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George Dandin, ou le social en représentation

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Roger Chartier*
Affiliation:
École des Hautes Études en Sciences Sociales

Extract

”George Dandin, lre fois — le mardi 10e … La troupe est partie pour Versailles. On a joué le Mari confondu. A été de retour le jeudi 19e ». C'est ainsi que La Grange, l'un des comédiens de Molière, mentionne dans ses Extraits des Recettes et des Affaires de la Comédie depuis Pâques de l'année 1659 la première représentation de George Dandin, à Versailles, en juillet 1668.

En date du 21 juillet, la Gazette en dit plus et moins : « Le 19 de ce mois, Leurs Majestés, avec lesquels étaient Monseigneur le Dauphin, Monsieur et Madame et tous les Seigneurs et Dames de la cour, s'étant rendus à Versailles, y furent divertis par l'agréable et pompeuse fête qui s'y préparait depuis si longtemps et avec la magnificence digne du plus Grand Monarque du monde.

Summary

Summary

This article, the first stage in a larger study, offers an analysis of the forms of representation and an interpretive outline for Molière's comedy, George Dandin, presented for the first tinte in Versailles in July 1668. The study concerns first of all the sensual effects produced by the specific theatrical devices of this first presentation of the play whose three acts are blended into dances and songs of a pastorale by Lulli which takes place during a court festival celebrating the king's triumphs and the beauty of Nature. It then suggests that a tight relation exists between the plot of the comedy and, not the real social world, but the spectators’ knowledge of social behavior in 1668 —in particular, at the court, the stakes involved in the verification of the state and titles of the nobility. We are therefore called upon to navigate between the text and the thoughts they were likely to produce and, in order to do so, to analyze the varied forms by which they were conveyed to audiences and readers.

Type
Littérature et Histoire
Copyright
Copyright © École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1994

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References

* Cet article constitue un jalon dans une étude encore inachevée, à paraître aux Éditions Odile Jacob.

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2. Gazette, 1668, pp. 695-696.

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5. Le Registre de La Grange, op. cit., 1.1, p. 101.

6. Gazette, 1668, p. 1182. On trouvera commodément rassemblées les attestations des représentations de la comédie dans Mongredien, G., Recueil de textes et de documents du xvne siècle relatifs à Molière, Paris, Éditions du CNRS, 1965, rééd., 1973.Google Scholar

7. Cf. les travaux exemplaires de Mckenzie, D., « Typography and Meaning : The Case of William Congreve », dans Buch und Buchhandel in Europa im achtzehnten Jahrhundert, Barber, G. et Fabian, B. éds, Hambourg, Dr. Ernst Hauswedell und Co., 1981, pp. 81126 Google Scholar, et Bibliography and the Sociology of Texts, The Panizzi Lectures 1985, Londres, The British Library, 1986 (trad. française, La bibliographie et la sociologie des textes, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1991).

8. On peut mesurer le faible intérêt critique porté à George Dandin à partir des deux bibliographies moliéresques successives : celle de Saintonge, P. et Christ, R.-W., Fifty Years of Molière Studies. A Bibliography, 1892-1951, Baltimore-Oxford-Paris, 1942, pp. 196197 Google Scholar, et celle de Saintonge, P., « Thirty Years of Molière Studies. A Bibliography, 1942-1971 », dans Molière and the Commonwealth of Letters : Patrimony and Posterity, Johnson, R. Jr., Neumann, E.-S. et Trail, G. éds, University Press of Mississippi, 1975, pp. 796797.Google Scholar

9. Gossman, L., Men and Masks. A Study of Molière, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1969, pp. 146163.Google Scholar

10. Sur ces deux mises en scène, voir M. Descotes, « Nouvelles interprétations moliéresques », dans OEuvres et critiques, VI, 1 : Visages de Molière, 1981, pp. 35-55, et Saintpaul, R., George Dandin de Molière à nos jours : trois siècles de mise en scène en France, thèse de doctorat de l'Université de Paris, 1972, dact., pp. 85109.Google Scholar Pour un exemple d'étude critique suscitée par la première mise en scène de Planchon, R., cf. Crow, J., « Reflections on George Dandin », dans Molière : Stage and Study. Essays in Honour of W.-G. Moore, Howarth, W.-D. et Thomas, M. éds, Oxford, At the Clarendon Press, 1973, pp. 312.Google Scholar

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13. Relation de la Feste de Versailles du dix-huitième Juillet mil six cens soixante huit, Paris, Le Petit, 1669.

