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Illégitimité et légitimation du personnel politique ouvrier en France avant 1914

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Michel Offerlé*
Affiliation:
Département de Science Politique, Université de Paris I

Extract

Albert n'était pas un homme ordinaire. Absorbé dès son enfance dans des travaux purement manuels, il n'avait pu donner beaucoup de temps à la culture de son esprit ; mais je m'aperçus bien vite qu'il avait une intelligence vive, un jugement sain et un bon sens sur lequel ne pouvaient rien, ni les apparences les plus brillantes ni les artifices de l'éloquence la plus raffinée. Il parlait peu mais toujours à propos. Quel soin il prit de s'effacer ! et avec quelle généreuse sollicitude il s'étudia à détourner sur moi le bénéfice de son influence (…)

Et cette abnégation était d'autant plus admirable qu'elle avait sa source dans un attachement illimité à la cause que je servais et qu'il croyait juste. Louis Blanc, Histoire de la Révolution de 1848, t. 1, p. 141.

En 1848, l'adoption du suffrage universel masculin fait naître une commission chargée d'interroger les candidats ouvriers à la candidature. En 1864, le Manifeste des 60 plaide avec vigueur contre la non-représentation parlementaire des classes laborieuses. La création du parti ouvrier en 1879-1880 peut s'analyser pour une part comme la tentative faite par des élites ouvrières pour établir à leur profit le monopole de la représentation politique légitime des ouvriers : « l'émancipation des travailleurs » sera bien « l'œuvre des travailleurs eux-mêmes », ainsi que le proclame l'adresse inaugurale de la Ire Internationale. Mais cette prétention ne va pas de soi.

Summary

Summary

This article begins by analyzing the social origins of French politicians at the end of the nineteenth century, and the attributes they assigned to themselves in order to justify their right to speak on political matters. These origins and attributes are then contrasted with the strategy of legitimation on which working-class elites based their right to hold political office. Universal suffrage modeled the competition in a way that made it impossible to refer to social representativeness alone. This led the working-class elites to adapt to the implicit rules of this type of contest. It can therefore be shown how these “illegitimate” politicians came to occupy a marginal and subordinate position, for example in the Socialist party, where the repercussions of the general logic operating in the political field took on a differentiated form.

Type
Sociétés Contemporaines
Copyright
Copyright © École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1984

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References

* Je tiens ici à remercier Daniel Gaxie et Bernard Pudal dont les avis et conseils ont facilité la relecture critique de mon manuscrit.

1. Cette recherche se situe dans le prolongement d'une thèse soutenue sous le titre Les Socialistes et Paris. Des communards aux conseillers municipaux, 1979, 2 tomes, 760 p., multigraphié. Les matériaux utilisés dans cette étude ont été complétés par le dépouillement de sources d'archives de la préfecture de police de Paris concernant les élections législatives françaises (1880-1914). Des sondages ont en outre été réalisés dans le Dictionnaire des parlementaires français. Malgré certaines distorsions précisées ci-dessous, une généralisation s'est avérée possible à partir des conclusions tirées de l'observation de la compétition municipale parisienne toujours très politique pour les agents qui s'y affrontent. Les jugements portés sur le personnel politique ont été tirés de sources émanant du personnel politique lui-même (discours-professions de foi…) et de la presse politique ; nombre de journaux sont encore à la fin du XIXe siècle des quasi-factions au service d'un homme politique et la presse politique en général constitue une instance de consécration et de légitimation qui produit et enregistre les règles de fonctionnement de la compétition politique. Il nous a donc paru indispensable d'utiliser leurs points de vue au même titre que ceux provenant des compétiteurs eux-mêmes. Les hommes politiques légitimes seront conçus ici comme des agents qui se perçoivent et sont perçus à un moment donné du temps comme ayant la capacité et le droit de participer à la compétition politique. Les processus de légitimation du personnel politique sont entendus comme l'ensemble des multiples opérations tendant à accréditer cette prétention et à imposer une certaine définition des compétences nécessaires à l'exercice du pouvoir politique.

