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2. De l'«Utopia» de More à la Scandza de Cassiodore-Jordanès

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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La lecture, qu'à notre tour, nous envisageons de faire de l'Histoire des Goths est une lecture prévenue : prévenue par le commentaire, qu'on vient de lire, qui apporte les thèmes essentiels de la recherche poursuivie, sinon en commun, du moins par échos, rappels et échanges réciproques. Aussi plutôt que de dissimuler dans le texte définitif, les moments de ce dialogue, avons-nous choisi, au contraire, de les accentuer, afin de bien montrer que notre travail personnel fut, « aprèscoup », effectué sur des effets textuels déjà élaborés, sur un document qui englobait déjà son propre commentaire. Mais n'en est-il pas toujours ainsi, quoique, par oubli, soient souvent ignorées ces premières lectures, dont les autres ne peuvent être que des re-lectures ?

Type
Histoire et Utopie
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1971

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References

page 307 note 1. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, pp. 308-309.

page 309 note 1. Nous utilisons les termes idéologie ou idéologique dans le sens où les emploie Lévi-Strauss dans Anthropologie structurale, p. 231 « Rien ne ressemble plus à la pensée mythique que l'idéologie politique… Séquence d'événements passés, mais aussi schème doué d'une efficacité permanente, permettant d'interpréter la structure sociale de la France actuelle, les antagonismes qui s'y manifestent et d'entrevoir les linéaments de l'évolution future ». Lévi-Strauss souligne l'ambiguïté de cette définition, mais ce n'est pas celle de l'historique et de Fan-historique qui nous importe : l'ambiguïté dont nous visons l'étude est celle d'un schème efficace, c'est-à-dire d'une force, qui permet A'interpréter, qui est donc en même temps sens ou grille de sens; c'est la même ambiguïté que rencontre Freud dans les énergies pulsionnelles et les significations qu'elles donnent à lire.

page 310 note 1. Les indications « métaphysiques » qui suivent ne doivent pas nous masquer l'opposition méthodologique entre comparatisme et analyse structurale : le comparatisme vise à la superposition du « même », à l'établissement de ressemblances entre des phénomènes, des faits ou des textes appartenant à des objets, des champs ou des domaines différents. L'analyse structurale est, en un sens, un comparatisme au deuxième degré par lequel sont prises en considération les différences, c'est-à-dire les relations et non plus les termes, et qui étudie les relations entre différences, soit des différences de différences, ou encore les « écarts signifiants » dont un concept comme « utopie » nomme l'articulation systématique.

page 310 note 2. On sait en effet que la description de l'île d'Utopia n'occupe que le Livre II de VUtopie. Le Livre I, qui ne contient que quelques indications sur l'île, données par Raphaël, est entièrement consacré à des dialogues sur la situation politique, économique et sociale de l'Angleterre et de la France contemporaines, avec quelques références à des pays imaginaires qui fonctionnent dans le discours de More comme des modèles ad hoc construits spécialement pour étudier un problème particulier. Les protagonistes de ses dialogues sont More lui-même et ses amis anversois, Raphaël, le cardinal Morton, etc.

page 311 note 1. More a composé un poème latin qu'il attribue fictivement à Anemolius, poète utopien, neveu de Raphaēl Hythloday par sa soeur. La pointe de ce poème porte le jeu de mots que nous évoquons : « Utopia priscis dicta, ob infrequentiam/Nunc civitatis aemula Platonicae/ Fortasse victrix, (nam quod illa litteris/Deliniavit, hoc ego una praestiti// Viris et opibus optimisque legibus)/ Eutopia merito sum vocanda nomine. » Complète works of St Thomas More, vol. 4, edited by Edward Sturtz, s.j. and J. H. Gexter, Yale Un. Press. 1965.

