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Qu’est-ce qu’un « enthousiasme civique » ? Sur l’historiographie des fêtes politiques en France après 1789

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Nicolas Mariot*
Affiliation:
CNRS/CURAPP (Amiens)

Résumé

À partir d’une série chronologique d’ouvrages consacrés aux fêtes de souveraineté depuis 1789 en France, l’article questionne la fonction intégrative qui leur est ordinairement reconnue : le fait d’éprouver ensemble les mêmes émotions fabriquerait et/ou renforcerait le lien social. La démonstration suivie discute l’idée que les manifestations de liesse (applaudissements, acclamations) puissent représenter un bon indicateur de l’engagement militant, sinon des pensées politiques, des participants.À la question de savoir ce qu’est un enthousiasme civique, il répond simplement : un enthousiasme manifesté dans une situation civique reconnue comme telle par les participants eux-mêmes et/ou ainsi qualifiée par les organisateurs et commentateurs, profanes comme savants, de l’événement.

Abstract

Abstract

Based on books dealing with political festivities in France since 1789, this article discusses the integrative function which is frequently assigned to festive events by scholars. That function can be summed up in the following proposition: experiencing similar emotions into collective gatherings is supposed to provide or promote socialization. The paper rejects the idea that popular fervor could be an efficient tool to measure civic engagement. It raises the following question: how can we qualify politically enthusiasm, for example by calling it ‘civic’ or ‘imperial’, ‘patriotic’ or ‘republican’? The given answer is the following one: public enthusiasm is not civic because an inquiry may find ‘patriotism’ into participants’ minds, but simply because the civic character of the context (and the festive behavior – made of applauses, cheers and joy – which is therefore expected) is recognized by the public and assigned by organizers and/or commentators.

Type
Rituels civiques
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2008

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References

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2 - Sanson, Rosemonde, Les 14 juillet, fête et conscience nationale, 1789-1975, Paris, Flammarion, 1976 Google Scholar.

3 - Outre les deux ouvrages cités, cet article entreprend de discuter les travaux suivants : Hazareesingh, Sudhir, The Saint-Napoleon: Celebrations of sovereignty in nineteenth-century France, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 2004 Google Scholar ; Dalisson, Rémi, Les Trois couleurs, Marianne et l’Empereur. Fêtes libérales et politiques symboliques en France, 1815- 1870, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2004 Google Scholar et Olivier IHL, La fête républicaine, Paris, Gallimard, 1996. Il ne s’agit donc pas d’une revue complète de l’historiographie des cérémonies : l’adossement sélectif de ces monographies permet de disposer, par-delà les changements de régime, d’une série chronologique continue concernant les fêtes publiques en France depuis la Révolution.

4 - Chartier, Roger, « Discipline et invention. Les fêtes en France XVe-XVIIIe siècle », Diogène, 110, 1980, p. 5171 Google Scholar.

5 - Voir par exemple le passage suivant : « Qu’est-ce, en effet, que le 14 juillet pour une grande partie de la population à la fin du XIXe siècle ? Certes la commémoration d’un fait quasi légendaire dont elle a lieu d’être fière, l’exaltation patriotique dans une espérance commune, mais aussi le faste des artères illuminées, la féerie du feu d’artifice, les jeux, les baraques foraines, les bals publics, griseries habituelles du temps des retrouvailles collectives, et même les débordements causés par les excès de boisson » (R. SANSON, Les 14 juillet…, op. cit., p. 81).

6 - Ibid., p. 67-69.

7 - O. Ihl, La fête républicaine, op. cit., p. 259.

8 - R. Sanson, Les 14 juillet…, op. cit., p. 105.

9 - S. Hazareesingh, The Saint-Napoleon…, op. cit., p. 122-124 et 223-226.

10 - La fête révolutionnaire…, op. cit., p. 20. L’auteur fait du thème une des « expériences mythiques du XVIIIe siècle ». O. Ihl le reprend p. 179 de sa Fête républicaine, mais dans une acception assez nettement différente : « Quelques années après le vote des Français décidant d’habiter en république, la république était en mesure d’habiter des Français rebaptisés citoyens. »

11 - Cité par R. Dalisson, Les Trois couleurs…, op. cit., p. 78.

12 - Décret du 15 août 1830 fixant aux 19 et 20 septembre l’affichage et la lecture de la Charte révisée (cité par R. Dalisson, ibid., p. 76).

