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L’évergétisme et ses modèles dans les cités grecques d’époque romaine

Éléments socio-historiques d’une approche critique

Published online by Cambridge University Press:  18 December 2025

Anne-Valérie Pont*
Affiliation:
Sorbonne Université Laboratoire Orient & Méditerranée (UMR 8167) anne-valerie.pont-boulay@sorbonne-universite.fr
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Abstract

L’évergétisme civique, c’est-à-dire les dépenses sur fonds privés en faveur d’une communauté politique ou de groupes en son sein, fut consacré comme un objet d’histoire par Paul Veyne en 1976 dans Le pain et le cirque. Dans le chapitre 2 de cet ouvrage, ce comportement est défini comme un élément du style de vie des notables dans les cités grecques. Plus récemment, une théorie transactionnelle des bienfaits dans les mondes civiques grecs a mis l’accent sur la capacité du peuple à exiger ces compensations de la part des élites pour légitimer leur pouvoir et leur richesse. Toutefois, bien des sources et des travaux présentent des dissonances avec ces modèles historiographiques autour d’un terme dont le caractère anachronique et euphémistique embarrasse la lecture des phénomènes. En nous attachant aux cités grecques d’époque romaine, nous interrogeons les ambiguïtés des discours publics célébrant les bienfaits des élites à l’aune des pratiques réelles et de leur perception par les différentes parties prenantes des corps civiques. L’analyse des dépenses élitaires publiques vient ainsi réfuter un modèle rationnel légitimant et revisite la configuration de pouvoir local décelée par P. Veyne. Au-delà du face-à-face discursif et politique entre le peuple et les gouvernants des cités, cet article invite ainsi à prendre la mesure des dynamiques politiques, financières et sociales en faveur de sous-groupes notabiliaires dans les cités.

Civic euergetism, that is, the expenditure of private funds on behalf of a political community or groups within it, was established as an object of historical study by Paul Veyne in his 1976 monograph Le pain et le cirque (Bread and Circuses). In its second chapter, this behavior is defined as part of the lifestyle of notables in Greek cities. More recently, a transactional theory of benefaction in Greek civic worlds has emphasized the people’s ability to demand such compensation from the elites in order to legitimize their power and wealth. However, many sources and studies reveal dissonances with historiographical models that revolve around a term whose anachronistic and euphemistic character complicates interpretation of these phenomena. Focusing on Greek cities under Roman rule, this article examines the ambiguities of public discourse celebrating the benefactions of elites, reconsidering them in light of actual practices and their perception by the various stakeholders of civic bodies. The analysis of elite public expenditure challenges a rational model based on legitimation and reconsiders the configuration of local power identified by Veyne. Beyond the political and discursive interaction between the people and the rulers of the cities, this article seeks to highlight the political, financial, and social dynamics that benefited certain subgroups of notables within civic communities.

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Type
Évergétisme et capital social
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© The Author(s), 2025. Published by Cambridge University Press on behalf of Les Éditions de l’EHESS

À Aphrodisias, cité grecque de Carie dans l’ouest de l’Asie Mineure, au cours du premier tiers du iiie siècle de n. è., un certain Marcus Aurelius Hermēs décida de créer une loterie annuelle, consistant dans le tirage au sort de lots d’argent par des individus au sein d’un groupe préalablement désigné. Les lots seraient financés par les revenus d’une fondation, dont le capital représentait une véritable petite fortune de 80 000 deniers, ce qui était susceptible d’en rapporter chaque année plus de 6 400. Pour illustrer ce don, Marcus Aurelius Hermēs fit élever une statue du Peuple de sa cité. Il rendait ainsi hommage au corps civique qui, chaque année, élisait les magistrats locaux et se réunissait régulièrement pour délibérerFootnote 1. Cet épisode, connu par l’inscription gravée sur la base de la statue du Peuple et commémorant tout à la fois le don de la statue et la fondation pour la loterie, est un bel exemple de ce que l’on appelle l’« évergétisme », un phénomène qui peut être décrit succinctement comme une dépense privée destinée à une collectivité, définie sur des critères politiques ou juridiques (les citoyens, la cité, un groupe au sein de la cité), et sans prendre en compte un besoin économique constaté. Depuis la création de ce néologisme dans l’historiographie française du xxe siècle, le terme a été adopté en anglais, en allemand et dans les langues latines, concurremment avec le terme de « bienfaits », bâti sur une racine latine.

