la fermeté : un cercle parfait

Bouchard a produit une théorie de l'interculturalisme québécois en forme de synthèse, proposant d'extraire de la littérature scientifique et des politiques publiques les principales composantes de ce modèle (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 16). Ces composantes, au nombre de sept, sont les suivantes :

  1. 1. Le respect des droits fondamentaux de tous.tes les citoyen.nes québécois.es (y compris leurs droits démocratiques, économiques et sociaux), dans l'esprit du pluralisme (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 52–55);

  2. 2. La promotion du français comme langue commune et officielle (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 52, 56–57, 101);

  3. 3. La prise en compte de la nation québécoise « dans toute sa diversité » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 52), c'est-à-dire comme formée d'une majorité francophone et de minorités ethnoculturelles diverses, qui se doivent reconnaissance mutuelle et ont chacune le droit d'assurer leur survie (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 52, 99–100);

  4. 4. L'importance accordée à l'intégration des immigrant.es, comprise comme un contrat moral qui s'impose à elles et eux et qui exige la « réciprocité dans l'harmonisation des différences culturelles » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 52, voir aussi 64–66, 101);

  5. 5. La promotion des rapprochements, des interactions et des échanges interculturels, dans une optique de lutte aux préjugés et à la discrimination (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 52, 66–68, 101);

  6. 6. Le développement d'une culture commune, riche des apports de la majorité et des minorités dans la construction d'une mémoire collective et dans l'identification de valeurs partagées (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 52, 68–73, 101);

  7. 7. La promotion d'une identité ou culture nationale proprement québécoise, résultat de l’« entrelac[ement] » des cultures majoritaire, minoritaires et commune. (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 52, 73–75)

Selon Bouchard, ces composantes, et en particulier la troisième, prennent racine dans le « paradigme de la dualité » qui s'applique au Québec (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 36, 57–63). « Prendre racine » signifie ici que l'interculturalisme ne crée pas ni ne promeut ce paradigme (qui le précède, comme fait social), mais en prend acte et cherche à en arbitrer les conséquences (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 36, 58, 61, 167). Ce paradigme s'opposerait à ceux concurrents de la diversité, de l'homogénéité, de la bi- ou multipolarité et de la mixité, pour affirmer que la gestion de la diversité ethnoculturelle d'une société donnée doit prendre en compte le rapport préexistant entre une majorité (historique, fondatrice) et ses minorités (immigrantes), si tant est que ce rapport existe (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 30–32, 57–58). En cohérence avec ce paradigme, l'interculturalisme québécois reconnaîtrait donc à la fois et en même temps la majorité et les minorités présentes au Québec, en application du principe de la double reconnaissance (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 16, 58, 87, 176, 186). En reconnaissant la majorité, il admettrait son statut particulier – parce qu'aussi minoritaire – et le droit qui en découle de « perpétuer ses traditions, ses valeurs, son héritage » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 39, voir aussi 102, 153, 161). Toutefois, il ne serait pas aveugle aux risques qui accompagnent cette reconnaissance en forme de consécration, en particulier celui que la majorité n'abuse de sa position dominante et que le « clivage Eux-Nous » (corollaire inévitable de la dualité) ne soit entretenu et renforcé (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 39, 58, 62, 87, 167). Pour contrer ces risques, l'interculturalisme prévoirait et légitimerait la pratique des accommodements (raisonnables), des « ajustements » et de la médiation culturelle (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 62). En somme, il s'agirait pour cette théorie politique de chercher « tout à la fois à atténuer et à préserver la dualité » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 58, voir aussi 167). Cette recherche d’équilibre serait d'ailleurs caractéristique de l'interculturalisme québécois, sorte de principe directeur guidant l'ensemble de la démarche (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 16, 53, 58, 79–80, 87–88, 179, 192) et permettant de la distinguer nettement, et tout autant, du multiculturalisme et du républicanisme (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 87, 91, 104). Résolument située entre ces deux courants, cette troisième voie en forme de compromis éviterait ainsi les fautes respectives de l'une (fragmentation) et de l'autre (assimilation) (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 87, 91, 104).

Très proche conceptuellement de Bouchard, Gosselin-Tapp a produit sa propre version de l'interculturalisme majoritariste, plus ancrée théoriquement (c'est-à-dire philosophiquement). Comme celui de Bouchard, cet interculturalisme se veut « québécois » : pensé pour le Québec et ses intérêts propres (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 3). Parmi ces intérêts se trouve celui – dominant – d’« d'apaiser la fragilité » qui découle de son statut minoritaire en Amérique du Nord, ce que ne parviendrait pas à faire le multiculturalisme (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 4–5), pour deux raisons. La première est qu'il placerait le Québec sur le même pied que toute autre culture minoritaire présente au Canada (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 20, 26, 28, 188, 191). La deuxième, et la plus importante, est qu'il serait trop axé sur les droits individuels (« individualisme moral ») et pas assez – voire pas du tout – sur les droits collectifs (« collectivisme moral ») (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 11, 14, 25–27, 37). Ainsi, il ne reconnaîtrait des droits aux groupes que pour répondre aux besoins des individus qui les composent (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 22, 26, 215), une tendance qui s'observerait à la fois historiquement – dans la genèse des politiques multiculturalistes canadiennes (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : Chapitre 1) – et théoriquement – dans les principales articulations philosophiques du modèle, dont celles de Will Kymlicka, Charles Taylor et Alan Patten (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : Chapitre 2). Afin de corriger ce mauvais pli, Gosselin-Tapp propose de s'appuyer sur les écrits tardifs de John Rawls pour imaginer un rapport vertical (plutôt qu'horizontal, comme le ferait le multiculturalisme) entre la nation québécoise et les minorités qu'elle abrite, qui auraient dès lors des obligations envers elle en plus de droits « contre » elle (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 106, 108, 196–197, 199–200). Ces obligations constitueraient des devoirs à l’égard du « corps collectif », qui en dépendrait pour assurer sa pérennité, son unité et sa stabilité (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 199–200). Pour autant, la théorie de Gosselin-Tapp n'abandonne pas l'idée d'individualisme moral : elle cherche plutôt à la mettre en « équilibre » avec le collectivisme moral (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 11–12, 22–23, 38, 105–108, 197–199, 233–234), un exercice qui aboutirait à une « reconnaissance réciproque » entre les individus, les groupes et la collectivité (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 7–8, 199–200, 233). En ce sens, cette approche tiendrait elle aussi (comme celle de Bouchard, à laquelle elle fait largement écho) du « compromis », cette fois entre le libéralisme (dans lequel le multiculturalisme prendrait racine) et le républicanisme (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 104, 110, 185, 199, 235).

