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Que la France se nomme diversité* : L'économie d'un village alpin au XVIe siècle

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

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Sauze, dans la haute vallée du Var, n'est qu'un modeste village — mais, chance qui le singularise, on peut reconstituer avec exactitude les conditions de sa vie économique au XVIe siècle, grâce à un lot de documents abondants et variés. Le cas vaut qu'on s'y arrête.

Type
Études
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1952

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Footnotes

*

[L'article qu'on va lire offre beaucoup d'intérêt. Je dirais volontiers qu'il en offre plus que son auteur ne semble le penser. Car il soulève, du fait de sa localisation alpestre, toute une série de problèmes qui ne se posent pas de la même façon dans les autres contrées de la France. Je pense à ces bâtons de cadastre sur lesquels nous aurons bientôt, j'espère, de nouveaux documents. Je pense à ces pratiques communautaires si invétérées qu'elles ont persisté jusqu'en 1939 (repas commun offert à toute la population du village par les consuls ou plus tard par le Conseil municipal). Je pense à ce rythme accéléré des ventes et des échanges dont j'avais été moi-même frappé en Franche-Comté, quand je dépouillais les innombrables carnets de lods et ventes que conservent encore nos archives. Mais tout ce que note M. Canestrier reporte notre attention, avant tout, sur ce mur alpestre qui a toujours préoccupé de bons esprits — depuis M11e Sclafert jusqu'à André Allix, géographe qui ne se croit pas tenu d'ignorer l'histoire. (Je rappelle de la première, son étude sur le déboisement des Alpes du Sud (Ann. de Géogr., 1933, p. 266, 1934, p. 126) et du second, outre son recueil de textes médiévaux sur l'Oisans, L'Oisans au moyen âge, de nombreux articles sur ce monde alpin si original et toujours si peu connu.) — L. F.]

References

page 439 note 1. Il s'agit de plusieurs centaines de documents manuscrits, originaux, échelonnés entre 1530 et 1600, récemment découverts, tous inédits : actes de notaires, inventaires, dossiers de délibérations et de comptes du Conseil communal, parcelles des consuls, du baile de la curie de Sauze, procès, jugements, papiers de famille, etc.. Les actes de notaires sont rédigés généralement en latin avant 1560, presque toujours en provençal de 1560 à 1570, puis le plus souvent en français, mais quelquefois encore en provençal. Les autres pièces sont tantôt en français, tantôt en provençal. Ces documents présentent un intérêt certain aux points de vue économique et linguistique. Les uns sont conservés aux Archives communales de Sauze et des communes voisines, Ouillaumes, Villeneuve-d'Entraunes, Péone, et comprennent des registres de délibérations communales, cadastres et livres terriers (aucunlivre terrier antérieur à 1617 à Sauze), causats avec répartition des impositions, comptes des clavaires, liasses de quittances, dossiers de procès communaux. Les autres proviennent d'archives privées retrouvées dans son grenier par M. B…, propriétaire à Sauze-Ville, qui a bien voulu me les communiquer. Qu'il trouve ici l'expression de ma gratitude.

page 440 note 1. En 1580, il y avait 150 foyers ou minages : 3 ménages ayant 7 enfants, 6 de 6 enfants, 14 de 5 enfants, 8 de 4 enfants, 21 de 3, et les autres ménages, moins de 3 enfants.

page 441 note 1. Ainsi la commune de Sauze avait acheté de son seigneur Raymond Giraud toute la partie Ouest et Nord-Ouest du terroir, dénommée Le Quartier, comprenant deux montagnes pastorales, des forêts, des taillis et des terres de culture. Le 24 mars 1443, le baron de Beuil, Pierre de Grimaldi, ratifiait la vente faite par son vassal et reconnaissait « que les hommes de Sauze posséderaient à perpétuité le territoire du Quartier, qu'ils pourraient y travailler, essarter, couper les arbres, construire des maisons, le louer, y faire ce qui leur plairait sans aucun préjudice ; le magnifique seigneur baron se réservant et retenant le domaine majeur et la seigneurie avec les droits de laudismes et de trézain que les hommes de Sauze paieraient toutes les fois qu'ils vendraient, aliéneraient ou échangeraient ce territoire de personne en personne, en tout ou en partie… Réservât et retinet ejus majus dominium et segnoriam de laudimiis et tresenis quoties vendcrent aut alienarent vel permutarent ipsum territorium de personna in personnam, in solidum vel in parte* (Charte Com. 24 mars 1443). La commune constitua en biens communaux les deux montagnes pastorales, les forêts, les espaces impropres à la culture et autorisa les habitants à essarter, à défricher les espaces propices du Quartier, à y construire des maisons. Ce fut l'origine du hameau des Moulins, des écarts dits forests des Fabresses, de Babon… (ce mot forest désignant les écarts de Sauze est probablement un souvenir du défrichement d'anciennes forêts).

