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L'esthétique de Schopenhauer en Tant que ‘Conduite de Mauvaise Foi’

Published online by Cambridge University Press:  02 December 2020

Bertrand Augst*
Affiliation:
University oe California, Berkeley 4

Extract

Rarement idéal poétique a été porté plus haut que celui, “enfant d'une nuit d'Idumée,” distillé dans les poèmes de Mallarmé; du moins ceux de la derniere période par lesquels, ayant cédé “l'initiative aux mots,” le Poete d'un meme mouvement decouvre et se fond à, “la notion pure.” II y a quelques années M. Albérès remarquait, a propos des exigences morales d'une génération représentée par les héros de Bernanos, Anouilh, Malraux, Julien Green, Camus ou Sartre, que notre époque, “à la suite d'autres époquès qui ont institué une morale de l'honneur, comme le treizieme siecle, ou une morale de la pudeur comme le dix-septième siècle,” institue à, son tour “une morale de la sincérité.” C'est-à-dire une morale fondée sur “un désir éperdu” d'authenticité absolue vis-a vis de soi-même, dans le bien comme dans le mal. Puisque M. Albérès nous invite à faire d'audacieux rapprochements avec d'autres epoques, il serait interessant d'opposer à cette “obsession de la sincérité” une obsession de la génération qui précéda celle de Sartre: l'obsession de la pureté.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Modern Language Association of America, 1960

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References

1 R. M. Alberts, “Un nouveau puritanisme ou l'obsession de la sinceriti,” Le Figaro litliraire, 13 oct. 1951.

2 R. C. Collingwood, The Principles of Art (New York: Oxford Univ. Press, a Galaxy Book, 1958), p. 70.

3 A. Cassagne, La Theorie del'art pour V art en France (Paris: Hachette, 1906), p. 261.

4 II est vrai qu'il donne au terme “immoralite” un sens assez particulier. Paraphrasant Voltaire selon qui “Tous les genres sont bons, liors l'ennuyeux,” il declare a la fin du dixieme chapitre de Qu'est-ce que l'Art? que “Tous les genres sont bons hors celui qu'on ne comprend pas, ou, qui ne produit pas son effet….” Ainsi c'est l'impropriete de la poesie symboliste a “infecter” les masses qui justifie cette accusation. Comme le remarque Mr. Wimsatt, “The broad thesis suggested, though never quite stated, is that the fault of obscurity in art is a fault of immorality—and conversely that immorality is a kind of obscurity. Obscurity means obscurantism, confusion, nihilism, the invocation of chaos.” Wimsatt and Brooks, Literary Criticism, a Short History (New York: Knopf, 1957), p. 466 f.

5 “Tachant a eveiller la conscience ouvriere tandis qu'il [l'ecrivain] temoignait devant les bourgeois de leur iniquit6, ses ceuvres eussent reflete le monde entier; il eut appris a distinguer la geherosite, source originelle de l'ceuvre d'art, appel inconditionne' au lecteur, de la prodigalite, sa carica ture.” J.-P. Sartre, “Qu'est-ce que la litterature?” dans Situations II (Paris: Gallimard, 1948), p. 187. Ne croirait-on pas entendre Tolstoi?

6 Ce que M. Cassagne nommait “l'idealisation de la bo-heme,” les “filiations romantiques” ou “le neo-romantisme”; nous ecarterons aussi l'ecole dite “eclectique” de Victor Cousin et ces disciples, ainsi que le kantisme mal assimile, selon Mr. Wilcox, des theories de Gautier en particulier. “From the beginning of its introduction all essentially Kantian thought had been lost. All that Gautier or Baudelaire implied in I'art pour I'art could have come directly from eighteenth century sources. As it happened Kant was the neutralized intermediary.” John Wilcox, “The Beginnings of l'Art pour l'Art,” JAAC, ix, 4, 377.

7 Katharine E. Gilbert and Helmut Kuhn, A History of Esthetics, rev. and enlarged ed. (Bloomington: Indiana Univ. Press, 1953), p. 472.

8 Selon Th. Ribot c'est l'orientaliste Frederic Majer qui initia Schopenhauer a l‘£tude de la religion et de la philosophic de l'Inde, et fit de lui, au moins “dans la partie pratique de sa philosophie… un bouddhiste egare’ en Occident.” La Philosophie de Schopenhauer, 9e ed. (Paris: Alcan, 1903), p. 5.