13 - Si l’hypothèse est juste, on disposerait ici d’un bon exemple du glissement consistant à faire passer l’énoncé des volontés des organisateurs pour le produit effectif de la manifestation. Simplement, il est dans ce cas le fait du commentaire originel, pas de sa duplication savante. Sur le thème de la copie des prescriptions officielles, voir M. Ozouf, La fête révolutionnaire…, op. cit., note 2, p. 198-200. L’auteur s’interroge sur l’usage des procès-verbaux des fêtes, en général si répétitifs et respectueux des normes commandées (il s’agit de s’éviter tout risque d’enquête ou de récrimination en cas de trop grande sincérité) que les archives renferment encore des procès-verbaux rédigés au conditionnel, dont les rédacteurs n’auraient fait que recopier le modèle (p. 199).

14 - Ryle, Gilbert, La notion d’esprit : pour une critique des concepts mentaux, Paris, Payot, [1949] 2005, p. 102104 Google Scholar.

15 - Chartier, R., « L’événement et ses raisons », Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Le Seuil, [1990] 2000, postface, p. 289 Google Scholar.

16 - R. Dalisson, Les Trois couleurs…, op. cit., p. 117.

17 - Hazareesingh, S., « La légende napoléonienne sous le Second Empire : les médaillés de Sainte-Hélène et la fête du 15 août », Revue historique, 627, 2003, p. 543 CrossRefGoogle Scholar.

18 - Voir D’Hollander, Paul, La bannière et la rue. Les processions dans le Centre-Ouest au XIXe siècle (1830-1914), Limoges, Pulim, 2003, p. 123 Google Scholar.

19 - S.Hazareesingh, The Saint-Napoleon…, op. cit., p. 41.

20 - O. Ihl, La fête républicaine, op. cit., p. 135.

21 - O. Ihl, La fête républicaine, op. cit., p. 119.

22 - R. Sanson, Les 14 juillet…, op. cit., p. 83.

23 - L’Atelier, organe spécial de la classe laborieuse, 1840-1850, vol. 3, octobre 1847-juin 1850, Paris, EDHIS, 1978, p. 387.

24 - R.Dalisson, Les Trois couleurs…, op. cit., p. 124.

25 - Ibid., p. 277.

26 - O. Ihl, La fête républicaine, op. cit., p. 69.

27 - Ibid., p. 65.

28 - Ibid., p. IX.

29 - C’est ainsi que M. Ozouf résume la liste dans sa préface : La fête révolutionnaire…, op. cit., p. IX-X.

30 - Ibid., p. 162.

31 - Ibid., p. 155-156.

32 - Ibid., p. 185.

33 - Ibid., p. 157.

34 - M. OZOUF, La fête révolutionnaire…, op. cit., p. 20-25.

35 - Ibid., note 1, p. 63-64.

36 - Ibid., p. 31-35.

37 - Ibid., p. 47.

38 - Ibid., p. 51.

39 - Voir sur ce point le bel article de Boutier, Jean, « Jacqueries en pays croquant. Les révoltes paysannes en Aquitaine (décembre 1789-mars 1790) », Annales ESC, 344, 1979, p. 760786 Google Scholar.

40 - Ibid., p. 69.

41 - Ibid., p. 73.

42 - Ibid., p. 81. Page suivante, M. Ozouf mentionne ces mats de cocagne frottés de savon auxquels il faut grimper pour aller décrocher un drapeau tricolore. Et toujours la même question : en quoi le mat est-il mobilisateur ? Parce que frotté de savon ou parce que tricolore ?

43 - Ibid., p. 86-87.

44 - Ibid., p. 111-122.

45 - Ibid., p. 123-125.

46 - Ibid., p. 126.

47 - Ibid., p. 128-129.

48 - Ibid., p. 139.

49 - Ibid. p. 154-155.

50 - Nulle part cette volonté n’est mieux illustrée que par le refus de faire porter trop tôt la cocarde tricolore aux enfants. Pourquoi ? Parce que, explique Félix Bonnaire, on en « ferait une affaire d’habitude » alors qu’il « faudrait en faire une affaire de sentiment » : on ne dresse pas des robots, on éduque des citoyens (cité ibid., p. 318).

51 - Fauconnet, Paul et Mauss, Marcel, « Sociologie », La Grande Encyclopédie, vol. 30, Paris, Société anonyme de la Grande Encyclopédie, 1901 Google Scholar, repris in M. Mauss, Oeuvres, vol. 3, Paris, Éd. de Minuit, 1969, p. 150.

52 - Descombes, Vincent, « Edmond Ortigues et le tournant linguistique », L’Homme, 175176, 2005, p. 462463 Google Scholar.