14. Le Grand divertissement royal de Versailles, Paris, Ballard, 1668, 20 p. ; rééd. dans Molière, , OEuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, pp. 451461.Google Scholar

15. Lettre en vers à Madame, 21 juillet 1668, pp. 3-4.

16. Cf. Guibert, A.-J., Bibliographie des oeuvres de Molière publiées au XVIIe siècle, Paris, Éditions du CNRS, 1961,t.1, pp. 283292.Google Scholar

17. Molière, L'Amour médecin, dans Molière, , (Euvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, pp. 87120 (citation p. 95).Google Scholar

18. L'hétérogénéité radicale de la comédie et de la « pastorale » est un des lieux communs des commentaires critiques du divertissement de 1668 : cf., à titre d'exemple, celui de W.-D. Howarth constatant qu'il y a « absolutely no intégration between the play and its spectacular framework », dans Howarth, W.-D., Molière. A Playwright and his Audience, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, pp. 218219 Google Scholar. Rares exceptions, les lectures faites par Böttger, F., Die « Comédies Ballets » von Molière-Lully, Berlin, Funk, Paul, s. d. (1931)Google Scholar, et Lawrence, F. L., Molière : The Comedy of Unreason, New Orléans, Tulane Studies in Romance Languages and Literature, 1968, pp. 4546 Google Scholar qui affirme : « My conviction that George Dandin is a drama of courtly love seen through the reverse side of the glass was fostered and finds its ratification in the little pastoral which Molière wrote for the entr'actes of the main drama at the Versailles extravaganza where George Dandin was first performed ». A noter, toutefois, que la pastorale, qui n'est pas « petite », n'a pas été écrite pour les entractes de la comédie : c'est elle qui constitue la grande forme dans laquelle s'inscrivent les actes de la comédie.

19. H. Purkis, « Les intermèdes musicaux de George Dandin », dans Baroque, Actes des Journées internationales « Études baroques » (Montauban, 1970), 5e cahier, 1972, pp. 63-69. Cf. aussi l'analyse & Amphytrion par Benichou, P., Morales du grand siècle, Paris, Gallimard, 1948 Google Scholar ; rééd., « Idées », 1983, pp. 267-275.

20. Pour une comparaison du vocabulaire de Molière, Racine et Corneille, cf. Livet, Ch.-L., Lexique de la langue de Molière comparée à celle des écrivains de son temps, Paris, Imprimerie nationale, 1895-1897Google Scholar, Freeman, B. et Batson, A., Concordance du théâtre et des poésies de Jean Racine, Ithaca, Cornell University Press, 1963 Google Scholar, et Muller, C., Étude de statistique lexicale. Le vocabulaire du théâtre de Pierre Corneille, Paris, Larousse, 1967.Google Scholar

21. Relation de la Feste de Versailles du dix-huitième Juillet mil six cens soixante huit, Paris, Le Petit, 1668, 60 p. ; réed. dans OEuvres de Molière, Paris, Librairie Hachette, t. IV, 1881, p. 614 ss.

22. A.-J. Guibert, op. cit., t. I, pp. 508-512 et t. II, pp. 23-24.

23. La fête du 18 juillet et celle du 17 septembre — marquée selon la Gazette par un souper servi dans la Ménagerie, l'illumination du Fer-à-Cheval, du château et de la grotte, et un feu d'artifice — ont coûté ensemble 117 033 livres 2 sous et 9 deniers (cf. Comptes des Bâtiments du Roi sous le règne de Louis XIV, publiés par J. Guiffrey, t.1, Colbert, 1664-1680, Paris, 1881, pp. 302-308). Le compte, divisé en 91 rubriques, atteste que 65 % de la dépense ont été consacrés aux matériaux, décors et ornements des fabriques, 16,5 % aux gages des ouvriers employés à les édifier (et à les démolir) et 15 % aux illuminations et feux d'artifice. Il mentionne la présence nombreuse des Gardes Suisses qui « ont servi 3 440 journées durant les deux fêtes de Versailles, à raison de 20 sous par jour » et indique les noms des artistes mobilisés pour la décoration de la salle du festin et de celle du bal : il s'agit du peintre Louis Le Hongre et des sculpteurs Jacques Houzeau, Etienne Le Hongre, Gérard Van Obstal et Louis Lerambert.