9 “L'art supreme, ici, consiste a. laisser voir, par une pos session impeccable de toutes les facultes, qu'on est en extase, sans avoir montr6 comment on s'elevait vers les times.” Lettre a Henri Cazalis, 25 avril 1864, dans Propos sur la poisie, recueillis et presented par Henri Mondor (Monaco: Ed. du Rocher, 1953), p. 42. Notons en passant que son ami, Henri Cazalis, avait etudie la philosophie de Schopenhauer avant de commencer a ecrire ses poemes d'inspiration boud-dhique.

10 L'Etre et le neanl, 40e ed. (Paris: Gallimard, 1953), p. 76.

11 Jean Anouilh, Romio et Jeanette, dans Nouvelles piices noires (Paris: Table Ronde, 1946), p. 283.

12 “Die Welt ist meine Vorstellung.” Arthur Schopenhauer, Die Welt als Wille und Vorslellung (Leipzig: F. TJ. Brockhaus, 1879), B. i, 1, p. 3. Les citations de cet ouvrage ont ete traduites par nous. II serait plus exact de dire “le monde est l'idee de ma representation.”

13 Imaginer un monde sans sujet connaissant se revele futile et par definition impossible. On ne parvient qu'a imaginer le contraire de ce monde sans sujet connaissant.

14 Ribot remarque a ce propos que le mot volonte implique un acte conscient d'un etre intelligent, “tandis que pour Schopenhauer la volonte est inconsciente par essence, con-sciente par accident.” Ribot choisit le mot “force” pour traduire Wille dans son etude, p. 65. La plupart des critiques contemporains emploient de preference 1'expression “vouloir-vivre,” plus precise que le mot “force.”

15 Cite par Ribot, p. 68.

16 Mrs. Gilbert remarque que Schopenhauer fondant a. l'ex-emple de Kant sa me'taphysique sur une rigoureuse distinc tion entre le monde des noumenes et celui des phenomenes donne un sens fort different a, ce qu'il nomme le “phenomenal.” “Much against the spirit and the letter of Kant's philosophy, he understood the knowing subject in the Transcendental Logic to mean the individual subject with his equipment of human sense-organs. Thus he arrived at a phenomenalism which is nearer to Berkeley's than Kant's doctrine.” Gilbert and Kuhn, p. 464.

17 “Wir erinnern uns nun ferner, dass solche Objektivation des Willens viele, aber bestimmte Stufen hatte, auf welchen, mit gradweise steigender Deutlichkeit und Vollendung, das Wesen des Willens in die Vorstellung trat, d. h. sich als Objekt darsteUte.” DU Welt, iii, 30, p. 199.

18 Ibid., n, 26. “Wir fanden im vorigen Buche, dass die hochste Stufe der Objektivation des Willens, der Mensch, nicht ailein und abgerissen erscheinen konnte, sondern die unter ihm stehenden Stufen und diese immer wieder die tieferen voraussetzten: ebenso nun ist die Musik, welche, eben wie die Welt, den Willen unmittelbar objektivirt, erst vollkommen in der vollstandigen Harmonie.” Ibid., m, 52, p. 313.

19 Warren Ramsey, Jules Laforgue and the Ironic Inheritance (New York: Oxford Univ. Press, 1952), p. 59.

20 Biographia Literaria, ch. xiii et xiv.

21 Milton C. Nahm, The Artist as Creator (Baltimore: Johns Hopkins Univ. Press, 1956). On sait l'importance de cette notion dans la poetique d'Edgar Allan Poe et celle des poetes symbolistes. Mr. Ramsey a montr£ que cette attribution des pouvoirs divins au poete offre la meilleure explication de Un coup de d6s de Mallarme: “A View of Mallarmfe's Poetics,” Romanic Review, xxvi/3 (1954), 178–191. Pour Schelling la creation artistique est due a “l'id6e fternelle de l'homme en Dieu, qui est uni et 6troitement lie a l'ame.” Cite par Mrs. Gilbert, p. 432.

22 Le premier degré de la nature 6tant la matiere dans laquelle l'esprit impatient lutte pour parvenir a un degré de conscience. Ainsi la lumiere est le premier signe du progres de l'esprit puisqu'elle insufle toutes sortes de proprtetes a la matiere (magn6tisme, proprietes chimiques, etc.).

23 Jos6 Ortega y Gasset, La Deshumanizacidn del Arte, dans Obras Completas, iii (Madrid: Revista de Occidente, 1947), 370.

