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Fausse route ! Avons-nous pris la mauvaise direction dans l’évaluation de nos conducteurs vieillissants au Québec ?

Published online by Cambridge University Press:  27 June 2023

Martin Lavallière*
Affiliation:
Département des Sciences de la Santé, Université du Québec à Chicoutimi, Chicoutimi, QC, Canada
Camille Savoie
Affiliation:
Faculté des sciences infirmières, Université Laval, Québec, QC, Canada
*
Corresponding author: Martin Lavallière; Email: martin_lavalliere@uqac.ca
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Au Québec, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) est la seule instance responsable de la délivrance d’un permis ou de son retrait.* Récemment, la SAAQ annonçait qu’elle retirait l’obligation d’évaluation par un médecin ou un ophtalmologiste/optométriste pour les conducteurs âgés de 75 ans, repoussant cette première évaluation médicale obligatoire à 80 ans (SAAQ, 2021b). On invoque qu’une telle décision permettrait de délester le réseau de la santé d’une charge d’évaluation et de bureaucratie supplémentaire. De plus, il est invoqué que très peu de conducteurs se voyaient retirer leurs permis de conduire à la suite de ces évaluations à la SAAQ. Au cours des dernières années, moins de 2% des personnes âgées de 75 ans voyaient leur permis de conduire suspendu à la suite d’un examen médical ou visuel (SAAQ, 2021a). À cet effet, il est mentionné que la majorité des modifications apportées au droit de conduire portait sur le port de verres correcteurs ou la réduction des heures permises de conduite.

Type
Editorial
Copyright
© Canadian Association on Gerontology 2023

Au Québec, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) est la seule instance responsable de la délivrance d’un permis ou de son retrait.Footnote * Récemment, la SAAQ annonçait qu’elle retirait l’obligation d’évaluation par un médecin ou un ophtalmologiste/optométriste pour les conducteurs âgés de 75 ans, repoussant cette première évaluation médicale obligatoire à 80 ans (SAAQ, 2021b). On invoque qu’une telle décision permettrait de délester le réseau de la santé d’une charge d’évaluation et de bureaucratie supplémentaire. De plus, il est invoqué que très peu de conducteurs se voyaient retirer leurs permis de conduire à la suite de ces évaluations à la SAAQ. Au cours des dernières années, moins de 2% des personnes âgées de 75 ans voyaient leur permis de conduire suspendu à la suite d’un examen médical ou visuel (SAAQ, 2021a). À cet effet, il est mentionné que la majorité des modifications apportées au droit de conduire portait sur le port de verres correcteurs ou la réduction des heures permises de conduite.

La démarche actuelle demande maintenant aux conducteurs d’autodéclarer la présence de conditions médicales pouvant avoir un impact sur leur capacité à conduire sécuritairement ou pouvant entraîner une diminution de leur capacité à conduire. Or, les données démontrent que les gens rapportent majoritairement les problèmes de santé ayant des impacts mineurs sur la possession du permis de conduire (Dow, Gaudet et Turmel, Reference Dow, Gaudet and Turmel2013). Plusieurs études rapportent en effet que l’autodéclaration de l’état de santé par le conducteur est un moyen inefficace de détecter les conducteurs dont l’état de santé est associé à un risque accru d’accidents (Dow et al., Reference Dow, Gaudet and Turmel2013). Dans le même sens, les conducteurs présentent une difficulté à évaluer leur propre conduite, et ce, même lorsqu’ils sont référés pour une évaluation en centre d’évaluation (Horswill, Sullivan, Lurie-Beck et Smith, Reference Horswill, Sullivan, Lurie-Beck and Smith2013). Il relève donc de l’utopie de penser que les conducteurs âgés vont déclarer des conditions médicales susceptibles d’affecter leur capacité à conduire et de les mener à la perte de leur permis de conduire, d’autant plus s’ils souhaitent ardemment conserver leur permis.

