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Les contes persans de Menasseh Ben Israël. Polémique, apologétique et dissimulation à Amsterdam au XVIIe siècle

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Benjamin Braude*
Affiliation:
Boston College, Chestnut Hill, Massachusetts

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Les études sur les activités économiques des juifs sont l'un des domaines les plus négligés et les plus problématiques de l'historiographie juive. Les problèmes tiennent à la fois à la façon dont ses historiens sont formés et à la situation hostile à laquelle ils sont confrontés. Dans le passé, la plupart des chercheurs étaient formés soit dans des séminaires rabbiniques soit par des maîtres qui y avaient eux-mêmes suivi une formation. Les institutions spirituelles ne sont pas nécessairement le meilleur endroit où former ceux qui étudient la civilisation matérielle. L'autre problème est plus difficile à surmonter. Il tient, en partie, au fait que le christianisme se considère comme la seule vraie foi spirituelle tandis qu'il voit le judaïsme comme une religion simplement ancrée dans la vie matérielle.

Summary

Summary

This article explores one of the most well-known works of modem Jewish letters, Mikveh Yisrael (The Hope of Israel), to reveal that its author produced not one, but two versions, Esperança de Israel, intended for a Sefardi audience, and Spes Israelis, intended for a Gentile audience. The differences between the two demonstrate 1) chronic sensitivity about portraying the Jewish economic role, 2) the subtle vacillation of Marrano discourse between Judaism and Christianity, and 3) the importance of the image of Jewish wealth and power in the lands of Islam in determining the position of Jews in the West. Mikveh Yisrael was a benchmark in the changing attitude ofEuropean society toward the Jew during the seventeenth and eighteenth centuries.

Type
Les Usages du Singularisme
Copyright
Copyright © Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1994

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References

* Cet article est dédié à la mémoire de Robert Cohen, collègue et ami. J'ai pu mener à bien ma recherche et la rédaction de cet article grâce à l'Institut des Hautes Études de l'Université hébraïque de Jérusalem qui m'a invité à me joindre à son groupe de recherches sur « Le monde juif après l'expulsion d'Espagne », et grâce à William B. Neenan, S. J., vice-président universitaire et doyen de Boston College, qui, par son soutien supplémentaire, m'a permis d'y participer pendant l'année universitaire 1991-1992.

1. Voir Braude, Benjamin, « Jewish Economic History-Review Essay », Association for Jewish Studies Newsletter, n° 19, février 1977, pp. 2528.Google Scholar

2. Dans A Social and Religious History of the Jews (deuxième édition, révisée et augmentée, XVIII, New York, 1983, p. 354), Baron affirme citer Johann Andréas Eisenmenger, Entdectkes Judentum, II, 1001 (voir note 64, pp. 582-583). Quoique mis entre guillemets, le texte cité n'est pas une traduction précise mais plutôt une paraphrase quelque peu trompeuse de l'allemand : « … der Herr Elieser… war ein Vezir… So ist auch sein Bruder Jacob Haja genennet worden. Derselbige ist vor 24 jahren mit 70 seiden beladenen kamelen in die statt Aleppo gekommen darnach ist er nach Jerusalem gereiset und hatt viel almosen unter die armen auszgetheilet » (dans l'orthographe d'origine). H. Kellenbenz reprend la même histoire, tirée d'Eisenmenger, dans « Die Baltische Route des Orienthandels im 17 und zu Beginn des 18 Jahrhunderts », Actes du Xe congrès international d'études byzantines, Istanbul, 1957, pp. 223-227.

3. Voir J. A. Eisenmenger, II, 998, 1742. Dans une édition antérieure (on suppose qu'il s'agit de Königsberg, 1711) la référence au Miqveh Yisrael apparaît à la page 999 et le récit se trouve page 1003. La formulation est cependant identique dans les deux éditions. D'habitude, Baron ne fournit pas d'indications bibliographiques complètes, mais il semble utiliser l'édition de 1742.

