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Tragique XVIIe siècle. A propos de travaux récents

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

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Dans l'introduction nourrie qui précède son édition de 162 lettres écrites par Martin de Barcos, neveu et successeur de Jean Duvergier de Hauranne à la tête de l'abbaye de Saint-Cyran, Lucien Goldmann présente les deux ouvrages qu'il vient de publier comme un effort couronné de succès, pour « réintégrer de manière intelligible les Pensées et le théâtre racinien dans le mouvement janséniste dont ils étaient visiblement issus » ; et, non sans plaisir, il constate qu'il a largement contribué, ce faisant, à expliquer ce que furent le jansénisme des années 1638 à 1668, et la lutte acharnée qui opposa, en ces temps troublés, Port-Royal et ses amis aux autorités politique et religieuse. L'un portant l'autre, Le Dieu caché s'éclaire à la lecture de cette correspondance inédite (à quelques lettres près) ; Barcos, directeur spirituel des religieuses avant et pendant sa retraite à Saint-Cyran, justifie la vision tragique de Pascal et de Racine : ces deux livres (et spécialement le premier) constituent une contribution importante et neuve à la connaissance du XVIIe siècle.

Type
Notes Critiques
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1957

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References

page 305 note 1. Lucien Goldmann, Le Dieu caché. Etude sur la vision tragique dans les Pensées de Pascal et dans le Théâtre de Racine. Paris, Gallimard, 1955. — Correspondance de Martin de Barcos, Abbé de Saint-Cyran, avec les Abbesses de Port-Royal et les principaux personnages du groupe janséniste, présentée par Lucien GOLDMANN, Paris, Presses Universitaires, 1956.

page 305 note 2. L'abondante critique dont ces deux livres ont été l'objet en serait-elle une preuve î Le Dieu caché a été très commenté, jusque dans la presse quotidienne (cf. Jean Lacroix, Le Monde, 25 sept. 1956), et ardemment réfuté par des plumes chrétiennes qui ne peuvent admettre un dépassement de Pascal et du Christianisme (Conilh, Esprit, déc. 1956, p. 863) et par les communistes : Michel CROUZET dans la Nouvelle Critique, n° 79, solidement retranché derrière le Pascal de H. Lefèbvre, reproche à Goldmann, « paramarxiste », de n'avoir pas vu « la valeur fondamentalement mystifiée de la conscience janséniste » (p. 70). De part et d'autre, l'injustice n'a pas été dédaignée (BÉGUIN, dans Esprit, ibid., p. 878 : « Un ouvrage qui n'a pas beaucoup plus que les apparences du sérieux » ; M. Crouzet : « Sociologisme vulgaire et paresseux »).

Laissons L. Goldmann, qui est un philosophe, et qui a les épaules larges, se défendre. De ces débats, un point est cependant important, celui qui sépare le marxiste Goldmann des marxistes communistes : pourquoi est-il traité de « paramarxiste » ? Essentiellement parce qu'il place au coeur du marxisme un acte de foi, un pari sur la signification immanente de l'histoire (p. 104 et suivantes), élément a-scientifique que rejettent les marxistes communistes. Ce n'est certes pas une mince querelle byzantine à la recherche d'une orthodoxie marxiste… indiquons-la donc en passant, quoique ce ne soit pas l'objet de la présente note.

page 306 note 1. Les indications de page, sans autre mention, se rapportent au Dieu caché ; lorsque nous citons la correspondance de Barcos, nous faisons précéder la référence de : Barcos, p.…. Plus loin, Borkenau sera cité de la même façon, Borkenau, p.….

page 306 note 2. Qu'une telle dogmatique soit susceptible dé prolongements indéfinis, Goldmann l'a bien senti : commençant son étude de Racine, à la page 350, il écrit : « Une telle méthode historico-sociologique peut, en dégageant tout d'abord les différentes visions du monde d'une époque, mettre en lumière les contenus des grandes oeuvres littéraires et leur signification. Ce sera, par la suite, la tâche d'une esthétique qu'on pourrait appeler sociologique de dégager la relation entre la vision du monde et l'univers d'êtres et de choses dans l'œuvre. »

page 308 note 1. Beaucoup d'expressions pourront paraître aventurées — voire [inacceptables à l'historien (professionnel ou érudit) : « La fusion de fait entre le tiers état et le pouvoir monarchique » (p. 119), « le triomphe définitif de la monarchie absolue sous Louis XIV » (p. 130), la bourgeoisie anglaise qui, au XVIIIe siècle, avait « déjà pris le pouvoir » (p. 250). Notre auteur a cependant fait un gros effort d'information historique : mais il a gardé le goût des i perspectives » qui simplifient à l'excès.

page 308 note 2. Indiquons-le tout de suite : les Pensées n'ont pas fourni à Goldmann d'arguments pour étayer sa thèse (le chapitre consacré à la vie sociale est très court, trop même) ; « le plus grand des maux est les guerres civiles… », courte allusion à la Fronde, aux va-nupieds normands. Goldmann n'interroge pas les Promnciales, qu'il dédaigne, car elles n'entrent pas dans la vision tragique, elles trahissent un moment d'espoir « intramondain »… Mais c'est peut-être les reléguer trop vite au rang d'accessoires inutiles. Goldmann répondrait d'ailleurs, non sans raison, que la valeur objective de l'oeuvre est indépendante de la conscience que l'auteur en a eu : n'ouvrons pas la discussion ; il est bien évident cependant que la nuance a son importance.