Différentes politiques de signalement des conducteurs à risque ou inaptes existent. Au Québec et en Alberta, le signalement est discrétionnaire, c’est-à-dire que les professionnels de la santé ne sont pas dans l’obligation de faire des signalements en vertu du code de la sécurité routière. Par ailleurs, pour certains ordres professionnels, le signalement du conducteur à risque ou inapte renvoie à une obligation déontologique (Association canadienne de protection médicale, 2021). En Ontario ou dans certains états américains, il existe des modèles de déclaration obligatoire. Ces modèles imposent aux professionnels de la santé de déclarer les personnes qui présentent une diminution de leur capacité à conduite. Il a été démontré que la déclaration obligatoire n’était pas plus efficace que la déclaration discrétionnaire (Agimi, Albert, Youk, Documet et Steiner, Reference Agimi, Albert, Youk, Documet and Steiner2018), ce pourquoi nous ne suggérons pas l’implantation d’un tel modèle au Québec. Par ailleurs, il est démontré qu’un arrêt soudain de la conduite et/ou la perte du permis sans préparation préalable peuvent mener à des problèmes dépressifs, d’isolement social et de perte d’autonomie chez les aînés. Ainsi, pourquoi ne pas voir les suivis obligatoires comme une façon de planifier l’éventuelle cessation de la conduite avec les aînés et leurs proches aidants, et ce, en amont de la prise d’une telle décision (Dickerson et al., Reference Dickerson, Molnar, Bedard, Eby, Classen and Polgar2019). Nous devons aider à mettre en place une transition éventuelle des parts modales de mobilité (Lamanna, Klinger, Liu et Mirza, Reference Lamanna, Klinger, Liu and Mirza2020). En effet, les aînés qui n’ont pas la possibilité de modifier leurs habitudes de transport ou de s’ajuster préalablement à la cessation de la conduite sont ceux qui ont tendance à ne pas accepter les recommandations des professionnels de la santé (Ang, Jennifer, Chen et Lee, Reference Ang, Jennifer, Chen and Lee2019). C’est dans ces cas précis, par exemple, que des aînés conduisent sans permis de conduire (Liddle, Turpin, Carlson et McKenna, Reference Liddle, Turpin, Carlson and McKenna2008). Ce faisant, un tel changement dans l’évaluation des conducteurs âgés québécois s’avère être une occasion manquée de passer d’une approche punitive et coercitive imposée aux conducteurs âgés à une approche préventive et bienveillante (Sangrar, Mun, Griffith, Letts et Vrkljan, Reference Sangrar, Mun, Griffith, Letts and Vrkljan2021).

Plusieurs approches, ressources et démarches de formation sont reconnues comme efficaces pour améliorer ou maintenir la capacité à conduire des aînés (Castellucci, Arezes, Bravo et Lavallière, Reference Castellucci, Arezes, Bravo and Lavallière2020; Pigeon et al., Reference Pigeon, Loisel, Audet, Beaudoin, Dostie and Dumas-Morin2020; Vigeant et al., Reference Vigeant, Arseneault-Legault, Boily, Buchanan, Carosella and Levasseur2017). Cependant, pour pouvoir les offrir, il faut d’ores et déjà avoir abordé la question avec ces derniers.

Qui plus est, on ne peut passer sous silence la sous-utilisation des professionnels de la santé autres que les médecins et qui sont pourtant désignés au code de la sécurité routière comme étant compétents pour collaborer à de telles évaluations préventives auprès des conducteurs vieillissants. De ceux-ci, notons les ergothérapeutes (Canadian Association of Occupational Therapists, 2009), les neuropsychologues et les infirmières qui pourraient occuper une place beaucoup plus importante dans le processus que constitue l’évaluation et le suivi de la capacité à conduire des patients (Savoie, Lavallière, Voyer et Bouchard, Reference Savoie, Lavallière, Voyer and Bouchard2022). De plus, ces professionnels sont bien positionnés pour accompagner la transition de vie que peut représenter la perte du permis de conduire, tant pour le conducteur âgé que, parfois, pour des proches qui perdent leur « conducteur ». Il pourrait être pertinent d’explorer d’autres avenues d’identification des conducteurs âgés à risque, comme l’utilisation du test de l’horloge mis de l’avant en Ontario depuis 2014 pour les 80 ans et plus (Ministry of Transportation, 2022).

Revoir le permis de conduire comme faisant partie d’un continuum de mobilité, d’autonomie et de qualité de vie pour l’individu plutôt que comme la seule option possible de transport est, selon nous, la voie à prendre. Pour ce faire, il nous faut considérer de façon systématique la mobilité comme une variable de santé incontournable à évaluer en milieu clinique (Oxley et Whelan, Reference Oxley and Whelan2008), au même titre que la tension artérielle ou le tour de taille. Une telle avenue nécessitera la création et le déploiement de formations continues pour les professionnels de la santé (Jang et al., Reference Jang, Man-Son-Hing, Molnar, Hogan, Marshall and Auger2007; Marshall, Demmings, Woolnough, Salim et Man-Son-Hing, Reference Marshall, Demmings, Woolnough, Salim and Man-Son-Hing2012). Une telle perspective nous permettrait de voir des solutions émerger dans nos pratiques respectives afin de soutenir et guider l’aîné dans ses transports et sa mobilité et, par des transitions planifiées et assumées, vers un vieillissement réussi (Dickerson et al., Reference Dickerson, Molnar, Bédard, Eby, Berg-Weger and Choi2019).

Footnotes

* Nous désirons remercier Mme Sylvie Rey, inf., PhD(c), pour ses commentaires constructifs et sa lecture critique.

References

Références

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