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Les velléités normalisatrices de la Cour suprême en matière d'échanges économiques: Fraude et sens du risque

Published online by Cambridge University Press:  18 July 2014

Jean-Luc Bacher
Affiliation:
École de criminologie, Centre international de criminologie comparée, Université de Montréal.

Abstract

This paper gives an account of the implications of the Supreme Court of Canada's case-law to section 380 of the Canadian Criminal Code defining fraud. It scrutinizes the Supreme Court's construction of some of the constitutive elements of fraud such as dishonesty and prejudice caused to the victim. The author then tries to make apparent the implicit logic followed by the Supreme Court in this matter. He asks himself which values, social models, and practices the Judges want to put forward through their policy making in regard to fraud. Finally, the author contrasts the Supreme Court's rationale with different sociological perspectives stressing current practices of economic exchange and risk-taking by economic players, particularly by contractors. Among other things, the author tries to understand, in the light of sociology, what is dishonest enrichment, what economical risks are considered tolerable and what are natural hindrances to securing economic activities.

Résumé

Cet article rend compte de la portée que confère, dans sa jurisprudence, la Cour suprême à l'article 380 du Code criminel canadien, qui définit la fraude. Il s'attache en particulier à cerner l'interprétation que fait la Cour suprême de ces éléments constitutifs de la fraude que sont la malhonnêteté et le préjudice causé à la victime. L'auteur s'efforce ensuite de dégager la logique implicite qui guide la Cour suprême dans son interprétation de cette disposition. Il se demande quelles sont les valeurs, les modèles sociaux et, ultimement, les pratiques qu'entendent promouvoir les Juges de la Cour suprême dans l'élaboration de leur politique en matière de fraude. Il oppose enfin la logique de la Cour suprême à quelques unes des thèses énoncées par la sociologie pour rendre compte des pratiques qui ont cours en matière d'échanges économiques et de prise de risque par les acteurs économiques, en particulier par les entrepreneurs. A la lumière de la sociologie, l'auteur tente notamment de comprendre en quoi consiste l'enrichissement malhonnête, quels sont les risques économiques considérés comme tolérables et quelles sont les entraves naturelles à la sécurisation des activités économiques.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Canadian Law and Society Association 1999

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References

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6. Ibid. à la p. 37.

7. Boisvert, supra note 2 à la p. 432.

8. Théroux, supra note 4 à la p. 25.

9. Voir Boisvert, supra note 2 à la p. 432.

10. Voir Olan, supra note 3 à la p. 1181.

11. Ibid. à la p. 1196.

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13. Ibid.

14. Voir Boisvert, supra note 2 à la p. 426.

15. Voir Olan, supra note 3 à la p. 1181.

16. Pas plus d'ailleurs que toute forme de privation illégitime ou de dessein caché.

17. Zlatic, supra note 5 à la p. 45.

18. Ibid. à la p. 48.

19. Olan, supra note 3 à la p. 1181.

20. Zlatic, supra note 5 aux pp. 47-48.

21. Ibid.

22. Voir Boisvert, supra note 2 à la p. 445.

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24. Pour Anne-Marie Boisvert notamment, il est clair que la norme communautaire ne rencontre pas les critères élaborés par la Cour suprême sur la validité des lois sous l'angle de leur précision (voir Boisvert, supra note 2 à la p. 442).

25. Voir R. c. Salvo (1979), [1980] V.R. 401, aux pp. 430-431.

26. Boisvert, supra note 2 à la p. 444.

27. Olan, supra note 3 à la p. 1182.

28. Boisvert, supra note 2 à la p. 450.

29. Ibid. à la p. 451.

30. Le juge Sopinka, dissident, s'exprime en ces termes: «Les créanciers n'ont pas, dans les sommes d'argent jouées par l'accusé, un «intérêt pécuniaire» au sens de l'intérêt qu'une compagnie a dans ses fonds utilisés à des fins personnelles. Bien que les créanciers aient «un intérêt» à être payés, ils n'ont pas pour autant l'intérêt pécuniaire du propriétaire à moins que la relation avec le débiteur ne fasse en sorte que les fonds soient assujettis à une fiducie. On ne laisse aucunement entendre cela en l'espèce. Le fait que les créanciers soient intéressés à être payés ne leur confère aucun droit». (Voir Zlatic, supra note 5 à la p. 34).

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33. Le juge Dickson, dissident dans l'arrêt Bernard, a dit à ce propos qu'il n'incombe pas aux tribunaux de «créer de nouvelles infractions, ni de donner plus d'extension à la responsabilité» (R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833, 67 C.R. (3è) 113, à la p. 861). Et la juge McLachlin, dissidente, d'affirmer dans un très récent jugement: «Quand les tribunaux abordent la définition des éléments d'un ancien crime, ils doivent prendre garde de ne pas les élargir au point de créer un nouveau crime. Seul le législateur peut créer de nouveaux crimes et transformer une conduite légale en une conduite criminelle» (R. c. Cuerrier, C.S.C., No du greffe 25738, 3 septembre 1998, para. 34).

