J'aime l'histoire. Si je ne l'aimais pas, je ne serais pas historien. De sa vie faire deux parts ; donner l'une au métier, expédié sans amour ; réserver l'autre à la satisfaction de ses besoins profonds : voilà qui est abominable, quand le métier qu'on a choisi est un métier d'intelligence. J'aime l'histoire — et c'est pour cela que je suis heureux de venir vous parler, aujourd'hui, de ce que j'aime.

J'en suis heureux, et c'est tout naturel. Je n'aime pas beaucoup mêler les genres, et substituer la confidence à la conférence. Mais enfin, je peux bien vous dire ceci. Quand en 1899, je suis entré, comme vous, dans cette maison après mon année de service militaire (la première des sept années que les hommes de ma génération ont en moyenne données à la vie militaire) — je me suis inscrit dans la Section des Lettres. C'était une trahison : j'avais depuis ma plus tendre enfance une vocation d'historien chevillée au corps.

Les historiens n'envisagent dans l'œuvre d'art que la création de celle-ci par un homme doué de qualités spéciales, talent ou génie, qui lui permettent de réaliser des formes particulièrement agréables à l'œil. C'est bien ainsi qu'il faut considérer un édifice, une sculpture ou une peinture qui sort de l'atelier. Si une fresque vient d'être faite dans un palais ou une statue pour un amateur, la partie commerciale est réduite au minimum et il n'y a même pas réelle évaluation de prix possible puisque le talent et son appréciation sont essentiellement variables. Un tableau de Manet passe en quelques années de sommes infimes à des centaines de mille francs ; inversement un Meissonier, très coûteux du temps du peintre, est actuellement — et temporairement — déprécié.

Y aurait-il quelque chose de changé dans l'antique royaume d'Economie ? Voilà qu'un gros ouvrage en deux volumes, tout bourré de faits et de chiffres, s'attaque au problème de la Monnaie et nous fournit de son rôle dans le monde contemporain une interprétation toute neuve. Une interprétation propre d'ailleurs, à réjouir les historiens, à lever un de leurs malaises, à les libérer d'une gênante servitude. Et voici qu'un autre ouvrage moins volumineux, mais qui n'est qu'une des parties d'un ensemble bien articulé, nous convie à saluer La Naissance de la Cité Nouvelle s'édifiant sur les ruines des cités moribondes. Deux ouvrages, deux auteurs. Dont ni l'un ni l'autre ne sont inconnus aux lecteurs des Annales. Mais ce ne sont point des professeurs d'économie. Ce sont des banquiers. Des hommes pour qui l'Economie contemporaine est autre chose qu'un thème à dissertations.

Un livre en deux volumes vient de paraître aux Presses Universitaires ; il présente une originalité qu'à lui seul souligne le titre : la Monnaie et ses institutions. Ainsi, cette fois, la monnaie n'est plus séparée des organismes qui la créent, qui en règlent la circulation ; elle n'est plus un phénomène palpable et mystérieux, capable d'agir profondément sur l'homme et devant lequel pourtant l'homme serait resté impuissant ; la monnaie nous est donnée comme une création humaine qui a suggéré des théories diverses et des techniques précises dont les effets entraînent des résultats économiques ou sociaux, dont l'étude objective permet d'apprécier la valeur.

La Naissance de la Cité Nouvelle n'est pas une monographie doctrinale. Le titre seul suffirait à en avertir le lecteur. C'est une large fresque, avec des parties brossées rapidement, d'autres plus poussées, mais dont la technicité ne saurait rebuter le plus délicat des lecteurs cultivés. De par la volonté de son auteur, c'est visiblement un livre d'action. Voilà qui lève mes scrupules et m'autorise à en parler ici. Après tout, il a été écrit pour moi et mes pareils ? On ne s'étonnera point d'ailleurs que j'en parle en historien — et que d'abord (précisément parce que je suis historien) je renverse l'ordre des chapitres, tel que l'auteur l'arrête.

La dixième partie d'un livre abondant (peut-être surabondant) en divisions s'intitule le Drame de l'Entre deux Guerres. C'est là, pour l'historien, le point de départ commode de l'exposé : le point de départ chronologique.

Le mémoire sur les plans parcellaires français, que Marc Bloch a publié, en 1929, dans les Annales d'Histoire Economique et Sociale, appellerait aujourd'hui une sérieuse refonte. On se bornera, pour l'instant, à rectifier une erreur, qui semble particulièrement grave : car elle risque de dissimuler aux travailleurs l'existence de documents dont ils ont beaucoup à attendre.

A la p. 66 du mémoire cité, se lit l'affirmation suivante : « Les tentatives de cadastre fiscal esquissées, à plusieurs reprises, par l'Ancien Régime, ne semblent pas avoir comporté l'établissement de plans topographiques. » Or, cela est faux. L'Ancien Régime a eu, bel et bien, ses plans fiscaux, et dé plus d'une sorte.