page 442 note 1. On avait, dans le dialecte, beaucoup de termes et de diminutifs pour indiquer l'exiguïté des parcelles, soucho, souchon, pesso, pessot, toc, tacon, mourre, floc, pichon-jloc, chai, cougnct (terre en coin), champon (petit champ), vinon (petite vigne), pradon (petit pré), orton (petit potager).

page 443 note 1. Le nom de Vignal attaché de nos jours à des quartiers de Saint-Martin, d'Entraunes l'atteste. Il y a encore aujourd'hui un vignoble dans la plaine de Villeneuve à 950 m. d'altitude. Mais il en existait sur les coteaux voisins, sur un ressaut ensoleillé à 1 300 m., dans la forêt appelée Le Vignal où on lit, sur un bloc énorme et lisse, l'inscription burinée en très gros caractères : « J. H. S. Maria, 1665, le 13 avril a commencé à planter la vigne Jean-Louis Arnaud.»

page 443 note 2. Une ordonnance de 1592 « interdit d'aller faire de l'herbe, de cueillir des fruits dans les vignes d'autrui tant que les vendanges n'auront pas été terminées et cela sous peine de payer tout le dommage et une amende de deux écus le jour, de quatre écus la nuit».

page 443 note 3. En 1702, les consuls de Sauze écrivaient à l'Intendant du Comté de Nice : t La communauté n'a point de cadastre terrier, se servant pour cela de bâtons comme d'ancienneté et de tous temps. »

Il y a cependant, aux archives communales de Sauze, le Livre terrier de 1617 donnant la liste des parcelles des 114 propriétaires de Sauze, dont les co-seigneurs et le prieur-curé. Il semble que l'on ait préféré ensuite la méthode des bâtons.

A la même époque, on se servait également de bâtons comme cadastre dans d'autres communes de la région : Auvare, Puget-Rostang ; La Croix, La Penne, Collongues, Les Mujoulx, Saint-Jeannet, Tourettes-sur-Loup (toutes ces communes sont dans le département des Alpes- Maritimes) ; La Mure, Le Poil (Basses-Alpes), Trigance, Montfort (Var).

page 444 note 1. « Cet alivrement est fixe et ne change qu'au moyen des ventes que les particuliers font de l'un à l'autre. La taille s'exige à la forme du bâton qui sert de cadastre et par l'imposition qui se fait sur le bétail tant gros que menu n'ayant la communauté d'aucune laides, rêves ny gabelles ny se servant d'aucune cote des fruits. L'imposition est faite tantôt haute, tantôt basse suivant les occurrences.»

page 444 note 2. Au XVIIe siècle, les populations du Haut-Var continuaient à fixer les prix d'après la monnaie périmée de l'ancien Comté de Provence qui était ainsi composée : florin — 12 gros ; gros = 16 deniers ; quart = 4 deniers ; patac = 2 deniers.

Mais en pratique on payait en monedo corrento (monnaie courante), soit monnaie de France dite de Roy, soit monnaie des États delà Maison de Savoie dite monnaie d'Italie, soit monnaie d'Espagne, toutes ces monnaies ayant cours légal dans le Haut-Var. On avait dès tableaux d'équivalence de ces monnaies avec l'ancienne monnaie provençale.Le Niçois Fulconis les indique dans son livre dialectal intitulé Libre Dabbacho opéra Nova d'Arismethica, imprimé en 1562 : escut d'Italio val grosses’ £5 ; escut dél solelh en Franso val grosses 46; fran sive livra val soulz 20 ; sould vel patas de rei val patases ê sive 12 deniers.