L’inscription de Marcus Aurelius Hermēs fait aussi connaître des ambiguïtés propres à cette pratique, rendues visibles dès lors que l’on prête attention aux réalités sociales et matérielles. La dernière ligne de l’inscription indique en effet les bénéficiaires de cette loterie d’argent annuelle, destinée à être perpétuelle : il s’agissait des membres du Conseil (Boulē) de la cité, recrutés sur des critères de mode de vie et de fortune. Cet organe de gouvernement oligarchique tenait lieu – dans la relation avec les autorités impériales et provinciales – de sénat, comparable à celui des cités de statut romain. Un notable fortuné faisait ainsi un don à un groupe privilégié. Bien que ces « bouleutes » aient disposé d’un patrimoine et de revenus plus importants que ceux de leurs concitoyens (à l’exception d’éventuels affranchis ou de marchands, dont la naissance ou la nature des affaires pouvaient tenir à l’écart du recrutement dans le Conseil), des inégalités de richesse importantes existaient dans ce groupe. Pour les membres les moins fortunés du Conseil, cette allocation d’argent permettait d’améliorer le quotidien. On observe ainsi la distribution de gratifications financières en faveur d’élites de niveaux économiques divers, sous l’apparence d’un service rendu à la communauté civique tout entière et médiatisé dans l’espace public par la dédicace de la statue du Peuple. Cette circulation des services au sein de sous-groupes élitaires renforçait l’identité publique de ces derniers, tout autant que leur accès à des ressources, matérielles ou économiques.

Dans le corpus épigraphique aphrodisien, la conservation d’une douzaine d’attestations de loteries démontre que le Conseil de la cité gérait, au début du iiie siècle, un capital considérable affecté à ce seul usage. En revanche, les loteries à destination du peuple (ou d’une partie des citoyens de la cité) demeuraient rares : parmi les fondations pour des loteries à Aphrodisias, seules deux sont connues pour avoir été destinées au peuple ; à Éphèse, grande cité et capitale de la province d’Asie, la seule attestation certaine, et modeste, provient de la fondation de Caius Vibius Salutaris sous Trajan, qui ne fut finalement pas mise en œuvreFootnote 2.

Ces gratifications d’argent pour des sous-groupes élitaires constituent un point d’entrée pour une réflexion critique sur le concept d’« évergétisme », notion désormais institutionnalisée en histoire ancienne, devenue centrale pour l’interprétation des phénomènes politiques d’époque romaine, à Rome même – ce dont il ne sera pas question ici – et dans les cités de l’empire, notamment les cités grecques, qui vont nous occuper. Dans un premier temps, nous parcourrons l’historiographie de l’évergétisme. Elle fut marquée par deux grands moments successifs, le modèle du donateur spectaculaire forgé par Paul Veyne et le modèle transactionnel ou fonctionnaliste dans lequel l’évergétisme apparaît comme un élément indispensable pour fonder la légitimité reconnue par les gouvernés aux élites de pouvoir dans les cités. En cheminant, l’apport important de deux axes d’étude élaborés en dehors de ces modèles sera également évoqué : l’encadrement des dons par la pratique administrative et normative romaine, et les ambiguïtés de la relation entre le titre d’« évergète » et la pratique effective des dons.

