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L'esprit humain selon Claude Lévi-Strauss

Published online by Cambridge University Press:  28 July 2009

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Il convient de justifier en quelques mots ce titre prétentieux qui paraît attribuer à M. Lévi-Strauss des idées franchement philosophiques. A en juger par les résultats, fort instructifs, d'une récente discussion de principes (1), il est pourtant clair qu'il serait prématuré de considérer 1' «anthropologie structurale» comme un courant philosophique moderne (du «non-sens» par exemple), qui chercherait à se frayer un chemin au détriment de courants de pensée existants. La démarche structuraliste se propose plutôt de servir à un regroupement de différentes sciences qui se tenaient jusqu'alors jalousement à l'écart l'une de l'autre, en déployant une compréhension globale et cohérente de l'homme et en s'efforçant autant que possible de transcender les façons propres aux sciences humaines pour les replacer dans le cadre d'une science de la nature. Laissons a cette demarche les limites qu'elle s'est elle-même fixées et gardons-nous de lui faire dire plus qu'elle ne veut. Il n'est pas interdit toutefois de comprendre ces nouveaux principes dans leur signification la plus large, en laissant aux sociologues de métier le soin de vérifier leur efficacité au sein des données empiriques. Examinons done les circonstances dans lesquelles apparaît le terme d' «esprit» et son importance pour les sciences humaines en tant que telles.

Type
Aliénation et Structure or Conscience and Consciousness
Copyright
Copyright © Archives Européenes de Sociology 1966

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References

(1) Cf. Esprit, novembre 1963, pp. 545653.Google Scholar

(2) Les œuvres de Claude Lévi-Strauss seront citées selon les abréviations suivantes:

Les structures élémentaires de la parenté (Paris, P.U.F., 1949) [Struct.]Google Scholar.

Tristes Tropiques (Paris, U.G.E., 1962) [Trop.]Google Scholar.

«Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss», in Mauss, Marcel, Sociologie et anthropologie (Paris, P.U.F., 1960), pp. IX–LII [Mauss]Google Scholar.

Anthropologie structurale (Paris, Plon, 1958) [Anthr.]Google Scholar.

Le totémisme aujourd'hui (Paris, P.U.F., 1962) [Tot.]Google Scholar.

La pensée sauvage (Paris, Plon, 1962) [Sauv.]Google Scholar.

«Discussion avec Claude Lévi-Strauss» in Esprit, novembre 1963, pp. 628653 [Espr.]Google Scholar.

Mythologiques, Le cru et le cuit (Paris, Plon, 1964) [Cru]Google Scholar.

On trouvera une bibliographie utile des discussions qu'ont provoquées les théories de M. Lévi-Strauss en France dans la revue L'Arc [Aix-en-Provence], 26 (1965), pp. 7987.Google Scholar

(3) Du point de vue strictement ethnologique, les mythes sont toujours liés aux rites comme nous le montre, par exemple, l'intéressant ouvrage de Dumont, M. Louis, La Tarasque (Paris, Gallimard, 1951)Google Scholar. Mais la méthode, dont nous allons retracer les grandes lignes, est également applicable aux rites, si en effet ils sont recueillis et conservés avec les mythes correspondants.

(4) Dans son article «La structure et la forme», Cahiers de l'I.S.E.A., XCIX (1960)Google Scholar, M. Lévi-Strauss apporte deux importantes précisions pour clarifier sa méthode vis-à-vis l'école formaliste russe: a) le structuralisme n'est pas formalisme en ce sens qu'une «structure» est une unité inséparable d'éléments formels (rapports) et matériels (unités sémantiques) et, par consequent, elle a toujours un sens, dans n'importe laquelle de ses transformations; b) si les termes d'un système de transformation sont permutables, le contexte n'en fournit pas moins un principe d'invariance qui empêche d'épuiser la totalité des permutations possibles (et de constituer ainsi un «groupe»). Toutes les combinaisons ne sont pas permises entre des éléments qui se trouvent en contexte: «Comprendre le sens d'un terme, c'est toujours le permuter dans tous ses contextes. Dans le cas de la littérature orale, ces contextes sont, d'abord, fournis par l'ensemble des variantes, c'est-à-dire par le système de compatibilités et des incompatibilités qui caractérise l'ensemble permutable» (ibid. p. 26). D'où deux conséquences: a) d'abord nous éliminons la possibilité d'une interprétation subjective qui consiste justement a choisir arbitrairement l'une des permutations; b) ensuite, même si l'algèbre de Boole et de Morgan est applicable, elle ne Test qu'à un champ préalablement restreint par un contexte qui a éliminé a priori les possibilités purement formelles en n'admettant que les possibilités liées au sens. Enfin matière et forme seront également permutables entre elles (voilà encore un signe de leur inséparabilité): «Affirmer que la permutabilité du contenu n'équivaut pas à un arbitraire, revient à dire qu'à la condition de pousser l'analyse à un niveau suffisamment profond, on retrouve la Constance derrière la diversité. Inversement, la prétendue Constance de la forme ne doit pas nous dissimuler que les fonctions sont, elles aussi, permutables» (ibid. p. 27, voir aussi Lévi-Strauss, , «La geste d'Asdiwal», Annuaire de I'E.P.H.E., 5e section, 19581959).Google Scholar