Le 11 octobre 1562, pour 100 florins, un acheteur de Sauze donne des écus d'or du soleil valant « 60 soulz la pièce monnoye de Roy et des testons de Roy-, des pièces de Savoye valant chacune 10 gros moins ung quart et le surplus en soulz et quars ». Le régime des Poids et Mesures n'était pas moins complexe car il avait une valeur locale. Poids : cargo (charge) = 14 rups ou 110 kg. ; quintau = 6 rups ou 46 kg. 74 ; rup — 1 kg. 790 ; Ueuro (livre) = 407 g. ; ounso fonce) = £5 g. Mesures de capacité pour les grains : saumado (charge) = 4 setiers ou 1 hl. 647 ; sestier = 2 émines ou 40 1. 043 ; émine = 3 panais ou 20 1. 214 ; Panai = 2 quartieros ou 6 I. 739 ; quartiero = 3 1. 369. Mesures des liquides : copo = 15 pots ou 20 1. 76 ; pot = 2 pintos ou 1 1. 83 ; pinto = 0 1. 927. (Tavola di Ragguaglio degli antiehi pesi e misure dei Comuni délia Provincia di Nizza coi pesi e misure del sistema metrico décimale, Nizza, 1849.)

page 445 note 1. Les. deux frères Antoine et Honorât Nicolas se partagent par moitié chacune des 12 parcelles, des 2 maisons et des 2 celliers laissés par leur père et conviennent qu'ils contribueront par moitié à l'entretien de la toiture des maisons et celliers (1er octobre 1564). Les deux frères Michel et Jacques Troche se partagent l'héritage de leur père : Michel obtient une maison vieille et une maison neuve a«x Selves ; Jacques une autre maison aux Selves et une maisonnette à Champeant. Chaeun d'eux a la moitié de chacune des 17 parcelles situées en divers quartiers, aux Selves, aux Costes, au Chastellar, à la Royère, à Clot, au Laazer, à: Villetalle, aux Repaysses, à Ribatorta, à Dohant (1er mars-1568).

page 446 note 1. Il achète de Joseph Boyer deux souchons de pré qui confrontent son pré de Chanchays, deux tacons de pré situés un peu plus loin et un potager au-delà du château, le tout pour ‘«6 florins (15 juin). Il achète d'Antoine Robion une maison comprenant cellier, cuisine, chambre et se tenant avec sa propre maison dans la ville de Sauze, pour le prix de 23 florins (18 juin). Il achète d'Antoine Arnaud une partie de maison ou grange, aux Glayros, pour 6 florins (21 juin).

page 447 note 1. L'araire décrit dans plusieurs inventaires se composait de 4 pièces : l'esteoo. Varamoun, la tendiho, la reio ; « ung soc, une tendille garnie tractoyre », « un araire avec le joug et tendille », « un soc et un cordeil, le tout pesant dix et huit livres».

page 448 note 1. Une ordonnance eommunale du 15 septembre 1592 rappelle cette interdiction, enjoint aux habitants de « faire sortir des devens toute bête menue sous peine de confiscation de la bête surprise par les champiers. Le propriétaire de la bête arrêtée aura la faculté de la racheter dans les 24 heures, les deux tiers du prix appartiendront à la ville, un tiers ao champier. On peut cependant mener dans les devens une seule bête menue, à condition de la tenir attachée court, à la main, pour éviter qu'elle ne fasse aucun mal».

page 449 note 1. Parfois, le notaire indiquait l'équivalence des pièces données en paiement : « 20 écus d'or au soleil monnaie de roi valent 5 florins et demi la pièce», « huit écus d'or et demi d'Italie à raison de 5 florins 6 sols par écu ».

page 450 note 1. Pension alimentaire de la veuve de Laurens Sigaud (7 févr. 1590). Les héritiers doivent lui fournir chaque année : 8 setiers de méteil ou de seigle, 4 setiers de froment ; une émine de pois secs ; une quartière de lentilles ; une quartière d'esses ; une brebis vieille pour la saler ; 18 livres de fromage gras ; 6 livres de céras, une charge de vin (110 1.), une quartière de pommes, une quartière de noix et une quantité honnête de raisins.