Ces courts résumés laissent entrevoir deux postures dominantes dans l'interculturalisme majoritariste : d'un côté, une position de principe – ferme – sur les valeurs majoritaires à préserver; de l'autre, une certaine flexibilité dans l'invocation d'un équilibre à rechercher avec les droits des minorités. Ces deux postures correspondent à deux positionnements sur la critique féministe, entre lesquels tant Bouchard que Gosselin-Tapp (ici de concert avec Michel Seymour) semblent balancer, passant de la fermeté (section 1.1) à la flexibilité (section 1.2), puis revenant à la fermeté (section 1.3). Ces postures sont présentées et critiquées dans les prochaines sections.

1.1 Une opposition de principe : l’égalité hommes-femmes comme non-négociable

De manière constante et variée, Bouchard invoque les valeurs québécoises comme limites à la reconnaissance et à la protection des cultures minoritaires. Or, l’égalité hommes-femmes se trouve au premier plan de ces valeurs, occupant une place de choix parmi une courte liste d’éléments non négociables. On comprend donc que pour Bouchard, cette égalité devra permettre d'opposer un non catégorique à toute demande des minorités vue comme y faisant obstacle.

Cette idée de valeurs comme limites est d'abord propre à la vision du pluralisme que retient Bouchard, tantôt comme l'un de ses éléments constitutifs, tantôt comme une limite qui s'y oppose. Ainsi, Bouchard écrira tout à la fois qu’« il est essentiel, si l'on veut rester fidèle au pluralisme, que ces valeurs gardent un caractère fondamental » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 68) et que le pluralisme « s'arrête là où commencent les valeurs fondamentales, à vocation civique et de portée universelle, comme l’égalité homme-femme ou la non-violence » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 85). Ensuite, l'idée de valeurs-limites apparaît comme corollaire de la reconnaissance de la majorité et de son statut particulier, prescrite par l'interculturalisme majoritariste (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 39). De façon liée, elle est incluse dans l'idée d'intégration des immigrant.es, comprise comme obligation réciproque : en contrepartie des moyens déployés la société québécoise pour faciliter cette intégration, ces dernier.ères doivent « se conformer aux valeurs et aux règles fondamentales qui gouvernent [cette société] et […] s'adapter à ses institutions » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 65, voir aussi 115). Par ailleurs, l’égalité hommes-femmes serait un élément clé de la culture commune à créer, celle-ci devant comprendre un certain nombre d’éléments « prescriptifs » hérités de la culture majoritaire (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 68, 70, 88, 151). En plus de la protection du français, il s'agirait des « valeurs ou normes inscrites dans la charte et dans les lois et qui s'imposent donc à tous les citoyens; on pense ici, notamment, à l’égalité » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 68).

Enfin et surtout, Bouchard érige l’égalité hommes-femmes et les autres valeurs québécoises en limites dans l’épineux dossier des accommodements raisonnables. À ce chapitre, il postule clairement que dans l’évaluation de demandes d'accommodement émanant des minorités culturelles, ces valeurs devront nécessairement et systématiquement l'emporter sur toute autre considération pertinente (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 15, 54, 62, 84, 114–115, 203). C'est là un « principe » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 114) qu'il faudrait « marquer fermement » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 114). Lorsque la religion est en cause, ce principe ne laisserait aucun doute sur la marche à suivre :

L'expression du religieux (ou de l'ensemble des croyances et des rituels qui en découlent) reste subordonnée au respect des valeurs fondamentales de la société québécoise. Il ne doit pas exister d'ambiguïté sur ce point […] aucune disposition du modèle de la laïcité ouverte ne commande une subordination des valeurs fondamentales québécoises à des préceptes contraires qui seraient apportés par des immigrants ou proposés par des membres de la société d'accueil. (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 206)

À la fermeté de ce principe correspond une critique tout aussi ferme de la religion elle-même, et en particulier de ses éléments sexistes, dont la prévalence constitue pour Bouchard une « situation […] inacceptable » dont on peut s’étonner qu'elle « ne fasse pas davantage l'objet de vigoureuses dénonciations » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 118, voir aussi 206).