24. Cf. Teyssedre, B., L'art français au siècle de Louis XIV, Paris, Le Livre de Poche, 1967, pp. 140145 Google Scholar ; Vanuxem, J., « La scénographie des fêtes de Louis XIV auxquelles Molière a participé », XVII’ Siècle, n° 98-99,1973, pp. 7790 Google Scholar, et Apostolides, J.-M., Le roi-machine. Spectacle et politique au temps de Louis XIV, Paris, Les Éditions de Minuit, 1981, pp. 8692.Google Scholar

25. Alewyn, R., L'univers du baroque (1959), trad. française, Paris, Éditions Gonthier, 1964.Google Scholar

26. Sur l'idéalisation aristocratique de la vie nobiliaire chevaleresque et rustique, cf. Elias, N., La société de cour (1969), trad. française complète, Paris, Flammarion, 1985, pp. 293305.Google Scholar

27. Sur le motif de l'île dans les fêtes de Versailles, cf. Ranum, O., « Islands and the Self in a Ludovician Fête », dans Sun King. The Ascendancy of French Culture during the Reign of Louis XIV, Rubin, D. L. éd., Washington, The Folger Shakespeare Library, et Londres- Toronto, Associated University Presses, 1992, pp. 1734.Google Scholar O. Ranum note : « The transcendent moment of the 1668 fête carried the same message as that of the Enchanted Isle of 1664, but the entire château had momentarily become an island palace, résidence of the gods under Apollo's attentive and fertile gaze », p. 28.

28. B. Teyssedre, op. cit., pp. 76, 81-82, 134-140.

29. Ce décor n'est pas celui gravé par Le Pautre pour l'édition de 1679 de la Relation. Ce qu'il montre est plutôt le décor du dernier intermède, celui de l'affrontement et de la réconciliation des suivants de l'Amour et de ceux de Bacchus.

30. Abbé De Montigny, La Fête de Versailles du 18 juillet 1668, texte manuscrit, Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 5418, Recueil Conrart in-folio, t. IX, pp. 1109-1119 ; texte imprimé dans Recueil de diverses pièces faites par plusieurs personnages, La Haye, J. et D. Stencker, 1669.

31. Lettre en vers à Madame, 21 juillet 1668, pp. 3-4.

32. Ch. Huyghens, OEuvres complètes, t. VI, Correspondance, 1666-1669, La Haye, 1895, lettre du 27 juillet 1668 à Philippe Doublet, pp. 245-246. Selon les Comptes des Bâtiments du Roi, Charles Huyghens reçoit en décembre 1668, 6 000 livres « pour ses appointements pendant la présente année ».

33. P. Benichou, Morales du grand siècle, op. cit., et Auerbach, E., Mimesis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, trad. française, Paris, Gallimard (1946), 1968 Google Scholar ; rééd., « Tel », 1977.

34. Lettre en vers à Madame, 10 novembre 1668, p. 2.

35. Molière, George Dandin ou le Mari confondu, dans Molière, , OEuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, pp. 463503 (citation, pp. 505-506).Google Scholar

36. Cette interprétation du dédoublement de Dandin est celle de Romano, D., Essai sur le comique de Molière, Berne, Francke, 1950 Google Scholar, et de J., Brody, « Esthétique et société chez Molière », dans Dramaturgie et société, Paris, Éditions du CNRS, 1968, pp. 307328.Google Scholar

37. L. Gossman, op. cit, pp. 161-162 : « Dandin's whole behavior is marked by this dual attitude of love and hate, of self-love and self-hate. He must inevitably seek to be humiliated by his idols in order that their divinity be upheld, and he must inevitably resent this divinity because it is the obstacle to his own […] The George Dandin who comments is the resentful Georgeit is he who seeks to “désabuser le père et la mère”and the George who is commented on is the idolatrous George ».