page 312 note 1. Thomas More, op. cit., p. 22. Lettre de Peter Gilles à Jérôme Busleyden. « Nam quod de insulae situ laborat Morus, ne id quidem omnino tacuit Raphaël, quanquam paucis admodum, ac velut obiter attigit, velut hoc alii servans loco. Atque id sane nescio quomodo casus quidam malus utrique nostrum invidit. Si quidem cum ea loqueretur Raphaël adierat Morum e famulis quispiam, qui illi nescio quid diceret in aurem, ac mihi quidem tanto attentius auscultanti, comitum quispiam, clarius, ob frigus opinor navigatione collectum, tussiens, dicenti voces aliquot intercepit. »

page 313 note 1. Voir à ce sujet le texte de E. Benvéniste, dans Problèmes de linguistique générale, consacré aux relations de temps dans le verbe français (pp. 237 sq.). Il prend comme exemple d'un des deux systèmes distincts et compémentaires entre lesquels se distribuent les temps d'un verbe français, un texte tiré de l'Histoire grecque de Glotz : c'est renonciation historique, récit des événements passés « qui exclut toute forme linguistique autobiographique ».

page 313 note 2. Voir à ce sujet le commentaire de Mierow, p. 36.

page 315 note 1. Th. More, op. cit., p. 112.

page 315 note 2. Getica, 7.

page 315 note 3. Il s'agit de la phrase suivante : « Cujus cornua fretum interfluens, milibus passuum plus minus undecim dirimit, ac per ingens inane diffusum, circumjectu undique terrae prohibitis ventis, vasti in morem lacus stagnans magis quam saeviens, omnem prope ejus terrae alvum pro portu facit. » Th. More, op. cit., p. 110. Gaffiot indique s.v. alvus : « 1° Ventre, intestin; 2° Flux de ventre, déjections; 3° Matrice; 4° Estomac; 5° Ruche; 6° Coque de navire. » On notera au passage l'intérêt de l'acception de sens n° 5 en comparaison avec Jordanès qui assimile la sortie des Goths hors de Scandza, à celle d'un essaim d'abeilles.

page 316 note 1. Platon, Critias, 113 d.-e.

page 316 note 2. Nous nous séparons sur ce point de l'interprétation générale de J. Servier dans son Histoire de l'Utopie, Idées, N.R.F., 1967, ou de certaines indications de Morton, L'Utopie anglaise, Maspéro, 1962, voire des thèmes analytiques de Géza Roheim dans « La psychologie de la perception du temps » en collaboration avec E. Berger, L'homme et la société, janvier-mars 1969.

page 319 note 1. Il y a’ dans l'entrée des Goths dans la romanité et dans leur intégration à l'Empire une sorte de « ratage » que Cassiodore-Jordanès content dans un épisode qui mériterait peut-être une analyse structurale approfondie : celui de l'accession de Maximin, le prétendu Goth, à la charge suprême d'empereur; il s'agit d'un échec, puisque Maximin est tué par les soldats, après trois ans de règne. Mais il est remarquable que sa montée vers le trône (montée toute personnelle, individuelle et non collective, nationale et c'est là une des raisons, semble-t-il, de cet échec dans le schéma idéologique de Jordanès) puisse être analysée comme un récit initiatique, où les temps, les individus sont mesurés par des chiffres significatifs 3, 7, où les phases de l'itinéraire sont bien délimitées et pourraient être rapprochées, sans trop d'excès, de certaines épreuves héroïques connues : on notera les deux combats qui se succèdent à un intervalle de trois jours et qui opposent Maximin à des adversaires de valeur croissante, mais en nombre décroissant, 16 serviteurs de camp, puis 7 soldats. On remarquera que Maximin en triomphe successivement, un par un, et sans reprendre souffle entre les « assauts », et également que les deux combats sont séparés par une sorte d'épreuve de maîtrise, par l'empereur, de la fureur guerrière du Goth barbare. Maximin reste ensuite trois ans sans combattre au service de l'empereur, car celui-ci, Macrinus, a conquis l'empire de façon criminelle. Il est élu alors empereur par les soldats, règne pendant trois années, mais meurt assassiné parce qu'il persécute les chrétiens en conséquence d'un voeu impie. Héros voué à la triplicité (des jours et des années), Maximin semble devoir par « une victoire en un combat singulier animé par le grand maître de la fonction guerrière, pour le compte de ce grand maître » (l'empereur), accéder à cette fonction comme à sa fin. (Cf. G. DumÉZil, dans Cahiers pour l'analyse, n° 7 : « Lecture de Tite-Live », p. 78 sur l'opposition « furor-disciplina » et également p. 36 d'où cette citation est tirée). Dans un premier temps, il sert dans la cavalerie, puis trois jours après, comme garde de corps de l'empereur. Mais cette victoire comporte une souillure qu'il lui faudra expier, par des cercles concentriques que lui fait parcourir Septime Sévère pour le fatiguer (maîtrise de la furor) puis par un repos de trois années. Mais finalement l'impiété guerrière est la plus forte puisque, devenu empereur, il est conduit à sa perte par un voeu criminel prononcé contre les chrétiens : schéma quelque peu brouillé et effacé d'un Horace barbare, d'un Tullus goth, que nous évoquons comme une simple suggestion. Cf. Dumézil, G., Mythe et Épopée, I, Paris, 1968, p. 280 Google Scholar : « Quant à Tullus, il est à Rome, ce scandale vivant : le roi impie et la fin de son histoire n'est que la terrible revanche que Jupiter, le grand maître des magies, exerce contre ce roi trop purement guerrier qui l'a si longtemps ignoré… Cf. Tite-Live, I, 31, 6-8. Telles sont les fatalités de la fonction guerrière. »