Le Québec doit donc affirmer clairement que l’égalité hommes-femmes est reine et maîtresse sur son territoire. Dans la mesure où cette suprématie n'aurait pas été respectée par le passé (comme dans certains cas hautement médiatisés pendant la « crise » des accommodements raisonnables : les vitres givrées du YMCA, l'exigence d'un évaluateur masculin pour un examen de conduite, le vote à visage couvert par un foulard islamique), c'est que les gestionnaires en cause auraient erré purement et simplement « s’écartant de l'esprit et de la lettre du modèle » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 114, 116, 132, 206). Ces erreurs ou « errements » seraient autant de « visions divergentes qu'il faut combattre » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 114). Fort heureusement, elles auraient été peu nombreuses et auraient été corrigées, grâce à la vigilance des Québécois.es, dont les voix se sont élevées en masse pour les signaler (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 116–117, 206). Cette vigilance rassure pour l'avenir, car là où les fonctionnaires n'auraient pas appris la leçon, la population aura tôt fait d'intervenir (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 116–117, 206). Le peuple québécois veille au grain. Puisqu'il n'est pas de sa responsabilité de ce faire cependant, Bouchard propose de créer un Office d'harmonisation ou de médiation interculturelle, qui surveillerait les pratiques d'accommodements pour s'assurer qu'elles ne portent pas atteinte aux valeurs fondamentales du Québec (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 239).

À celles et ceux qui objecteraient qu'une telle approche constitue une imposition de valeurs qui contrevient à l'idée et idéal de neutralité de l’État, Bouchard répond en substance que c'est bien le cas, mais qu'il s'agit là d'une forme « d'interventionnisme culturel » légitime, par lequel l’État revendique une certaine « marge de manœuvre ad hoc », comme il est ou devrait être en droit de le faire (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 78–79, 153, 186–190).

De leur côté, Gosselin-Tapp et Seymour défendent aussi l'idée de suprématie de l’égalité hommes-femmes. Pour eux, le respect de cette égalité constitue un « droit collectif » du Québec et une obligation qui pèse sur ses minorités (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 210, 212, 280), dans le nouveau rapport « vertical » imaginé par Gosselin-Tapp (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 106, 108). En particulier, cette obligation serait comprise dans l'exigence d'intégration qui s'impose aux immigrant.es. Ici, le raisonnement est identique à celui de Bouchard, et le ton aussi catégorique : « il doit y avoir [entre autres choses] une obligation de se soumettre aux règles du vivre-ensemble au Québec, incluant la nécessaire égalité des hommes et des femmes […] C'est cette reconnaissance réciproque qui est à la base de l'interculturalisme » (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 210, voir aussi 280). Afin d'assurer le respect de ces principes, Gosselin-Tapp et Seymour proposent de les inscrire dans une Charte de la laïcité, qui serait enchâssée dans une constitution québécoise, elle-même à créer (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 221, 280).

Le raisonnement de Gosselin-Tapp et de Seymour, comme celui de Bouchard, peut séduire par sa simplicité et par son intransigeance, ici mise au service des femmes. Mais en pratique, un problème apparaît : dans une société plurielle et pluraliste du type de celle prônée par Bouchard, Gosselin-Tapp et Seymour, qui peut ou doit dire ce qui est contraire à l’égalité hommes-femmes? En fonction de quels critères, de quelles conceptions de l’égalité? Si le débat sur la laïcité, au Québec comme en Europe, nous a enseigné une chose, c'est que les avis en la matière abondent et s'entrechoquent. Pour ne citer qu'un exemple, les féministes représentées au sein du Conseil du statut de la femme (CSF), de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), du collectif « Pour les droits des femmes du Québec » (PDF Québec) et de la « Collective des féministes musulmanes du Québec » ne s'entendent pas sur le sens et les exigences propres de l’égalité hommes-femmes en matière de laïcité.Footnote 7

Ces difficultés d'application sont du même type que celles que Gosselin-Tapp et Seymour eux-mêmes identifient dans leur réplique à une chronique de Mathieu Bock-Côté sur le burkini. Dans cet article, Bock-Côté écrit entre autres : « l'immigrant qui arrive ici ne devrait pas seulement respecter nos lois, ce qui va de soi et qui arrive à peu près tout le temps. Il devrait aussi respecter nos mœurs » (Bock-Côté, 2015). Gosselin-Tapp et Seymour s'interrogent sur la nature précise des « mœurs » auxquels Bock-Côté réfère, dans des termes qui montrent bien toute la difficulté – voir la futilité – d'une démarche visant à les identifier et à cerner également, pour les rejeter, ceux qui s'y opposent :

Une société pluraliste moderne qui, comme la société québécoise, accueille une immigration importante, se caractérise par une diversité irréductible et raisonnable de croyances, de valeurs particulières, de préférences rationnelles et de conceptions de la vie bonne. On se demande par conséquent quelles habitudes sont inacceptables et quelles habitudes sont acceptables aux yeux de Bock-Côté. Quelles sont les mœurs qui sont québécoises et les mœurs qui ne le sont pas? Si des mœurs spécifiques ne sont pas acceptables au Québec, peut-on savoir lesquels échouent au test? (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 243)

À mon avis, les mêmes questions se posent au sujet du « test » de l’égalité hommes-femmes que prescrivent Gosselin-Tapp et Seymour, comme Bouchard.

Dans le même sens, mais au sujet cette fois des symboles religieux, Gosselin-Tapp et Seymour arguent qu'un même symbole peut revêtir plusieurs significations, qui sont autant d'interprétations des textes, traditions et mouvements politiques en cause (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 253–254). Face à ce constat, ils se demandent comment déterminer de manière « objective » la signification d'un symbole religieux. Dans leurs mots : « à quelle interprétation du texte sacré faut-il se rapporter? À quelle tradition institutionnelle se fier? À quel mouvement politique se référer? » (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 253–254). On notera que cette interrogation en forme de constat d'impuissance vaut également pour une « valeur » polysémique telle que l’égalité hommes-femmes. Là aussi, les interprétations possibles pullulent et sont le fait de traditions, d'institutions et de mouvements politiques divers.

