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Les guerriers et leurs domestiques dans la ville seigneuriale de Hagi

Published online by Cambridge University Press:  20 January 2017

Morishita Tôru*
Affiliation:
Université de Yamaguchi, Guillaume Carré

Résumé

La société du Japon de l’époque d’Edo était dominée par les guerriers (bushi), regroupés dans des villes sous la surveillance de leurs seigneurs, les daimyô. Ces guerriers, coupés de toute activité productive agricole ou artisanale, ou du commerce, vivaient de l’exploitation du travail des paysans et entretenaient une nombreuse domesticité. L’historiographie s’est longtemps interrogée sur la place de ces valets de guerriers dans la société des Tokugawa : étaient-ils aux derniers échelons de la condition guerrière ou devaient-ils être assimilés à la masse des domestiques employés par le reste de la population ? L’étude du cas du fief de Hagi montre que la domesticité guerrière était en réalité intimement liée au fonctionnement des vasselages et au prestige de la condition des bushi. Quoiqu’étant des travailleurs sans qualification et à l’origine sans patrimoine, les valets n’en recherchaient pas moins des moyens de sécuriser des positions avantageuses qu’ils avaient pu obtenir, en subvertissant ainsi les hiérarchies sociales.

Abstract

Abstract

Edo-era Japan was dominated by warriors (bushi), living in groups in cities under the watch of their lords (daimyô). Those warriors did not partake in any productive or commercial activity, but lived off the peasants’ work and had a vast number of servants at their employ. The historiography has long pondered the exact role of these warriors’ servants in the Tokugawa society. Were they at the bottom of the warrior group or should they be considered as part of the servant class as those working for different employers? The study of the Hagi fief shows that they were in fact an integral part of the vassalage system and the prestige enjoyed by bushi. Although without special skills nor personal property at the start, those servants had advantageous positions they sought to secure, subverting in the process the social hierarchies that had created them.

Type
Les statuts sociaux au Japon (XVIIe-XIXe siècle)
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2011

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References

1- Les villes seigneuriales japonaises étaient appelées les «villes sous le château» (jôkamachi). Elles regroupaient, dans des quartiers séparés, une population guerrière, une population«bourgeoise» (chônin)de marchands et d’artisans, et des zones réservées aux établissements religieux (NDT).

2- Nobuyuki, Yoshida, «Nihon kinsei toshi kasô shakai no sonritsu kôzô» (Structure de l’existence des catégories inférieures de la population des villes du Japon prémoderne), Rekishigaku kenkyû, 534, 1984, p. 212.Google Scholar Repris dans Id., Kinsei toshi shakai no mibun kôzô(Structure statutaire de la société des villes prémodernes), Tôkyô, Tôkyô daigaku shuppankai, 1998, p. 199-218.

3- Tôru, Morsihita, Buke hôkônin to rôdô shakai(Domestiques guerriers et monde du travail), Tôkyô, Yamakawa shuppankai, 2007,Google Scholar et Id., «Chiiki to rôdô shakai» (Société locale et monde du travail), Nihonshi kôza 6, Kinsei 2(Cours d’histoire du Japon, vol. 6, Période prémoderne 2), Tôkyô, Tôkyô daigaku shuppankai, 2005, p. 33-36.

4- Les daimyô extérieurs (tozama daimyô)étaient les seigneurs féodaux qui ne relevaient pas du vasselage Tokugawa (mais demeuraient soumis à l’autorité shogunale) (NDT).

5- Lors de la bataille de Sekigahara, Tokugawa Ieyasu écrasa ses adversaires et put établir la suprématie de sa maison sur le pays. Il fut nommé shogun trois ans plus tard (NDT).

6- Le kokuest une unité de volume (180 litres) servant entre autres à mesurer le riz. Le montant global de la production agricole des terres cultivées étant exprimé dans le processus fiscal avec des montants en riz, le kokuservait donc à quantifier la valeur des territoires détenus en fief par un guerrier et, par voie de conséquence, à déterminer son rang (NDT).

7- À l’époque d’Edo, il était fréquent que les guerriers ne touchent des revenus que sur la production d’une partie d’un ou de plusieurs villages ; plusieurs guerriers pouvaient donc se partager une même communauté rurale (NDT).

8- Les daimyôétaient astreints à alterner une année de séjour dans leurs territoires et une autre dans la capitale shogunale : ils devaient s’y rendre avec une suite dont les effectifs étaient fixés par le shogunat selon les principes du«service militaire», le but étant de surveiller les seigneurs régionaux et de ponctionner leurs ressources (NDT).

