L'article de Mr A.-G. Haudricourt, qu'on lira plus loin, n'est pas de ceux dont la force suggestive ait besoin d'être soulignée. Par sa méthode qui, unissant l'observation ethnographique à celle des faits de langage, pratique la plus féconde des alliances de discipline, par ses conclusions, dont notre horizon historique sort singulièrement élargi, il s'impose de lui-même au lecteur. Mais peut-être ne sera-ce pas peine perdue que d'indiquer, d'un mot, comment il se rattache à tout un faisceau d'études qui semblent bien en voie de bouleverser, sans crier gare, les perspectives de l'historiographie traditionnelle. « Rome ou la Germanie » : c'est sous le signe de ce dilemme que des générations de savants, polémiquant sans trêve, ont, durant des siècles, pensé et repensé l'histoire des origines européennes. Et sans doute cette position du problème avait-elle sa légitimité. Cependant — outre qu'elle entraînait fatalement à minimiser beaucoup trop l'originalité des sociétés médiévales, — dans son dualisme étroit, elle masquait, nous commençons à nous en apercevoir, tout un morceau du réel.

Dans l'histoire de la traction terrestre des véhicules, deux régions ont joué un rôle essentiel : le Sud-Ouest de l'Asie (Iran, Indus) et le Nord-Est (Sibérie orientale, Mantchourie).

L'Asie du Sud-Ouest est un ancien centre d'agriculture ; on y domestiqua très tôt le bœuf. Le premier véhicule inventé fut la charrue. Son attelage comportait deux animaux (boeufs, buffles ou ânes) réunis par le cou à une pièce de bois nommée joug. Au milieu du joug est attachée l'extrémité de l'age, longue pièce de bois terminée par un soc qui gratte le sol. Plus tard, on accoupla deux roues sur un axe horizontal et on les fixa à une charrue à la place du soc : on avait inventé le char. Le timon du char est exactement l'âge de la charrue.

Nous nous proposons, dans les quelques pages qui suivent, d'esquisser l'évolution de l'organisation familiale dans l'ancienne Provence. Notre dessein n'est point d'analyser longuement les institutions juridiques, mais uniquement de montrer sur quel accord entre la technique juridique et le sens des nécessités économiques a reposé la vie de la famille provençale, noble ou roturière, depuis l'époque féodale jusqu'à la Révolution.

A Vabre, petite ville du Tarn, en amont de Castres, les archives de Mme Albert Loup, dont la belle famille a fourni, aux XVIIe et XVIIIe siècles, des juges et des consuls'et, après 1791, des maires et des conseillers généraux, renferment de nombreux documents concernant surtout l'industrie et le commerce du pays, entre 1748 et 1783 d'abord, ensuite et surtout depuis l'an Viii jusqu'en 1823. Les Mialhe, de la Vaissière (hameau de la commune de Ferrières, à 6 km., à l'Est de Vabre), les Julien et les Loup, de Vabre, tous parents très rapprochés depuis fort longtemps, sont à la fois fabricants et propriétaires terriens. Chaque fois que leur situation le permet, ils arrondissent leurs domaines, la vente des biens nationaux notamment leur fournit de nouvelles occasions de s'étendre Ce n'est pas d'ailleurs que, sous l'Ancien Régime, leur situation aisée aille sans quelques inconvénients.

Le fonds d'archives commercial privées, dont Mr Paul Dupieux, dans un article qui sera analysé par les Annales, annonçait le versement aux Archives Départementales de l'Aube, vient d'être répertorié. Il s'agit du fonds Berthelin et Fromageot — négoce de toiles et bonneterie à Troyes, de la fin du Xviiie siècle à 1822 environ. Dans l'Introduction, Mr Dupieux rappelle l'apogée commercial et industriel vers 1784. Une lignée de toiliers, comblés de titres et de charges par la monarchie, était alors maîtresse de l'Hôtel de Ville. Les difficultés commencent en 1787, après le traité de commerce franco-anglais. La clientèle, momentanément reconstituée en 1790 à la suite d'un voyage des négociants en Italie, l'est, à nouveau, à la fin du Consulat (1804). Mais la-difficulté vint ensuite de se procurer le textile, quand le Blocus Continental prohiba les cotons d'Amérique, sinon du Levant.

L'intitulé ci-dessus résume assez bien, croyons-nous, les préoccupations les plus immédiates de l'heure présente dans l'ordre économique proprement dit. Aussi avons-nous encore à cet égard plusieurs travaux intéressants à signaler.

Et d'abord, au lecteur qu'intéressent les questions de commerce international et qui recherche une vue précise sur la façon dont ces questions s'insèrent objectivement dans l'ensemble des problèmes économiques, on ne saurait trop recommander de se reporter comme fond de tableau, comme cadre d'étude, à la dernière édition du fascicule périodique de la Société des Nations intitulé « Balances des paiements ».