De son côté, Bouchard illustre sans le vouloir la difficulté de statuer sur la question même de savoir quand l’égalité hommes-femmes est en cause :

Cependant, en cas de conflits autour de valeurs fondamentales, une société est en droit de faire prévaloir celles qui sont au cœur de la civilisation dont elle se réclame et qu'elle a inscrites démocratiquement dans ses lois ou dans sa charte parce qu'elles ont un potentiel civique et universalisant. En Occident, par exemple, la censure est interdite au nom de la liberté, tout comme la discrimination au nom de l’équité, les crimes d'honneur au nom de la non-violence, la hiérarchie homme-femme et la polygamie au nom de l’égalité, les mutilations sexuelles au nom de l'intégrité du corps humain, etc. (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 151)

Certain.es se surprendront du fait que ce soit « au nom de la non-violence » et non de l’égalité des genres que les crimes d'honneur soient condamnables selon Bouchard, et de la même manière que ce soit « l'intégrité du corps humain » plutôt que cette égalité qui soit en cause en matière de « mutilations sexuelles ». Au minimum, on pourra prétendre que cette égalité aurait dû être ajoutée à la liste des considérations pertinentes. Mais force est d'admettre que la position de Bouchard en ces matières représente l'une de celles possibles parmi la myriade existante.

Comme s'ils avaient entrevu ces difficultés d'application, tant Bouchard que Gosselin-Tapp plaident aussi – et simultanément – pour la flexibilité, une posture explorée dans la prochaine section.

1.2 Une recherche d’équilibre : l’égalité hommes-femmes comme modulable

Rappelons que tant Bouchard que Gosselin-Tapp font de la recherche d’équilibre un élément central de l'interculturalisme. Pour Bouchard, il s'agirait d'un principe transversal de ce modèle, qui s'ajouterait à ses sept traits distinctifs (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 53). À ce chapitre, il mobilise un large éventail sémantique pour décrire à la fois la nature de l'exercice et ses cibles, c'est-à-dire ce qui doit être mis en équilibre. Au sujet de l'exercice, il parlera de « synthèse » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 80, 179, 192), de « prudence » et de « nuance » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 88). Dans un registre plus juridique : de « conciliation », de « médiations » et d’« arbitrages » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 80, 88, 179). Et de manière plus poétique : de « passerelles », d’« articulations » et d’« interpénétrations » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 88, 179, 192). Dans une formulation négative, il s'agira de rejeter les solutions « rigides » ou « radicales » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 16), de mettre de côté la pensée « dichotomique » ou « binaire » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 80, 179) et d’éviter de polariser, c'est-à-dire de créer ou d'entretenir des antinomies (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 88). Quant aux cibles de l’équilibrage recherché, qui sont autant d’éléments en tension, il invoque plusieurs paires :

De son côté, Gosselin-Tapp se fait plus précis quant à l'exercice d’équilibrage qu'il prescrit. Il plaide qu'il faille conjuguer les droits collectifs du peuple québécois, en particulier son droit à l'autodétermination, et les droits individuels des membres de minorités ethnoculturelles, dont surtout leur liberté de conscience et leur droit à l’égalité (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 11–12, 22–23, 38, 105–108, 197–199, 208, 233–234). À son avis, « l'interculturalisme requiert de n'accorder de primauté à aucun des deux registres de droits, et ce, malgré les défis que représente l'opérationnalisation de cette quête d’équilibre » (Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 234). Dans un article corédigé avec Michel Seymour et résumant les principales thèses de leur ouvrage commun, cette idée d’équilibre est aussi présentée en termes de valeurs à conjuguer : d'un côté (celui du peuple québécois) le « bien commun »; de l'autre (celui des minorités ethnoculturelles) l'autonomie individuelle (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2020 : 766).

Cette quête d’équilibre a des implications particulières en matière de laïcité. Ici, Bouchard et Gosselin-Tapp (avec Seymour) empruntent des chemins similaires, mais non parfaitement identiques. Selon Bouchard, on doit rechercher un équilibre entre, d'une part, les cinq grands principes qui composent un régime de laïcité « inclusive » et, d'autre part, les objectifs du respect des droits et de l'intégration (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 76, 199, 202). Les cinq principes en cause dans le premier volet de cet exercice sont les suivants :

a) l'autonomie réciproque de la religion (et plus généralement, des convictions de conscience ou visions du monde) et de l’État; b) la neutralité de l’État en matière de religion; c) la liberté de conscience des personnes; d) l’égalité entre les religions; et e) la protection des symboles religieux à valeur patrimoniale. (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 76)

Quant à Gosselin-Tapp et Seymour, ils trouvent l’équilibre recherché en matière de laïcité dans l'idée d'institutions neutres, mais d'individus libres (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 118–210, 195; Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 208), typique d'un modèle de laïcité « ouverte ». Il s'agirait là d'une conception strictement « institutionnelle » de la laïcité (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 93; Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2021 : 208).

Dans le cas paradigmatique des signes religieux dans la fonction publique, autant Bouchard que Gosselin-Tapp et Seymour plaident que l’équilibre prescrit est atteint lorsque l'on autorise le port de tels signes, mais que l'on prévoit certaines exceptions, qui ont trait tantôt à la valeur symbolique des fonctions en cause (c'est-à-dire à la mesure dans laquelle elles incarnent l’État et son autorité ou pouvoir) (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 207–208; Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 94, 168, 172, 202–204, 247, 250, 279), tantôt à des considérations d'ordre pratique ou technique, comme la sécurité, l'identification des personnes, la (bonne) communication avec le personnel de l’État ou les exigences propres à certains postes (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 209; Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 242, 279).