9- Yamaguchi-ken shi, shiryô-hen kinsey 2(Histoire du département de Yamaguchi [désormais YKS], documents, période prémoderne 2), département de Yamaguchi, 2005, doc. 3-196.

10- Les daimyô, pour accomplir leurs devoirs de résidence à Edo, recevaient du shogun des terrains qui se répartissaient entre les kami-yashiki(la résidence principale), les nakayashiki(la«résidence médiane», qui hébergeait éventuellement le seigneur en cas d’incendie dans la résidence principale, mais abritait souvent une partie de sa famille) et les shimo-yashiki, qui étaient affectés à divers usages, villas de loisirs ou casernes pour le personnel ou encore entrepôts (NDT).

11- Le service militaire (gun’yaku)fixait les obligations de mobilisation d’un vassal ou d’un daimyô, en personnel et en ressources, sur ordre d’une autorité supérieure, et en fonction de la richesse estimée de ses territoires. Le shogun était l’autorité suprême de ce système militaire, qui servit toujours de principe fondamental de gouvernement durant la longue paix du régime des Tokugawa (NDT).

12- YKS, Shiryô-hen kinsei 2, 3-199.

13- Ibid., 3-206.

14- Yamaguchi-ken monjokan (Archives départementales de Yamaguchi), Môri-ke bunko, Fonds de la maison Môri, désormais MKB, Hôrei(lois), 93 (1).

15- Tôkyô daigaku shiryô hensanjo (Centre des archives historiques de l’université de Tôkyô), Masuda-ke monjo(Archives de la maison Masuda), 52-12.

16- Les préfets urbains avaient en charge dans les villes japonaises, la police, la justice criminelle et l’administration des quartiers bourgeois (les quartiers guerriers ou ceux des temples ne relevaient pas de leur juridiction). Ces sortes de prévôts étaient, à l’époque d’Edo, nommés parmi des membres de la condition guerrière (NDT).

17- Keiji, Yamaguchi, Sakoku to kaikoku(Fermeture et ouverture du pays), Tôkyô, Iwanami shoten, 1993.Google Scholar Dans la troisième leçon de cet ouvrage, l’auteur attire notre attention sur le fait qu’à l’origine, il n’y avait pas de distinction fonctionnelle dans les fiefs entre le bankata(l’organisation militaire) et le yakukata(l’organisation administrative), la seconde dérivant de la première.

18- YKS, Shiryô-hen kinsei 4, 2008.

19- Le tsuboest une unité de surface de 3, 306 m2 (NDT).

20- MKB, carte 409.

21- Dans les villes seigneuriales japonaises, les terrains étaient en général octroyés aux guerriers par le daimyô, et ils ne pouvaient en principe en disposer librement pour en céder la propriété à un tiers (NDT).

22- YKS, Shiryô-hen kinsei 4, 1-16.

23- YKS, Shiryô-hen kinsei 2, annexe au volume supplémentaire, 19-24.

24- MKB, Ryûei, 23.

25- Municipalité de Hagi, Hagi-shi shi dai-ikkan(Histoire de la ville de Hagi, vol. 1), Hagi, 1983, p. 202.

26- YKS, Shiryô-hen kinsei 4, 1-23.

27- YKS, Shiryô-hen kinsei 2, 3-159.

28- MKB, Hôrei, 19.

29- Le me(ou monme) est une unité pondérale et monétaire pour l’argent, équivalant à 3, 75 g (NDT).

30- MKB, Hôrei, 19.

31- Shôsaku, Takagi, «Hideyoshi no heiwa to bushi no henshitsu» (La paix de Hideyoshi et le changement de nature des guerriers), Shinsô, 721, 1984, p. 119.Google Scholar Repris dans Id., Nihon kinsei kokka no kenkyû(Recherches sur la nation prémoderne japonaise), Tôkyô, Iwanami shoten, 1990, p. 1-32.

32- YKS, Shiryô-hen kinsei 2, 3-286.

33- Archives Masuda, 28-33.

34- On appelait, à Hagi, «demawariki»la période de l’année où tous les contrats de domestiques étaient conclus. On l’avait fixée à cette époque à la seconde lune.

35- YKS, Shiryô-hen kinsei 2, 3-297, 3-299.

