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L'institution de la science : un exemple au XVIIIe siècle

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Claire Salomon-Bayet*
Affiliation:
C.N.R.S. Institut d'histoire des sciences

Extract

S'il n'appartient qu'au philosophe de tracer ces méthodes, il ne peut qu'appartenir au législateur d'en transporter l'esprit uans l'organisation même des établissements publics d'instruction.

Pierre Cabanis

Comment écrire l'histoire des sciences ? La réponse à cette question implique bien entendu un choix épistémologique autant qu'idéologique : le débat entre externalistes et internalistes, l'opposition entre « sociologues de la science » et analystes des concepts scientifiques, de leur logique et de leur transformation, est l'écho permanent de la constatation — désabusée ou programmatique — qu'un problème d'histoire des sciences ne se confond ni avec un problème d'histoire ni avec un problème scientifique.

Type
Histoire et Sciences
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1975

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References

Notes

1. P. Cabanis, Œuvres complètes, t. II : Coup d'oeil sur les révolutions et la réforme de la médecine (abrégé en Révolution et réforme), 1804, p. 147. On trouvera en annexe les repères législatifs et institutionnels concernant l'acte de guérir, du décret de Marly (1707) à la loi de l'an XI.

2. Cf. Ganguilhem, G., « L'objet de l'histoire des sciences », Études d'histoire et de philosophie des sciences, Paris, 1968 Google Scholar.

3. Cabanis, P. (1757-1808), Œuvres complètes, Paris, 1823 Google Scholar, en 5 volumes. Édition critique des Oeuvres complètes dans le Corpus des philosophes français, par J. Cazeneuve et C. Lehec, Paris, 1956, en 2 volumes. Sauf mention expresse, les références sont données à cette dernière édition.

4. Médecin, Cabanis l'est depuis 1785, date à laquelle il a pris son inscription à la Faculté de médecine de Reims ; il est Maçon depuis 1783 ; participant au 18 Brumaire, il fait partie du Conseil des Cinq Cents et vote le consulat à vie et l'empire ; il fait partie de ce groupe de « métaphysiciens », appartenant à la 2e Classe de l'Institut (Sciences morales et politiques) que Napoléon, après l'avoir utilisé, ne porte pas dans son coeur. Itinéraire semblable des mathématiciens-philosophes, des administrateurs-philosophes, des médecins-philosophes, Destutt de Tracy, Degérando, Maine de Biran qui définissent un « pré-positivisme » propre à l'Idéologie, éloigné des sources condillaciennes. Cf. H. Gouhier, La jeunesse d'A. Comte et la formation du positivisme, 1.1, 1933.

5. M. Foucault, Naissance de la clinique, une archéologie du regard médical, 1963, pp. 63- 86 et 147-148.

6. G. Cuvier, Rapport historique sur les progrès des sciences naturelles depuis 1789 et sur leur état actuel, 3e partie: Sciences d'application, Paris, 1808.

7. Pinel, Ph., Nosographie philosophique ou de la méthode de l'analyse appliquée à la médecine, Paris, an VI (1798)Google Scholar ; Id., La médecine clinique, rendue plus précise et plus exacte par l'analyse. Paris, an X (1802).

8. P. Cabanis, Oeuvres complètes, t. I : Du degré de certitude de la médecine, 1798, p. 81.

9. Corvisart, Préface à la traduction d'Auenbrugger. Nouvelle méthode pour reconnaître les maladies internes de la poitrine, Paris, 1808.

10. Subordination et non application. Cf. Révolutions et réforme, t. II, ch. III, p. 9 ; Fausses applications des autres sciences à la médecine, ch. II, p. 69, Paris, Crapelet, 1804. 11. Rapport de Cabanis, 29 brumaire an VII. « Il ne convient de ne légaliser qu'un seul acte de guérir ».

12. Cabanis, Oeuvres complètes, t. I : Du degré de certitude de la médecine, p. 68 : « La nature a voulu que la source de nos connaissances fut la même que celle de la vie. Il faut recevoir des impressions pour vivre, il faut recevoir des impressions pour connaître ».

13. Cabanis, Révolutions et réforme, 1823, p. 188 : « S'il est de la nature d'une sage méthode de laisser toujours dans la classification des sciences une place pour les découvertes futures, il est également de la nature d'une langue bien faite d'offrir des pierres d'attente pour les mots nouveaux que les découvertes pourront exiger ».

14. Ph. Pinel, Nosographie philosophique, 1798, Introduction.

15. « Pour étudier les phénomènes que présentent les corps vivants et pour en tracer l'histoire fidèle, nous n'avons pas besoin de connaître la nature du principe qui les anime, ni la manière dont il met en jeu leurs ressorts. Il nous suffit de bien constater les phénomènes entre eux, d'épier à la fois l'ordre suivant lequel ils se reproduisent et leurs rapports mutuels, et de les classer dans un enchaînement qui fasse bien sentir cet ordre et ces rapports ».