2. Comme le note J. Verdès-Leroux pour les dirigeants ouvriers communistes, le stigmate de l'origine ouvrière leur procure « leur légitimité et leur statut privilégié » : ils ne peuvent donc que « se déclarer ouvrier à vie et imposer cette fiction aux intellectuels ». « Une institution totale », Actes de la Recherche en Sciences sociales, n° 36-37, p. 55. Cette source de légitimation n'a jamais été abandonnée, même lorsque certains dirigeants socialistes d'avant 1914 ont cherché à s'en affranchir.

3. A. de Tocqueville, Souvenirs, OEuvres, t. XII, p. 121, voir à ce sujet les commentaires de M. Aoulhon, Le Cercle dans la France bourgeoise, p. 19.

4. « Quelqu'un dont le pouvoir ne résulte pas simplement de l'élection ou du moins dont l'élection est déjà conditionnée par un ensemble de situations qui selon les régions, sont liées à la naissance, la fortune ou la capacité, mais qui cumule plusieurs de ces éléments bénéfiques », dans Les Facteurs locaux de la vie politique nationale, p. 90, Centre d'Étude et de Recherche sur la Vie locale, Paris, Pédone, 1972.

5. La régression est plus forte qu'il n'y paraît, car une partie des agriculteurs de 1889 sont sans doute des propriétaires.

6. Voir notamment EstÈbe, P., Les Ministres de la IIIe République, Paris, Presses de la F.N.S.P., 1982.Google Scholar

7. Voir Dogan, M., « Les Filières de la carrière politique en France », Revue française de Sociologie, VIII, 1967 Google Scholar ; Johnson, R. W., « The British Political Elite, 1955-1972 » Archives européennes de Sociologie, XIV, 1973 Google Scholar ; J. Chariot, ibid., « Les Élites politiques en France de la IIIe à la Ve République » ; Stanworth, P. et Giddens, A. éds, Elites and Power in British Society, Londres, Cambridge Univ. Press, 1974 Google Scholar ; Euiau, H. et Czudnowski, M. M., Elite Recruitment in Démocratie Polities, New York, Halsted Press, 1976 Google Scholar ; Gaxie, D., « Les Logiques du recrutement politique », Revue française de Science politique, XXX, 1980 Google Scholar. Et plus généralement à la présentation synthétique de Moshe M. Czudnowski, Political Recruitment dans Polsby, N. W. et Greenstein, F. I., Handbook of Political Science, nc 1, vol. 2, Reading, Addison Wesley, 1975.Google Scholar

8. Cette présentation tranchée ne se justifie pas pour la clarté de l'exposition. Considérer qu'il y a d'un côté les élites politiques en place et de l'autre des élites ouvrières, bref analyser leurs relations sous forme d'action et de réaction serait une vision bien mécaniste du problème. La question de la présence des élites ouvrières dans la compétition politique est déjà un élément de structuration des oppositions au moment où nous étudions cette question.

9. On désigne sous ce terme à la suite de Pierre Bourdieu, « le crédit fondé sur la croyance et la reconnaissance ou plus précisément sur les innombrables opérations de crédit par lesquelles les agents confèrent à une personne les pouvoirs mêmes qu'ils lui reconnaissent », « La représentation politique », Actes de la Recherche en Sciences sociales, février-mars 1981, p. 14.

10. Par qualités proprement politiques l'on entend celles qui renvoient non à la personne sociale des candidats et élus mais aux caractéristiques de leur action politique, par exemple : l'énergie, le dévouement à ses électeurs, la conviction, la fidélité aux engagements. Nous verrons aussi que faute de pouvoir exciper d'autres qualités, certains agents n'avancent que celles-ci : ce qui a aussi pour effet de les classer.

11. Voir à cet égard le bel article du Temps, « Les cabaretiers socialistes », 18.10.1890 ; voir aussi par exemple l'affiche de l'avocat radical-socialiste Desplas, conseiller municipal puis député du Ve arrondissement de Paris : « J'ai pensé en effet que la politique n'est pas un métier et que la prétention de diriger, dans une quelconque mesure les affaires des autres, n'est tolérable que chez ceux qui offrent les garanties d'avoir su diriger les leurs et qui, par le travail, se sont assuré l'indépendance. » 1896, Archives de la Préfecture de Police de Paris (A.P.P.O.) Ba 681.