Pension alimentaire de la veuve Philippine Nicolas (7 févr. 1563) : 6 setiers de froment et 9 setiers de méteil et seigle, 6 copes de vin (1201., la moitié seulement en cas de mauvaise récolte) ; 2 rups de viande salée, 10 livres de viande fraîche à Noël, 30 livres de fromage gras, 10 livres de céras. La veuve pourra prendre, à sa discrétion et honnêtement, des fruits et des raisins sur les terres du testateur.

Pension alimentaire delà veuve Honorade Jordane (22 sept. 1590) : 12 setiers de blé (4 d'annone, 4 de segal, 4 de blatmarsenc, blé semé au printemps), 1 émine de pois secs, 1 quartière de lentilles, une cope de vin, 20 livres de fromage, 5 livres de céras, 3 litres d'huile, une brebis vieille pour saler, des fruits honnêtement.

La veuve entretenait une chèvre ou deux brebis pour avoir du lait, elle pouvait les garder dans tous les prés de son défunt mari.

page 450 note 2. Trousseau de Honorade Troche (24 juin 1563) : 4 robes neuves en sus de toutes les robes usées qu'elle a présentement ; 3 chemises neuves en sus de celles usées qu'elle a ; 2 paires de chausses neuves en plus de celles qu'elle a, le tout en drap ou toile du lieu de Sauze, une paire de souliers neufs. Trousseau de Jehanette Troche (20 déc. 1561) : 2 robes neuves dont une de couleur verte et l'autre de la couleur qu'elle voudra et 4 autres robes de drap de maison avec toutes les autres robes faites pour sa personne tant neuves que usées ; 10 chemises neuves et les autres qu'elle a ; 2 paires de chausses neuves ; une paire de souliers neufs et ceux qu'elle a. Trousseau de Peyrone Robione (8 août 1568) : 3 robes neuves de drap de Sauze et 3 chemises neuves avec toutes les robes et chemises qu'elle a déjà ; 2 paires de chausses neuves, le tout en drap ou toile de maison ; une paire de souliers neufs. On relève, dans un trousseau de 1580, « la centure de freme de velut ambe ung annel tout plain d'argent».

page 451 note 1. Exemples : Loys Sigaud engage à l'OEuvre de Saint-Laurent une terre et un pré qu'il a au quartier de Paynioros pour le prix de 15 florins reçus et une pension annuelle de 18 gros payables à la fête de Saint-Martin (20 oct. 1562). Michel Boyer engage une terre et un pré du lieu dit Àl Riou pour le prix de 10 florins perçus et une pension annuelle de 1 florin payable à la fête de Saint-Martin (15 nov. 1562). On a une trentaine de ces contrats de pension de l'OEuvre passés entre 1560 et 1590.

page 451 note 2. On devait aussi prêter sans écrit. Dans un testament du 7 févr. 1563, Loys Troche « ordonne à ses héritiers que, s'il survient quelque contestation avec des débiteurs au sujet de prêts, ces débiteurs doivent être crus sur leur serment, s'ils sont réputés hommes de bien et dignes d'être crus sur leur serment ».

page 452 note 1. Au XVIe siècle, tout testateur, homme ou femme, prescrivait à ses héritiers de «donner disner suffisamment» aux pauvres qui assisteraient aux funérailles, aux services de neuvaino et d'anniversaire et, en outre, de distribuer, une fois à toute la population, suivant la coutume, le pain, le vin et le lioume (plat de légumes secs préparé dans plusieurs gros chaudrons). Antoine Sigaud « ordonne qu'il soit fait une aumône générale de sept setiers de blé, trois émines de lioume et six copes de vin » (5 oct. 1565). Marie Nicolas « ordonne une aumône générale de pain, vin et lioume, donnant à toute personne une livre de pain et pour un patac de vin » (22 juill. 1566).