En ce qui concerne le foulard islamique – le seul cas de figure concernant les femmes qui soit traité en profondeur par ces auteurs – cette ligne de conduite aboutit à des résultats variables. Ainsi, Bouchard plaide que le hidjab doit être permis pour les enseignantes, car il n'interfère pas avec les exigences de la fonction pédagogique (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 209). Cependant, des « motifs supérieurs » commandent l'interdiction de la burqa et du niqab dans les instances de l’État (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 209). D'abord, sur le plan technique, ces vêtements sont incompatibles avec diverses fonctions, comme l'enseignement ou les soins médicaux (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 209). Ensuite et plus généralement, les citoyen.nes devraient pouvoir exiger que les employé.es de l’État interagissent avec elles et eux « à visage découvert » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 209). Du reste, l’État ne devrait pas encourager cette pratique vestimentaire qui « ne s'accorde guère avec l'idéal de l’émancipation féminine » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 209). Quant à la burqa et au niqab dans l'espace public, ils devraient être permis, à moins que cela ne pose de « réels problèmes de sécurité », une éventualité qui n'est pas davantage explorée (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 209).Footnote 8

De leur côté, Gosselin-Tapp et Seymour concluaient en 2018 que le hidjab devrait être permis dans la fonction publique, sauf pour les plus hauts postes de l’État (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 200). Cependant, ils semblent accepter aujourd'hui que les femmes occupant ces postes arborent ce signe religieux, à condition qu'elles le recouvrent d'un « couvre-chef laïque » (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2020 : 767). En revanche, la burqa et le niqab devraient selon eux être interdits, mais seulement « pour des raisons de sécurité, d'identification et de communication » (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 242). Par ailleurs, le burkini « ne pose[rait] pas de problème particulier » (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 242), étant même « très élégant », n'en déplaise à Mathieu Bock-Côté (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 242).Footnote 9 Finalement, le tchador devrait être interdit au motif qu'il constitue un « uniforme religieux complet », un critère n'apparaissant pas ailleurs et permettant aussi de disqualifier la soutane (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 244–245).

En somme, pour Bouchard comme pour Gosselin-Tapp et Seymour, la recherche d’équilibre inhérente à l'interculturalisme québécois et au modèle de laïcité qu'il permet d'imaginer aboutit à une approche au cas par cas. Dans ce schème, l’égalité hommes-femmes, comme tout autre droit, valeur ou principe en cause, est modulable : elle pourra recevoir des interprétations différentes d'un cas à l'autre; dans tous les cas, elle devra être mise en balance avec d'autres considérations pertinentes, qu'il s'agisse de droits, de valeurs ou de principes concurrents, ou alors de simples considérations techniques. Dans certains de ces cas, elle pourrait devoir céder le pas, à l'issue de cet exercice délicat.

Cette approche correspond en substance à celle retenue par le droit en matière d'accommodements raisonnables et, plus généralement, en présence de conflits de droits. Bouchard reconnaît et nomme cette réalité, sans s'en désoler :

C'est pourquoi les demandes [d'accommodement] doivent être traitées dans leur singularité, tout en faisant appel à des balises aussi précises que possible. Mais ce degré de précision est limité. La plupart des demandes mettent en opposition deux droits à concilier ou entre lesquels il faut trancher. En l'absence d'une hiérarchie formelle entre les droits, il est impossible de statuer à l'avance sur le parti à prendre. (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 130–131, voir aussi 88, 226)

Mais n’était-ce pas une telle hiérarchie formelle que Bouchard se proposait d'instaurer dans son plaidoyer pour l’égalité hommes-femmes comme limite? Que reste-t-il alors de sa position de principe ferme en faveur de cette valeur? Il y a là une contradiction apparente, que les féministes auront tôt fait de noter. Comme s'il avait anticipé cette critique, Bouchard propose une formule simple en guise de résumé synthétique de son approche, dans laquelle se lit une sorte de tentative de réconciliation des deux pôles de ses conclusions : « fermeté sur les principes, sur les valeurs fondamentales, et flexibilité dans les modalités d'application » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 87, 223). Bien qu’élégante, cette formule est insuffisante pour répondre à la critique, car l'on se demande bien ce que signifie le fait d’être ferme sur les principes si l'on est flexible dans leur application.

Au-delà de cette contradiction, les féministes pourront regretter la mise de côté de l'idée de suprématie de l’égalité hommes-femmes, qui, bien qu'irréaliste, avait le mérite de constituer un engagement clair et catégorique en faveur de cette valeur et du combat qu'elle incarne. Elles craindront peut-être qu'en optant pour la flexibilité, on se condamne à l'incertitude : au hasard du contexte et à la subjectivité des décideurs.Footnote 10

Encore ici, Bouchard, Gosselin-Tapp et Seymour semblent avoir entendu la voix des féministes avant qu'elle ne s’élève. Leur réponse, présentée dans la prochaine section, ramène au premier plan l’égalité hommes-femmes en la faisant triompher en pratique, dans le cas précis des accommodements raisonnables.

1.3 Une hiérarchisation de facto : l’égalité hommes-femmes comme triomphante

Après avoir résumé le débat juridique et public sur la question de savoir si l’égalité hommes-femmes devrait primer sur les autres droits fondamentaux (notamment et surtout sur la liberté de religion), Bouchard fait la remarque suivante : « le débat en est là, mais l'idée d'une hiérarchisation formelle consacrant la préséance de l’égalité homme-femme sur la liberté de religion ne semble pas avoir d'avenir à cause des difficultés qu'elle soulève, même si elle est affirmée par plusieurs » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 119). Qu’à cela ne tienne, il propose d'instaurer une sorte de hiérarchisation de facto, c'est-à-dire de faire primer l’égalité hommes-femmes non pas en principe, mais en pratique, à moins de circonstances exceptionnelles :