34. Voir Théroux, supra note 4 à la p. 27.

35. Voir Boisvert, supra note 2 à la p. 477.

36. Ibid. à la p. 483.

37. Voir art. 1382 C.c.Q.

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39. Ibid.

40. Ibid.

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42. C'est là une tendance que Graven notait, il a plus de vingt ans déjà, à la lecture de projets de lois européens sur la criminalité éonomique (Graven, P., «L'économie du droit pénal et le droit pénal éonomique» (1976) 92 Revue pénale suisse 337 à la p. 358)Google Scholar.

43. Ibid. à la p. 364.

44. Voir Robert, supra note 41 à la p. 78.

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46. Explicitant le principe de justice distributive, Aristote écrit: «Tous les hommes reconnaissent, en effet, que la justice dans la distribution doit se baser sur un mérite de quelque sorte, bien que tous ne désignent pas le même mérite, les démocrates le faisant consister dans une condition libre, les partisans de l'oligarchie, soit dans la richesse, soit dans la noblesse de race, et les défenseurs de l'aristocratie dans la vertu» (Aristote, , Éthique à Nicomaque, vol. 6, éd, Paris, Vrin, 1990 1131 a 2429)Google Scholar.

47. Robert, supra note 41 à la p. 78.

48. Roth, R., «Réflexions sur la place du droit fiscal au sein de la législation pénale accessoire» (1984) Archives de droit fiscal suisse 529 à la p. 538Google Scholar.

49. Gagné et Rainville, supra note 2 à la p. 188

50. Voir Cuerrier, supra note 33 au para. 21.

51. Voir Demeulenaere, P., Homo oeconomicus, Enquête sur la constitution d'un paradigme, Paris, Presses universitaires de France, 1996 aux pp. 29 ssGoogle Scholar.

52. Ibid. à la p. 45.

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54. Demeuleneare, supra note 51 à la p. 93.

55. Voir Smith, supra note 53 aux pp. 126-127.

56. La distribution des prix offerts sur le marché est alors affectée de valeurs extrêmes qui ont pour effet de rendre la distribution dissymétrique et d'éloigner la moyenne de la médiane.

57. Voir Weber, M., Économie et société, Les catégories de la sociologie, Paris, Pocket, 1995 à la p. 103Google Scholar.

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59. Art. 1378 C.c.Q.

60. Art. 1385 C.c.Q.

61. Si, par exemple, les acquéreurs de la montre Swatch sont disposés à payer plus de 50 $ pour un objet dont on sait que la prix de revient ne dépasse pas 3 ou 4 $, on ne peut que s'incliner devant leur appréciation.

62. «…si nous posons le problème, très simple aussi, de rechercher ce qui est le plus profitable à l'individu, abstraction faite de son jugement, aussitôt apparaît la nécessité d'une norme, qui est arbitraire» (Pareto, V., Traité de sociologie générale, trad, par Boven, P., t. XII, Oeuvres complètes, Genève, Librairie Droz, 1968 à la p. 1331)Google Scholar.

63. Boisvert, supra note 2 à la p. 468.

64. Rainville, supra note 12 à la p. 211.

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67. Ibid. à la p. 29.

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69. L'entrepreneur n'est pas un acteur marginal; il est un pilier du système capitaliste et il est indispensable au développement économique (Voir Baechler, J., Le capitalisms t. 2, Paris, Guillemard, 1995 aux pp. 308, 326Google Scholar.

70. Ibid. à la p. 351.

71. Schumpeter, J., La théorie de l'évolution économique, recherches sur le profit, le crédit, l'intérêt et le cycle de la conjoncture, 2è éd. trad. Paris, Dalloz, 1983Google Scholar à la p. 115). L'entrepreneur n'est pas caractérisé par le comportement individualiste, rationnel et hédoniste. L'entrepreneur a un ensemble de motivations et un genre de conduite radicalement différents de ceux de l'agent économique rationnel-routiner. Il se donne ses propres fins qui ne sont pas déterminées par les besoins hédonistes et l'acquisition de biens. L'entrepreneur se donne pour objectif «l'accomplissement de quelque chose d'autre que ce qui est accompli par la conduite habituelle». Il a la volonté de “fonder un royaume privé”. L'entrepreneur poursuit le succès pour le succès. Il a donc «une motivation étrangère à la raison éonomique et à sa loi» (ibid. aux pp. 116-136).