38. Knutson, H. C., Molière : An Archetypal Approach, Toronto, University of Toronto Press, 1976, p. 154 Google Scholar : « That belated wisdom cohabits in Dandin with the memory offolly explains the distinctive dédoublement of this main character and the constant dialogue that goes on within him ».

39. Albanese, Ralph Jr., « Solipsisme et parole dans George Dandin », Kentucky Romance Quarterly, 27, 1980, pp. 421434.CrossRefGoogle Scholar

40. Molière, La Critique de l'École des femmes, op. cit., p. 659.

41. Jurgens, M. et Maxfield-miller, E., Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe, Paris, SEVPEN, 1963, pp. 554584 Google Scholar, la description du costume du rôle de Dandin, p. 567. Cf. le commentaire de dock, S. Varick, Costume and Fashion in the Plays of Jean-Baptiste Poquelin Molière : A Seventeenth-Century Perspective, Genève, Editions Slatkine, 1992, pp. 203208.Google Scholar

42. Rabelais, Le Tiers Livre, chap. 41, dans Rabelais, , OEuvres complètes, Paris, Éditions du Seuil, « L'intégrale », 1973, pp. 518521.Google Scholar Le terme dendins apparaît parmi les injures adressées par les fouaciers de Lerné aux bergers, sujets de Gargantua, Gargantua, ibid., p. 119.

43. Cf. Gross, N., From Gesture to Idea : Esthetics and Ethics in Molière's Comedy, New York, Columbia University Press, 1982, pp. 127138 Google Scholar, pour qui George Dandin « takes the form of a séries of trials » (citation p. 127).

44. Voir les conclusions tout à fait concordantes de J.-M. Constant, Nobles et paysans en Beauce aux XVIe et XVIIe siècles, Service de Reproduction des thèses, Université de Lille III, 1981, chap. III et IV, et de Wood, J. B., The Nobility of the Election of Bayeux, 1463-1666. Continuity through Change, Princeton, Princeton University Press, 1980.Google Scholar

45. Cf. dans J.-M. Constant, op. cit., pp. 70-73, le paragraphe « Des paysans ont-il pu s'anoblir avant 1560 ? ».

46. Sur ce point, un même diagnostic est porté par J.-M. Constant, op. cit., p. 233 (qui chiffre à 15,3 % les alliances roturières, officières et bourgeoises de la noblesse beauceronne pour la période 1660-1700 contre 1,3 % pour la période 1600-1660) et par Jacquart, J., La crise rurale en Ile-de-France, 1550-1670, Paris, Armand Colin, 1974, p. 534.Google Scholar

47. Madame de Sévigné, Correspondance, texte établi, présenté et annoté par R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1.1, Mars 1646-juillet 1675, 1972, pp. 99-102.

48. Deux exemples de recherches provinciales dans J. B. Wood, op. cit., chap. 1, et Meyer, J., La noblesse bretonne au xvm'siècle, Paris, SEVPEN, t.1, 1966, pp. 2961.Google Scholar Dans l'élection de Bayeux, 6 % des nobles vérifiés sont remis à la taille ; en Bretagne, le pourcentage paraît très supérieur.

49. P.-J. Grosley, « Recherches sur la noblesse utérine de Champagne », dans Recherches pour servir à l'histoire du droit français, 1752, pp. 183-250, qui cite les coutumes de Troyes, Châlons, Meaux, Vitry, Chaumont et Sens.

50. Bruyère, La, Les Caractères de Théophraste traduits du grec avec Les Caractères ou les Moeurs de ce siècle, texte établi par Garapon, R., Paris, Éditions Garnier, 1962.Google Scholar De quelques usages, 11, p. 416.

51. Madame De Sévigné, op. cit., lettre à Bussy-Rabutin du 4 décembre 1668, pp. 105-106. 52. Gaines, J. F., Social Structures in Molière's Theater, Columbus, Ohio State University Press, 1984, pp. 148155.Google Scholar