Nous ouvrons avec un réel plaisir cette nouvelle rubrique, grâce à l'apparition dans le Sud-Est de la France d'une collection intitulée Les livrets d'études locales. Deux premiers fascicules ont paru : I. Le manuel des études dromoises (avec trois cartes) par J. de Font-Réaulx ; II. Le manuel des études vivaroises (avec deux cartes), par Elie Reynier. D'autres sont annoncés. « La faveur nouvelle qu'obtiennent les études locales, écrit le premier auteur, impose à l'un de ceux qui les représentent le plaisir de fournir un guide pour indiquer en un court livret… les ouvrages où se renseigner, les travaux à poursuivre et quelques sujets d'études. » Chaque livret présente un certain nombre de parties, correspondant aux diverses disciplines historiques et chacune donne, après des aperçus généraux, l'état actuel des recherches, avec les carences possibles et les indications bibliographiques utiles : l'exposé, on doit insister sur ce point, offre un intérêt à la fois historique et bibliographique.

La Géographie Universelle — cette grande entreprise dont les plans furent tracés par Vidal de la Blache aux temps héroïques de la géographie (c'était avant la guerre de 1914…) — est depuis longtemps à peu près terminée. Vingt volumes promènent à travers les cinq parties du monde un lecteur, parfois un peu impatienté de ne plus trouver dans ces gros livres ce qu'il y cherche, depuis qu'une fée mauvaise s'est avisée de changer le monde, de fond en comble, au cours des seize années qui se sont écoulées entre 1927, date de publication du premier tome paru, et 1943, date de publication du dernier. Mais enfin, il ne reste plus à parcourir que la France. Et celle-ci fournira la matière d'un tome, nous dit-on : un tome en trois gros volumes distincts.

En tête de sa thèse de doctorat sur la Sardaigne, M. Maurice Le Lannou rappelle qu'il avait naguère été orienté vers cette étude par Jules Sion. « Vous ne risquerez pas de vous ennuyer », lui disait cet admirable connaisseur du monde méditerranéen. Il serait difficile, en effet, d'imaginer, pour un jeune géographe, un sujet de recherches plus attrayant. Une île, mais, par tradition sociale plus encore que par la disposition naturelle de ses côtes, presque fermée à la mer, au point que, de nos jours, moins de 2 % de ses habitants sont inscrits maritimes ; une terre qui par son site et son climat éminemment méditerranéenne, demeure pourtant à peu près étrangère à cette vie urbaine dont, trop indissolublement peut-être, nous sommes habitués à associer l'image au nom même de Méditerranée ; un vieux pays de champs, de vergers et de pâtures, perpétuellement traversé par les conflits du paysan et du berger ; tout au long de son histoire, enfin; une des contrées de l'Europe dont le développement mérite le mieux d'être qualifié d'autochtone, puisque les dominations extérieures qui, depuis Carthage jusqu'aux Aragonais, s'y sont succédées en grand nombre, ne l'ont jamais véritablement pénétrée, que l'occupation romaine elle-même y fut toujours sans profondeur, que les invasions germaniques l'ont à peine effleurée : autant de traits originaux, parfois, en apparence du moins, presque paradoxaux, qui, d'avance, piquaient la curiosité et promettaient une belle moisson d'observations sans banalité, Ajoutez que la Sardaigne reste encore mal connue et sous son administration actuelle, ne se laisse pas volontiers connaître.

Un géographe, M. René Clozier a, en 1941, soutenu en Sorbonne une thèse intitulée La gare du Nord. Je sais maints doctes personnages qui ont été fort étonnés, et quelque peu choqués, d'une telle audace. En la solennelle salle des thèses, traiter d'un sujet si léger, si futile : la chose est presque inconcevable. Ces géographes d'aujourd'hui, en vérité, ne doutant de rien !

Ouvrez le livre de M. Clozier : vous ne serez pas tenté de le ranger dans la catégorie des ouvrages frivoles. Et même, après l'avoir lu, vous vous étonnerez peut-être qu'il ait fallu attendre 1941 pour que soit publiée l'étude d'une grande gare française. Chaque port maritime a ses monographies, bonnes ou médiocres. Le fonctionnement des ports, leurs aménagements, leur trafic ont tenté historiens, géographes, économistes. En quoi l'étude d'une gare serait-elle indigne d'eux ? Pourquoi serait-elle moins riche en enseignements ? Il n'est, pour se rendre compte de son intérêt, que de lire l'excellent livre de M. Clozier.

Sur le gros problème de la confrérie, tout un lot d'ouvrages a paru, qui jettent qvelque clarté sur tant d'obscurités. Ils méritent d'être examinés ici.

En premier lieu, voici deux articles généraux sur les confréries. Le mémoire de M. G. Le Bras sur Les confréries chrétiennes : Problèmes et propositions étudie successivement l'évolution historique, la constitution juridique et les contacts sociaux de ces organismes. L'Eglise est « née dans un pullulement de confréries [les collegia romains] : c'était une fraternité surnaturelle et elle apparaît, se présente comme une fédération de confrèries, d'associations, où s'épanouit la religion du Christ ». Les confréries ne purent donc que se développer dans l'Empire : « Le principe fondamental en était la spiritualité mutualiste. » Dès l'époque carolingienne, il y a des confréries de tout ordre avec « la double pente du sacré au profane, du profane au sacré ».