4. Coppenhagen, J. H., Menasseh Ben Israel. A Bibliography, Jérusalem, 1990, pp. 216218 Google Scholar. Il n'y a, en fait, aucune bibliographie adéquate des œuvres de Menasseh Ben Israël. L'ouvrage existant est non seulement incomplet et mal organisé mais de plus, il lui manque l'outil de base d'un tel travail, une liste chronologique des publications de l'auteur. Pour d'autres éditions du Miqveh Yisrael, voir den Boer, Harm, « Spanish and Portuguese Editions from the Northern Netherlands in Madrid and Lisbon Public Collections, II, 2 », Studia Rosenthaliana, 23, 1989, 142, 147Google Scholar. Je souhaite remercier ceux qui m'ont aidé à localiser certaines des premières éditions du Miqveh Yisrael : Robert Cohen, Israel Bartal, Elhanan Reiner et A. K. Offenberg de la Bibliotheca Rosenthaliana, Amsterdam. Le docteur Offenberg a attiré mon attention sur deux bibliographies que malheureusement je n'ai pas pu consulter, J. S. DA Silva Rosa, Alfe Menache, 1927, et l'autre de M. H. Gans et L. Fuks, 1957.

5. Une biographie complète de Menasseh reste à entreprendre. L'étude la plus récente (en hébreu, mais à paraître bientôt en espagnol et en anglais) est celle d'Henri MéChoulan, « Menasseh Ben Israël » dans l'ouvrage dirigé par Beinart, Haïm, Morechet Sefarad, Jérusalem, 1992, pp. 622639 Google Scholar. D'autres ouvrages récents : M. Dorman, Menasseh Ben Israel, Tel- Aviv, 1989 — un ouvrage de vulgarisation en hébreu, qui se base sur les recherches les plus récentes ; sous la direction d'Y. Kaplan, MéChoulan, H. et Popkin, R., Menasseh Ben Israel and His World, Leyde, 1989 Google Scholar — un recueil varié de conférences ; Menasseh Ben Israël, Espérance d'Israël, dirigé et traduit par Henri MÉChoulan et Gérard Nahon, Paris, 1979, et par les mêmes directeurs en anglais avec une introduction revue, The Hope of Israel, Oxford, 1987, et en espagnol, Esperanza de Israël Madrid, 1987 ; les longues introductions dans toutes les éditions sont de très grande valeur. Il reste utile de consulter les ouvrages plus anciens de Cecil Roth, Menasseh Ben IsraelRabbi, Printer and Diplomat, Philadelphie, 1939 et de Keyserling, M., Menasseh Ben Israel, sein Leben und Werken, Berlin, 1861 Google Scholar, traduit en anglais sous le titre The Life and Labours of Menasseh Ben Israel, dans Miscellany of Hebrew Literature, sous la direction d'A. Lôwy, vol. II, seconde série, Londres, 1891, pp. 1-96.

6. Voir Henri MéChoulan et Gérard Nahon (Sous la direction de), Hope of Israel, op. cit., p. v.

7. Voir « Auctores aliarum nationum, qui citantur in hoc tractaru » et « Libri et Authores Hebraei », Spes Israelis, Amsterdam, 1650 ; « Libros Hebreos, que se alegan en la presente obra » et « Authores de diversas naciones, que se citan en la presente obra », Esperança de Israel, Amsterdam, 1650, section 9.

8. L'affirmation de J. A. Eisenmenger selon laquelle il y aurait eu une version allemande pourrait relever d'une confusion avec les traductions hollandaise (1666) et yiddish (1691) de Esperança de Israel. Son affirmation selon laquelle l'original était en portugais plutôt qu'en espagnol reflète une erreur commune, provenant peut-être de l'aspect portugais du titre, Esperança, au lieu de l'orthographe moderne espagnole esperanza (voir, par exemple, Encyclopaedia Judaica, deuxième édition, article Menasseh Ben Israël, où l'on trouve la même erreur). La traduction en hébreu (1697) qu'il a utilisée était basée sur la traduction hollandaise de l'original espagnol. La différence la plus significative entre la traduction allemande d'Eisenmenger et l'original espagnol réside dans la date de la cargaison de soie. L'original la situe 34 années plus tôt, c'est-à-dire en 1615 ou 1616 (selon que Menasseh se réfère à 1649 année de composition de son ouvrage, ou à 1650, année de sa publication). La traduction allemande, elle, indique 24 années, soit 1625 ou 1626. Le responsable de cette erreur n'était cependant ni Eisenmenger ni le traducteur hollandais, Jan Bara, mais le traducteur hébreu Elyakim Ben Jacob.

