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Manille et Macao, face à la conjoncture des xvie et xviie siècles

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Pierre Chaunu*
Affiliation:
Université de Caen

Extract

Cette note critique a deux buts : montrer, du milieu du xvie siècle à 1640 environ, les solidarités et les modalités particulières de deux destins apparemment opposés, celui des Portugais à Macao, celui des Espagnols à Luçon. Ces solidarités rarement signalées découlent de l'identité des structures mises en jeu : lesquelles sont révélées par des nuances toujours proches car issues d'une seule et même conjoncture ; celle-ci entraîne à la fois Macao, Manille et, dans une mesure encore difficile à apprécier, mais certaine, des pans entiers de la Chine et du Japon saisis dans le vaste réseau d'une économie élargie dès lors aux dimensions du monde.

Type
Notes Critiques
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1962

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References

1. L'histoire à laquelle nous prétendons — est-il besoin de le dire ? — est purement européenne. Les morceaux de Chine et ceux, plus profonds, du Japon, entrevus de Manille, mieux saisis depuis Macao et les postes fixes de la mission jésuite et du commerce portugais à Kiou Siou, Sikok et Hondo, peuvent, superficiellement, jusqu'à ce jour, paraÎtre obéir au même rythme. Il appartiendra aux extrême-orientalistes et aux historiens chinois et japonais — les problématiques accordées — de dire jusqu'où et comment.

2. Boxer, Charles Ralph, The Great Ship from Amacon — Armais of Macao and the Old Japan Trade, 1555-1640 Traduit de l'anglais par Jean-Louis Houdebine, Préface d'André Chastel, Lisbonne, Centro de Estudos Historicos Ultramarinos, 1959 Google Scholar gr. in-80, xi-361 pages, plus planches et cartes hors texte.

3. Charles Ralph Boxer n'a pas besoin d'être présenté. Son oeuvre de lusitanisant et d'orientaliste est bien connue. Il n'est pas question de reproduire, ici, une bibliographie de plusieurs centaines de titres. Nous renvoyons pour les grandes lignes de sa production orientaliste à notre étude, Les Philippines et le Pacifique des Ibériques. Introduction méthodologique et indices d'activité (Paris, S.E.V.P.E.N., 18, rue du Four, Paris-VI«, gr. in-8°, 1960, 802 pages), p. 285-286 et 295. Pour sa production d'historien lusitanisant de l'Atlantique et de spécialiste averti de la Hollande coloniale, nous renvoyons à notre article « Brésil et Atlantique » (Annales E.S.C., 1961, n ° 6, p. 1176).

1. Le dossier philippin que nous avons commencé d'ouvrir dans nos modestes études (” Une grande puissance économique et financière. Les débuts de la Compagnie de Jésus au Japon (1549-1583) », Annales E.S.C., avril-juin 1950, n° 2, p. 198-212 ; « Le Galion de Manille. Grandeur et décadence d'une route de la soie », Annales E.S.C., octobre-décembre 1951, n° 4, p. 447-462 ; Les Philippines et le Pacifique des Ibériques (XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles). Introduction méthodologique et indices d'activité, Paris, 1960, gr. in-8°, 302 pages, S.E.V.P.E.N., 13, rue du Four, Paris-VI«, Collection « Ports-Routes-Trafics », n ° 11 du Centre de Recherches historiques de la VIe Section de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, doit bénéficier très largement des éclairages macaonais de Charles Ralph Boxer. Macao et Manille constituent bien, en effet, les deux plus beaux postes d'observation et d'action de l'Europe en Extrême-Orient, dans la phase ibérique, la plus ancienne, de l'expansion européenne.

2. C. R. Boxer, As viagens de Japâo e os seus Capitaes-Mores, 1550-1640, Extrait du Boletin Eclesiastico da diocèse de Macau, juillet-octobre 1941.

3. Fidalgos in the Far East (1550-1770) ; Fact and Fancy in the history of Macao, La Haye, Martinus Nijhoff, 1948, gr. in-8°, xn-297 pages.

4. Jan Compagnie in Japan (1600-1850) ; An essay on the natural, artistic and scientific influence exercised by the Hollanders in Japan from the seventeenth to the nineteenth centuries, La Haye, Martinus Nijhoff, 1950, gr. in-8°, xil-198 pages.

5. The Christian century in Japan, 1549-1660. Berkeley-University of California Press, 1951, gr. in-8°, 545 p.

6. Georg Schurhammer, S. I., cf. entre autres, l'édition des Epistulae S. Francisci Xaverii… ; son Franz Xavier, sein Leben und seine Zeit… ; nombreux articles.

7. Cf. notamment, sa participation au grand travail de la London Hakluyt Society : South China in the sixteenth century (textes de Galeote Pereira, Fr. Gaspar da Cruz, Fr. Martin de Rada… (1550-1575), 2e série, n. CVI, 1953, in-8°, XCI-388 p., cartes, l'édition anglaise de la tragique histoire de la Mer, la magnifique et justement célèbre compilation de Bernardo Gomes de Brito ( lre édition, Historia Tragico-Maritima, 1729-1736), Hakluyt 2= série, n° CXII, 1959, in-8°, XIV-297 p.

8. Nous avons parlé, à propos du Portugal et VAtlantique au XVIIe siècle de Frédéric Mauro, de séries factices qui atteignent à la richesse et à la solidité des séries primaires (” Brésil et l'Atlantique », Annales E.S.C., 1961, n° 6, p. 1176). Cette remarque s'applique, a fortiori, aux constructions de Boxer.

1. Elles ont conduit Boxer à Goa (Arquivo Historico do Estado da India), au Portugal (Arquivo Historico Ultra-marino — Biblioteca de Ajuda de Lisbonne, Bibliothèque d'Evora), en Hollande (Koloniaal Archief de La Haye).

2. Il est inutile de revenir sur les thèmes antiportugais de la Casa de la Contrataciân (nous en avons fait une ample moisson dans les tomes II à V de Séuille et l'Atlantique (1504-1650) ; le fonds de VAudiencia de Manille (Archivo General de Indias, Séville, Série Filipinas, Legajos I à 1072) est particulièrement bien nourri en placets antimacaonais. On en trouvera, aussi, dans la masse complémentaire des audiencias circumpacifiques (Mexico, Panama, Lima…). Bon nombre sont passés dans les deux grandes collections de documents complémentaires : E. M. Blair and J . A. Robektson, The Philippine Islands, Cleveland (Ohio), 55 volumes in-8°, 1903-1909, et Pedro Toere y Lanzas, Francisco Navas Del Valle et Pablo Pastells, S. J., Catalogo de los documentos relativos a las islas Filipinas… en el Archivo General de Indias de Sevilla, précédée d'une histoire érudite du Père Pablo Pastells S. J., Barcelone, 9 volumes gr. in-8°, 1925-1984. Mais c'est encore dans le plaidoyer fameux de Don Juan Grau i Monfalcon, (Mémorial informatorio al Rey Nuestro Senor en su Real i supremo Consejo de las Indias, 1637, Bibliothèque Nationale, Madrid, Mss. 8990, folios 273 à 350, publié dans l'Extracto historial del expediente que pende en el Consejo Real y Supremo de las Indias…, Madrid, gr. in-4°, 1736) que l'on trouvera le meilleur exposé des griefs philippins à rencontre de la Cidade do Nome de Deos na China.