16. Si le positivisme vise à constituer la science de l'homme, il intègre trois éléments empruntés au « pré-positivisme » : le physiologie avec Cabanis, les mathématiques avec Condorcet, l'idéologie (grammaire, logique, méthode) avec Destutt de Tracy.

17. Révolutions et Réforme, ch. VI, paragraphe 3, p. 213.

18. Ibid., p. 150.

19. Ibid., p. 157.

20. Révolutions et Réforme, éd. de 1823, ch. I, pp. 245-251.

21. Cabanis, Oeuvres complètes, t. I : Du degré de certitude de la médecine, 1823, pp. 530- 531. Cabanis aurait demandé à Maine de Biran dès 1802 une note sur les rapports de l'Idéologie et des mathématiques. Cette note était prête en 1803 et fut utilisée par Cabanis dans un rapport à l'Institut. Elle éclaire singulièrement la position des idéologues à l'égard des mathématiques qui ne sont ni le seul modèle ni l'instrument privilégié des autres sciences : les mathématiques ont été une des origines de l'analyse, mais il appartient à l'idéologie de « nettoyer le champ de l'évidence » par la recherche et de la filiation et de la génération des idées mathématiques, en remontant au-delà de l'origine conventionnelle. Ainsi elle constitue une philosophie (une métaphysique) des mathématiques qui leur assurera des bases véritables, une certitude fondée et une systématisation progressive. Cf. Maine DE Biran, Mémoire sur la décomposition de la pensée, éd. Tisserand, 1952, pp. 1-20.

22. Cabanis, Oeuvres complètes, t. I : Du degré de certitude de la médecine, p. 99, note 2.

23. Dans le Journal de la maladie et de la mort de Mirabeau (avril 1791), Cabanis décrit très exactement le double lien qui lie le médecin à la vérité médicale : un savoir, mais un savoir effectivement vécu : « Il fit le mouvement d'un homme qui veut écrire… il écrivit très lisiblement : Dormir. Je fis semblant de ne pas l'entendre… Il écrivit encore : Tant qu'on a pu croire que l'opium fixerait l'humeur, on a bien fait de ne pas le donner ; mais maintenant qu ‘il n'y a plus de ressources que dans un phénomène inconnu, pourquoi ne pas tenter ce phénomène ; et peut-on laisser mourir son ami sur la roue, pendant plusieurs jours peut-être ? Les douleurs augmentaient de moment en moment ; elles étaient déjà si violentes, qu'elles devenaient causes accélératrices de la mort. Mon devoir était alors de les modérer. Je formulai un calmant ». Oeuvres complètes, éd. de 1823, t. II, p. 8.

24. Vicq D'azyr, op. cit., 3e partie, De la police de la médecine, p. 104.

25. Procès-verbaux du Comité d'Instruction publique de la Convention Nationale, 10 ventôse, an III (28 février 1795): «le comité charge ses commissaires pour l'organisation des écoles de santé de lui présenter au plus tôt des projets de décrets sur l'exercice public de l'art de guérir et de ses différentes branches, sur la répression de l'empirisme, sur l'examen et l'admission des remèdes nouveaux » ; Rapport au Conseil des Cinq Cents, 29 brumaire an VU : « Sur le désordre, l'on peut même dire sur le brigandage qui s'est introduit dans la médecine vers ces derniers temps ».

26. Cabanis, Oeuvres complètes, t. I : Du degré de certitude de la médecine, p. 96.

27. Ibid., p. 101, note 2.

28. 1772 est la date de l'incendie de l'Hôtel-Dieu qui fut à l'origine des enquêtes et des projets sur les structures hospitalières, de Tenon à Vicq d'Azyr, de Lavoisier, Condorcet à Cabanis. En 1775-1776, on crée une commission royale pour l'étude des épizooties et des épidémies confiée à Lassonne et à Vicq d'Azyr ; elle se transforme en 1776 en Société Royale de Médecine et entre en conflit dès 1778 avec la Faculté de Médecine. Il faut l'arbitrage royal pour qu'elle continue d'exister. Ce sont les mêmes « experts » qui enquêtent et réfléchissent dans les commissions de l'Académie des sciences et au sein de la Société Royale de Médecine.

29. Sabatier, , Recherches historiques sur la faculté de médecine, depuis son origine jusqu'à nos jours, Paris, 1837 Google Scholar ; Guillaume, V., Procès-verbaux du Comité d'instruction publique, Paris, 1889-1907Google Scholar. Corps législatif. Conseil des Cinq Cents ; M. Foucault, Naissance de la Clinique, une archéologie du regard médical, 1963, Bibliographie III.