24 Gustave Flaubert, Oeuvres, ii (Paris: Gallimard, 19S2), 840.

25 “Diesem alien zufolge sind die Genitalien der eigentliche Brennpunkt des Willens und folglich der entgegen-gesetzte Pol des Gehirns, des Reprasentanten der Erkennt-niss, d. i. der andern Seite der Welt, der Welt als Vorstel-luag.” Die Welt, iv, 60, p. 390.

26 “Diese Erhebung muss mit Bewusstseyn nicht nur ge wonnen, sondern auch erhalten werden und ist daher voi einer steten Erinnerung an den Willen begleitet, doch nich an ein einzelnes, individuelles Wollen, wie Furcht ode Wunsch, sondern an das menschliche Wollen uberhaupt sofern es durch seine Objektitat, den menschhchen Leib allgemein ausgedriick ist.” Ibid., iii, 39, p. 238.

27 Ce passage n'est pas sans rappeler les Pensees de Pascal, en particulier celles sur la “Disproportion de l'homme” au chapitre des “Deux infinis,” et “Marques et grandeur de l'homme.”

28 Die Welt, iii, 38, la fin de 52, et iv, qui expose la morale de Schopenhauer et dans lequel l'homme vertueux, le saint, succede a l'artiste.

29 Loc. cit. Les termes “mauvaise foi” ou “fuite” qui ap-paremment suggerent une conduite morale referent uniquement a ce mode d'etre particulier de la conscience que Sartre nomme la “mauvaise foi.” Nous n'envisageons pas ici les prescriptions d'ordre moral que laisse entrevoir cette ontologie.

30 Du meme coup il perd cette “faiblesse sacree,” pourrait-on dire en paraphrasant Maritain; il se delivre de “that kind of imperfection through which infinity wounds the finite.” Jacques Maritain, Creative Intuition in Art and Poetry (New York: Meridian Books, publ. by Noonday Press, 1955), p. 128.

31 Ces quelques conduites de mauvaise foi ne representent que quelques variantes caract6ristiques d'un mode d'etre dont les manifestations sont multiples. Par exemple nous n'a-vons pas considere ici la conduite sur laquelle je puis faire converger “deux regards, le mien et celui d'autrui.” Le dandysme de Baudelaire si bien analyse par Sartre est une conduite de ce type ou l'etre-pour-soi se double d'un etre-pour-autrui. Notons par ailleurs que chacune de ces conduites ne s'excluent pas l'une l'autre, et qu'un meme mode d'etre peut adopter plusieurs conduites de mauvaise foi de types differents.

32 Stephane Mallarmfi, “Igitur,” Oeuvres completes (Paris: Gallimard, 1945), p. 439. Ces deux attitudes ne s'excluent ni ne se completent. Elles sont ici superpos6es.

33 Maurice Blanchot, La Part du feu (Paris: Gallimard, 1949), p. 48.

34 “Peindre, non la chose, mais l'effet qu'elle produit.” Lettre a. Henri Cazalis, oct. 1864, dans Propos sur la poesie, p. 46. Le vers parnassien oppose^ a cette nouvelle langue poetique fait ressortir la meme difference.

35 “1st die Ganze Welt als Vorstellung nur die Sichtbarkeit des Willens, so ist die Kunst die Verdeutlichung dieser Sicht barkeit, die Camera obscura, welche die Gegenstande reiner zeigt und besser ubersehen und zusammenfassen lasst, das Schauspiel im Schauspiel, die Buhne auf der Biihne im ‘Ham let’.” Die Welt, iii, 52, p. 315.

36 “Le Verbe, a travers l'Idee et le Temps qui sont ‘la negation identique a. 1'essence’ du Devenir devient le Lan-gage.” Mallarm6, “Proses diverses,” dans CEuvres completes, p. 854.

37 Allen Tate, “The Angelic Imagination,” The Man of Letters in the Modern World (New York: Meridian Books, publ. by Noonday Press, 1955), p. 125.

38 “Le Langage est le developpement du Verbe, son id6e, dans l'Etre, le Temps devenu son mode: cela a travers les phases de l'Idee et du Temps en l'Etre, c'est-a-dire selon la Vie et l'Esprit.” Mallarmg, “Proses diverses,” p. 854.

39 “Tout fut par lui / Et sans lui rien ne fut.” Jn I. 3.