3. Révélateur de cet état d'esprit, l'étude, par ailleurs, substantielle comme tout ce qui est sorti de la plume de cet extraordinaire érudit que fut le Père Pastells : Discubrimientos y conquistas de los Castellanos en el Extremo-Oriente y competentias con los portugueses sobre la posicion de las regiones situadas fuera del empeno antes la union de las dos Coronas. Extrait des Actos y Memorias del II Congreso de historia y geografia hispano-americanas, Séville, in-4°, 1921, 570 pages.

5. Jusqu'en 1637, indissociable de son avant-poste japonais, Nagasaki.

6. Il y aurait beaucoup à dire sur la manière dont ces deux cent mille kilomètres carrés sont effectivement saisis par la colonisation espagnole. Même problème que pour l'Amérique. Cf. Pierre Chaunu, Séville et l'Atlantique, 1504-1650. Tome VIII », Les Structures géographiques. Hypothèse d'une illustration cartographique et graphique de la conquête, p. 143-144. Même problème, partant, dans l'état actuel de la recherche, problème sans vraie réponse. Mindanao, à l'exception de quelques plages sur la côte Nord, les Soulos (Jolo), Palawan, les plus hautes terres de Luçon, sont hors de cause. En dehors des 200 000 k m ‘ de la colonisation théorique, dans les 100 000 km’ confessés « tierra brava » ou, encore pire, « moreria ». Il en ira de même jusqu'à l'aube du xix6 siècle. Quant aux derniers bastions « moros » des Îles du Sud, ils capituleront en 1840 seulement, sous les coups des « canonnières » à vapeur. Mais à l'intérieur de la partie conquise, une gamme presque infinie de présences subsistent. John Leddy Phelan dans sa bonne étude (The Hispanization ofthe Philippines. Spanish Aims and Filipino, Responses 1565-1700, Madison, 1959, in-8°, The University Wisconsin Press, XI-218 pages) fournit quelques éléments qui permettent d'approcher ce difficile problème de l'épaisseur d'une présence. Face aux 5 à 600 000 habitants de la zone contrôlée, il évalue, sans doute trop généreusement, à un million d'âmes, la population de la zone « brava » (op. cit., p. 108 : « … In addition there may hâve been as many as one million Filipinos who were not Spanish subjects… », cela au cours du xviie siècle).

1. On se reportera, pour s'en convaincre, au dossier réuni par les éditeurs de la Codoin, Ind. II. Il groupe l'essentiel. Colecciôn de documentas ineditos relativos al descubrimiento… de las Antiguas posesiones de Ultramar, tome 2, Madrid, 1886, p. 94- 463, tome 3, 1887, XXVII, 487 pages.

2. Earl J. Hamilton, American Treasure and Price Révolution in Spain (1500- 1650, Cambridge (Mass.), 1934.

3. F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen, Paris 1949, p. 431.

4. Charles R. Boxer, Fidalgos in the Far East, op. cit., p. 8 : « The most commonly accepted version is that the Portuguese were allowed to form a settlement on the peninsula in 1557, in récognition of their services in expelling a pirate band who had made the place their stronghold… Macao owed its foundation and continued existence to an undestanding reached between the Kwangtung provincial authorities and the Captain Mor of the Japan voyage. Neither the Chinese government nor the Viceroy at Goa took any officiai cognizance of the settlement for some years. In 1586 the Viceroy of Portuguese India, Dom Duarte de Menezes, issued a decree empowering the Senate or Municipal Council to elect its officers triennialy, and to make a number of judicial appointment. »

1. L'économie de l'empire portugais aux XVe et XVIe siècles. L'or et le poivre. Route de Guinée et route du poivre. Les finances de l'Etat portugais des Indes orientales au XVIe et au début du XVIIe siècle. (Etude et documents). Paris, 1958, Exemplaires dactylographiés, Bibliothèque de la Sorbonne, LXVI + , 1166, + 7 pages ; 480 pages.

2. Nous nous sommes efforcés, ailleurs, d'en définir les limites et la portée. Cf. Annales E.S.C., 1961, n ° 6, p . 1190, Brésil et Atlantique. Voir aussi « Le renversement de la tendance majeure des prix et des activités au xviie siècle. Problèmes de fait et de méthode », dans Studi in onore di Amintore Fanfani.

3. Sur les liens possibles entre à-coups de la découverte assimilée à une invention géographique et problématique de la conjoncture séculaire et interdécennale, nous renvoyons à Séville et l'Atlantique (1504-1650), tome VIII 2’1. La conjoncture (1504- 1650), p. 382-895.

4. En fait, ce qui compte, c'est moins la prise en main du site définitif de Macao que l'ouverture d'un nouveau secteur géographique dans le système des communications portugaises dans l'océan Indien : la liaison, à travers la mer de Chine, avec l'archipel du Japon. La découverte accidentelle du Japon par trois déserteurs portugais dérivant sur une jonque depuis la côte du Fukien se place en 1542. En août 1549, Saint François Xavier débarquait sur la côte de Kiou-Shiou, futur berceau, grâce aux daïmyos amis, de la Chrétienté japonaise. Il mourait en 1552. De 1550 à 1555, c'est la mise en place difficile d'une liaison maritime directe. Mais elle est impraticable, la distance est trop grande de Malacca à Kiou-Shiou, sans une escale, quelque part, sur la côte cantonaise. Une première escale est trouvée autour de 1550 à Sanchuan, au S.O. de l'actuelle Macao (Fidalgos in the Far East, p. 8), elle est transférée à Langpakao, depuis 1554- 1556. Elle occupe le site définitif de A-ma-ngao (la base d'Ama, divinité marine, Macao) en 1557.