(5) Granger, M. G.-G., dans son livre, Pensée formelle et sciences de l'homme (Paris, Aubier, 1960)Google Scholar a consacré un chapitre au problème (surtout mathématique) du «Découpage des phénomènes» où il écrit notamment (p. 72): «Le découpage du fait dans les sciences de l'homme comporte […] une métamorphose spectaculaire du donné perçu. C'est à ce prix pourtant que la science est possible, fût-ce même au plus humble niveau de la description et du classement des phénomènes.» C'est une vue juste en ce sens qu'un «fait» (par exemple un rapport de parenté, une fonction économique, etc.) est partie intégrante d'un système ou d'un ensemble. Elle le deviendra moins s'il s'agit de phénomènes culturels, essentiellement irréductibles, comme la création artistique, intellectuelle, etc., qui sont déjà donnés sous forme d'ensemble structuré.

(6) Cf. de Heusch, Luc, Vers une mytho-logique?, Critique, 219–220 (1965), p. 717.Google Scholar

(7) Cf. Les entreprises courageuses de Granger, G.-G., op. cit.Google Scholar, et de Viet, J., Les méthodes structuralistes dans les sciences sociales (Paris/La Haye, Mouton, 1965)Google Scholar. Le travail de M. Viet est d'autant plus héroïque qu'il comprend sous le terme de «structuralisme» des méthodes aussi différentes que la construction des modèles, la phénoménologie et la dialectique.

(8) Le conscient, on le voit, équivaut pour M. Lévi-Strauss à l'identification à la coutume et à ses normes, ce qui implique que l'indigène a librement choisi d'adhérer à sa propre coutume et non à une autre. Ne peut-on dire tout aussi bien que l'indigène accède à la conscience justement parce qu'il se rend compte d'une différence, done rejetant en quelque sorte sa tradition?

(9) Nous n'avons traité ici de l'inconscient que du seul point de vue de sa puissance explicative dans le domaine des sciences humaines. Comme explication, il apparaît toujours en même temps que son contraire, le conscient, qui est mieux connu et plus explicatif: c'est pourquoi il est paradoxal de lui attribuer un rôle logiquement ou ontologiquement primordial. Cependant il y a chez M. Lévi-Strauss (cf. Struct, pp. 96, 107, 108, 170171, 175Google Scholar) un autre inconscient qui renvoie à certains traits constants de la vie sociale et se place ainsi sur le plan des faits. Nous empruntons une citation à Needham, M. R. [Structure and Sentiment (Chicago, Univ. of Chicago Press, 1962), pp. 2728]Google Scholar qui, tout en déplorant le caractère obscur de cette notion employée par M. Lévi-Strauss, la résume ainsi: «These features [of the unconscious human mind], very briefly, are (1) the demand of the rule as rule; (2) the notion of reciprocity, considered as the most immediate form in which the opposition between self and others can be integrated; and (3) the character of the gift, such that its transfer from one individual to another changes them into partners and adds a new quality to the valuable which is transferred […] The central feature is the apprehension by the human mind of reciprocal relations.» — Pour analyser, de façon plus approfondie, la notion de l'inconscient chez M. Lévi-Strauss comme chez M. Lacan [cf. les trois articles de ce dernier dans La psychanalyse, I (1955), 81166Google Scholar; III (1957), 47–82; VI (1961), 149–206] il est indispensable d'essayer de comprendre son rôle en linguistique structurale. La moindre chose qu'on puisse dire, pour le moment, c'est qu'il y a là une théorie in statu nascendi dont il serait encore prématuré de juger la véritable portée [cf. Pontalis, J.-B., in Bulletin de psychologie, 141 (1958), p. 302].Google Scholar

(10) Cf. Sartre, J.-P., Critique de la raison dialectique (Paris, N.R.F., 1960), p. 181.Google Scholar

(11) Cf. Schneider, D. M., Some Muddles in the Models, in The Relevance of Models for Social Anthropology, A.S.A. Monographs I (London, Tavistock, 1965), p. 79Google Scholar: «Professor Claude Lévi-Strauss […] pointed out that […] he regards himself as an «intellectualist» in the sense that both ideas and action derive from qualities of mind, and that neither action nor ideas has any particular priority.»

(12) Nous ne méconnaissons pas que les positions, parfois fort subtiles, de M. Lévi-Strauss, seraient mieux mises en lumière par une comparaison avec les recherches d'autres structuralistes, notamment celles de MM. Dumézil, Louis Dumont, Evans-Pritchard, Leach, Needham et Jean-Pierre Vernant. Formulons seulement le vœu ici que ce travail utile sera accompli dans un avenir très proche.

(13) Qu'il soit permis à l'auteur d'exprimer sa profonde reconnaissance a MM. Éric de Dampierre et Louis Dumont, de l'École pratique des Hautes Éludes, et à M. Ernest Gellner, de la London School of Economics, qui ont bien voulu lire le manuscrit de cet article et corriger certaines de ses inexactitudes. La responsabilité des idées exprimées ne leur incombe nullement.