72. Baechler, supra note 69 à la p. 153. Gislain et Steiner qualifient la conduite de l'entrepreneur en ces termes: «… elle n'est pas de l'ordre de la rationalité optimisatrice déterminée par un but objectif et des contraintes données à l'argent. L'entrepreneur a une rationalité en finalité, mais les fins lui sont propres et n'ont rien d'objectives. De plus, la rationalité de l'entrepreneur n'est pas optimisatrice puisque celui-ci n'économise pas ses efforts pour parvenir à ses buts… Le principe même de sa conduite antihédoniste tient dans «la joie de créer une forme économique nouvelle» quoi qu'il en coûte lors de la mise en place de nouvelles combinaisons de production» (Voir supra note 66 à la p. 154).

73. Pour rendre compte des hearts qu'il peut y avoir entre les motifs conscients qu'invoquent les acteurs sociaux et leurs vrais motifs, ceux-là mêmes qui déterminent les faits sociaux, Schumpeter a recours à la notion de mentalité. (Voir Schumpeter, J., «Contribution à une sociologie des impérialismes» dans Schumpeter, J., Impérialisme et classe sociale, trad. Paris, Minuit, 1972 aux pp. 74 ss.)Google Scholar. Les mentalités permettent de rendre compte de ces idées qui contribuent à forger les intérêts desquels découlent directement des comportements: «Ce sont des intérêts (matériels et moraux) et non des idées qui commandent immédiatement l'agir des hommes. Toutefois, les visions du monde créées par des «idées» ont très souvent aiguillé les actions humaines sur les voies déterminées par le dynamisme des intérêts» (Weber, M., «La morale économique des grandes religions», Essais de sociologie religieuse comparéeGoogle Scholar. «Introduction» (1960) 5: 9Archives de sociologie des religions 7 aux pp. 1819Google Scholar.

74. Baechler, supra note 69 à la p 86. Ces propos coïncident avec ceux de Schumpeter qui avance que «Le jeu des affaires ne ressemble pas à la roulette, mais plutôt au poker.…pour bien marquer la distinction entre la prise de risque qui a trait à l'incertitude calculable - qui peut done donner lieu à un traitement rationnel de la décision -, et la prise de risque de l'entrepreneur qui se projette dans un nouvel horizon, dans une incertitude totale» (Gislain et Steiner, supra note 66 à la p. 154).

75. Baechler, supra note 69 à la p. 308.

76. De son propre aveu, l'un des avocats ayant participé au procès Zlalic, fut totalement éberlué de rencontrer, quelque temps après l'issue du procès en Cour suprême, Zlatic et sa victime déambulant et devisant paisiblement dans les rues de Montréal. Est-ce là l'indice, pour la victime, d'une grandeur d'âme a toute épreuve ou le signe d'une appréciation différentielle de sa part des comportements hasardeux dont il a fait les frais? Sans vouloir dénier a la victime toute vertu morale, il nous paraît plus senséd'éprouver d'abord la seconde des deux éventualités.

77. Demeulenaere, supra note 51 à la p. 188, note 2, pour expliciter les propos de Weber, supra note 57 à la p. 297.

78. Baechler, supra note 69 à la p. 153.

79. Voir Weber, supra note 57 à la p. 280.

80. Voir Demeulenaere, supra note 51 à la p. 40.

81. Ibid. à la p. 166.

82. Voir Pareto, supra note 62 à la p. 1434.

83. von Mises, L., L'action humaine, traité d'économie, trad, par Audoin, R., Paris, Presses universitaires de France, 1985 à la p. 111Google Scholar.

84. «Dans le monde réel, l'homme qui agit est devant le fait qu'il a des semblables agissant pour leur propre compte, comme il agit lui-même. La nécessité d'ajuster ses actions aux actions d'autrui fait de lui un spéculateur, pour qui le succès ou l'échec dépendent de son aptitude plus ou moins grande à apprćier l'avenir. Toute action est spéculation. II n'y a dans le cours des événements humains aucune stabilité, et done aucune sûreté» (von Mises, ibid. à la p. 119).

85. Ibid. à la p. 63; voir aussi Demeulenaere, supra note 51 à la p. 207.

86. Ibid. à la p. 208.

87. Ibid. à la p. 207.

88. Baechler, supra note 69.

89. Parmi les intermédiaires de l'économie transactionnelle, Weber distingue notamment ceux dont l'entremise constitue un «commerce pour son propre compte», une «activité capitaliste indépendante» dans l'exercice de laquelle le commerce est réalisé «par l'achat de marchandises en prévision d'une vente ultérieure profitable ou par la vente à terme avec l'espoir d'un achat actuel favorable…» (Weber, supra note 57 à la p. 222).

90. Ibid. à la p. 224.

91. Voir Demeulenaere, supra note 51 aux pp. 47-48.

92. Voir Bacher, J.-L., L'escroquerie à l'assurance privée, Étude pénale et criminologique, Berne, Peter Lang, 1995 à la p. 280Google Scholar.

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94. Art. 1407 C.c.Q.