5. La conquête des Philippines se place au terme d'un processus commencé quarante ans plus tôt. William E. Retana (éditeur de Antonio de Morga, Sucesos de las islas Filipinas, Madrid, 1909, gr. in-8°, 180*-588 pages), p. 373, note 18) compte, derrière Pablo Pastells (éditeur de P. Colin, Labor evangelica, tome I, p . 117) sept expéditions entre celle de Magellan et celle de Legazpi-Urdaneta qui aboutit à la conquête effective des Philippines. Quatre de ces expéditions, comme celle-là même de Legazpi, partent d'Amérique et connaissent un commencement sérieux d'exécution : celle de Gil Gonzalez de Avila, sortie de Panama au début de 1521, celle d'Alvaro de Saavedra, sortie d'Aguatlanejo le 1 e r novembre 1527, celle de Pedro de Alvaredo, sortie des côtes du Guatemala, celle, enfin, de Ruy Lopez de Villalobos sortie de La Navidad (comme Legazpi en 1564), le 1 e r novembre 1542. L'expédition d'Urdaneta- Legazpi, dont les préparatifs commencent lentement en 1559 (Codoin, Ind, Ultramar, t . I I , p . 94 suiv.) aboutit, cinq ans plus tard, au départ de La Navidad, le 21 novembre 1564. La conquête des Philippines vient au terme, certes, d'une longue évolution. Mais après une profonde solution de continuité : huit expéditions en vingt-trois ans, du départ de Magellan de San Lûcar (le 20 décembre 1519) au départ de Villalobos de La Navidad, sur la côte occidentale du Mexique, le 1 e r novembre 1542 ; puis un silence de vingt-deux ans, entre le départ de Villalobos (chef de la 8e expédition avortée) le 1 e r novembre 1542 et le départ victorieux de Legazpi le 21 novembre 1564. L'expédition avortée de Villalobos contribue, avec quelques autres épisodes, la saisie de 1539 à 1542 du Nouveau-Royaume de Grenade, à marquer le terme de la Conquista.

1. P. Pastells, t . I, p. 291-293 ; Blair And Robertson, t . I I I , p. 100-104.

2. Documents in Codoin, Ind, Ultramar, t. II ; Pastells, t. I, et Blair et Robertson, t. IL Un récit correct et rapide de l'expédition est procuré par M. Mariano Cuevas, S. J., Monje y Marina. La vida y los tiempos de Fray Andres de Vrdaneta, prologue d'Alejandro Quijano, Mexico, in-4°, 1943, xv-417 p., p. 179-225.

3. P. Chaunu, Séville et VAtlantique (1504-1650), tome VIII 2,1( La Conjoncture, p. 355 sq.

4. Interprétation tirée des indices procurés par Vitorino Magalhaes Godinho (L'économie de l'empire portugais…, op. cit.) dans P. Chaunu, « Brésil et Atlantique », Annales E.S.C., article cité, et « Le renversement de la tendance majeure », article cité dans Studi in onore di Amintore Fanfani.

1. Séville et l'Atlantique (1504-1650), t. VIII, 2‚1‚, p. 415.

2. Nous avons vu, récemment (Brésil et VAtlantique, article cité) que les débuts du Brésil sucrier étaient justiciables de cette explication.

3. Si on reprend le schéma proposé (Séville et l'Atlantique, t. VIII, 2, lt p. 382-395) où on s'efforce de lier invention géographique et phases longues de la conjoncture moderne, on notera que les avatars extrême-orientaux des expansions portugaise et espagnole dans l'océan Indien et dans l'océan Atlantique, s'y inscrivent sans peine. L'expansion géographique en surface du premier xvie siècle entre dans le complexe explicatif causal de la première demi-phase longue d'expansion. Une saisie en profondeur des espaces nouvellement acquis entre dans le complexe explicatif de la deuxième demi-phase longue. Mais ces schémas sont grossiers. La conquista et le repérage du premier xvie siècle n'excluaient pas un commencement de pénétration en profondeur. L'approfondissement du second xvie siècle n'élimine pas une reprise, ou plus exactement, une ultime tentative de conquista. La saisie commerciale du Japon, d'une part, la conquête des Philippines, d'autre part, c'est un moyen de résoudre le problème, par un procédé archaïque de fuite en avant.

1. P. Chauntj, Les Philippines, op. cit., p. 202-208.

2. Ibid., p. 205-206.

3. A. G. I. Séville, ContaduHa, 1195.

4. On le vérifie, aisément, à travers P. Pastells, tome I, et Blaib et Robertson, tomes II, I I I et IV.

5. Codoin, Ind, Ultramar, t. II : Valladolid, 24 septembre 1559, Despacho que se embio a don Luis de Velasco Visorrey de la nueva espaha sobre el descubrimiento de las yslas del poniente, repris par Pastells, t. I, p. 269. On enverra deux navires (le projet réalisé a une tout autre ampleur, 5 navires) «… al descubrimiento de las Islas del Poniente hacia los Malucos, y procurasen los que alli fueron de traer alguna especeria para ensayo de ella, y volviesen a la Nueva Espafia para saber si es cierta la buelta… que en ninguna manera entren en las yslas de los malucos porque no se contravenga al asiento que tenemos tomado con el Serenissimo Rei de portugal sino en otras yslas que estan comarcanas a ellas asi como son las philipinas y otras que estan fuera del dicho asiento dentro de nuestra demarcacion que diz que tiene tambien especeria. »

6. Le texte du 24 septembre 1559 est plein d'arrière-pensée. Carte blanche est laissée au Vice-Roi pour agir. Suivant le cours des événements, l'ampleur de l'enjeu et le résultat obtenu, on pourra désavouer ou endosser, couvrir ou abandonner.

1. Avant que n'intervienne la production massive des mines d'Amérique, les 350 000 ducats de la dot de dofia Isabel de Portugal constituaient pour le trésor impérial un gage précieux.

2. L'année 1529 est une année pivot dans la politique de Charles Quint face à l'Outre-Mer. C'est en 1529 que se situe aussi cette curieuse tentative éphémère pour déposséder Séville de son monopole. Nous avons lié les deux phénomènes (Séville et l'Atlantique, t. VIII1 , p. 195-196), renonciation à la « Espeeeria », apaisement à La Corogne dépossédée. Mais 1529, c'est aussi un moment de trahison et d'incompréhension de l'empereur bourguignon, trop profondément engagé aux Pays-Bas, dans l'Empire, sur tous les fronts de la Chrétienté occidentale et en Méditerranée contre l'Islam, pour comprendre la valeur promise des Terres nouvelles. Cela d'autant que l'on est au terme du long creux des trésors.

3. Moins encore par ceux du Nouveau-Monde : la poursuite des tentatives de navigation vers l'Ouest depuis le Guatemala et le Mexique le montre. L'entreprise de Villalobos, notamment, en 1542, au terme du temps normal de la conquista, montre bien que l'Amérique moins encore que la Castille n'a renoncé au vieux projet de Colomb. A l'origine de l'entreprise de Villalobos, les capitulations, quatre ans plus tôt, le 16 avril 1538, à Valladolid, entre le Conseil et l'Adelantado don Pedro de Alvaredo, repris avec le Vice-Roi le 24 juillet 1541, le prouvent (Codoin, Ind, Ultramar, t. II, p. 9 à 19 ; repris par P. Pastells, t. I, p. 164-168)… On vise bien les épices dans les Moluques, à charge de trouver le biais, par l'installation d'une base aux Îles du Ponant, de ne pas heurter de front la lettre des traités. … descubrimiento, conquista y poblacioi) de las Islas y provincias situadas al Poniente del Mar del Sur… en el, descubrimiento de… oro, plata, y piedras, y perlas y drogueria, y espeeeria, y de otros qualesquier metales, y cosas. Y porque entre nos y el serenissimo Rey de Portugal, nuestro muy caro é muy amado hermano, hay ciertos asientos y capitulaciones cerca de la (iemareacion y repartimiento de las Indias, é tambien sobre las Islas de los Malucos y espeeeria, vos mando que lo guardeis como en ella se contiene, y que no toqueis en eosa que pertenezea al serenissimo Rey. » La formule est reprise à quelques variantes près, vingt et un ans plus tard, dans la première formulation de la capitulation qui conduira à l'expédition Legazpi (cf. ci-dessous, note 2, p. 564).