page 320 note 1. Th. More, « Toujours exposé aux yeux de tous (Omnium praesentes oculi), chacun est obligé de pratiquer son métier ou de s'adonner à un loisir irréprochable » (C'est nous qui soulignons.) Op. cit., p. 146.

page 321 note 1. La naissance maléfique, mais merveilleuse des Huns, n'est pas sans rappeler l'épisode biblique fort obscur de la naissance des Géants (Genèse, 6, 1-4). Les Néphilim seraient des Titans nés de l'union de mortelles et d'êtres célestes. Leurs descendants sont liés au peuple hébreu en marche vers la Terre promise, car ils occupent des territoires qu'ils doivent traverser, ou occuper. Voir à ce sujet Nombres, 13, 25-33 et en particulier, 13, 32-33. Leur présence bloque le voyage d'Israël en quête d'une terre, car elle conduit Caleb, envoyé avec quelques compagnons en exploration, à faire un rapport très défavorable sur la Terre promise. Les Géants ou leurs descendants constituent donc pour le peuple hébreu un double maléfique, merveilleusement, mais négativement puissant dans son voyage. D'où cette errance prolongée au désert. Voir sur cet épisode des explorateurs et leurs rapports, l'admirable lecture talmudique d'E. Levtnas (Quatre Lectures talmudiques, Paris, 1968, p. 111 sq.). Une analyse anthropologique éclairante sur la naissance des Géants dans la Genèse est donnée par E. Leach dans son article « Genesis as myth ». L'homologie supposée avec notre texte concernant les Huns est celle d'une fonction négative du doublet, à la fois horrible et sacré, qui en provoquant l'épreuve, permet au peuple « positif » de s'accomplir. Il est remarquable que Cassiodore-Jordanès donnent à cet existant historique que sont les Huns, une véritable interprétation structurale que son caractère fabuleux ne doit pas dissimuler. C'est ce qu'a bien vu G. Dagron.

page 322 note 1. Lire à propos de Zalmoxès ou Zalmoxis, un passage très remarquable de Platon dans Charmide (156 d), qui lie fonction royale et fonction religieuse : « Zalmoxis, notre roi qui est un dieu… », dit à Socrate un médecin thrace. Tout le passage serait à commenter.