Ce continent historiographique sur l’évergétisme conserve néanmoins des régions moins explorées. Dans un second temps, je proposerai donc une série de sondages documentaires pour montrer qu’en simplifiant le détail des mécanismes politiques et financiers de la vie collective locale, la sémantique élogieuse propre au terme « évergétisme » – provenant notamment des inscriptions publiques honorifiques et intégrée par ce vocable au cœur des modèles eux-mêmes – échoue à restituer d’autres dimensions des sources et tend à produire des lectures euphémistiques sur l’exercice du pouvoir local, l’expression d’une légitimité des gouvernants et la prise en considération des attentes populaires. La notion d’évergétisme se révèle fragmentée en un spectre varié de conduites publiques des élitesFootnote 3, toutes intégrées dans un discours public d’éloge. Cette énonciation des valeurs collectives dans le discours public, prononcé par les orateurs ou gravé sous forme d’inscriptions honorifiques, produisait un effet cohésif dans les sociétés civiques. Toutefois, une approche sensible aux stratégies personnelles des élites, à la perception populaire de leurs gestes, aux différentes formes de vie civique au cours des siècles du Haut-Empire, au référentiel réel des discours permet de déceler une configuration de pouvoir autour de ce qu’il est plus neutre d’appeler les « dépenses élitaires publiques ». Cette configuration s’avère moins insolite, d’un point de vue historique, que le récit veynien ne le proposait avec force. Elle se situe également à rebours des interprétations fonctionnalistes de ces dépenses. L’approche granulaire dessinée ici, empruntant à la sociologie du pouvoir pour éclairer des cas d’étude dont on s’attachera à estimer le caractère représentatif au regard de l’état des sources, vise in fine à questionner les lignes de compréhension des relations entre peuple et notables, et à déceler l’importance des relations intra-élitaires dans les dynamiques sociales et politiques civiques.

De la flamboyance à la transaction : biographie d’un concept historique

L’émergence de la notion d’évergétisme dans l’historiographie fut d’emblée grevée du poids de l’anachronisme, de l’appréciation morale et d’une acception englobante liée par P. Veyne à la nécessité d’écrire une « intrigue » historiqueFootnote 4. Après P. Veyne, la notion a été étudiée de manière cloisonnée entre les parties occidentales et orientales de l’empire, l’évergétisme grec bénéficiant d’un intense intérêt sur une longue durée allant de l’époque archaïque à l’époque byzantine et expliquant les pratiques par un modèle transactionnel qui porterait l’empreinte d’un héritage démocratique des cités grecques. Dans l’analyse des dons au sein des sociétés civiques impériales, deux autres arrêts historiographiques s’imposent : tout d’abord, auprès de l’étude des sources juridiques romaines par François Jacques appliquée au cas d’espèce des cités africaines, qui trace une voie nécessaire pour la compréhension des sociétés civiques du Haut-Empire, qu’elles soient orientales ou occidentales ; ensuite, auprès de l’approche quantitative proposée par Anna Heller sur les titres portés par les élites locales dans ce laps de temps.

Un néologisme en histoire, de Gaston Deschamps à Paul Veyne

À la fin du xixe siècle, le terme « évergète » était familier aux historiens de l’Antiquité comme surnom de rois hellénistiques. Le premier usage de ce terme auprès d’un public élargi se trouve sous la plume de l’antiquisant Gaston Deschamps (1861-1931). Après un séjour en Grèce, il publia La Grèce d’aujourd’hui, ouvrage primé par l’Académie françaiseFootnote 5. Décrivant le mauvais état des finances du pays, il observait :

Pourtant, les voyageurs constatent, lorsqu’ils arrivent à Athènes, que l’on bâtit, de toutes parts, des monuments publics. Qui paye les architectes, les entrepreneurs et les maçons ? Le gouvernement en est bien empêché. Mais il y a en Grèce des bailleurs de fonds, que les autres pays ne connaissent pas assez, et dont la générosité est inépuisable : les bienfaiteurs publics, les évergètes Footnote 6.