4. E. J. Hamilton (1501-1650), op. cit., p. 232-233.

1. Cebu, 20 octobre 1568. Deuxième lettre de Legazpi à Gonçalo Pereira, Blaik et Robkrtson, p. 278-279.

2. Les premiers mémoires dressés par les « oficiales » de l'expédition expliquent les résistances inattendues de la population « visaya » de cette manière. Les Portugais ne disposant pas de forces suffisantes pour imposer à la partie non encore islamisée du Sud et du centre de l'archipel philippin une présence politique continue, essayèrent d'asseoir leur protectorat par des raids aussi spectaculaires que dévastateurs. D'où la fuite des indigènes Visayas (les Visayas, tout autre, le comportement plus tard, des indigènes de Luçon ; d'où difficulté majeure au départ, dans la voie Sud de la première conquête) et, partout, une atmosphère de méfiance craintive. Mateo del Sa/., dans sa lettre au Roi, du 31 mai 1565 (P. Pasteixs, t. I, p. 282-288) prétend même que les Portugais ont usé d'une sinistre ruse : … « se tiene por noticia que los portugueses, debajo de este nombre de castellanos les han hecho (aux indigènes de l'archipel central) malas obras… » puis d'énumérer, Bool, Maçagua, … quelques lieux des exploits portugais les plus sanguinaires. L'assertion est difficile à vérifier. De toute manière, la ruse employée ou non, il était difficile aux populations malaises de distinguer, d'entrée de jeu, entre les deux présences ibériques.

3. « Les premières bribes conservées de la comptabilité (trop fragmentaires pour servir aux tableaux statistiques de notre étude, cf. Les Philippines et le Pacifique des Ibériques, op. cit., p. 78 et suiv.) montrent que les espoirs fondés dans les épiées n'ont rien donné ; l'exploitation financière de l'entreprise est catastrophique. Cf. A.G.I. Séville, Contaduria 1195. La collecte de la poudre d'or (comme jadis, dans la colonisation antillaise), mais sans avoir donné lieu à des brutalités comparables (John Leddy Phelan, Hispanization ofthe Philippines, op. cit., le souligne bien, p. 9 : « The adoption by the Spanish court of the Dominican-inspired idéal of pacification coincided with the founding of the Philippine colony. In fact, the Oriental archipielago became a roting ground for the new policy. In Legazpi, Philip II had a lieutenant with the patience and the skill necessary to exécute such an arduos commission…) la poudre d'or fournit la seule source appréciable de revenus. (A.G.I. Séville, Contaduria 1195 et Contaduria 1200).

4. Blair et Robertson, t. III, p. 40. « … Pendant le blocus de Cebu par l'armada portugaise (du 2 octobre 1568 au 1 e r janvier 1569, l'épidémie seule a contraint l'escadre portugaise à battre en retraite et évité de justesse la capitulation espagnole…), on apprit qu'ils commerçaient et négociaient sur les côtes de Chine et du Japon et qu'ils vivaient de ce commerce, parce qu'il est (le commerce de Chine et du Japon) le plus important et le plus avantageux de tous les commerces jamais pratiqués… »

5. Sous sa première forme, la possibilité d'une orientation chinoise a été clairement perçue par Legazpi dès 1567. Dans une lettre du 23 juillet 1567, il envisage en effet (Pastells, op. cit., t. I, p. 293-294) la construction d'une demi-douzaine de galères « con las quales se asegurarân todas estas yslas y otras muchas questàn mâs apartadas délias y aun se podria correr la costa de la China y contratar con la tierra firme, y serian muy provechosos y de gran efecto. » S'il ne passe pas tout de suite à Luçon, c'est manque de gens… et aussi parce qu'il n'a pas tout à fait renoncé à l'exécution de ses instructions. Il a vu, cependant, le rôle futur de Luçon, quand il écrit dans le même rapport au Roi du 23 juillet 1567. «… Mas al norte de donde estamos… o casi al norueste no lexos de aqui, estan unas yslas grandes que se dizen de Luzon y Vindoro (pour Mindoro) donde vienen los chinos y japones a contratar cada ano, y lo que traen son sedas, telillas, campanas, porcelanas, olores, estaflo, mantas de algodon pintadas, y otras menudencias, y el retorno que se dan es oro y cera… »

1. Cf. la Suma Oriental de Tome Pires [édition Armando Cortesao, Suma Oriental of Tomes Pires and the book of Francisco Rodriguez, Londres, Hakluyt Society, 2e série, tomes LXXXIX et LXL, 1944]. Les liaisons commerciales Chine du Sud-Philippines datent, au moins, du xv8 siècle. Elles se font depuis cette date sur un niveau annuel de plusieurs jonques par an. Elles affectent de préférence la partie nord de l'archipel, Luçon au premier chef.

2. Tout au long de la correspondance de l'année 1570. Cf. Blair et Robertson, t. II, p. 100-104.

3. Elle s'exprime cette bonne volonté appliquée (le ton plus tard des rapports, dès 1576, les profondes secousses du Parian montrent qu'elle n'est pas naturelle, mais résulte bien d'une volonté politique) dans la forme des rapports. Les termes élogieux appliqués systématiquement aux Chinois dans la correspondance des années 1570, 1571, 1572 (cf. plus particulièrement, Blair et Robertson, tome III, p. 155 (tableau idyllique de la civilisation chinoise, telle qu'on la voit depuis Luçon), et p. 167 (notes pour un parfait négociant chinois) contrastent avec le ton de mépris crispé dont on use à l'endroit des malais et plus particulièrement des tagalogs). Les Chinois faits prisonniers par Martin de Goite (hommes, femmes surtout), montrent qu'il existait dans la partie tagalog de Luçon, et plus particulièrement à Manille, avant la conquête espagnole, les bases d'un futur Parian.

1. Le courant secondaire dont nous avons voulu démontrer l'existence, dans notre article « Le galion de Manille », « Grandeur et décadence d'une route de la soie » (Annales E.S.C., octobre-décembre 1951, n° 4, p. 447-462), dure vingt ans, en gros, de 1615- 1620 à 1640-1642, et n'a jamais été plus qu'une route secondaire.