Il arrive qu'un principe ou une composante se voie octroyer une préséance sur les autres, mais sans consacrer une hiérarchie prédéterminée. L'analyse des situations particulières est donc déterminante […] Ainsi, parmi les critères sociaux, il va de soi que les valeurs dites fondamentales sont souveraines. Il s'ensuit, par exemple, qu’à moins de circonstances vraiment exceptionnelles et impératives toute demande d'accommodement religieux doit être rejetée si [entre autres] elle […] porte atteinte à l’égalité homme-femme. (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 203)

Sauf exception « vraiment exceptionnelle », l’égalité hommes-femmes triomphera donc toujours et devra triompher. La boucle est bouclée, le cercle refermé. Comme pour dissiper tout doute résiduel, Bouchard semble assujettir l'idée d’équilibrage longuement défendue au respect des valeurs fondamentales, dans sa définition même de l'interculturalisme : « plus généralement [que ses 7 éléments constitutifs], l'interculturalisme se caractérise par une recherche d’équilibres dans l'arbitrage de croyances, de traditions, de coutumes et d'idéaux parfois concurrents, cela dans le respect des valeurs fondamentales du Québec » (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 53).

Dans le même esprit, Gosselin-Tapp et Seymour postulent que toute demande d'accommodement contrevenant à l’égalité hommes-femmes devra être refusée purement et simplement (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 255). Pour réconcilier cette idée avec leurs conclusions sur le foulard islamique, ils arguent qu'il faille distinguer les signes ou symboles religieux (qui relèvent de la représentation ou de l'expression de croyances religieuses, une manifestation « passive » de la foi qui est protégée – à raison – par la liberté de religion) et les rites, rituels, coutumes et pratiques religieuses, autant de comportements qui constituent des manifestations « actives » de la foi et qui révèlent une « éthique de vie » particulière (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 105–106, 255). Ces comportements peuvent à leur avis faire l'objet – ou pas – d'accommodements raisonnables, notamment en fonction du critère de l’égalité hommes-femmes. Cela leur fait dire, par exemple :

Certaines requêtes, comme un père qui demande un test de virginité pour sa fille à l'hôpital public, un époux qui veut que sa femme soit vue par une femme médecin ou encore un homme qui exige de passer son examen de conduite avec un homme plutôt qu'une femme, sont des comportements sexistes que l’État n'a pas à entériner et qu'il ne faut donc pas accommoder. S'il les acceptait, l’État se ferait complice de comportements sexistes […] Il faut donc distinguer la question des accommodements religieux qui relèvent de la liberté d'expression de la foi, ce que l'on ne veut pas interdire, et l'ensemble des rituels, des pratiques, des coutumes, des habitudes et des traditions que l'on ne veut pas autoriser s'ils violent le principe de l’égalité hommes-femmes. (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 255)

Au-delà du caractère quelque peu artificiel de cette distinction entre expression et pratique religieuse sur le plan juridique, on remarquera que les exemples listés sont relativement « faciles », peut-être parce que, dans chacun d'eux, c'est l'homme qui choisit et agit. Mais qu'en est-il des accommodements demandés par des femmes et pour elles-mêmes? Faut-il les refuser pour la même raison? Que reste-t-il alors de leur libre-choix? Ironiquement, Bouchard lui-même fournit quelques exemples de ce type : les femmes dans les foyers pour personnes âgées qui demandent que leurs soins intimes soient prodigués par des femmes; les femmes victimes d'agressions sexuelles qui demandent à être prises en charge par des policières; les femmes dans les aéroports qui demandent que les fouilles ou inspections qu'elles subissent soient pratiquées par des femmes, autant de demandes auxquelles on fait généralement droit sans broncher (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 118).

On pourra objecter que ces exemples sont eux aussi « relativement faciles », car les pratiques en cause ne heurtent pas fondamentalement la valeur d’égalité. Mais les mêmes questions se posent au sujet de pratiques plus largement considérées comme sexistes. Par exemple, est-ce qu'une femme qui souhaite fixer les mesures accessoires de son divorce (pension alimentaire, patrimoine familial, garde des enfants, etc.) selon les préceptes de sa foi, mais qui s'expose de ce fait – en toute connaissance de cause – à plusieurs règles sexistes sur le plan juridique, doit être empêchée de ce faire, au nom de l’égalité hommes-femmes?

Ces exemples illustrent le fait que les difficultés d'interprétation et d'application identifiées plus haut ne disparaissent pas du fait que l'on opte pour une hiérarchisation en pratique plutôt qu'en principe. À preuve, on peut s'interroger sur la nature des circonstances « vraiment exceptionnelles et impératives » qui, pour Bouchard, justifient de ne pas faire primer l’égalité hommes-femmes.

Une conclusion s'impose : malgré son triomphe annoncé, il sera difficile de faire primer l’égalité des genres partout et tout le temps. Est-ce à dire, pour reprendre la crainte évoquée dans la section précédente, que l'on doive s'en remettre à la dictature du contexte (le cas par cas) et des décideurs (leur discrétion)? À mon avis, pas si l'on conserve le critère de l’égalité, mais qu'on le mobilise autrement, en faisant intervenir d'autres considérations que celles – abstraites – des valeurs majoritaires (à préserver), des demandes des minorités (à accommoder, ou pas) et du rapport entre les deux. Dans les théories de Bouchard, Gosselin-Tapp et Seymour, ces autres considérations font leur apparition dans l'argumentaire plus détaillé qu'ils développent au sujet du foulard islamique. Gardé à part des tergiversations entre fermeté et flexibilité – comme en dehors du cercle – cet argumentaire révèle chez l'un et les autres un élargissement bénéfique de leur pensée, qui les rapproche des préoccupations et prises de position féministes. Il est présenté dans la prochaine section.