53 - M. Ozouf, La fête révolutionnaire…, op. cit., p. 78.

54 - O. IHL, La fête républicaine, op. cit., p. 17.

55 - Ibid., p. 62 et 118-119.

56 - Ibid., p. 119.

57 - Ibid., p. 185-187.

58 - Ibid., p. 29-30.

59 - Ibid., p. 58-59.

60 - Ibid., p. 60.

61 - « On aurait tort d’en conclure que, dans les moments où les images de l’empereur n’étaient ni solennellement accueillies ni détériorées, elles étaient adorées. Loin de là. On n’y faisait absolument pas attention » : Brown, Peter, La société et le sacré dans l’Antiquité tardive, Paris, Le Seuil, [1982] 2002, p. 226 Google Scholar.

62 - Je suis ici les remarques de Descombes, Vincent, Le complément de sujet. Enquête sur le fait d’agir de soi-même, Paris, Gallimard, 2004 Google Scholar, en particulier les chap. 46, 47 et 52 à 55 ; également Id., « Relation intersubjective et relation sociale », in J. Benoist et B. Karsenti (dir.), Phénoménologie et sociologie, Paris, PUF, 2001, p. 127-155 et Id., «La nature structurale des institutions », in B. Gnassounou et C. Michon (dir.), Vincent Descombes, questions disputées, Nantes, Éd. Cécile Defaut, 2007, p. 417-426.

63 - Wittgenstein, Ludwig, « Remarques sur le Rameau d’or de Frazer » [1967], no spécial « Qu’est-ce que croire ? », Revue Agone, 23, 2000, p. 28 Google Scholar.

64 - R.Dalisson, Les Trois couleurs…, op. cit., p. 128.

65 - M. Ozouf, La fête révolutionnaire…, op. cit., p. 359.

66 - Sur la tendance des rapports locaux de surveillance de l’opinion (ceux des maires, policiers, gendarmes), dans la première moitié du XIXe siècle, à se limiter à l’énumération des événements et au récit de leur organisation (au grand regret de l’administration centrale qui attend des interprétations plus que de simples descriptions matérielles), voir la troisième partie de la thèse de Karila-Cohen, Pierre, L’État des esprits. L’invention de l’enquête politique en France (1814-1848), Pur, 2008 Google Scholar.

67 - S.Hazareesingh, The Saint-Napoleon…, op. cit., p. 90.

68 - R.Dalisson, Les Trois couleurs…, op. cit., p. 84.

69 - O. Ihl, La fête républicaine, op. cit., p. 353.

70 - Ibid., p. 348.

71 - Ibid., p. 350.

72 - Rapport au préfet du commissariat spécial de Dieppe, no 1221, daté du 28 juillet 1921, AD Seine-Inférieure, 1M337.

73 - Le Journal du Centre du 22 avril 1959, AN 5AG1/455.

74 - Héran, François, « Le rite et la croyance », Revue française de sociologie, XXVII, 1986, p. 262 Google Scholar.

75 - Wedeen, Lisa, « Acting ‘As If’: Symbolic politics and social control in Syria », Comparative Studies in Society and History, 403, 1998, p. 506 et 510CrossRefGoogle Scholar.

76 - Récit du voyage de Leurs Majestés l’Empereur et l’Impératrice en Normandie et en Bretagne, août 1858, par J.-M. Poulain-Corbion, historiographe du voyage impérial, Paris, Amyot éditeur, 1858, p. 22.

77 - O. IHL, La fête républicaine, op. cit., p. 187-188.

78 - Ibid., p. 206.

79 - S.Hazareesingh, The Saint-Napoleon…, op. cit., p. 96.

80 - ANF19 5548, dossier cité par P. D’Hollander, La bannière et la rue…, op. cit., p. 169.

81 - La Semaine religieuse du diocèse de Périgueux, en 1875, soutient que « seule l’Église possède le secret d’assembler le peuple et de l’émouvoir saintement » (cité par P. D’Hollander, La bannière et la rue…, op. cit., p. 147).

82 - Voir Gaïti, Brigitte, « Entre les faits et les choses. La double face de la sociologie politique des institutions », in Cohen, A., Lacroix, B. et Riutort, P. (dir.), Les formes de l’activité politique. Éléments d’analyse sociologique du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, PUF, 2006, p. 3964 Google Scholar.

83 - Merci beaucoup à Johanna Siméant, Stéphane Bacciochi et Philippe Olivera pour leurs relectures attentives des versions antérieures de cet article.