9. Sorbière, , Soberiana ou bons mots…, Paris, 1684, p. 125 Google Scholar, cité par H. Méchoulan et G. Nahon dans Hope of Israel, op. cit., p. 62, n. 9. Cette affirmation est en accord avec les preuves citées dans Ernestine van der Wall, G. E., « Three Letters by Menasseh Ben Israel to John Durie [sic] », Nederlands Archief voor Kerkgeschiedenis, 65, 1985, pp. 4663.Google Scholar

10. Schorsch, Ismar, « From Messianism to Realpolitik : Menasseh Ben Israel and the Readmission of the Jews to England », Proceedings of the American Academy of Jewish Research, 45, 1978, pp. 187208 CrossRefGoogle Scholar. Professeur d'histoire et aujourd'hui aussi chancelier du Jewish Theological Seminary of America, il s'est spécialisé dans l'histoire juive allemande du XIXe siècle, l'antisémitisme et l'historiographie en particulier, mais il a aussi écrit des articles importants sur beaucoup d'autres sujets.

11. Wolf, Lucien, Menasseh Ben Israel's Mission to Oliver Cromwell, Londres, 1901, XXIIXXVI.Google Scholar

12. Cité par I. Schorsch, p. 197. Le pamphlet faisait partie d'une série de brochures destinées à réunir des fonds et publiées dans les années 1640 et 1650 par des partisans de la colonie de Plymouth. Dans l'annexe que ne cite pas I. Schorsch, celui qui n'est identifié que par sa signature « I. D. » ou « J. D. » affirme que non seulement Menasseh mais également « les Juifs des Pays-Bas » pensent que « certaines des Dix tribus » sont « en Amérique » (souligné dans l'original). Voir The Glorious Progress ofthe Gospel amongst the Indians in New England. Manifested by Three Letters… of Mr John Eliot… and another from Mr Thomas Mayjew… with an Appendix… by I. D. Minister of the Gospell !…, sous la direction d'Edward Winslow, réimprimé dans une collection intitulée Tracts Relating to the Attempt to Couvert to Christianity the Indians of New England. Collections of the Massachusetts Historical Society, troisième série, vol. IV, Cambridge, Ma., 1834, pp. 73, 94. Le ministre I. D. (dans la page de titre) et J. D (dans la première page d'appendice) sont, sans doute, le correspondant de Menasseh, John Dury.

13. Spes Israelis, section II, pp. 21-22. Il n'y a pas de traduction française de l'ouvrage en latin. Il en existe une traduction anglaise de Moses Wall (1652), p. 20 : « I doe like of, in part, the opinion of the Spaniards who dwell in the Indies, who by common consent doe affirm that the Indians come of the ten Tribes. And truly they are not altogether mistaken, because in my opinion, they were the first planters of the Indies ; as also other people of the East-Indies came by that Streight which is between India and the Kingdome of Anian. But that people, according to our Montezinus, made warre upon those Inhabitants the Israelites, whom they forced up unto the mountaines, and the in-land Countries, as formerly the Brittaines were driven by the Saxons into Wales.

14. On trouvera un survol de cette littérature dans Glaser, Lynn, Indians or Jews ? An Introduction to a Reprint of Menasseh Ben Israel's Hope of Israel, Gilroy, Ca., 1973 Google Scholar. Parmi les ouvrages cités, Thomas Thorowgood, Jews in America, or Probabilities that the Americans are of that Race, Londres, 1650 ; et Jews in America, or Probabilities that Those Indians are Judaical. Made more Probable by Some Additions on the Former Conjectres : etc., Londres, 1650 ; Theophilus Spizelius, Elevatio Relationis Montex-Inianae de Repertis in America Tribubus Israeliticis et Discussio Argumentorum Israelitica a Manasseh Ben Israel seu spes Israelis Conquisitorum, Bâle, 1651) ; SirL'Estrange, Hamon, Americans no Jewes, or Improbabilities that the Americans are of that Race, Londres, 1652 Google Scholar ; Mather, Cotton, Magnalia Christi American, Londres, 1702 Google Scholar; Jacques Basnage, History ofthe Jews, Londres, 1708; la réédition par Robert Ingram de Hope of Israel, Londres, 1792, et son compte rendu dans Monthly Review, 1792. Voir également Cogley, Richard, « John Eliot and the Origins of the Indians », Early American Literature, 21, 1986-1987, pp. 210225.Google Scholar