2. C. R. Boxer, The Great Shipfrom Amacon, op. cit., p. 6, note 13 notamment.

3. Ample moisson dans Pastells, Blair et Robertson, etc…

4. A.G.I. Séville, Contaduria 1195 ; ContaduHa 1200.

5. P. Chaunu, Les Philippines, op. cit., p. 202-207. Dans un trafic chinois, largement dominant, Macao assure directement, de 1616 à 1622, 30 % environ de l'ensemble des importations chinoises de Manille. En 1641-1642, même, cette proportion a pu approcher 60 %.

6. B.N. Madrid, Mss. n° 8990, f. 297 v°, 298 et 298 v° : « … el principal y mayor y en que consiste el conservarse las filipinas es el de la China, que si bien participa a el Portugal es con mucho riesgo… en que ay diferencia que los Portugueses llevan a buscar a la misma China, donde tiene poblada la ciudad de Macau… De poco tiempo a esta parte los Portugueses de aquella ciudad, han començado a venir a Manila, o embiar a ella mercaduria de China, lo quai es de mucho dafio para los vezinos, porque se las venden mas caras que los ehinos. »

7. C. R. Boxer, Great Ship, op. cit., p. 5.

1. Sauf au court moment où Macao participe largement à l'approvisionnement de Luçon. Grau i Monfalcon a vu le parallélisme des situations et opposé les manières. (B.N. Madrid, Mss. 8990, f. 297 v°, 298) : « el (comercio) de China… que si bien participa a el Portugal, es con mucho riesgo (en 1637) y trabajo por série forçoso passar el estrecho de Sincapara, que siempre esta ocupado de Olandeses. En que ay esta diferencia que los Portugueses llevan a buscar a la misma China, donde tiene poblada la ciudad de Macau y los Castellanos lo hagan en Manila, a cuyo Puerto vienen cada aflo muchos navios de Chinos, cargados de quantos generos naturales y artificiales produze aquel gran Reino… »

2. P. Chaunu, Philippines, op. cit., et plus particulièrement, p. 200-219.

3. C. R. Boxer, Great Ship, op. cit.

4. N'oublions pas la masse humaine, déjà considérable, que représente le Japon du xvii0 siècle. Plus que la France, 20 millions d'habitants au moins. On peut l'extrapoler du premier chiffre sûr, les résultats du premier recensement de 1721, en application d'un édit du gouvernement shogunal des Tokugawa : 26 065 000 habitants (Ayanori Okasaki, Histoire du Japon : Véconomie et la Population, Paris, P.U.F., I.N.E.D, 1958, in-8°, 166 p. : p. 83-35). En effet, si la charnière des xvie et xvn” siècles, grâce à l'influence européenne, et l'avènement du gouvernement shogunal des Tokugawas en 1603, est une période de brève et profonde prospérité, cette prospérité s'instaure après les cent trente ans d'anarchie et de guerres civiles qui vont de la fin du pouvoir shogunal de Muromachi (vers 1470) jusqu'à la prise de pouvoir, de facto, de Tokugawa Ieyasu.

5. En fait, il doit beaucoup, selon toute vraisemblance, à l'influence portugaise. Ayanori Okasaki le reconnaÎt implicitement (Histoire du Japon, op. cit., p. 33) qui écrit « A l'avènement du gouvernement shogunal des Tokugawa, en 1603, les diverses industries commençaient à se développer et un système monétaire était institué. »

6. C. R. Boxer, Great Ship, op. cit., p. 6. Faut-il rappeler les vers de Camôes placés en exergue par Boxer (p. 1) ? He Iapâo, onde nace a prata fina, Que illustrada sera coa ley dixiina.

7. E. J. Hamilton, op. cit., p. 42.

1. Pierre Chaunu, Philippines, op. cit., p. 268-209.

2. L'étude attentive de C. R. Boxer aboutit à conserver à Macao pour l'ensemble de la période 1555-1637, malgré l'effort d'un interlope sino-japonais, les fameux Go- Shuin-Sen (les navires à sceau rouge, imités des techniques européennes), la plus large part dans l'ensemble des échanges sino-japonais — malgré, dans la seconde partie de la période, la concurrence hollandaise. Au total, Macao aura assumé en quatre vingts ans plus de 50 % des échanges nippo-chinois, près des trois quarts, peut-être, dans la deuxième moitié du xvie siècle.

3. Le Japon, gros exportateur de cuivre : c'est vrai, surtout, dans la deuxième moitié du xviie siècle. Frank C. Spooner dans sa très brillante étude L'économie mondiale et les frappes monétaires en France 1493-1680 (Paris, S.B.V.P.B.N., gr. in-8°, 1956, 545 p., X X IXpl. hors texte, Centre de Recherches Historiques, Coll. Monnaie-Prix- Conjoncture, n° 4), rapproche d'une manière très suggestive (p. 40-41) les exportations de cuivre suédois et japonais. Le Japon se place, dans la deuxième moitié du xviie siècle, à 75 % environ des niveaux de la Suède, premier producteur de cuivre du monde. La meilleure étude des exportations du cuivre japonais, pour la deuxième moitié du xviie et le début du xviiie siècle, est procurée par l'ouvrage fondamental de Kristof Glamann (Dutch-Asiatic Trade 1620-1740, Copenhague-La Haye, Martinus Nijhoff, xi-334 p., p. 167-182).

4. Vitorino Magalhàes Godinho, L'économie de l'empire portugais, op. cit., p. 659.

5. E. J . Hamilton, op. cit., p. 71. La ratio est un peu moindre au Portugal, inférieure aux Pays-Bas espagnols, intermédiaire en France (cf. J. Meuvret).

6. Au xviiie siècle, l'Amérique espagnole a conservé ce trait. Au milieu du xviiie siècle par exemple, en Castille solidaire de l'Amérique, et en Amérique espagnole, la ratio est 15,03 ; 14,63 en France (E. J. Hamilton, War and Priées in Spain, 1651- 1800, p. 68), 14,93 et 14,56 au Portugal, solidaire du Brésil aurifère (V. M. Godinho, Prix et monnaie au Portugal, 1750-1850, Paris, 1955, gr. in-8° S.E.V.P.E.N. Monnaie- Prix-Conjoncture, VIe Section de l'Ecole des Hautes Etudes, 362 p., plus graph., p. 202). Dans son étude L'Economie de l'Empire portugais (op. cité, p. 659), V. M. Godinho écrit : « Plus puissant que les intérêts de Lisbonne, Séville et Goa et que les foudres dont ils se fourbissent, il y a ce fait majeur : d'une part la zone où l'argent est le plus cher du monde — la Chine —, d'autre part, la zone où il est le meilleur marché — l'Amérique mexico-péruvienne ; comment de celle-ci à celle-là empêcher la sortie du métal blanc par la route directe, une fois cette route directe découverte et établie ? »

1. Blaib et Robebtson, t. II et III ; P. Pasteixs, t. I.

2. A toutes les affirmations péremptoires, sur ce point, des descriptions classiques, depuis Tome Pires (cf. A. Cobtbsao, op. cit.) jusqu'à la correspondance administrative (Blair et Robertson, Pastells, etc..) ajouter, exceptionnellement précieux, les morceaux conservés de la première comptabilité publique (A.G.I. Séville, Contaduria, 1195 à 1200).