Mr Robert Dauvergne est un esprit curieux et attentif. Dans une plaquette élégante, tirée à 300 exemplaires seulement, il expose le résultat de ses réflexions de pêcheur exercé, tout à la fois, et d'historien avisé, devant nombre de tableaux et d'oeuvres d'art représentant des scènes de pêche ou des engins de pêche. A quel titre tels ou tels engins ont-ils été représentés par les artistes ? comment ont-ils été interprétés ? dans quelle mesure leur structure et leur emploi ont-ils déterminé le choix des artistes et les éléments constants que présentent des oeuvres souvent bien différentes les unes des autres ? Pour répondre à ces questions, Mr Dauvergne publie un choix de reproductions qui nous montrent successivement les engins de pêche en action, les engins dans le paysage, les engins hors de l'eau — traduits à des époques aussi différentes que possible par des artistes aussi variés qu'Outamaro et Joseph Vernet, Van Goyen et Puvis de Chavannes, Carrache ou Manet.

Dans le mémoire qu'il vient de consacrer à l'origine des armoiries allemandes, Mr von Ulmenstein commence par s'inscrire en faux contre les théories qui cherchent le prototype de ces armoiries soit dans les signes runiques de la Germanie primitive, soit dans les ornements qui, dès une époque ancienne (IIe siècle après J.-C), figurent sur le bouclier de quelques guerriers barbares de l'Europe centrale. L'auteur ne conteste pas que le blason ait emprunté quantité de ses pièces (barre, chevron, fasce, pal, etc.) aux garnitures qui, de temps-immémorial, décoraient ou consolidaient le bouclier, mais il entend réserver le terme d'armoiries (wappen) à un ensemble de dessins qui se présentent sous la forme de signes en couleurs, affectés d'une valeur symbolique, constants pour un même individu et héréditaires dans sa famille.

L'ouvrage que Mr Earl Hamilton consacre aux métaux précieux d'Amérique et à la révolution des prix en Espagne (1501-1650) est le fruit de six années de recherches laborieuses. Les lecteurs des Annales en ont eu un avantgoût : ils se souviennent des deux articles que l'auteur leur a donnés, en mars et mai 1932, sur la monnaie en Castille de 1501 à 1650 ; en les lisant attentivement, comme en prenant connaissance de l'important compte rendu donné par Mr Lucien Febvre des premiers travaux de Mr Hamilton, ils ont pu apprécier l'œuvre à sa juste valeur. Disons qu'elle est exceptionnelle — et qu'il est rare qu'un auteur obligé, tout ensemble, et d'éditer pour la première fois un matériel prodigieusement riche de faits documentaires, et de fixer une méthode de publications et d'interprétation originale, et de traduire enfin, en langage clair, la signification des faits mis à jour et classés par lui — réussisse avec une telle maîtrise dans ces trois entreprises simultanées.

Comme chacun sait, l'originalité la plus marquante de l'évolution linguistique, dans notre pays, ne réside pas dans une variété dialectale qu'on retrouve ailleurs, au moins aussi accentuée. Le curieux est que cette poussière de parlers locaux s'ordonnent visiblement en deux grands groupes. En d'autres termes, le latin de la Gaule n'a pas donné naissance, comme on eût pu s'y attendre, à une langue unique, divisée en dialectes nombreux. Deux langues véritablement distinctes en sont issues : au Nord, le français proprement dit ; au Sud, celle que, depuis le moyen âge, nous appelons volontiers provençale. Mieux encore : cette dualité, si caractéristique de notre société — bien que les histoires de France, du type classique, n'aient pas coutume hélas ! d'y prêter beaucoup d'attention, — ce n'est pas seulement dans le domaine du langage qu'on en voit paraître les effets.

Deux thèses récentes de géographie sont consacrées à deux régions de la France, l'une et l'autre curieuses. Mr Paul Marres étudie les Grands Causses. Sa monographie prolonge vers le Sud celle que Mr Meynier a consacrée naguère aux Segalas, ce prolongement de la Montagne limousine. Elle s'y oppose aussi, ou devrait s'y opposer : plateaux calcaires contre landes siliceuses, pays du seigle (Segala) contre pays « fromentaux » : un puissant contraste géographique et humain. — Mr Pierre George, d'autre part, consacre un gros livre à la Région du bas Rhône. Il prolonge lui aussi vers le Sud l'effort d'un prédécesseur, Mr Faucher, le géographe des Plaines et bassins du Rhône moyen. — Il est difficile d'imaginer un contraste plus vif que celui des deux livres de Mrs Marre et George. En apparence même structure ; même réunion de deux études : milieu physique, milieu humain ; même formation, même substance et même souci. En réalité ?