L’auteur donnait alors l’exemple des cousins Záppas : ayant fait fortune en Roumanie, l’aîné avait financé des fondations scolaires pour éduquer des jeunes femmes patriotes ou pour inculquer aux jeunes hommes le goût de l’agricultureFootnote 7. Ces cousins, rapporte complaisamment G. Deschamps par le moyen d’un dialogue apocryphe, ne s’étaient pas mariés, expliquant ce choix par la volonté que toute leur fortune soit donnée « d’avance à la Nation ». G. Deschamps concluait : « Un pays où il y a de tels sentiments et de tels hommes ne doit pas s’affliger outre mesure, si les impôts rendent peu et si le trésor est souvent épuisé »Footnote 8.

G. Deschamps établit la notion d’évergète dans une configuration morale et sociale précise, comme une compensation à l’absence de rentrée fiscale, un acte de patriotisme et, d’emblée, un comportement qui ne peut qu’emporter l’éloge de celui qui le rapporte. Ce concept est également, par définition même, anachronique : comme le rappelle Anastassios Anastassiadis, il procède d’une démarche commune à l’époque de G. Deschamps de vouloir « transcender les clivages chronologiques », en rapprochant Grèce ancienne et moderneFootnote 9. Il procède aussi par glissement : évergète, en grec, veut dire bienfaiteur ; mais immédiatement, ce bienfait est précisément fléché comme un don. Le jugement moral, l’anachronisme et le glissement de sens (un « bienfaiteur », dans le monde grec, comme nous le verrons, est rarement attesté comme donateur) sont assurément de bien mauvaises fées penchées sur le berceau d’une notion historiographique, quoique ce point soit pleinement assumé par P. Veyne, qui compare cet anachronisme à celui de la notion de « religion » : « […] si le mot manque, la chose n’en est pas moins un champ d’étude vaste et bien défini »Footnote 10. L’analyse historique livrée par A. Anastassiadis permet de déceler différentes situations sociales et stratégies des donateurs à partir du xviiie siècle et éclaircit une « technologie de gouvernement » dont, au début du xxe siècle, les contemporains estimèrent qu’elle devait être remplacée par l’action publique de l’État grec et le paiement des impôtsFootnote 11.

À la même époque, alors que l’étude des institutions des cités antiques possédait déjà une longue histoire, les multiples utilisations du titre d’évergète dans les sources grecques, au-delà d’un surnom royal, venaient d’être définies. Le terme Euergetēs figure dans le volume VI, 1 de la Realencyclopädie paru en 1907 : sa première acception renvoie à l’épiclèse qualifiant la relation secourable d’une divinité avec les hommes. Le second emploi donne lieu à un long article qui, partant des sources, retrace la chronologie de l’utilisation du terme euergetēs, d’abord réservé à des étrangers à la citéFootnote 12. Puis, à l’époque romaine, relève J. Oehler, ce vocable fut fréquemment associé à d’autres titres, tels que sauveur ou fondateur, octroyés par les communautés civiques à certains de leurs concitoyens, à des administrateurs romains ou à l’empereur. Cette approche philologique, qui n’associe pas comme une évidence le titre et le don, demeure la base de la compréhension des phénomènes historiques.

L’utilisation métaphorique et anachronique de la notion, à la Gaston Deschamps, émerge quant à elle chez les historiens de l’Antiquité en 1923, quand André Boulanger, pour décrire la vie dans les cités du iie siècle, forge le néologisme « évergétisme »Footnote 13, qu’il met entre guillemets et associe aux libéralités. Henri-Irénée Marrou, comme le signale P. Veyne, utilisa ce vocable dans son Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (1948) pour désigner les fondations scolaires de l’époque grecque et pour qualifier, à l’époque romaine, « l’évergétisme, ostentatoire et intéressé » de Pline le Jeune payant le tiers des dépenses nécessaires au recrutement et à l’établissement de professeurs à Côme pour la formation des jeunes gensFootnote 14. Puis, l’immense succès du mot « évergétisme » advint lorsqu’en 1976, P. Veyne publia Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, après avoir déjà introduit la notion dans un article des Annales en 1969, réfutant en premier lieu l’anthropologie du contre-don, et dans Comment on écrit l’histoire en 1971Footnote 15. Après avoir énoncé que l’évergétisme n’est « ni redistribution, ni ostentation, ni dépolitisation », P. Veyne envisage les différents contextes de dons d’un particulier « envers le public » dans l’AntiquitéFootnote 16. Dans un livre fourmillant où parfois sont avancées des formules contradictoiresFootnote 17, l’évergétisme est expliqué, avant tout, par une volonté de distanciation sociale des notables, étrangère à toute stratégie de défense des privilèges matériels. Le patriotisme local validait cette formulation communale de la distanciation sociale en désignant un lieu de déploiement des « bienfaits »Footnote 18. Cette manière de faire procédait, d’après P. Veyne, d’une éducation : seul le notable pouvait se mettre en avant sans susciter de jalousie ; il savait donner et il était, par son éducation et son style de vie, porté à le faire, sans que cette attitude ait d’autre fin en soiFootnote 19. Pour qualifier d’un point de vue sociologique le milieu concerné par cette pratique, P. Veyne insère son analyse du chapitre 2 dans la typologie wébérienne de « l’administration des notables », sur laquelle nous reviendrons.

