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«Tyrannie» des Incas et «naturalisation» des Indiens La politique de Francisco de Toledo, vice-roi du Pérou (1571-1628)
Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
Résumés
L’article analyse les opérations menées par les administrateurs de la Couronne pour déposséder les Incas de leur seigneurie. Les opérations d’enregistrement des populations ont à cette occasion déclenché un litige entre les parties, non une lutte politique pour détenir un majorat. Le changement de statut juridico-fiscal de l’enregistrement a permis le transfert d’une partie des sujets à la Couronne. Trois étapes sont prises en considération: 1) la production du Parecer de Yucay, destiné à définir les Incas comme tyrans et, par la suite, disqualifier leurs descendants; 2) la naturalisation des Indiens, qui apparaît comme une condition préliminaire pour changer leur statut et effacer leur appartenance ethnique, dans l’intention de prouver l’absence de lien de sujétion aux Incas; 3) en réaction, les Incas intentent un procès à la Couronne, mais, au bout de cinquante ans, ils finirent par renoncer à leur ancien señorío pour devenir membres de la noblesse espagnole.
Summary
This article analyses the different operations mounted by the Crown’s administrators to disponess the Incas of their lordship and shows how it was the method used for registering the population and not a political struggle to retain the mayorazgo that triggered litigation between the Incas and the Crown. By retracing the successive steps that led to a new way of registering its Indian subjects, the author shows, in a tripartite approach, how the change in juridical and fiscal status that resulted from this method of registration enabled the transfer of a part of these subjects to the Crown: 1. the production of the Parecer de Yucay that characterized the Incas as tyrants in order to disqualify their descendant; 2. the naturalization of the Indians as a necessary step for changing their status and annulling their ethnic affiliation; 3. the objective of this move was to grant them new statutes that would negate any possible subjection to the Incas, and in response the Incas mounted a legal case against the Crown; they finally relinquished their ancient rights of lordship and became members of the Spanish nobility instead.
- Type
- Politique coloniale des recensements Pérou-Inde
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2002
References
Je tiens à remercier Simona Cerutti et Robert Descimon (EHESS), qui m’ont incitée à étudier la dimension juridique de la Visite générale, ainsi que Nicolas Bonneuil. Tout au long de cette recherche, le soutien de Urs Schoepflin, directeur de la bibliothèque du Max-Planck-Institut für Wissenschaftsgeschichte, me fut précieux.
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3 - L’historien espagnol Ismael Sánchez Bella, à l’opposé des tendances dominantes dans l’étude des visites, a insisté sur leur caractère juridique. Malheureusement, dans les années 1970 et 1980, l’ethnologie nord-américaine a imposé sa méthodologie et produit de nombreuses études qui négligent totalement cette dimension. Voir Bella, Ismael Sánchez, « Los visitadores generales de Indias y el gobierno de los virreyes», Derecho Indiano, Estudios I. Las visitas generales en la América Española (siglos XVI-XVIII), Pampelune, Universidad de Navarra, [1972] 1991, pp. 3–52 Google Scholar. Dans le prolongement des études juridiques, voir Loza, Carmen Beatriz, « Juger les chiffres. Statut des nombres et pratique de comptage dans les dénombrements andins, 1542-1560», Histoire & Mesure, XII-1/2, 1998, pp. 13–37 CrossRefGoogle Scholar. Le point de vue des démographes est exposé dans l’ouvrage de Arratex, Carmen, Mellafe, Rolando et Somoza, Jose Luis, Manual de demografí a histórica en América Latina, Porto Rico, Centro Latinoamericano de Demografía, 1983, pp. 44–70 Google Scholar.
4 - J’emploie la notion d’Indien dans le sens juridique du terme. Au XVIe siècle, être Indien signifiait être une personne rustique, misérable et mineure, c’est-à-dire quelqu’un qui nécessitait la protection des autorités de justice. J’écarte donc, pour l’analyse du XVIe siècle, les concepts d’autochtone ou d’indigène, qui masquent la réalité historique.
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7 - C’est sur la base de la démonstration établie par Monique Moustapha que j’abandonne la traditionnelle appellation: Anonyme de Yucay, pour celle de Parecer de Yucay. Considérant que l’attribution de la paternité de l’ouvrage à García de Toledo et Pedro Gutiérrez Flores est établie, on veut également indiquer par là que les auteurs ont écrit dans l’ombre du vice-roi Toledo. Voir Moustapha, Monique, «Encore le “Parecer de Yucay”: essai d’attribution», Iberoamerikanisches Archiv, 3-2, 1977, pp. 215–229 Google Scholar.