36- MKB, Shoshô(offices administratifs), 51.

37- Municipalité de Yamaguchi, Yamaguchi-shi shi, shiryô-hen kinsei 1(Histoire de la ville de Yamaguchi, documents, Période prémoderne 1), ville de Yamaguchi, 2008, 3-1.

38- En dépit d’interdictions répétées depuis la fin du XVIe siècle, la vente d’être humains demeurait fréquente dans le Japon des premiers Tokugawa. Les individus pouvaient par exemple être cédés comme gages pour des emprunts. La servitude était dans ce cas souvent dissimulée sous l’apparence de contrats d’embauche de très longue durée, de 10 ans ou plus (NDT).

39- MKB, Hôrei, 19.

40- MKB, Shoshô, 51.

41- MKB, Shoshô, 51.

42- MKB, Zaika(crimes).

43- Hagi-shi shi, vol. 1, op. cit., p. 202 et 399-400.

44- MKB, Shôshô hikae(notes), 8-7.

45- MKB, Zaika, 180-4.

46- Archives Masuda, 17-34.

47- Archives départementales de Yamaguchi, archives de la maison Katsura, 146.

48- Les vavasseurs ou«vassaux secondaires» (baishin)étaient des guerriers dépendant d’un maître qui, lui-même, appartenait au vasselage d’un autre guerrier (NDT).

49- Les Anciens (karô)formaient le conseil seigneurial des grands vassaux, l’organe suprême de gouvernement des fiefs (NDT).

50- Archives Masuda, 53-12.

51- Takagi Shôsaku, «Hideyoshi no heiwa to bushi no henshitsu», op. cit.

52- YKS, Shiryô-hen kinsei 2, 3-209.

53- MKB, Shôshô hikae, 8-7.

54- Les rokushaku, sans doute par référence à leur taille (le shakuest une unité de longueur d’environ 30 cm), désignent habituellement des hommes de peine et des travailleurs de force, employés à des travaux plus ou moins pénibles. Mais le«bâton de six pieds»était aussi un instrument utilisé lors des arrestations de criminels (NDT).

55- Les fantassins ashigarutouchaient de 8 à 10 koku, les valets d’armes de la Grande Compagnie et les cent valets à peu près 5 koku, les nouveaux valets et les rokushakuenviron 3, avec en plus une ration d’une mesure de riz par jour. Les revenus maximum réglementaires des domestiques de guerriers étaient à la fin du XVIIe siècle de 150 med’argent pour un«cadet» (wakatô)et de 140 mepour un valet, ce qui au taux de 1689 (MBK, Hôrei, 19) faisait respectivement 3, 75 kokuet 3, 55 koku.

56- YKS, Shiryô-hen kinsei 2, 3-196.

57- Les journaliers (hiyô)d’Edo prenaient en charge une partie des corvées incombant aux bourgeois de la cité, ce qui les fit considérer comme des franges inférieures de la condition bourgeoise, prise au sens large. Voir YOSHIDA Nobuyuki, «Edo no hiyôza to hiyô=mibun» (La guilde des journaliers, et les journaliers en tant que condition), Kinsei toshi shakai no mibun kôzô(Les structures statutaires des sociétés urbaines prémodernes), Tôkyô, Tôkyô daigaku shuppankai, 1998, p. 157-190. On peut faire le parallèle avec les domestiques guerriers de Hagi. De plus, en cas de guerre, les fantassins pouvaient se transformer en archers ou en arquebusiers, et les valets se chargeaient des bagages. Voir TAKAGI Shôsaku, «Kôgi kenryoku no kakuritsu» (La consolidation du pouvoir de l’Autorité publique), Kôza nihon kinseishi 1(Cours d’histoire du Japon prémoderne 1), Tôkyô, Yûhikaku, 1981, p. 151-205. Repris dans TAKAGI Shôsaku, Nihon kinsei kokka no kenkyû, op. cit. On peut par conséquent aussi voir dans les rapports entre valets et guerriers une transposition de ce système en temps de paix.

58- Le mot tekosemble être une abréviation de teko no shu, les«ouvriers du levier», c’est-à-dire les individus chargés des tâches de manutention (soulever des pièces de bois) sur les chantiers de charpente ; par extension, le mot aurait désigné des auxiliaires sans qualification particulière. Mais d’autres étymologies sont possibles. Kozukaiest un terme pour un valet ou un homme de peine (NDT).