15. M. Kayserling, The Life and Labours of Menasseh Ben Israel, p. 16.

16. Hope of Israel, op. cit., p. 63.

17. Vindiciae Judaeorum, p. 40, reproduit photographiquement dans Mission to Olivier Cromwell, sous la direction de L. Wolf, p. 146. L'édition de Moses Wall (1652) est devenue l'édition anglaise usuelle. Elle a été reproduite par L. Wolf et par L. Glaser. C'est l'édition que H. Méchoulan et G. Nahon prétendirent reproduire en 1987. En fait, l'édition de 1987 diffère de l'original de deux façons importantes. D'abord elle modernise et révise le texte du XVIIe siècle, de sorte que l'anglais n'est plus celui de M. Wall. Plus grave, contrairement aux éditions de L. Wolf et de L. Glaser, elle omet sans le signaler les apologies de la conversion, sections importantes dans l'édition de M. Wall de 1652.

18. Esperança de Israel, op. cit., p. 23.

19. Esperança de Israel, op. cit. Sur l'interception de la lettre de Dury à Menasseh, voir la lettre du 14 juillet 1650 envoyée par Menasseh à Dury, et citée par E. G. E. Van Der Wall, « Three Letters… », art. cit., p. 62.

20. Parmi les œuvres importantes de Yosef Kaplan, voir « La lutte pour établir l'identité juive de la dispersion séfarade occidentale » (en hébreu), conférence prononcée le 11 mai 1992 lors de la réunion en mémoire du docteur Robert Cohen à l'Institut des Hautes Études de l'Université hébraïque de Jérusalem et « La communauté juive portugaise à Amsterdam au au XVIIe siècle entre tradition et changement » (en hébreu), Proceedings of the Israel Academy of Sciences and Humanities, 7, 1988, pp. 161-181 ; « La voie des Séfarades d'Amsterdam vers la modernité » (en hébreu), Pe'amim, 48, 1991, pp. 85-103 ; et « The Travels of Portuguese Jews from Amsterdam to the “Lands of Idolatry” (1644-1724) », dans Jews and Conversos, sous la direction de Josef Kaplan, Jérusalem, 1985, pp. 197-224.

21. Yerushalmi, Yosef Hayim, From Spanish Court to Italian Ghetto. Isaas Cardoso. A Study in Seventeenth-Century Marranism and Jewish Apologetics, New York, 1971 Google Scholar ; en français De la cour d'Espagne au ghetto italien, trad. Alexis Nouss, Paris, Fayard, 1987.

22. Hope of Israel, op. cit., p. 63. Selon Richard H. Popkin, il se peut que les rapports intimes de Menasseh avec les chrétiens représentent une forme de convergence religieuse ancrée dans l'attente commune et immédiate du Messie. Ce sujet a été amplement étudié par lui, le plus récemment dans « Christian Jews and Jewish Christians in the 17th Century », dans Jewish Christians and Christian Jews from the Renaissance to the Enlightenment, sous la direction de Richard H. Popkin et Gordon Weiner, Dordrecht, 1994, pp. 57-72.

23. Kaplan, Yosef, From Christianity to Judaism : The Life and Works of Isaac Orobio de Castro, Oxford, 1990.Google Scholar

24. Spes Israelis, op. cit., p. 16 ; Hope of Israel, op. cit., Londres, 1652, p. 18.

25. Esperança de Israel, op. cit., p. 2. Il faut toutefois noter que Menasseh prépara une liste de corrections de l'original latin à apporter à la seconde édition revue et corrigée de la traduction anglaise ; on remarquera, pour ce que cela vaut, qu'il n'y inclut pas « reduxero ». Voir E. G. E. Van Der Wall, « Three Letters… », art. cit., pp. 62-63.

26. En particulier, l'affirmation que le destin d'Israël est lié à l'avènement du Messie et au rétablissement de la paix dans le monde. Il se peut, à en croire Menasseh lui-même, que l'introduction ait, en fait, été écrite par Dury et ses collègues. Cet hypothétique travail de nègre aurait néanmoins été effectué à la demande explicite de Menasseh. Voir note 30 ci-dessous et le texte auxquels elle se rapporte.