3. Blaib et Robebtson, t. III, p. 195.

4. On peut même se demander dans quelle mesure les immenses bénéfices tirés de l'heureuse ratio philippine et chinoise n'ont pas contribué d'une manière décisive à alléger le poids de domination de la colonisation espagnole, lors du choc toujours terrible de l'adaptation. Malgré les plaintes qui émanent des autorités ecclésiastiques (cf. notamment, les rapports du premier évêque des Philippines Domingo de Salazar — arrivé à Manille en 1581, mort à Madrid le 4 décembre 1594 —, lascasien notable : Blaib et Robebtson, t. VI, VII, VIII), en raison même de ces plaintes, il faut bien conclure avec tous les historiens objectifs à l'extrême humanité relative de l'épisode philippin de la conquista. John Leddy Phelan (Hispanization ofthe Philippines, op. cit., p. 8) l'attribue à la victoire des idées de Las Casas, aux qualités morales de Legazpi et des premiers cadres de l'expédition. Avec raison. On peut invoquer, aussi, une atténuation du choc microbien, pour une population beaucoup moins isolée, puisque largement ouverte au commerce maritime malayo-musulman, portugais et chinois, avant la « conquista » européenne. Ce choc relativement faible, on peut en mesurer les effets. Par l'évolution de la population (P. Chaunu, Philippines, op. cit., p. 74). Nous avons souligné tout ce qui l'oppose au modèle mexicain (cf. « Une histoire hispano-américaniste pilote. En marge de l'oeuvre de l'Ecole de Berkeley », Revue Historique, 1960, n° 4, p. 339-368 ; et plus encore les utiles évaluations de Woodrow Bobah et S. F. Cook, Berkeley, 1960, Coll. Ibero americana, n° 43 et 44, The Population of Central Mexico in 1548. An analysis of the « Suma de visitas » de pueblos », et The Indian population of Central Mexico, 1531- 1610 ; 215 p., plus cartes et 109 pages). Pour le poids relativement anodin du tribut toujours d'un point de vue comparatiste, cf. P. Chaunu, Philippines, op. cit., p. 78. La politique humaine de Legazpi aura été facilitée par l'auto-financement, au départ, des écarts de la ratio. Comme elle sera facilitée, plus tard, par l'énorme effort financier consenti, nous l'avons montré, par la Métropole et l'Amérique.

5. W. E. Retana, éditeur de Antonio De Mobga, Sucesos de las islas Filipinas, op. cit., p. 13x-14x.

6. On le comprend d'autant plus aisément qu'au presque début de cette économie monétaire, se superpose un phénomène classique de domination. Les tableaux de Luçon préhispanique témoignent d'une société où, sous l'influence des raids chinois, l'usage monétaire possible de la poudre d'or est à peine découvert. Les Espagnols se sont emparés de la production accumulée et de la production accrue de l'orpaUlage local. La Contaduria (A.G.I. Séville, Contaduria 1105-1200) l'atteste — ; ils ont accéléré le processus qui tendait à l'instaurer en moyen monétaire. La poudre d'or entre les mains des dominants, souvent exigée pour le payement du tribut, prend, de ce fait, une valeur qui n'est pas à proprement parler une valeur de marché. Elle est instrument de domination. Les rapports des prix incorporent, au départ, beaucoup d'éléments extra-économiques.

1. W. E. Retana, éditeur d'Antonio De Morga, Sucesos de las Islas Filipinas, op. cit., p. 13X-UX.

2. C'est ainsi qu'il faut interpréter l'extraordinaire flambée de plaintes hétéroclites qui se font jour entre 1580 et 1585, dans la correspondance administrative des Philippines. Plaintes d'une brusque montée des prix et, plus particulièrement, du riz, produit alimentaire de base des dominants et des dominés. Cette situation est due, essentiellement, Al'épongement des anomalies issues de la conquête. Les auteurs des lettres mises en cause (on en trouvera le détail, dans P. Pastells, t. II, Blaib et Robektson, t. I I I . IV, V et VI), l'évêque Salazar, Don Gonzalo Ronquillo de Pifialosa, Juan de Arce, Cristobal de Azcueta, Juan de Vinero, … l'attribuent à la chute de la population indigène (le fléchissement est très faible, en comparaison de l'Amérique), à Vencomienda, aux ponctions de main-d'oeuvre pour fournir en galériens les expéditions maritimes vers le Sud contre les Moros, à la croissance de la population espagnole et plus encore chinoise. L'arrivée des Espagnols a déclenché en croissance exponentielle la courbe des colons chinois, doués, nous dit-on, d'un robuste appétit. Le rapport le plus couramment admis entre 1580 et 1585, à Luçon, entre peuplement « sangleyes » et peuplement espagnol, est le rapport de 10 à 1. Par rapport aux Malais, les Chinois « sangleyes ynfieles » ou « sangleyes christianos » sont des dominants. Le poids de la domination espagnole est plus indirect que direct. Il résulte, pour le meilleur, de la colonisation chinoise entraÎnée dans son sillage. Derrière cette analyse judicieuse de nos vieux témoins, dont les rapports sont parfois encombrés par les inépuisables regrets du bon vieux temps, il y a, essentiellement, la résorption naturelle des anomalies de la conquête, le débouché sur les structures économiques jeunes du temps colonial

1. Un des mérites de V. M. Godinho, dans son Economie de l'Empire portugais, non des moindres, c'est d'avoir bien montré que l'empire indien du Portugal au xvi” siècle soldait, beaucoup plus qu'on ne le croyait, le déficit structurel des échanges Extrême-Orient-Europe, par des services que par des exportations de numéraire. L'invention technique prêtée, sur ce point, aux Hollandais, est donc moindre qu'on ne l'avait imaginée. Les Hollandais (cf. Duarte Gomes Solis, Alegaciàn en favor de la Compania de la India Oriental y comercio ultramarÎno que de nuevo se instituyo en el Reyno de Portugal S.C. 1628, in-4°, 288 folios plus 8 folios) ont simplement perfectionné un ensemble de techniques portugaises. Duarte Gomes Solis a donc théoriquement raison quand il propose aux Portugais, par l'adoption de la technique de la grande compagnie, une double offensive contre les Hollandais et contre la dangereuse dépendance, récemment accrue par le recul technique, du commerce oriental portugais, à l'égard de l'argent américain de Séville.

2. Fermeture virtuelle des détroits de Malacca.

3. Fermeture du Japon.

5. Il contraste avec l'intelligence des jésuites portugais et italiens amenés au Japon par la voie ancienne et éprouvée de Malacca, et de la « India portugueza ».