8 - Fernández, Isacio Pérez, El anónimo de Yucay frente a Bartolomé de Las Casas. Estudios y edición crítica del Parecer de Yucay, anónimo (Valle de Yucay, 16 de marzo de 1571), Cusco, Centro de Estudios Regionales Andinos «Bartolomé de Las Casas», 1995 Google Scholar; voir aussi Josyane Chinèse, , « Anónimo de Yucay (1571)», Historia y Cultura, 4, 1970, pp. 97–152 Google Scholar. Voir également De La Espada, Marcos Jímenez, Tres relaciones de antigüedades peruanas, Madrid, 1879 Google Scholar; ID., « Primer siglo de la Universidad de Lima. Carpeta de documentos», Revista de Historia y Literatura españolas, portuguesas e hispanoaméricanas, I, 1896, pp. 9-12; Bataillon, Marcel, Études sur Bartolomé de Las Casas, Paris, Centre de recherches de l’Institut d’études hispaniques, 1966 Google Scholar; Romero, Horacio Urteaga, Informaciones sobre el antiguo Perú, Lima, Sanmarti, 1921 Google Scholar; Hanke, Lewis, La lucha per la justicia en la conquista de América, Madrid, Ediciones Istmo, 1992 Google Scholar.
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13 - L’exemplaire connu le plus ancien, vraisemblablement établi par le juriste espagnol Solorzano y Pereira après 1623, est intitulé Dominio de los Ingas en el Perñ y del que S. M. tiene dichos reinos (Biblioteca Nacional de Madrid, ms. 9442). Après cette date, l’intérêt pour ce document semble avoir disparu, et il fallut attendre la première moitié du XIXe siècle pour qu’une nouvelle copie fût élaborée, cette fois avec le titre de Dictamen sobre el dominio de los Ingas y el de los Reyes de España en los reinos del Perü (Biblioteca Nacional de Madrid, ms. 16569). Enfin, vers 1848, une autre copie est intitulée Dictamen de Indias (Biblioteca Universitaria de Salamanca, ms. 1886).
14 - I. PéRez Fernández, «Estudio crítico preliminar», in ID., El anónimo de Yucay..., op. cit., pp. 15-110.
15 - El anónimo de Yucay..., op. cit., p. 15. Le texte signale que Dieu avait donné les Indes « d’une des manières les plus nouvelles que Dieu a jamais eues pour offrir des royaumes ».
16 - Pour une version détaillée de cet épisode, voir Guillén, Edmundo Guillén, La guerra de reconquista inka. Historia épica de cómo los Incas lucharon en defensa de la soberanía del Perú o Tawantinsuyo entre 1536 y 1572, Lima, R. A. Editor, 1994 Google Scholar.
17 - Ce type d’argument fut présenté par l’oidor Juan de Matienzo, qui énuméra les signes permettant de qualifier les Incas comme des tyrans: De Matienzo, Juan, Gobierno del Perú, édition et étude préliminaire par Guillermo Lohmann Villena, Paris-Lima, Institut français d’études andines, [1567] 1967, chap. I, pp. 6–10 CrossRefGoogle Scholar.
18 - I. PéRez Fernández, « Estudio crítico preliminar », in ID., El anónimo de Yucay..., op. cit., pp. 15-110.
19 - Ibid., pp. 144-147.
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22 - Archivo Histórico del Cusco: « Genealogía, ascendencia y descendencia de don Diego Sairitúpac Manco Capac Yupanqui Inca », livre 2, ff. 83-185 (ces manuscrits sont publiés dans « Autos seguidos por el capitán don Martín García de Loyola y la doñ a Beatriz, su mujer, con el fiscal de S. M. sobre los indios Yanaconas del valle de Yucay (1574)», Revista del Archivo del Cusco, 3, 1971, pp. 82-148).
23 - Contrairement à ce qu’affirment certains auteurs (B. Clavero, Mayorazgo. .., op. cit., p. 196), en contradiction avec les données explicites de la documentation cusquénienne.
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29 - U. Oberem et R. Hartmann, « Indios Canaris... », art. cit.
30 - Wachtel, Nathan, « Los mitimas de la vallée de Cochabamba. La politique de colonisation de Huayna Capac», Journal de la Société des américanistes, LXVII, 1980-1981, pp. 297–324 CrossRefGoogle Scholar.
31 - Cf. C. B. Loza, «¿Estatuto fiscal... », art. cit., pp. 371-381.
32 - El anónimo de Yucay..., op. cit., p. 134: «Et certains Espagnols voulurent épouser des Indiennes apparentées à l’Inca afin de pouvoir ensuite prétendre au royaume comme s’il leur revenait par héritage. »
33 - Ce projet est clairement mis en évidence par J. DE Matienzo, Gobierno del Perú, op. cit.
34 - Ibid., pp. 6-10.