27. Voir le catalogue des livres d'Amsterdam, reproduit par Abraham Yaari dans Mehqarei Sefer, Jérusalem, 1958, pp. 430-444, et l'ouvrage de Israël, Menasseh Ben, Even Yiqara, Piedra Glorosia o de la Estutua de Nebuchadnesar. Con muchas y diversas authoridades de la S. S. y antiguos fabios, Amsterdam, 5415/1655 Google Scholar, dans lequel se trouve, dans les dernières pages sans pagination, une liste de ses œuvres (” Catalogo De mis obras »). Pour les listes de Londres, voir le catalogue inclus dans sa lettre du 14 juillet 1650 à John Dury, cité par E. G. E. Van Der Wall, dans « Three Letters »… », op. cit., p. 63, ainsi que son Vindiciae Judaerum, Londres, 1656, p. 40.

28. Voir I. Schorsch, pp. 189-190 et plus récemment Katz, David S., Philo-Semitism and the Readmission of the Jews to England 1603-1655, Oxford, 1982, pp. 127157 Google Scholar.

29. Roth, Cecil, A History of the Jews in England, Oxford, 1941, p. 155.Google Scholar

30. Voir la lettre de Menasseh du 23 décembre 1649, citée dans E. G. E. Van Der Wall, « Three Letters… », art. cit., pp. 61-62.

31. Pour le texte espagnol, Esperança de Israel, op. cit., chap. XVIII, section 66, pp. 104-105. Pour le texte latin, Spes Israelis, section 31, pp. 93-94. Traduction de l'espagnol (pour une traduction française moins littérale, voir H. Méchoulan et G. Nahon, Espérance d'Israël, op. cit., p. 167) : Il y a quelques années dans le grand royaume de Perse, le Seigneur Elazar fut vizir. Son frère nommé Jacob Hoja, arriva à Alep voici trente-quatre ans, accompagné de soixante-dix chameaux chargés de soie et s'en fut à Jérusalem pour faire le pèlerinage. Il y fit maintes aumônes. Aujourd'hui David Jan jouit d'une dignité pratiquement semblable. Et ils [sic] ont un si grand prestige que l'ambassadeur Otto Bruchamn, envoyé en l'an [1]635 par son Excellence Sérénissime le prince Frédéric, duc de Holstein, était muni de lettres de recommandation pour qu'ils puissent l'introduire auprès du roi et l'appuyer s'il avait besoin de quelque service. Ils accueillirent l'ambassadeur avec joie ; ils lui firent des présents et répondirent au Prince par une lettre au bas de laquelle étaient apposées douze signatures et où apparaissait le titre de hoca qui signifie chez eux, Seigneur. Le très savant Docteur Benjamin Mussaphia me communiqua les copies de ces lettres. Traduction de la traduction anglaise de Moses Wall du latin : Qui n'a pas entendu parler d'eux en Perse ? Là, il y a trente ans, Elhazar était le bras droit du Roi et, en quelque sorte, Gouverneur. Maintenant David Jan lui succède, d'autres se sont joints à lui et ils vivent à la cour. Et il ne faut pas oublier que lorsque le très éminent duc de Holstein envoya l'ambassadeur Otto Burchmannus en Perse en 1635, il demanda à nos juifs de Hambourg des lettres de recommandation destinées à ceux qui (comme nous vous l'avons dit) vivent à la cour du Roi de Perse, pour qu'ils fassent une place là-bas à celui qu y arrivait en étranger, afin qu'il puisse y conduire ses affaires. Ce qui fut fait. De sorte que les nôtres, en Perse, renvoyèrent Burchmannus avec de riches présents et avec des lettres au très éminent duc de Hostein, signées par les douze Chuzae, c'est-à-dire Princes. L'excellent Docteur Benjamin Mussaphia, un des proches du prince, me communiqua une copie de ces lettres, Londres, 1652, pp. 39-40 ; reproduction photographique dans Mission to Oliver Cromwell, sous la direction de Wolf, pp. 49-50.