2. Le foulard islamique : des arguments supplémentaires en dehors du cercle

En réplique à la rhétorique « anti » foulard islamique ayant circulé pendant le débat sur la laïcité au Québec, et à l'appui de leur conclusion voulant que ce symbole doive être autorisé dans plusieurs cas, Bouchard, Gosselin-Tapp et Seymour avancent une série d'arguments supplémentaires, dont les principaux peuvent être résumés comme suit :

  • Le foulard islamique est un symbole polysémique (tantôt expression de foi, tantôt marque identitaire, tantôt pratique coutumière), ce qui empêche de le considérer comme intrinsèquement sexiste (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 214–216);

  • Il ne revient pas à l’État de retenir une signification plutôt qu'une autre associée au symbole (notamment quant à la conception de la « pudeur féminine »), et de l'interdire sur cette base (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 242, 254–255);

  • Même en admettant que ce symbole soit intrinsèquement sexiste, d'autres tenues – occidentales – peuvent aussi être considérées comme telles; si la lutte au sexisme justifie d'interdire le premier, elle doit alors justifier d'interdire les secondes, un résultat non souhaitable (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 254–255);

  • Du reste, l’État n'a pas la responsabilité d'interdire toute pratique ou tenue désapprouvée socialement (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 254);

  • Par ailleurs, les femmes musulmanes choisissent parfois de manière libre et éclairée de porter le foulard islamique (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 214–216; Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 254–255);

  • Il est mal avisé (et intenable d'un point de vue théorique) de présumer que leur choix ou consentement à cet égard est illusoire (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 13, 35–51, 2020 : 33);

  • Même en admettant que certaines femmes se voient imposer le port du foulard islamique, elles ne seraient pas mieux servies par une interdiction, risquant de subir des représailles de la part de leurs proches (Bouchard, Reference Bouchard2012 : 215).

Ces arguments supplémentaires ont le mérite premier de recentrer la discussion sur la réalité des femmes concernées, c'est-à-dire sur leurs intérêts, sur leurs droits et sur leurs choix : ceux dont elles se réclament, mais dont on nie souvent l'existence. Par hypothèse, une telle posture de recentrage, et en particulier l'importance qu'elle accorde au paradigme du choix, est la seule possible dans une société (profondément) plurielle et pluraliste dont on souhaite qu'elle soit gouvernée par un État neutre. C'est donc à raison également que Bouchard, mais surtout Gosselin-Tapp et Seymour, invoquent simultanément le choix et la neutralité de l’État, ici moins comme composante centrale de la laïcité, mais plutôt – et plus pragmatiquement – comme résultat inévitable de la diversité (fait social) et corollaire nécessaire du pluralisme (choix politique). Par ailleurs, Gosselin-Tapp et Seymour ont raison de s'interroger sur les doubles standards que révèle le débat sur les minorités internes, dans la lutte au sexisme au profit des femmes minorisées et de celles de la majorité. Cela force une réflexion sur le droit à l’égalité des premières non seulement au sein de leur communauté (par rapport à ses membres dominants : les hommes), mais également au sein de la société en général (par rapport à la majorité, dont les femmes la composant). Ce double regard est commandé par la question même à l’étude.

À mon avis, ces arguments auraient gagné à être généralisés (étendus à l'ensemble du débat, plutôt qu'au seul exemple du foulard islamique) et approfondis. Cela aurait permis d'exploiter pleinement leur potentiel, mais également d'apercevoir leurs zones d'ombre, celles – inconfortables – qui commandent des nuances et des précautions pour le moment absentes des discussions de Bouchard, Gosselin-Tapp et Seymour. Par exemple, sur la seule question du « choix », un coup d’œil à la théorie féministe (particulièrement riche à ce chapitre) aurait permis d'entrevoir non seulement les avantages de ce paradigme pour la lutte féministe (son potentiel émancipateur), mais également les dangers qu'il recèle (son potentiel oppressif).Footnote 11 Le premier est bien connu et souvent mobilisé. Il s'agit d'abord de reconnaître l'autonomie, l'agentivité et la rationalité des femmes concernées, a fortiori dans un contexte (le débat sur les minorités internes) où ces attributs leur sont souvent niés (Phillips, Reference Phillips2009 : 8–9, 27, 29, 100–101). Il s'agit ensuite d’être à l’écoute de ces femmes, dans la mesure où plusieurs d'entre elles comprennent et décrivent les enjeux en cause en se référant au choix et en nous référant à leurs choix (de pratiques et de memberships). Tant Bouchard que Gosselin-Tapp et Seymour semblent reconnaître implicitement ces avantages.

Quant au potentiel oppressif du paradigme du choix, il est moins visible,Footnote 12 mais néanmoins réel. Il tient d'abord dans le fait que, peut-être sur la base des nombreuses voix de femmes qui s’élèvent pour parler de choix, il tend à attribuer à l'ensemble des choix présumés, et à présumer encore du contenu et de l'exercice de tels choix. Or, dans bien des cas, ces présomptions ne résistent pas à l'examen des faits. Ensuite, le paradigme du choix mobilise la notion de respect d'une manière qui confond souvent le respect des personnes, de leurs choix, des pratiques choisies et des cultures ou religions desquelles émanent ces pratiques. De cette manière, il crée une forme de censure (sur le plan moral, c'est le respect comme « non-jugement ») et de paralysie (sur le plan juridique, c'est le respect comme « non-intervention »). Enfin et surtout, le paradigme du choix responsabilise indûment les femmes, en leur faisant porter le poids de leur propre protection et en les tenant responsables ou « coupables » de leurs choix.Footnote 13