35 - De Toledo, Francisco, Disposiciones gubernativas para el virreinato del Perü 1569-1574, t. 2, Séville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos/Consejo Superior de Investigaciones Científicas/Monte de Piedad y Caja de Ahorros de Sevilla, 1986 Google Scholar.
36 - U. Oberem et R. Hartmann, « Indios Cañ aris... », art. cit., p. 118.
37 - C. B. Loza, « De la classification... », art. cit., pp. 371-381.
38 - Pour une explication détaillée de cet aspect du droit subjectif, voir Àlvarez, Antonio Merchán, La tutela de los menores en Castilla hasta fines del siglo XV, Séville, Universidad de Sevilla, 1976 Google Scholar.
39 - Cf. Temple, Ella Dumbar, « El testamento inédito de Beatriz Clara Coya, hija del Inca Sayri Túpac», Fénix, 1958, p. 113 Google Scholar.
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41 - AGI, Justicia 1167, г. 3, n° 11: « Cristóbal Maldonado con Martín García de Loyola, sobre una acusación que le hizo de haber traído de Indias cierta cantidad de plata y oro sin registrar ».
42 - Archivo Departamental del Cusco: « Genealogía, ascendencia y descendencia de don Diego Sairitúpac, Manco Cápac Yupanqui Ynca », livre 2, ff. 83-185.
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44 - Sur ce sujet, voir Depambour-Tarride, Laurence, Les petits domaines de la Couronne. Contribution à l’étude historique de la dominialité, thèse de droit, Paris II, Reprographix, 1975 Google Scholar, 2 vols.
45 - Nous empruntons à Luc Boltanski l’idée d’utiliser la notion de « taille » pour remplacer celle de grandeur. Dans notre cas, la « taille » est liée à la possibilité d’une reconnaissance par la Couronne et donc par l’administration du Pérou. Boltanski, Luc, L’amour et la justice comme compétences. Trois essais de sociologie de l’action, Paris, Métaillié, 1990 CrossRefGoogle Scholar.
46 - Il est important de souligner que Beatriz Clara Coya n’a pas reçu par voie de majorat une encomienda mais un señorío, dont la nature juridique est fondamentalement différente. La thèse traditionnelle est soutenue par Nowack, Kerstin et Julien, Catherine Jean, « La campaña de Toledo contra los señores naturales andinos: el destierro de los Incas de Vilcabamba y Cuzco», Historia y Cultura, 23, 1999, pp. 32–33 Google Scholar.
47 - Biblioteca Nacional de Madrid, ms. 1976, ff. 44v.: « [...] il est certain que les Indiens et les villages de ces [vallées de Yucay] ne vont pas en augmentation, mais plutôt en forte diminution. »
48 - Geary, Patrick J. traite de ce problème dans son étude: « Vivre en conflit dans une France sans État: typologie des mécanismes de règlement des conflits (1050-1200)», Annales ESC, 41-5, 1986, pp. 1107–1133 Google Scholar.
49 - Juan de Matienzo considérait les clientèles comme une menace et la preuve de la tyrannie des Incas: « Los Ingas de quien hablamos eran tan sagaces, que, para conservar su tirania, siempre se acompañaban de sus parientes y criados gobernadores en todas sus tierras, y de otros Ingas deudos suyos a los cuales enviaban a visitar la tierra por capitanes de ella, y sino se fiaban de otros, ni de los mismos naturales, como verdaderos tiranos » (Gobierno del Perú, op. cit., p. 10).
50 - Le 18 décembre 1613, un accord intervint entre la Couronne et la plaignante, par lequel elle renonçait à ses prérogratives: « Renunciaban y renunciaron en Su Majestad y su real conobrer y patrimonio todos y cualesquier que ahora y en cualquier momento por cualquier razón y causa pertenecían o pueden pertenecer a dicha señ ora marquesa Doña Ana María de Loyola Coya, como tal heredora y sucesora de los dichos sus padres, abuelos y bisabuelos y a sus herederos y sucesores. »
51 - Saignes, Thierry, « Parcours forains: l’enjeu des migrations internes dans les Andes coloniales», Cahiers des Amériques latines, 6, 1987, pp. 33–58 Google Scholar; Wightman, Ann M., Indigenous Migration and Social Change. The forasteros of Cuzco, 1570-1720, Durham, Duke University Press, 1990 CrossRefGoogle Scholar. Wachtel, Nathan, Le retour des ancêtres. Les Indiens Urus de Bolivie, XXe-XVIe siècle. Essais d’histoire régressive, Paris, Gallimard, 1990, pp. 435–452 Google Scholar. Poloni-Simard, Jacques, La mosaïque indienne. Mobilité, stratification sociale et métissage dans le corregimiento de Cuenca (Équateur) du XVIe au XVIIIe siècle , Paris, Éditions de l’EHESS, 2000, pp. 153–165 Google Scholar et 340-345.