6. P. Chaunu, Les Philippines, op. cit., p. 268-269.

7. A.G.I. Séville, Contaduria 1200 et Contaduria 1202 à 1218.

8. Pierre Chaunu, « Les débuts de la Compagnie de Jésus au Japon », Annales E.S.C., 1950, n” 2, p. 211, note 2 ; A.G.I. Séville, Contaduria 1209.

9. Pierre Chaunu, Les Philippines, op. cit., p. 148-219.

1. C. R. Boxer, The Christian Century in Japan, op. cit., la grande oeuvre du Père Georg Schurhammer (on trouvera les grandes lignes d'une bibliographie capitale, dans C. R. Boxer, Christian century, p. 513) ; le puissant travail de Léon Bourdon, La Compagnie de Jésus et le Japon. La fondation de la Mission japonaises par François Xavier (1547-1551) et les premiers résultats de la prédication chrétienne sous le supériorat de Cosme de Tours (1551-1570), et Alexandre Valignano, visiteur de la Mission japonaise de la Compagnie de Jésus (1573-1583), et, à son propos, notre note des Annales E.S.C., 1950, n° 2, p. 198-212.

2. Annales E.S.C., 1950, n° 2, p. 212.

3. A-t-on vu, suffisamment, que l'opposition jésuites portugais — « frayles » espagnols (franciscains, dominicains, augustins) au Japon porte, déjà en germe, les termes de la désastreuse querelle des Rites ? Une lecture attentive des textes hispano-philippins montrerait, en effet, les « frayles » délibérément hostiles à des concessions dans l'esprit de celles qui seront reprochées plus tard, aux disciples du Père Ricci. La première condamnation des rites chinois date de 1645. La condamnation est réitérée, tout au long d'un siècle janséniste peu enclin aux concessions, jusqu'à la catastrophe bulle Ex quo singulari de 1742 qui frappe aussi sûrement la Chrétienté chinoise que la haine de Tokuyawa Iematsu, cent dix ans plus tôt, au Japon animée par le Zen.

1. L'affaire, longtemps débattue de la natte des Chinois chrétiens du Parian dans les dernières décennies du xvi° siècle annonce l'atmosphère de la querelle des Rites. Faut-il exiger des Chinois chrétiens qui y répugnent, l'abandon de la natte ? L'avis des rigoristes finit par l'emporter. Pour des raisons qui ne sont pas d'ordre théologique, mais fiscales et politiques, Manille a vécu dans la terreur du Parian, cinq fois plus nombreux qu'elle. Faut-il rappeler la terrible révolte de 1603 (Pastells, t. III, Blaib et Robebtson, t. XII, De Morga, p. 139, e t c . ) , en liaison avec l'ambassade des trois mandarins, après les secousses provoquées par l'escadre de Limahon en 1576. La christianisation des Philippines, malgré les apparences, est plus un prolongement de la conquête spirituelle du Nouveau-Monde (protection politique et populations animistes) qu'un épisode extrême oriental.

2. Concessions et intransigeance ou, simplement, claire vision du Message chrétien et confusion : confusion entre mission chrétienne et exportation des genres de vie méditerranéens.

3. Cf. ci-dessus, pp. 559 et 560.

1. D'après Vitorino Magalhâes Godinho, L'Economie de Vempire portugais, op. cit. et pour l'interprétation de ces indices, cf. plus spécialement notre étude « Le renversement de la tendance majeure au XVIIe siècle. Problèmes de fait et de méthode », dans Studi in onore di Amintore Fanfani.

2. Nous pensons évidemment, plus spécialement, à l'Atlantique espagnol et hispano- américain, tel qu'il apparaÎt dans notre Séville et l'Atlantique (lâOi-1650), Paris, S.V.P.E.N., gr. in-8° et in-4°, 1956-1960, 12 volumes, 7353 pages.

4. Pierre Chaunu, Les Philippines et le Pacifique des Ibériques, op. cit., p. 244-251.

5. Ibid., p. 74-237.

6. V. M. Godinho, L'Economie de l'empire portugais, op. cit.

7. « Le renversement de la tendance majeure des activités et des prix au xviie siècle », article cité (Studi in onore di Amintore Fanfani).

8. Séville et l'Atlantique (1504-1650), t. VII, p. 50-51, tome VIII,( 1 , p. 702-766.

3. Cf. Frank C. Spooneb, L'Economie mondiale et les frappes monétaires'en France, 1493-1680, op. cit., p. 297, graphique n° 23. On se reportera avec beaucoup d'intérêt, également, aux séries des prix beauvaisiens de Pierre Goubert (Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730, Cartes et graphiques, Paris S.E.V.P.E.N., 1960, in-8°, 119 p. et plus particulièrement les graphiques 59 et 61, 60 et 62 (p. 77-78-79, Indices des prix du froment à Beauvais. Prix nominaux et Prix corrigés). On observe, par exemple, que sur la série des prix corrigés du froment, le point haut effleuré au printemps 1587 n'a jamais été égalé dans tout le laps de temps envisagé de 1570 à 1740.

4. C. R. Boxer, Great Ship from Amacon, op. cit., p. 41-47.

5. Les correspondances administratives. L'état de conservation des sources comptables de Manille permet, tout au plus, de parler de présomption concordante (P. Chaunu, Philippines, op. cit., p. 148).

6. Lettre de VAudiencia au Roi, le 25 juin 1586, Blair et Robertson, t. VI, p . 261- 262.

7. L'élimination des Portugais des trafics de Manille n'est ni totale, ni définitive. Nous avons, au delà de 1586, de nombreuses preuves de leur participation au trafic du galion. Des tentatives furent enfin faites en dépit de l'opposition de Goa pour maintenir une liaison (cf. lettre de VAudiencia au Roi du 26 juin 1588. Blair et Robertson, t. VI, p. 316. On signale l'arrivée d'un navire de Goa (confirmée par la Contaduria, A.G.I. Séville, Contaduria 1200. P. Chaunu, Les Philippines, op. cit., p. 149 et p. 150, n° 410). Mais cette fois-ci, comme en 1637, les réticences sont, du côté hispano-philippin, « en dépit du fait, dit VAudiencia, que les marchandises apportées par le navire et la patache de Macao sont excellentes et valables », cependant rien de mieux que ce que les Chinois apportent normalement, « ces derniers (les Chinois), à cause de l'ampleur des bénéfices réalisés au cours de ces quelques dernières années, nous amènent désormais le meilleur de ce que leur pays produit. Plus de trente navires sont venus, cette année, amenant une telle quantité de monde, qu'avec ceux déjà installés à demeure dans cette cité, il y a, en réalité, plus de dix mille « sangleyes », pour l'heure à Manille. Nous nous sommes efforcés de les recevoir aussi chaleureusement que possible, comme nous l'ordonne Votre Majesté. Une des conséquences de la mesure prise par les autorités de 1’ « India portugueza » à l'encontre de Manille aura donc été de resserrer les liens du commerce de Chine, de dissiper les craintes suscitées en 1576 par l'attaque de Limahon. En rejetant, au moment où elle se croit en force, la collaboration de Manille, Macao oblige Manille à se constituer en adversaire plus redoutable. C'est la conséquence, souvent, de rapports de force trop hâtivement et trop statiquement interprétés.