page 310 note 1. Soulignons cependant notre accord sur telle formule saisissante de la page 389 : « Pascal était un penseur trop rigoureux et trop puissant pour reprendre passivement l'idéologie de son temps et de son milieu. » Il fait donc plus, sans doute, qu'exprimer « la vision du monde d'une couche intermédiaire » (p. 818). Indiquons encore que la démonstration sur le fragment : seule forme possible de l'oeuvre tragique, n'emporte pas la convielion (p. 220) : « chercher le vrai plan des Pensées nous paraît ainsi une entreprise antipascalienne par excellence, une entreprise qui va à rencontre de la cohérence du texte et méconnaît implicitement ce qui constitue aussi bien son contenu intellectuel que l'essence de sa valeur littéraire… ». Paradoxe î Car enfin, Pascal lui-même cherchait bien un certain ordre…

page 311 note 1. L'appendice consacré à une hypothèse biographique sur Racine est un aveu d'échec : dans son petit Racine (Editions de l'Arche, « Les grands dramaturges », 1956), L. Goldmann a repris la question à partir des mêmes éléments analysés dans, le Dieu caché : sa démonstration, plus ramassée, plus convaincante par là-même, ne lève cependant pas toutes les hésitations, quelle que soit l'importance des corrélations indiquées par l'auteur : le long silence de Racine après Phèdre n'a pas fini de donner des insomnies aux historiens de notre littérature classique… Le renouveau récent des études raciniennes que traduit une abondante production devrait cependant permettre quelque progrès sur tant de questions difficiles que pose la vie du poète. Les Annales n'ont pas reçu—et le regrettent sans s'en, étonner — l'ouvrage important de Raymond PICABD, La Carrière de Jean Racine, celui de M. Grosclaude, Le Renoncement de Jean Racine, non plus que tes études de J. Orcibal. sur la Jeunesse de Racine, et la Genèse d'Esther et Athalie…

page 311 note 2. Il est bien entendu que, suivie ligne à ligne, la démonstration prêterait à. maintes disputes, des plus minces (il est imprudent, p. 351, de rapprocher cinq « dernière fois» qui n'ont pas tout à fait le même sens…) aux plus graves: ainsi comment soutenir que manquent de grandeur humaine Oreste ou Hermione, dans Andromaque (p. 380) !

page 312 note 1. Borkenau, Franz, Der Vbergang vom feudalen zum burgerlichen Weltbild. Paris, Alcan, 1934 Google Scholar (en allemand) ; le titre complet, traduit : « Le passage de la représentation féodale à la représentation bourgeoise du monde. Etudes pour l'histoire de la philosophie pendant la période de la manufacture ».

page 312 note 2. Sur ce point, voir les réserves, après une analyse riche d'assentiment, de Lucien Febvre, dans son compte rendu : « Fondations économiques, superstructure philosophique : une synthèse », Annales d'histoire économique et sociale, 1934, p. 369 et suiv. L. Febvre emploie l'expression, bien supérieure, de « Métis sociaux » pour désigner en particulier les robins.

page 312 note 3. Borkenau fait un sort à cette pensée de Pascal, que Goldmann (p. 230) cite aussi et lie longuement à quelques autres : « Cela me fait croire qu'il y a des ressorts dans notre tête qui sont tellement disposés que qui touche l'un touche aussi le contraire. »

page 312 note 4. Borkenau aime aussi les vues synthétiques, si discutables soient-elles. Il distingue par exemple trois étapes dans l'établissement de la pensée dialectique : « dans la période du capitalisme commercial, elle est réflexion sur l'ensemble de l'ordre féodal traditionnel, c'est Nicolas de Cues ; dans la période de manufactures, elle est manifeste de la libération de l'individu, avec Pascal ; dans la période du capitalisme industriel, … » (p. 526).

page 313 note 1. Ces lettres éclairent beaucoup d'autres aspects de l'influence janséniste : la direction de conscience pratiquée avec rudesse ( « je n'ay garde aussi de vouloir vous empescher de pleurer vos enfans, écrit-il à Mme du Plessis, poiirveu que vos pleurs soient chrétiennes et sans excez » [Barcos, p. 489)), la critique picturale (” les peintres italiens ne réussissent rère dans les sujets de piété ») dans les lettres à J.-B. de Champaigne, p. 403 et suiv. ; piété féminine, l'enseignement (cueillons cette belle formule [Barcos, p. 2771 : «il n'y a point de plus excellent moyen d apprendre que d'enseigner »), jusqu'à l'humour (mais est-il volontaire ?) : félicitant J.-B. de Champaigne, père après des années de mariage stérile pendant lesquelles les époux ont longtemps prié Dieu de leur accorder progéniture : Voilà les prières exaucées, écrit l'abbé : « la nature n'a que trop de part pour l'ordinaire dans la naissance des enfants » (p. 428).