De la sorte, l’attente populaire ne pèserait pas sur des donateurs dont l’attitude se situerait pour l’essentiel en dehors de la logique politiqueFootnote 20. Cette expression d’une position sociale différait également de la recherche d’une légitimité et ne répondait pas davantage à une demande de légitimation du pouvoir des notables par le peuple des cités :

Le régime hellénistique des notables durait, non pas grâce à la redistribution évergétique, mais parce que, devant l’inégalité économique, la foule des plébéiens dispersés et eux-mêmes inégaux entre eux était aussi incapable de se coaliser qu’une foule de paysans inorganisés et inégalement menacés n’est capable de sortir de sa passivité séculaire devant les débordements d’un fleuve : elle renonce à disputer le terrain au fléau – et même, détail révélateur, elle se cantonne un peu en deçà de la limite des cruesFootnote 21.

P. Veyne, pour mieux le différencier, compare l’évergétisme à d’autres pratiques de don dans différents contextes, en brossant un tableau anthropologique de ces pratiques qui vont jusqu’au « gaspillage », s’éloignant des conclusions de l’Essai sur le don de Marcel Mauss paru en 1925 : « Il n’est pas vrai, écrit P. Veyne, que le don appelle de lui-même un contre-don : les hommes acceptent sans la moindre gêne qu’on leur rende des services qu’on a envie de leur rendre ; ils se laissent nourrir, protéger et gouverner gratuitementFootnote 22. » Enfin, P. Veyne inscrit l’évergétisme dans une matrice compétitive – ce qui était déjà un lieu commun dans l’étude des inscriptions de l’époque impériale, par exemple sous la plume de Louis Robert. L’esprit agonistique, compétitif, des donateurs constitue en effet un thème majeur tant des inscriptions honorifiques que de la rhétorique de l’éloge des sophistes de l’âge d’or de l’époque antonineFootnote 23. P. Veyne liait ainsi les libéralités « au goût de rivaliser » et au « patriotisme », parmi les « mobiles les plus différents » à leur origineFootnote 24.

Dès sa parution, tout en saluant l’apport du livre de P. Veyne, deux historiens et une historienne en pointèrent les problèmes méthodologiquesFootnote 25. Leur critique permet encore aujourd’hui de commencer l’enquête sur les limites de la cohérence de la notion, pourtant proclamée par P. VeyneFootnote 26, ainsi que sur les problèmes d’interprétation posés par le modèle articulé dans l’historiographie plus récente de la centralité du « don » à la collectivité pour expliquer le fonctionnement politique des cités à l’époque romaine. Jean Andreau, Pauline Schmitt et Alain Schnapp relèvent que les dons, désignés par les Grecs et les Romains dans un vocabulaire varié de la munificence, concernaient bien souvent des sous-groupes plutôt que la citéFootnote 27. Ils observent également qu’après avoir amplement insisté, dans le chapitre 2 sur les cités grecques, sur le caractère étranger des dons à toute logique politique de légitimation, P. Veyne écrit : « L’évergétisme est la clé de cette oligarchie : seul gouvernera celui qui est assez riche pour payer. L’obligation de faire largesse joue le rôle de barrière et permet aux notables de se réserver le privilège de gouvernerFootnote 28. » Les deux pages finales du chapitre consacré à l’évergétisme grec (incluant l’époque impériale) s’intitulent ainsi « Le pacte historique », dont la phrase liminaire résume le propos :