30. M. Foucault, Naissance de la Clinique, une archéologie du regard médical, 1963 ; E. Ackerknecht, Histoire de la médecine dans les hôpitaux parisiens entre 1794-1840, 1967.

31. Tenon, Mémoires sur les hôpitaux de Paris, 1788, 5e mémoire.

32. Vicq D'Azyr, Oeuvres complètes, Réflexions sur quelques abus dans l'enseignement et dans l'exercice de la Médecine.

33. Nouveau plan, 4e partie. La création des écoles vétérinaires date à Lyon de 1762, à Alfort de 1766, sous une double référence, le rattachement à l'agriculture d'une part, la réunion à la médecine humaine de l'autre. Vicq d'Azyr poursuivit ses recherches sur le système nerveux central à Alfort, durant ce que l'on appelle la période académique de l'École, de 1782 à 1788. Cf. Huard, P., Enseignement et diffusion des sciences en France au XVIIIe siècle, Paris, 1964, pp. 206209 Google Scholar.

34. Ibid., 2e partie, pp. 68-71. Le regard médical serait de droit et de fait « panoptikon ».

35. Vue sur les hôpitaux, 1789 ; trois pages dans Révolutions et Réforme, t. II, pp. 218-221.

36. Sabatier, op. cit.

37. Cf. M. Foucault, op. cit., ch. V. La leçon des hôpitaux, p. 72.

38. Révolutions et réforme, t. II, pp. 59 et 218. Cabanis fait allusion à Stoll, puis à Van Swieten et à CuUen. Il rappelle les deux écoles cliniques de Brest et de Toulon qui ont fourni « des médecins utiles et même parfois très distingués » ; il rappelle son appartenance à la Commission des hôpitaux en 1792. Cabanis a été l'élève de Dubreuil, médecin à l'école de Brest. Ces écoles de médecine militaire offrent dans l'histoire de la clinique l'avantage de grouper des populations homogènes, de même sexe, d'âge moyen, et vivant dans des conditions identiques.

39. Mode Provisoire de la police médicale, 4 messidor An VI, et Rapport fait au Conseil des Cinq Cents, 29 brumaire an VIL Cabanis fait partie de la Société médicale d'émulation, créée en 1796, qui compte parmi ses membres, Alibert, Bichat, Bretonneau, Desgenettes, Dupuytren, Fourcroy, Larrey, Pinel.

40. Rapport fait au Conseil des Cinq Cents, et J.B. Morgagni, De sedibus et causis morborum, Venise, 1761.

4. Ibid.

42. Convention nationale, Rapport sur l'instruction publique présenté au nom de la Commission des 11 et du Comité de Salut public, 23 vendémiaire an IV.

43. Corps législatif, session de l'an XI, séance du 19 ventôse.

44. Révolutions et Réforme, t. II, p. 249.

45. M. Foucault, op. cit., p. 148.

46. Cf. C. Salomon-Bayet, « Un préambule théorique à une Académie des arts, l'Académie Royale des Sciences, 1693-1696 », Revue d'histoire des sciences, 1969, pp. 229-250 ; et « Maupertuis et l'Institution», Actes de la journée Maupertuis, Vrin éd., 1975, pp. 183-204.

47. Id., L'institution de la science et l'expérience du vivant, thèse en préparation.

48. La mathématisation des doctrines informes, actes du Colloque de l'Institut d'Histoire des Sciences, Paris, Hermann éd., 1970, 1 vol.

49. Cf. Isa. Stengers, « La description de l'activité scientifique par T.S. Kuhn », Critique, août-septembre 1974, pp. 753-781.

50. Jacob, F., La logique du vivant, une histoire de l'hérédité, Paris, 1970 Google Scholar.

51. F. Jacob, op. cit., p. 24: «Il n'y a pas une organisation du vivant, mais une série d'organisations emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes » ; et p. 345 « Aujourd'hui le monde est messages, codes, information. Quelle dissection demain disloquera nos objets pour les recomposer en un espace neuf? Quelle nouvelle poupée russe en émergera ? ». L'emboîtement suppose que l'objet de surface reste intact : lorsqu'on démonte les babouchka, on obtient devant soi, alignées en série de taille décroissante, un certain nombre de poupées de bois, dont la dernière ne s'ouvre plus. Par hypothèse, il peut n'y avoir jamais de dernière poupée. Parler de dislocation, éventuellement de re-composition est epistemologiquement plus juste : certains pans du savoir subsistent, ou sont réactivés dans les organisations nouvelles. Mais ce phénomène contredit l'image de l'emboîtement.

52. Du XVIIIe au xixe siècle, le rêve de l'unité de la nature, de sa marche continue sans rupture avait engendré l'idée d'une échelle des êtres, la notion de série animale et celle d'unité de plan de composition, notions à la fois fécondes et limitées, anatomie comparée et transformisme d'une part, tableau de l'unité du règne du vivant de l'autre.