Laïcité : comment parler de ce qui se dit avec un mot français intraduisible en anglais et, plus généralement dans toutes les langues du monde, à l'exception des langues latines (et du turc) pour lesquelles suffit une simple transcription? Il existe heureusement un précédent: comment parler aux Français de l'humour britannique? Pourtant, à défaut du mot, la réalité qu'il recouvre est loin d'être étrangère aux autres pays en notre siècle. Il suffit de décomposer cette réalité en ses ingrédients: un esprit national, une évolution sociale, une forme institutionnelle.
DU LAÏC AU LAÏQUE
Laïc, adjectif ou substantif, est un très vieux mot de culture chrétienne un terme panchrétien, si l'on peut dire – en opposition au clerc, l'un et l'autre d'origine grecque. Il a fallu attendre le dix-neuvième siècle pour que laïc se laïcise, opposant cette fois le laïque (une graphie imaginée pour bien marquer la distinction nouvelle) et le clérical : celui qui se réclame des Lumières et celui qui les condamne au nom de l'Église.
Tout au long des deux siècles écoulés, on assistera donc à ce que beaucoup appelèrent ‘la guerre des deux France’. La victoire était acquise au camp de la raison, de la liberté et du progrès, à la veille de la Grande Guerre, que le mot abstrait laïcité était encore considéré par les ‘laïques’ comme un néologisme: preuve qu'il n'était nécessaire ni à l'esprit nouveau, ni à l'évolution politique pour asseoir l'idéal qu'il désignait. En revanche, il peut devenir un leurre idéologique dont l'évocation ou l'invocation dissimule la réalité sociale et institutionnelle. Même en France, combien sont aujourd'hui en mesure de parler d'elle avec pertinence?
Il y a bien eu en France un esprit laïque fort, tout comme un esprit républicain, avec deux points d'ancrage: l'Encyclopédie et la Révolution. Aujourd'hui, en vérité, nous sommes tous laïques, même les catholiques, et tous républicains, hors quelques groupes royalistes ou traditionalistes. C'est pourquoi la bataille pour la laïcité ne fait plus recette. Esprits laïques et esprits religieux se sont rapprochés par la force d'une situation – d'un état de culture – que tous acceptent. Le contentieux demeure, sur des points mineurs, mais la guerre est finie.