32. Les chercheurs ne sont pas d'accord sur la question de l'antériorité de la version latine ou de la version espagnole. Heinrich Graetz (Geschichte der Juden, troisième édition, X, Leipzig, 1896, 95, n° 3), C. Roth, Menasseh…, op. cit., p. 331, I. Schorsch, op. cit., p. 190 et E. G. E. Van Der Wall, op. cit., p. 56 affirment que la version latine est la première ; alors que des chercheurs non identifiés auxquels H. Graetz fait référence dans sa note, M. Kayserlino, op. cit., p. 16, L. Wolf, xxvi, notes pp. 150-151, et plus récemment H. Méchoulan et G. Nahon, Hope of Israel, op. cit., p. 62, privilégient la version espagnole. La question me semble encore plus compliquée parce qu'il se peut qu'un texte premier en portugais ait précédé toutes les versions imprimées, et parce qu'il est possible que certaines sections du livre aient été, à l'origine, écrites dans une langue tandis que d'autres sections auraient été écrites dans l'autre. Cela dit, selon moi, dans l'ensemble, la version espagnole a précédé la version latine. C'est d'ailleurs la question que je soulève dans un article en cours, « Which Came First : Spes or Esperança ? Toward a Genealogy of Mikveh Yisrael».

33. Par exemple, H. Méchoulan et G. Nahon, Hope of Israel, op. cit., pp. 62-64, et L. Wolf, op. cit., pp. 150-151.

34. Voir Rabb, Theodore K., Enterprise and Empire, Cambridge, Ma., 1967 Google Scholar ; Benjamin Braude, « International Competition and Domestic Cloth in the Ottoman Empire, 1500-1650 : A Study in Undevelopment », Review of the Fernand Braudel Center, 2, 1979, pp. 437-451 ; et plus récemment, Brenner, Robert, Merchants and Revolution, Princeton, 1992.Google Scholar

35. Ferrier, R. W., « The Armenians and the East India Company in Persia in the Seventeenth and Early Eighteenth Centuries », Economie History Review, deuxième série, 26, 1973, pp. 3862 Google Scholar ; et Gregorian, Vartan, « The Armenian Community of Isfahan, 1587-1722 », Iranian Studies, 7, 1974, pp. 652680.Google Scholar

36. Poullet, , Nouvelles relations du Levant, Paris, 1668 Google Scholar, et les nombreuses discussions sur ce problème dans le volume des archives de la Compagnie du Levant, Public Record Office, Londres, State Papers, 105/106.

37. Vindiciae Judaeorum, Londres, 1656, 34, reproduction photographique dans Mission to Oliver Cromwell, sous la direction de L. Wolf, p. 140.

38. Esto es Conciliador o De la conveniencia…, vol. 2, Amsterdam, 5041 [sic], en fait 5401, 1641.

39. Le titre du pamphlet dans son intégralité en exprime clairement l'objectif : To His Highness the Lord Protector of the Commonwealth of England, Scotland, and Ireland. The Humble Addresses of Menasseh Ben Israel, a Divine, and Doctor of Physick in behalfe of the Jewish Nation (sans date ni lieu). Voici le résumé du conte persan de Spes : « En Perse on trouve beaucoup de juifs, et ils y vivent bien librement ; certains parmi eux ont la faveur et le haut respect du Roi, et ils vivent là très fièrement. Il y a quelques années, il y avait Elhazar Huza, le vice-roi, et maintenant il y a David Jan ; s'il est encore vivant ». Humble Addresses, op. cit., p. 5, reproduction photographique dans Mission to Oliver Cromwell, sous la direction de L. Wolf, p. 85.

40. Humble Addresses, op. cit., p. 3, reproduction photographique dans Mission to Oliver Cromwell, sous la direction de L. Wolf, p. 83.

41. Voir le passage suivant : « Aujourd'hui, dans cette dispersion de nos Ancêtres fuyant l'Inquisition espagnole, certains sont venus en Hollande, d'autres sont allés en Italie, d'autres encore en Asie ; et ils se font très facilement crédit les uns aux autres ; de sorte que, où qu'ils se trouvent, ils attirent le négoce… entretenant en particulier des rapports de correspondance avec leurs amis et leur parenté, dont ils comprennent la langue ; ils enrichissent énormément les Terres et les Pays étrangers où ils vivent, en y apportant non seulement ce qui est indispensable et nécessaire à la vie de l'homme, mais aussi ce qui peut servir d'agrément à sa condition civile ». Humble Addresses, op. cit., pp. 2-3, 82-83.