12. A.P.P.O. Ba 1241, voir dans le même sens, 1910, Denys Cochin, A.P.P.O. B Ba 244.

13. A.P.P.O. Ba 1154, Affiches électorales, 1884-1902.

14. Affiche 1893, Bibliothèque historique de la ville de Paris (B.H.V.P.).

15. Affiche B.H.V.P. 1887, Bonin, industriel se dit « ancien employé, ancien ouvrier, ancien commerçant », A.P.P.O. Ba665.

16. Dictionnaire des parlementaires français, p. 1427.

17. Affiche 1910, A.P.P.O. Ba 244.

18. Affiche 1912, A.P.P.O. Ba 1458, Louis Azéma, avocat.

19. « Avec ses cheveux châtains plaqués sur les tempes, son visage pâle, son teint maladif, sa démarche sèche, Faillet réalise le type du parfait sectaire », Le Radical, 28.4.1887.

20. Rochefort parle des candidats ouvriers de 1881 comme de « candidats sans orthographe ».

21. François Chalvet, charcutier à Marseille est raillé par la presse marseillaise pour « son incompétence et sa prétention » ; il est fréquemment comparé au marchand de boudins des Cavaliers d'Aristophane. Cf. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, t. XI, p. 161. Toutes choses étant différentes par ailleurs, l'on peut souligner la récurrence de certains thèmes, cf. Romiiiy, J. de, Problèmes de la démocratie athénienne, Hermann, 1975.Google Scholar

22. Ainsi Bisson, ouvrier doreur est-il soutenu par le radical d'extrême gauche, le docteur G. Martin, qui tente d'apaiser les murmures désapprobateurs de l'assemblée : « C'est un ouvrier, soyez indulgents si son langage n'est pas parlementaire. »

23. La Cocarde, 20 et 21.6.1890.

24. Procès-verbaux du Conseil municipal (P.V.C.M.) 1983, I, 30.1.1885. Le préfet lui dira cependant, ibid., 4.2.1885, « Nous n'avons pas le même dictionnaire. »

25. Ibid., 1885, II, p. 748.

26. A.P.P.O. Ba 549, 16.4.1882.

27. Il aurait été intéressant de mettre systématiquement en rapport les types de jugements portés par les différents organes de presse avec la composition sociale de leurs lecteurs. Faute de sources disponibles, cela s'avère impossible ; de plus l'attachement à tel titre à faible tirage semble dû à des différenciations sociales et politiques bien délicates à saisir. On a donc dû se contenter ici d'une analyse plus générale et impressionniste.

28. Des sondages effectués dans la presse de grande diffusion Petit Parisien, Petit Journal, montrent que le cas Joffrin y est beaucoup plus rarement abordé.

29. Don Fabrice, 28.3.1883. L'interview que réalise Gaston Leroux de Faberot pour Le Matin du 27.6.1898 insiste aussi sur cet aspect : « Je me refais les mains en ce moment, lui a déclaré Faberot, ouvrier chapelier et ex-député (…) oui je me refais des ampoules… Il n'y a que ça de vrai, les ampoules, pour les honnêtes gens. » Lourde pour les bourgeois, la main forte est valorisée dans les classes populaires.

30. GilBlas, 25.10.1889.

31. A.P.P.O. Ba 1126, p. 635.

32. Le Prolétaire, 1 A. mi.

33. La Gazette de France, 26.8.1882.

34. Don Fabrice, ibid.

35. Le Gaulois, 6.10.1882, la référence au cirque vise le meeting compte rendu du mandat de Clemenceau que Joffrin présida peu auparavant.

36. 3.1.1883. L'habillement de Joffrin n'est alors que peu commenté, voir cependant Don Fabrice, « Le féroce M. Joffrin est simplement vêtu. Il semble quelque peu mal à l'aise sous le costume bourgeois ; le chapeau le gêne et la redingote l'étrangle », ibid.

37. M. Weber, Le Métier et la vocation d'homme politique, p. 112.

38. LeSoleil, 15.5.1882.

39. Les conseillers municipaux républicains militeront en faveur de la rémunération des fonctions édilitaires ou à tout le moins pour le remboursement conséquent des frais occasionnés par ces fonctions. 6 000 F par an seront alloués aux conseillers municipaux parisiens à partir de 1888.

40. 26.1.1883.