8. Deuxième mémoire cité, B.N. Madrid, Mss. 8990.

1. P. Chaunu, Les Philippines, op. cit., p. 148.

2. Bonnes sources anciennes, entre plusieurs, … la justement classique Historia de las cosas mas notables ritos y costumbres del gran Reyno de la China con un Jtinerario del Nuevo Mundo, de Juan Gonçalez de Mendoça, Madrid, in-8°, 1586, f. 116 plus 245 folios (Bon jalon de l'intérêt chinois jailli en Espagne depuis les Philippines)… VHistoria de las islas del archipiélayo Filipino y reinos de la Gran China, Tartaria, Cochinchina, Malacca, Siam, Cambodge y Japon, de P. Marcelo de Ribadeneira, 1601 (réédité par P . J u a n de Legisima, Madrid, 1947, in-8°, LXXV, 652 p.).

3. Blair et Robertson, t. VI, p . 261-262 « Votre Vice-Roi en l'Inde (le V.R. portugais de Goa) a fermé, par de sérieuses restrictions et sous la menace de lourdes pénalités, la porte aux échanges et au négoce contre l'archipel et les Portugais… en représailles de l'ouverture du trafic de Chine. »

4. L'Audiencia, cependant (Blair et Robertson, t. VI, p. 262) ne voit pas la menace sans crainte. Elle souligne dans sa lettre du 25 juin 1586 que la défection de Macao placera Manille sans défense, dans la main de l'éventuel chantage chinois. La croissance du Parian et le souvenir de Limahon (1576) constitue à peser sur le psychisme collectif des habitants de « la Insigne, muy Noble, y siempre Leal Ciudad de Manila ».

5. C. R. Boxer, Christian century, op. cit., p . 187 sq.

6. C. R. Boxer, Great Ship from Amacon, op. cit., p. 62.

1. Un très mince filet persiste entre 1600 et 1610 entre les Philippines et le Japon. P. Chaunu, Philippines, op. cit., p. 201-202.

2. La puissance hollandaise manque d'une base comparable à Macao ou, a fortiori, à Manille. D'où, sans doute, les efforts hollandais pour s'emparer de Manille, lors de la reprise des hostilités de 1621 et le traité d'alliance anglo-hollandais qui partage l'Extrême- Orient entre les deux compagnies, la hollandaise et l'anglaise, sur la base 2/3, 1 /3. Les opérations de 1621 aboutissent à la fermeture plus efficace encore du détroit de Malacca, mais le blocus de Luçon par contre est peu effectif (cf. Blair et Robertson, tome XX). D'où, surtout, les efforts hollandais pour s'emparer de Formose, à partir de 1624. La grande Île vide de la mer de Chine a été colonisée tardivement dans les dernières décennies du xvie siècle, par des paysans du Fukien. Les Hollandais s'y installent en 1624. A Manille et à Macao, dont elle gêne les communications, c'est en 1624-1625, … 1626… la grande affaire. Taïwan (Formose) tient, d'ailleurs, une place très large, entre 1625 et 1635, dans le trafic de Manille (cf. P. Chaunu, Philippines, p. 203-205).

3. La modalité agressive de la mission hispano-philippine — une mission croisée — a été supportée, au départ, dans la mesure où elle gênait l'oeuvre intelligente et efficace des jésuites luso-italiens. Les perpétuels frottements occasionnés par la longue remontée du galion le long de la côte orientale de Hondo, sur la route d'Acapulco. C'est en 1602, la douloureuse affaire de galion « Espiritu Santo » à Hondo (cf. Pablo Pastells, op. cit., t. V, p. 19 sq).

4. P. Chaunu, Les Philippines, p. 244-251.

5. Huit galeotes font, en 1619, la liaison Macao-Japon, dix galeotes, la liaison Macao-Manille (C.R. Boxer, Gréai Ship, op. cit., p. 97).

1. Dans l'état actuel du moins, d'une recherche en mouvement.

2. L'histoire de cette longue agonie est partiellement à écrire*

3. Blair et Robebtson, t. XIX, p. 216 sq.

4. C. R. Boxée, The Portuguesse in the Far-East (in Portugal and Brazil, Made by Friends of Edgar Prestage and Aubrey Fitzgerald Bell, In Piam Memoriam, Oxford, 1953), p. 229. 5. Quand il écrit à propos du commerce de Chine, le plus fructueux de tous les commerces (2e Mémoire, 1637, B.N. Madrid, Mss. 8990, f° 297/vto-298), « … si bien participa a el Portugal, es con mucho riesgo y trabajo por série forçoso passar el estrecho de Sincapora, que siempre esta ocupado de Olandeses. »

6. C. R. Boxer, Portuguese in Par East, op. cit., p. 229.

7. Fermeture du détroit de Malacca à la navigation portugaise. Le problème n'a pas toujours été vu correctement par l'historiographie traditionnelle, trop attentive aux seuls faits spectaculaires comme la prise de Malacca. On pense, par analogie, à la fermeture, de facto, de la Manche aux communications impériales espagnoles. Fernand Braudel a eu le grand mérite de bien montrer (La Méditerranée, p. 888) que les Espagnols ont perdu, en fait, en 1568-1569, la liberté de leurs communications par l'Atlantique et la Manche entre la Cantabrique et les Pays- Bas, et non pas beaucoup plus tard, comme on l'a soutenu trop souvent.

8. Pierre Chaunu, Les Philippines, op. cit., p. 202-205.

9. P. Chaunu, Les Philippines, op. cit., p. 202-205. Soit sur les indices d'activité fiscaux, moyenne annuelle sur cinq ans :

1. Les événements se répercutent, dans ce « finis mundi », avec près de deux ans de retard, en 1642.

2. Cf. notamment les solides séries de Kristof Glamann, Dutch Asiatic Trade 1660-1740, op. cit. et plus particulièrement (p. 175), celle des importations du cuivre japonais. Elle culmine une première fois en 1661-1665 et une seconde fois en 1676- 1680. Ces importations d'un métal militaire et d'un métal monétaire de troisième ordre sont à mettre en relation avec de graves difficultés de l'économie dominante européenne. Elles sont moins signe de prospérité que symbole de crise.

1. Tsing-Sing, Louis Wei Tsing-Sing, La politique missionnaire de la France en Chiite, Paris, Nouvelles Editions latines, 1960, in-8°, 654 p., p. 33.Google Scholar