Article contents
Entre le rêve et la résignation : l'utopie populaire dans l'ancienne Pologne
Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Extract
M'étant interrogé, il y a quelques années, sur l'accueil réservé aux œuvres de Thomas More et sur leur diffusion en Pologne, j'ai tenté de définir les raisons pour lesquelles les utopies classiques n'avaient pas trouvé de résonance parmi les citoyens de la République nobiliaire. Elles sont multiples. Ainsi, presque toutes les représentations de la société idéale, depuis la Politique de Platon, les visions de More ou de Campanella, jusqu'aux utopies du siècle des Lumières, préconisent une ingérence très poussée dans la vie privée des citoyens, un contrôle continu exercé sur eux par des censeurs spécialement institués à cette fin, la soumission à des normes très rigoureuses de discipline sociale — en un mot, un fonctionnement de l'État qui est en contradiction flagrante avec les institutions de la Pologne des xvie-xviie siècles. Comme le remarque à juste titre Claude Backvis, l'utopie naît dans des conditions où elle ne peut en aucune mesure être réalisée. Elle réclame tout parce qu'elle n'est en mesure de rien obtenir ; son maximalisme vient de ce qu'on pense impossible de modifier, de quelque façon que ce soit, les rapports sociaux et politiques existants. C'est la raison pour laquelle la noblesse polonaise qui, à l'époque de la Renaissance, avait largement les moyens de transformer l'État, ne recherchait pas de compensation dans la création imaginaire d'un monde idéal, utopique. Plus tard, le conservatisme de l'État polonais, son hostilité déclarée à tout changement, s'opposèrent efficacement tant à la création de variantes polonaises qu'à la réception des versions étrangères de l'utopie.
Summary
While the Polish nobility remained unaffected by classical utopias, popular utopias enjoyed a great success in Poland. This paper analyses the themes and significance of these compensatory dreams.
- Type
- L'Imaginaire Social
- Information
- Copyright
- Copyright © Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1982
References
Notes
1. Tazbir, J., « La culture de l'ancienne Pologne face à l'utopie », Pensiero Politico, anno ix, 1976, n° 2-3, p. 237 Google Scholar ss et, du même, « Thomas More et la Pologne », Moreana, t. 13, 1976, n° 52, p. 25 ss.
2. Backvis, C., « Le courant utopique dans la Pologne de la Renaissance », dans Les utopies à lu Renaissance, Bruxelles, 1963, pp. 206–208.Google Scholar
3. Ceci est relevé dernièrement par Ibanov, A. J. KL, Narodnaja socjulnuja utopija w Rossil Period feodulizmu, Moscou, 1977, p. 24.Google Scholar
4. Rozanow, Z. s'y est beaucoup intéressé dans son article « Tresci literackie miniatur Gradua-fu Olbrachta » (Les contenus littéraires des miniatures du Graduel d'Albert), Pamielnik Literacki, t. 51, 1960, fasc. 3, p. 213 ss.Google Scholar
5. Krzyzanowski, J.. Mqdrej glowie dose stowie, t. I : Trzy centurie przystôw polskich (A bon entendeur demi-mot suffit, t. I : Trois siècles de proverbes polonais), Varsovie. 1960, pp. 169–172.Google Scholar
6. Krzyzanowski, J., Parulele (Parallèles), Varsovie, 1977, p. 361 Google Scholar ss. Maciek (Mathieu) est un prénom paysan très populaire en Pologne.
7. Morton, A. L., The Englisli Utopia, Londres, Lawrence & Wishart, 1952, p. 11 ss.Google Scholar
8. selon le chercheur soviétique Gurevitch, A., Kategorie kultury srediiiowiecznejiC'dlégories de la culture médiévale), Varsovie, 1976, pp. 276–277 Google Scholar, dans toutes les visions sectaires-chiliastes, le nouveau monde devait ignorer la nécessité du travail pénible.
9. Graf, A.. « Il paese di Cuccagna e i paradisi artificiali », dans Mili, leggendeesuperslizioni del medio evo, t. I, Turin, 1897, p. 235.Google Scholar De même Cocchiara, Il paese di Cuccagna e altri studi di folklore, Turin, 1956, p. 187, considère la Cocagne comme une forme d'évasion de la réalité.
10. Z. Kuchowicz, Ohyczaje staropolskie XVII-XVIII wieku (Les mœurs de l'ancienne Pologne, XVIIe-XVIIIe siècle), tôdz, 1975, p. 11.
11. Pour l'écrivain, et plus encore pour le peintre, montrer la plénitude du bonheur sous forme d'abondance de nourriture Était toujours le plus facile dans la représentation.
12. Bakhtin, M., Twôrczosc Franciszka Rabelais ‘ go a kullura ludowa sredniowiecza i renesansu (L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire du Moyen Age et de la Renaissance), Cracovie, 1975, p. 294 ss.Google Scholar
13. Cité d'après Czacki, T., O litewskich i polskich prawach (Des lois lituaniennes et polonaises), t. II, Cracovie, 1861. p. 297.Google Scholar
14. KLIbanov, op. cit., p. 29.
15. Ihid.. p. I 10 ss.
16. Le premier qui en ait donné une analyse a Été Kot, S., « The earliest anti-communist tract in Europe », Transactions ofthe Unitarian historical Society in London, XII, 1958 Google Scholar: il n'a cependant pas remarqué la correspondance entre le Traité et la vision de la Cité-Soleil de Campanella.
17. Les citations du traité sont données d'après sa réimpression dans Filozqfia i mysl spoteczna XVI wieku, antologiu(La philosophie et la pensée sociale du xvic siècle, anthologie). L. Szczucki Éd.. Varsovie, 1978, pp. 317-322. Les citations de Campanella d'après La Cité du Soleil, dans Œuvres choisies de Campanella. précédées d'une notice par L. Colet, Paris [1844].
18. K. Grzybowski, « Ci sfrustrowani maniacy » (Ces maniaques frustrés), Zvcie Literackie, n°22. 1965.
19. Allusion à l'ouvrage de P. Riedemann, Rechenschafl unserer Religion, Leer und Glaudens (1568), contenant un exposé des principes sur lesquels avait Été fondée la communauté des hutteriens ; cf. S. KOT, Socinianisin in Poland. The Social and Polilical Ideas of the Polish Antitrinitarians, Boston, 1957, pp. 6 et 31 ss.
20. Les exemples relatifs à l'Italie sont cités par Cocchiara dans l'œuvre citée Il paese di Cuccagna, le chap. : « Il trionfo dei poltroni », pp. 168-171.
- 1
- Cited by