41. Le Radical, 25.4.1884 ; La Nation, 7.5.1887 le décrit comme ouvrier mécanicien dévoué ayant la parole facile mais se grisant parfois de mots.

42. L'Action, 2.5.1887. On aura remarqué que la dernière phrase n'est que la copie de la phrase du Radical de 1884. Voir aussi dans le même ordre d'idées La Bataille, journal socialiste rédigé par des non-manuels, 29.4.1882, « Joffrin s'est initié aux questions municipales et a beaucoup travaillé ».

43. J. Guesde, Le Cri du peuple, 21.12.1884 ; dans le même sens, É. Vaillant, ibid., 12.5.1884.

44. Le Figaro, 9.10.1889 ; voir aussi ibid. 8.2.1889, « L'Elysée chez Joffrin » Le Gaulois du 15.4.1889 insiste sur son changement d'attitude et sur l'habit que « pourtant il arbora : et il dansa au bal de l'Hôtel de Ville avec un claque sous le bras et des bottines vernies qui firent sensation », idem dans La Cocarde, 16.4.1889.

45. 13.11.1889.

46. Le peu de prestige social de la profession politique est cause et conséquence des caractéristiques sociales du personnel. Comme le note Ostrogorski pour la Grande-Bretagne : « Le titre de Member of Parliament n'est plus estimé comme une bien grande distinction. L'avènement de députés ouvriers y a un peu contribué : qu'est-ce que cet honneur que des terrassiers ou des chaudronniers obtiennent ! » Ostrogorski, M., La Démocratie et les partis politiques, p. 87, réédition Seuil, 1979 Google Scholar. Voir également : Les Ministres de la IIIe République où dans le chapitre rv, P. Estèbe fait état de ces jugements sociaux tout en estimant que dans leur majorité les ministres ne sont pas les « sous-vétérinaires » que la presse conservatrice caricature.

47. Voir l'article de D. Gaxie précité.

48. 17.9.1890, un conseiller municipal avait réjoui la presse conservatrice en qualifiant Joffrin de parfait gentilhomme lors de son procès en diffamation de 1889.

49. 17.9.1980.

50. Un traitement de ce genre, de la même manière que l'a réalisé N. Loraux pour l'oraison funèbre athénienne (L'Invention d'Athènes) serait sans doute passionnant.

51. Dans le même sens, Le Matin, 16.9.1890, « un simple ouvrier mécanicien », « un homme probe, dévoué à ses amis et à la République ». Voir aussi Le Radical du 4.5.1889 : « assidu, travailleur, énergique », « vie digne et correcte » mais « sectaire et parlant souvent trop ».

52. D'après La Voix, 31.8.1889.

53. Ce concept est employé au sens de P. Bourdieu, cf. Esquisse d'une théorie de la pratique, p. 178 : « Ensemble de dispositions durables et transposables qui, intégrant toutes les expériences passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions, d'appréciations et d'actions… »

54. Pour ces derniers, les soutiens matériels et symboliques que leur apportent les révolutionnaires russes sont sans nul doute une condition indispensable de leur réussite.

55. Le sentiment d'indignité est présent chez un certain nombre de candidats comme nous le verrons ci-après. Voir également dans un sens un peu différent le « véritable drame intérieur » dont parle B. Frachon, dans Au rythme des jours, p. 104 : « Je me demandais si je serais capable d'acquérir les connaissances et les capacités qu'exigeait ma nouvelle fonction », et ce à chaque fois que lui était confié un poste plus élevé.

56. Affiche élection législative 1881, Saint-Denis A.P.P.O. Ba 1126, voir à ce sujet ma thèse, notamment pp. 154-164 et p. 372 ss.

57. Intervention d'un délégué du XIe arrondissement, Le Parti ouvrier, 3.11.1890.

58. Manifeste de l'Union Fédérative du Centre pour les élections municipales de 1892, Le Parti ouvrier, 25.4.1892.

59. A.P.P.O. Ba545,p. 2003.

60. Voir à cet égard, P. Bourdieu, notamment La Distinction, p. 112 ss.

61. Voir à ce sujet ma thèse, chapitre 4 ; voir aussi Perrot, M., Les Ouvriers en grève, Mouton, 1974.CrossRefGoogle Scholar