59- MKB, Shôshô hikae, 3-2.

60- Ibid., Shôshô hikae, Zaika.

61- Voir les travaux de Tôjô Yukihiko, par exemple sur les ouvriers des chantiers de construction des chemins de fer : TÔJÔ Yukihiko, «Meiji nijû∼sanjû nendai no ‘rôdôryoku’ no seikaku ni kan suru shiron» (Essai sur les caractères de la«force de travail» dans les années 20 à 30 de l’èreMeiji), Shigaku zasshi, 89-9, 1980, p. 1388-1417. Repris dans Id., Seishi dômei no jokô tôroku seido(Le système d’enregistrement des ouvrières de l’Alliance des filatures), Tôkyô, Tôkyô daigaku shuppankai, 1990, p. 417-452.

62- Nobuyuki, Yoshida, «Kinsei ni okeru mibun ishiki to mibun kannen» (Conscience et concept du statut social à l’époque prémoderne), Nihon no shakaishi 7(Histoire sociale du Japon, vol. 7), Tôkyô, Iwanami shoten, 1987, p. 87128.Google Scholar Repris dans Id., Kinsei toshi shakai no mibun kôzô, op. cit. (1998), p. 257-398.

63- MBK, Hôrei, 42.

64- Le hakamaest une sorte de long pantalon très ample, prenant pratiquement l’aspect d’une jupe longue. Il constituait la partie inférieure des costumes de cérémonie (NDT).

65- MBK, Zaika, 152-2.

66- Archives départementales de Yamaguchi, fonds de la maison Fukuma, 53.

67- La«maison» (ie)devint le modèle dominant des représentations familiales au cours de la période d’Edo. Ce type d’organisation patriarcale visait avant tout à la préservation du patrimoine, en privilégiant un des successeurs, sur le modèle de la famille-souche (NDT).

68- Le ken(ou ma) est une unité de longueur (à l’origine entre deux piliers) utilisée en architecture, équivalant à environ 1, 80 à 1, 90 m (la valeur pouvant varier suivant les régions et les périodes) (NDT).

69- Le kanest une unité pondérale et monétaire pour l’argent, équivalent à 1 000 monme, soit 3, 75 kg (NDT).

70- MBK, Shoshô, 186.

71- Le seest une unité de surface agricole équivalant à peu près à un are. Le buest un trentième de se(NDT).

72- Le tatami (jô)est une unité de surface pour les pièces d’un bâtiment, équivalant à la place occupée par un tatami, soit 90 × 180 cm.

73- YKS, Ehiryô-hen kinsei 4, 1-36.

74- MBK, Ezu, 412.

75- Seiji, Tanaka, «Hagi han tenpô-ki no han zaisei» (Les finances du fief de Hagi à l’ère Tenpô), Yamaguchi daigaku bungaku kaishi, 51, 2001, p. 3548.Google Scholar

76- Takumi, Ishikawa, Bôchô rekishi yôgo jiten(Dictionnaire des termes historiques pour les provinces de Suô et Nagato), Shûnan, Matsuno shoten, 1981, tableaux, p. 352418.Google Scholar

77- MBK, Shoshô, 206.

78- YKS, Shiryô-hen kinsei 4, 1-38.

79- MBK, Ezu, 411.

80- YKS, Shiryô-hen kinsei 4, 1-39.

81- TAKAGI Shôsaku, «Hideyoshi no heiwa to bushi no henshitsu», op. cit.(1984). Cet agencement de la société construite autour du service pour une organisation militaire s’était en partie vidé de sa substance dans la période de paix du régime des Tokugawa et avait engendré de nouveaux groupes sociaux, mais continuait à subsister comme principe fondamental de la société : TSUKADA Takashi, «Kinsei mibunsei kenkyû no shinten» (Développements de la recherche sur le système des statuts prémodernes), in Kenkyûkai, Rekishigaku (dir.), Gendai rekishigaku no seika to kadai 1980-2000(Accomplissements et problèmes des sciences historiques contemporaines 1980-2000), Tôkyô, Aoki shoten, 2003.Google Scholar

82- Takashi, Tsukada, Toshi Ôsaka to hinin(La ville d’Ôsaka et les hinin), Tôkyô, Yamakawa shuppansha, 2001.Google Scholar

83- TÔJÔ Yukihiko, «Meiji nijû-sanjû nendai no ‘rôdôryoku’ no seikaku ni kan suru shiron», op. cit.