Ainsi le camp de ceux qui donnent se fait-il un devoir et un plaisir de donner et le peuple s’accommode du régime des notables en se faisant un droit acquis de leurs bienfaits ; il serait trop long de montrer que les autorités impériales elles-mêmes, dans l’intérêt de l’ordre public, n’hésitent pas à l’occasion à rappeler les notables à leur devoir et à leur faire obligation légale d’être évergètesFootnote 29.

Eu égard au développement ultérieur du modèle transactionnel qui se pose en rupture avec l’analyse de P. Veyne, il est piquant de constater que celui-ci qualifie d’« idée reçue » possédant une part de vérité l’acception commune selon laquelle « l’évergétisme assurait l’équilibre politique ou social ». « [I]l a fini par y avoir un contrat implicite entre les notables et la plèbe », poursuit-il. Ce contrat évergétique est un contrat purement « local », historique, qui permet à la « paix sociale » « de ne pas se rompre »Footnote 30.

Pratique sociale locale et production juridique romaine

P. Veyne, dans son ouvrage, centrait son propos sur l’époque romaine (chap. 3 et 4), car sa préoccupation portait essentiellement sur l’oligarchie sénatoriale romaine et le pouvoir impérial, en ne traitant que des « notables » des cités grecques d’époque hellénistique et romaineFootnote 31 (mais en faisant davantage référence à l’Occident romain qu’il ne l’admettait dans l’introduction). La réception du livre à long terme montre que ce sont sans doute les spécialistes des cités des alentours du bassin égéen et de l’Asie Mineure à toutes époques qui l’ont plus particulièrement discuté. Dans l’immédiat, l’historien et épigraphiste Philippe Gauthier, à travers son étude des honneurs décernés aux bienfaiteurs dans les cités grecques à l’époque hellénistique, témoignait toutefois peu d’intérêt pour la projection d’une « explication globale » des relations entre citoyens et notablesFootnote 32. Concernant le Haut-Empire, on doit à François Jacques, spécialiste de l’Afrique romaine, d’avoir relevé avec le plus d’acuité le défi de discuter les enjeux de l’évergétisme sur le plan de la production normative impériale et jurisprudentielleFootnote 33. Réagissant notamment à l’idée veynienne éloquemment articulée d’une obligation, indifféremment légale et morale, d’être évergète, F. Jacques démontre qu’au contraire, il importe de différencier l’effet des lois et celui des valeurs ; que selon la loi romaine, en contexte électoral dans les cités, il était obligatoire non de promettre mais de tenir sa promesse. Il distingue soigneusement l’évergétisme ob honorem, en vue de l’obtention d’une magistrature, des dons en dehors de ce contexte – notamment l’évergétisme testamentaire – et désignés comme « évergétisme libre », mais aussi de l’accomplissement de liturgies et du versement de sommes obligatoires, tarifées cité par cité d’après les sources de cités africaines et italiennes, à l’occasion de l’entrée en fonction d’un candidat élu (summa honoraria ou legitima)Footnote 34.