62. Circulaire Dumay, 1887, A.P.P.O. Ba566,p. 3181.

63. Affiche Joffrin, B.H.V.P. 1887.

64. Affiche Heppenheimer, B.H.V.P. 1890.

65. Par exemple Chausse, Couturat, Renou, Heppenheimer, Blondeau.

66. Affiche Réties B.H.V.P. 1893.

67. Voir entre autres, Dejeante dans le XIXe, Lauche dans le XIe arrondissement de Paris.

68. « C'est pour d'autres besognes que les vrais socialistes ont consenti les sacrifices de temps, de santé et d'argent que représente une organisation comme la nôtre », écrit au contraire J. Allemane, Le Parti ouvrier, 5.4.1893.

69. P.V.C.M. 1887, tome 1, p. 1028.

70. Marzal, Le Parti ouvrier, 25.4.1893.

71. Avant la création de la S.F.I.O. les indications sont trop fragmentaires pour pouvoir être systématisées. Voir cependant en annexe la biographie de Landrinen, 1894 et dans le même sens la présentation typique de Heppenheimer, ouvrier facteur de pianos, par Le Prolétaire, 29.4.1893, « un ouvrier peu instruit — admirable dans sa consciencieuse probité — (qui) s'est efforcé de combler les lacunes de son instruction première, a réalisé d'énormes progrès et a acquis le niveau de capacité que sa tâche réclamait ».

72. On a retenu ici dans les tableaux 6 à 9, quatre séries d'informations concernant le personnel politique socialiste avant 1914 : il s'agit des commentaires des journalistes de l'Humanité sur les campagnes électorales de 15 candidats en 1914 ; des rubriques nécrologiques publiées par le même journal pour 19 personnalités socialistes décédées entre 1906 et 1914 ; enfin des biographies des élus socialistes de la chambre des députés en 1910 et en 1914. Parmi les renseignements recueillis, certains n'ont pu être utilisables du fait de leur caractère allusif ou purement informatif. Ces diverses biographies sont dans leur immense majorité anonymes. Pour prendre en compte ce qui va suivre, il est nécessaire d'accepter de considérer les jugements ainsi portés dans la presse du parti socialiste comme représentatifs d'un certain état de la lutte pour la légitimité à l'intérieur de la S.F.I.O. Une présentation systématique de tous les dirigeants en place aurait été plus satisfaisante, mais aucune source de renseignements ne permettait d'arriver à ce résultat.

73. Dans un article publié dans Actes de la Recherche en mai 1975 les auteurs, analysant les jugements portés par un professeur de Khâgne sur ses élèves, puis les notices nécrologiques des anciens élèves de Normale Supérieure, avaient pu montrer que le système de classement utilisé fonctionnait d'un bout à l'autre de la carrière des universitaires et qu'il permettait de retraduire dans la logique propre de l'institution les principes et les critères du classement social. A partir des renseignements recueillis dans l'Humanité et compte tenu des caractéristiques de la S.F.I.O. et de la compétition politique en France durant cette période, on a pu hiérarchiser : — verticalement les individus en fonction de leur origine sociale ou de leur capital culturel mesuré à leur nombre d'années d'études. Le lieu d'habitation, la profession et la trajectoire sociale ont fourni des critères de classement d'appoint. Ainsi a-t-on pu établir une liste organisée en fonction de la probabilité qu'ont les intéressés de posséder un type de capital utilisable dans le parti socialiste et dans la compétition politique ; — horizontalement les qualités en fonction de leur inégale valorisation, en partant des plus « communes » pour aller jusqu'aux plus rares.

74. L'Humanité, avril 1914.

75. L'Humanité, 10 mai 1913. De même Paul Deschanel dans son discours à la Chambre renvoie une image semblable : « Nous avons été frappés par la sincérité de ses efforts dans l'étude des problèmes qui nous préoccupent. »

76. L'Humanité, 21.1.1914, p. 1. Notons au passage que la rubrique pour une fois signée — Amédée Dunois — révèle aussi le point à partir duquel le journaliste parle. En plaçant au milieu de ces appréciations prestigieuses, une notation soulignant le fait que de Pressensé fut toujours « le premier de sa classe », A. Dunois laisse libre cours à son attitude louangeuse à l'égard d'un homme par nature si doué, tout en dévaluant sans le vouloir ces qualités en les rattachant à un critère d'évaluation « scolaire ». Voir de même le « consciencieux comme un vrai philosophe » attribué anonymement à G. Fourment, le 10.7.1910 dans l'Humanité.