On voit bien à l’œuvre le premier de ces dangers dans l'argumentaire développé par Gosselin-Tapp et Seymour au sujet du « consentement illusoire » des femmes minorisées au port du foulard islamique (Seymour et Gosselin-Tapp, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2018 : 13, 35–51, Reference Seymour and Gosselin-Tapp2020 : 33). En substance, leur réplique à cet argument consiste à nier une hypothèse en en généralisant une autre : à l'idée que le consentement des femmes est illusoire, ils répondent qu'il ne l'est jamais. Ce faisant, ils appliquent précisément le type de présomptions-généralisations caractéristiques du paradigme du choix. À l'encontre de tels raisonnements, la littérature féministe révèle que la réalité est hautement plus complexe. Les meilleurs éléments de ce corpus parviennent à reconnaître et à accommoder tous les scénarios possibles, sans jamais oublier celui de l'oppression.Footnote 14 Si cette oppression est moins visible dans le cas du foulard islamique (dont le potentiel oppressif est surtout symbolique), elle réapparaît brutalement dans d'autres cas, qui mettent en cause l'intégrité physique des femmes (par exemple, la coupure génitale féminine) ou leurs droits (par exemple, le règlement religieux des divorces). Dans ces autres cas, l'application de présomptions est plus lourde de conséquences, des conséquences parfois tragiques.

En somme, si les arguments supplémentaires avancés par Bouchard, Gosselin-Tapp et Seymour au sujet du foulard islamique sont bienvenus dans leur discussion sur les minorités internes, ces arguments mériteraient d’être explorés davantage, afin que se dévoilent tant leurs bénéfices que leurs dangers, d'un point de vue féministe.

Conclusion

Dans cet article, j'ai proposé une analyse critique de la réponse de l'interculturalisme majoritariste (dans ses principales articulations théoriques) à la question des minorités internes, telle qu'elle se pose pour les femmes membres de minorités religieuses. J'espère avoir montré d'abord que dans ses principaux éléments, cette réponse est ambigüe, comme prise entre deux postures (la fermeté et la flexibilité) qui, lorsque considérées ensemble, sont contradictoires et, lorsque considérées séparément, présentent des problèmes spécifiques. Mais j'espère aussi avoir montré que dans son évaluation d'un cas particulier – le foulard islamique – la réponse des interculturalistes majoritaristes contient aussi les germes d'une pensée plus riche et nuancée, bref plus satisfaisante d'un point de vue féministe. Cette pensée demande cependant à être approfondie, en particulier dans ses aspects comportant des risques pour la lutte féministe.

Remerciements

Je remercie chaleureusement les professeur.es François Rocher, Naïma Hamrouni et Lila Braunschweig, de même que la doctorante Marie-Anne Casselot, pour leurs commentaires précieux sur des versions précédentes de cet article.

Footnotes

1 Je parle de « potentiel d'oppression sexiste » pour rendre l'idée que les pratiques en cause sont oppressives sous certaines formes et dans certains contextes, mais ne le sont pas nécessairement ou systématiquement. Par exemple, la coupure génitale féminine existe sous plusieurs formes, plus ou moins invasives et plus ou moins chargées symboliquement, donc plus ou moins problématiques d'un point de vue féministe.

2 Dans le milieu académique, l'ouvrage ayant mis le feu aux poudres est Is Multiculturalism Bad for Women? (Okin, Reference Okin1999).

4 Voir par exemple les travaux de Alain G. Gagnon, Raffaele Iacovino, François Rocher, Micheline Labelle, Marie McAndrew, Bob W. White, Félix Mathieu, David Carpentier et Lomomba Emongo.

6 Voir aussi Gosselin-Tapp, Reference Gosselin-Tapp2023, pour une version plus courte et plus grand public de cette thèse.

7 Voir à ce sujet leurs positions de principe respectives sur la Loi 21 (Loi sur la laïcité de l’État, 2019, c. L-0.3, Québec, Éditeur officiel du Québec): https://csf.gouv.qc.ca/publications/ (CSF); https://www.ffq.qc.ca/fr/memoires (FFQ); https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3799313 (PDF Québec); Bedeir et al., Reference Bedeir2013 (Collective des féministes musulmanes du Québec).

8 Au sujet du hidjab en particulier, des arguments d'un autre type sont avancés. Ils sont exposés dans la prochaine section.

9 Comme pour Bouchard, Gosselin-Tapp et Seymour avancent des arguments d'une autre nature à propos du burkini. Ces arguments sont abordés dans la prochaine section.

10 Sur cette critique, voir Iavarone-Turcotte, Reference Iavarone-Turcotte2017.

11 Voir par exemple les théories modernes sur les préférences adaptatives (entre autres : Khader, Reference Khader2011; Baber, Reference Baber2007 et Narayan, Reference Narayan, Antony and Witt2001), l'agentivité religieuse (surtout : Mahmood, Reference Mahmood2012) et l'autonomie relationnelle (entre autres : Mackenzie, Reference Mackenzie2000, Reference Mackenzie and Arneil2007; Stoljar, Reference Stoljar, Mackenzie and Stoljar2000; Meyers, Reference Meyers2000; Friedman, Reference Friedman2003).

12 Ce manque de visibilité s'explique notamment par le fait que le rayonnement du paradigme du choix est énorme (sous l'influence dominante du libéralisme) et par le fait que les menaces au « libre choix » sont nombreuses (ce qui fait hésiter à le critiquer). Pensons au droit à l'avortement, toujours menacé, comme l'actualité américaine nous l'a récemment rappelé. Devant la fragilité de cet « acquis », qui oserait remettre en question les arguments « pro choix »?

13 Sur l'ensemble de ces arguments, voir Iavarone-Turcotte, Reference Iavarone-Turcotte2021.

14 Voir par exemple Khader, Baber et Narayan.

References

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