42. Humble Addresses, op. cit., pp. 5, 85.

43. Jonathan Israël, « Menasseh Ben Israel and the Dutch Sephardic Colonization Movement of the Mid-Seventeenth Century (1645-1657) », Menasseh Ben Israel and His World, sous la direction de Y. Kaplan, H. Méchoulan, et R. H. Popkin, pp. 139-163.

44. En réponse à une version préliminaire du présent article, Israel Bartal a suggéré que, parallèlement à l'enjeu apologétique, la publication par Menasseh du Miqveh Yisrael en deux langues différentes pouvait avoir eu un enjeu littéraire. Il est clair que l'usage de l'espagnol plutôt que du portugais résultait de son statut littéraire plus élevé parmi les juifs espagnols et portugais. L'utilisation du latin et de l'espagnol dans le Miqveh Yisrael est néanmoins dépourvue du type d'objectifs littéraires étudiés par Forster, Léonard dans The Poet's Tongue : Multilingualism in Literature, Cambridge, 1970 Google Scholar. Voir aussi Gilman, Sander L., Jewish Self-Hatred : Anti-Semitism and the Hidden Language of the Jews, Baltimore, 1986 Google Scholar. Richard H. Popkin, dans une lettre du 13 novembre 1992, a attiré mon attention sur des témoignages qu'il a découverts sur la dissémination de Miqveh Yisrael dans les îles Britanniques ce qui s'accorde avec mon argument. C'est Spes Israelis, plutôt que Esperança de Israel, que l'on trouve dans les bibliothèques privées des millénaristes anglais du XVIIe siècle : un exemplaire offert à Henry Jessey à la Dr. Williams Library à Londres et un autre à la Marsh Library (où se trouve aussi la collection de Bishop Stillingfleet) à Dublin.

45. Néanmoins, I. Schorsch signale l'organisation différente des deux textes, mais conclut cependant qu'il s'agit essentiellement du même contenu (p. 189, n. 13). H. Méchoulan et G. Nahon vont un peu plus loin. Ils examinent les différences en plus grand détail, mais évitent une étude comparée, bien qu'ils remarquent que la version espagnole était destinée à un public juif tandis que la version latine l'était aux lettrés. Voir Hope of Israel, op. cit., pp. 62-68. Noter que cette discussion n'apparaît ni dans l'édition française (1979) ni dans l'édition espagnole (1987) de leurs traités.

46. L'extrait apparaît dans le dernier chapitre qui répond à la question : «… pourquoi les juifs sont-ils si fermes dans leur religion et si contraires à la foi chrétienne… ? », J. A. Eisenmenger, Entdecktes Judentum, II, 1742, pp. 33-56.

47. Voir Fischel, Walter J., « The Jews in Médiéval Iran from the 16th to the 18th Centuries : Political, Economic, and Communal Aspects », Irano-Judaica, sous la direction de Shaked, Shaul, Jérusalem, 1982, pp. 275283 Google Scholar ; et Netzer, Amnon, « Persécutions dans l'histoire des juifs d'Iran au XVIIe siècle » (en hébreu), Pe'amim, 6, 1980, pp. 3336.Google Scholar

48. Munshi, Iskandar Beg, Tarikh-i Alam-ara-ya Abbasi, sous la direction de Afshar, I., 2 vols, Téhéran, 1956-1957 Google Scholar, traduit en anglais par Savory, Roger M., sous le titre History of Shah Abbas the Great, 2 vols, Boulder, 1978 Google Scholar ; et Adam Olearius, Vermehrte Neue Beschreibung der Muskovitischen und Persischen Reyse, 1656.

49. Ambassades de France en Turquie, Affaire d'Alep, etc., 1619-1642, Bibliothèque nationale, fonds français 16163, ff. 44r-46r, daté 1624. Voir également Sanjian, Avedis K., The Armenian Communities in Syria under Ottoman Dominion, Cambridge, Ma., 1965, pp. 4849.Google Scholar

50. Pour un survol des sources qui le prouvent, voir Masters, Bruce, The Origins of Western Economie Dominance in the Middle East, Mercantilism and the Islamic Economic in Aleppo, 1600-1750, New York, 1988 Google Scholar. Les sources turques fournissent peu de preuves que les juifs jouaient un rôle essentiel dans le commerce ottoman avec l'Iran. Sur ce point, voir Sahillioglu, Halil, « Bir Tuccar Kervani », Belgelerle Tilrk Tarihi Dergisi, II, 1968, n° 9, pp. 6369 Google Scholar. La situation est identique en ce qui concerne les responsa rabbiniques. A ma connaissance, le seul responsum qui traite du commerce dans cette région est celui de Moses Alcheykh (c. 1510- 1590), qui discute de la mort d'un marchand juif sur la route commerciale Ormuz-Chiraz-Ispahan-Brousse ; voir Responsa, Venise, 1605, question n° 118.