77. L'Humanité, 22.5.1914.

78. L'Humanité, 16.6.1914.

79. L'Humanité, 10.7.1914, il faudrait aussi détailler tout le jeu des restrictions implicites : l'intelligence d'Inghels est remarquée dans le parti ; l'éloquence de M. Cachin est admirable (21.5.1914) mais Colly a une « parole ardente et une brutale franchise » (14.5.1910) et Aubriot une « éloquence forte et imagée » (13.5.1910).

80. Ibid., avril 1914, 29.5.1914, 26.5.1914, 10.1.1911. Tarbouriech paraît ainsi en position relativement dominée ; est-ce dû à sa situation de vieux célibataire mentionnée également dans sa nécrologie ?

81. Ibid., 27.5.1914.

82. Ibid., 17.5.1910.

83. La légitimité de la plupart des dirigeants socialistes est faible dans le champ politique. Vus d'un point social plus élevé ils apparaissent comme des boursiers prétendants et ce, même si la IIIe République apparaît comme assez généreuse envers les promus sociaux.

84. L'Humanité, 18.7.1914.

85. Ibid, 23.1.1914.

86. Ibid., 30.4.1911.

87. Ibid., 12.5.1910.

88. La description de cette lutte nécessiterait de plus amples développements. Les débats des Congrès portent la marque des affrontements entre « bourgeois » et « prolétaires », notamment.

89. Les biographies de ceux qui se sont éloignés du parti sont ainsi beaucoup plus factuelles, voir P. Brousse, ibid., 2.4.1912, ou froides et purement politiques : « Né à Troyes en 1854, M. Coûtant, ouvrier mécanicien, se présenta en 1893 comme socialiste à Ivry. Il fut élu et conserva jusqu'à sa mort le même mandat législatif : notons qu'il était encore dans le Parti, au moment où l'unité fut fondée et qu'il en fut exclu par suite de son attitude politique », ibid., 31.8.1913.

90. Nous n'avons pu mener une vérification que pour ce tableau. Les autres ne s'y prêtaient pas. Nous avons ici regroupé les nouveaux députés en trois grandes catégories en fonction de leur statut social et nous avons calculé la place prise par ces 3 groupes entre 1910 et 1914 dans l'ensemble des activités parlementaires des députés nouvellement élus en 1910 (bureau des groupes parlementaires, représentation du groupe dans le Parti, bureau de commissions parlementaires, participation à des interpellations, aux débats législatifs et budgétaires, dépôt d'amendements, rédaction de rapports). Les résultats fournis ici confirment ceux que j'ai obtenus dans un autre travail en cours portant sur l'ensemble du groupe parlementaire. Les colonnes de droite du tableau doivent se lirent ainsi : par exemple sur 340 interventions budgétaires, 29 ont émané des nouveaux députés du groupe I, 165 de ceux du groupe II et 146 de ceux du groupe III, alors que ces groupes se composent de respectivement 5, 10, 12 personnes. L'indice de représentation du groupe I pour ce problème s'établit ainsi :

91. Ibid., 22.5.1914.

92. Ibid., 27.5.1914.

93. Landrin est un travailleur manuel, tantôt ouvrier à domicile, tantôt petit patron.

94. L'Humanité, 6.1.1914, p. 1.

95. Cette impression devrait être confirmée par une vérification empirique de même nature que celle menée pour les années 80.

96. Voir à ce sujet entre autres l'intérêt porté par les journalistes au « roi Pataud », secrétaire du syndicat des industries électriques, décrit par les Hommes du Jour du 1er mai 1909 comme « un gros garçon réjoui, jovial, plein d'entrain et d'esprit, à la réplique facile, à la verve gavroche, émaillant ses discours de traits et de saillies… »

97. Le Point, 19.4.1982, voir aussi Paris-Match du 17.4.1982 qui les présente en photo avec ce sous-titre : « Après un solide petit déjeuner arrosé de vin rouge, ils lisent la presse… »

98. L'Express, 4.11.1978.

99. Le Figaro Magazine, 27.1.1979.