page 322 note 1. Il y a là l'amorce d'une dimension de lecture que nous n'avons pas exploitée, mais qui mérite d'être brièvement indiquée. Cassiodore-Jordanès caractérisent Dicineus comme une sorte de doublet du roi, doublet qui réunira dans sa propre personne le successeur de Burebista, Comosicus. Ce presque roi enseigne aux Goths toutes les sciences, mais il institue en particulier UD collège de prêtres « nommés Pilleati, sans doute à cause de la tiare qu'ils portent sur la tête lorsqu'ils offrent un sacrifice et que nous appellerons par ailleurs pillei ». La sagesse, la réputation merveilleuse que Dicineus s'est acquise font qu'il commande non seulement aux hommes du commun, mais encore aux rois. Ces remarques, quoique de seconde ou de troisième main, puisqu'elles sont tirées de Cassiodore et des auteurs que celui-ci a utilisés, sont cependant précieuses, car elles indiquent un « moment » (historique ou idéologique) où la royauté gothique acquiert en quelque sorte sa deuxième fonction, on s'en souvient, au moins dans la mémoire de Jordanès-Cassiodore. A moins que ceux-ci aient repris dans cette histoire à demi fabuleuse, le schéma idéologique romain et la succession Romulus/Numa Pompilius. Dans la perspective ouverte par cette hypothèse, il serait intéressant d'évoquer le texte de Dion Cassius, LXVIII 8 et 9 que cite et commente G. DUMÉZIL dans son étude sur l'organisation sociale des Ossètes et des Scythes ﹛Mythe et Épopée, I, pp. 444- 445, Paris, 1968). Dion Cassius est — notons-le — un des auteurs exploités par Jordanès-Cassiodore (cf. Mommsen, XXX-XXXI; Mierow, p. 26 sq.). Scythes, Ossètes, Alains semblent avoir connu une organisation où se distinguent une classe de nobles ou de princes (qui peut, elle-même, être hiérarchisée) et une classe d'hommes du commun, libres mais non-nobles, indications trouvées aussi bien chez les auteurs anciens, Lucien, Hérodote, que dans des enquêtes ethnographiques plus récentes (Tcherkesses). Le texte de Dion Cassius fait allusion à des Daces par opposition à des Daces vulgaires , capillati, des chevelus. De même un texte de Lucien oppose les Scythes et les Scythes du commun . «Qu'étaient les , ces porteurs de coiffure de feutre ? écrit G. Dumézil. Vraisemblablement une aristocratie guerrière, comme l'a pensé Rostovtseflf. Si nous n'avons pas de renseignements directs sur eux, sur le , le feutre qui est leur signe distinctif, nous pouvons penser qu'ils étaient analogues aux des Daces qui étaient incontestablement dans la société guerrière des nobles. » Si nous suivons le point de vue de G. Dumézil, le renseignement apporté par Jordanès concernant les Pilleati, collège de prêtres, ne concorde pas avec ceux de Lucien ou de Dion Cassius. Mais G. Dumézil poursuit : « ces sociétés féodales ne sont pas fonctionnelles, ne continuent pas le type indo-européen. En particulier, il ne semble pas qu'il y ait eu chez les Scythes de « classe sacerdotale ». Hérodote ne signale comme spécialistes que des devins sorciers (IV, 67) et, mise à part la divination, les actes religieux étaient accomplis par les chefs, depuis les rois jusqu'aux pères de famille ». Que doit-on en conclure ? Le texte de Jordanès-Cassiodore conserverait-il la trace d'une interférence entre deux schèmes organisationnels, l'un de type romain, indo-européen, l'autre de type scythique-féodal, le surgissement de Dicineus correspondant au point, ou au « moment » précis de cette interférence. Les nobles guerriers deviendraient alors classe sacerdotale et le roi serait doublé par un roi religieux jusqu'au moment « ultérieur » (mais cette postériorité ne pourrait-elle être aussi bien une antériorité ?) où le roi acquiert une fonction religieuse. Si cette hypothèse devait être confirmée ou appuyée par des spécialistes, l'épisode de Dicineus revêtirait à plein cette valeur historico-idéologique que l'analyse structurale très rapide à laquelle nous avons procédé nous avait permis de lui donner.

page 324 note 1. Mme Marie Delcourt écrit dans une note de sa traduction de V Utopie de More (La Renaissance du Livre, Bruxelles, s.d.) « les ouvrages que cite More ont été imprimés dans les vingt années qui vont de 1495 à 1515, à l'exception de la Pratique médicale de Galien qui ne fut imprimée, chez les Aides, qu'en 1525. Un compagnon du quatrième voyage de Vespuce n'aurait pu emporter le Glossaire d'Hesychius publié par Musurus à Venise en 1514 seulement » (p. 105).