51. Bayani, Khanbaba, Les relations de l'Iran avec l'Europe occidentale à l'époque safavide, Paris, 1937, pp. 1819.Google Scholar

52. Moreen, Vera Basch, Iranian Jewry's Hour of Péril and Heroism. A Study of Babai ibn Lutf's Chronicle (1617-1662), New York-Jérusalem, 1987, pp. 108, 85-86.Google Scholar

53. Ibid., pp. 93-94.

54. Benjamin Braude, « How Significant was the Iberian Jewish Contribution to Technology and Economic Life in the Ottoman Empire ? », Proceeding of « En torno a sefarad, encuentro internacional de historiadores », Toledo, 16-19 December 1991, rencontres placées sous le patronage de la Facultad de Geografía e Historia de l'Universidad Nacional de Education a Distancia ; les actes seront publiés avec l'aide de la Comisin Nacional del Quinto Centenario, à Madrid.

55. Belon, Pierre, Les observations de plusieurs singularitez et choses memorables trouvees en Grece, Asie, Judee, Egypte, Arabie et autres pays etranges, Paris, 1553, f. 181.Google Scholar

56. Gutterman, Alexander, « Les juifs polonais sur le sol polonais » (en hébreu), Pe'amim, 18, 1984, pp. 5379 Google Scholar, et Cygielman, S. A., « Lettre du Conseil des Quatre Terres de 1605 aux Intendants de Tomasz Zamoyski » (en hébreu), Sinai, vol. 96, n° 5–6, 1985, pp. 276284.Google Scholar

57. Pierre Belon, Les observations…, op. cit., p. 181 ; et de Nicolay, Nicolas, Quatrième livre des navigations, Anvers, 1577 p. 234.Google Scholar

58. Pour l'image de l'Espagne dans l'Europe des débuts de l'époque moderne, je me fie aux recherches du professeur Jocelyn Hillgarth du Pontifical Institute for medieval Studies à l'Université de Toronto. Selon lui, pour la majorité des Européens, catholiques et protestants confondus, les Espagnols et, de fait, les Portugais également, se distinguaient à peine des Maures, marranes et autres infidélités dans leur genre. Que l'Inquisition ait été chargée d'extirper l'hérésie du cœur de la péninsule Ibérique prouvait simplement à quel point elle était profondément enracinée. Les observateurs européens contemporains considéraient comme un lieu commun le fait que beaucoup, si ce n'est la majorité des habitants de la péninsule Ibérique étaient secrètement juifs ou musulmans, ou les deux, puisqu'une variété d'infidélité ne méritait guère d'être distinguée d'une autre. L'hérésie et l'infidélité religieuses constituaient simplement les traits nationaux des Espagnols, aussi reconnus que leur haleine qui sent l'ail et autres habitudes personnelles également détestables. Il est évident que la richesse et le pouvoir espagnols rendaient envieux Français, Hollandais, Italiens, Anglais et autres, et les conduisaient à ternir la réputation des Espagnols par n'importe quelle accusation.

59. Luzzatto, Simone, Discorso circa il stato de gl'Hebrei, et in particolar dimoranti nell'inclita citta di Venetia, Venise, 1638 Google Scholar. Voir également Ravid, Benjamin, « How Profitable the Nation of the Jews Are” : The Humble Addresses of Menasseh Ben Israel and the Discorso of Simone Luzzatto », dans Mystics, Philosophers and Politicians : Essays in Jewish Intellectual History in Honor of Alexander Altmann, sous la direction de Reinharz, J. et Swetschinski, D., Durham, 1982, pp. 159180.Google Scholar

60. Ettinger, S., « The Beginnings of the Change in the Attitude of European Society Toward the Jews », Scripta Hierosolymitana, VII Google Scholar, Studies in History, sous la direction d'Alexander Fuks et d'Israel Halperin, Jérusalem, 1961, pp. 193-219.