Un apport essentiel du livre de F. Jacques, et pourtant assez négligé, repose ainsi dans le recensement et l’interprétation des dispositions légales relatives aux contributions volontaires des élites dans leurs cités. L’historien ne prétendait pas tirer des leçons valables pour tout l’empire et n’utilisait par exemple les lettres de Pline le Jeune au cours de son gouvernement de la province de Pont-Bithynie qu’avec la plus grande prudence pour l’étude de la région qui l’occupaitFootnote 35. Toutefois, le cadre juridique romain et sa mise en œuvre par les administrateurs pour régler, au cas par cas, des problèmes soulevés dans la vie politique et institutionnelle des cités jouaient partout dans l’empire, en fonction d’une pensée juridique qui prenait aussi en compte les particularités civiques. En ce sens, la documentation épigraphique ne permet de repérer qu’exceptionnellement dans les cités du bassin égéen des tarifs établis semblables à ceux des summae honorariae dans les cités africaines et d’ItalieFootnote 36, et encore moins le versement de pénalités infligées par les autorités provinciales pour non-respect de promesses électorales. La commémoration de dons se voyait ainsi moins associée à l’accession à des magistratures dans les cités des alentours du bassin égéenFootnote 37. En sens inverse, on observe l’application de règles similaires sur d’autres points, par exemple dans la protection accordée par les empereurs, au début du iiie siècle, aux donations testamentaires contre les appétits financiers immédiats des cités : une somme pour une distribution à un jour anniversaire, un don pour des concours à Sardes en Asie ne devaient pas être dépensés entièrement en une fois mais constituaient bien des capitaux dont les revenus devaient être utilisés, à long terme, dans le cadre de fondationsFootnote 38. La première constitution apparaît dans l’étude de F. Jacques, tandis que la seconde concerne explicitement une cité orientale : pourtant, l’inspiration est la même – non pas contraindre les notables aux dons mais protéger les intentions des donateurs – et fait aussi sentir la force de la loi impériale dans la vie locale, dans ce qui apparaît comme une réflexion, menée sur le long terme, sur les intérêts respectifs des élites locales et des communautés, que les cités concernées aient un statut pérégrin (par lequel les cités conservent leurs propres lois) ou soient dotées par Rome d’une constitution municipale ou coloniale.

C’est donc finalement avant tout en termes d’héritages que l’évergétisme a été étudié pour les provinces romaines autour du bassin égéen. Dans les années 1980 et 1990, comme l’indique Cédric Brélaz, l’évergétisme est perçu comme un « mal nécessaire » dans des sociétés civiques qui auraient été dotées, à partir de la fin de l’époque hellénistique, de faibles moyens financiersFootnote 39, un point de vue qui avait été adopté par P. Veyne. Si le caractère économique archaïque prêté par ce dernier aux cités antiques faisait déjà l’objet de réserves dans la note critique de 1978 de J. Andreau, P. Schmitt et A. SchnappFootnote 40, il faut attendre les années 1990 et 2000 pour que progresse de façon décisive la connaissance des budgets des cités grecquesFootnote 41. Celles-ci disposaient de solides institutions pour assurer les droits de propriété, le fonctionnement des marchés locaux ou encore pour recouvrer les impôts dus à l’État romain et prélever des taxes à leur propre usage. Par ailleurs, en dépit des difficultés posées par les sources, des techniques différentes employées pour évaluer la contribution des bienfaiteurs à la vie collective conduisent à estimer aujourd’hui que les cités disposaient, dans l’Empire romain, de ressources qui n’étaient pas négligeables pour financer elles-mêmes leurs activitésFootnote 42. Si, avec la provincialisation, les revenus de l’imposition foncière furent désormais destinés au trésor de l’État romain, un pan important des dépenses civiques avait également disparu, avec la paix romaine : les cités n’avaient plus besoin de former et équiper des citoyens-soldats, de payer des mercenaires ou d’entretenir des muraillesFootnote 43.

Durant le Haut-Empire, la structure des revenus publics des cités a, en l’état actuel des connaissances, peu différé entre Orient et Occident, en dépit de traditions parfois dissemblables en matière de finances publiques, par exemple vis-à-vis de l’emprunt public qui constituait un usage habituel des cités grecques, désormais étroitement encadré par l’administration romaineFootnote 44. En Orient comme en Occident, le recours à des tâches obligatoires exécutées par les citoyens et résidents de la cité, appelées liturgies (en français, d’après un mot grec) ou munera (en latin, notamment dans les documents normatifs), réparties au sein de la population locale en fonction de plusieurs critères dont leur niveau patrimonial, constituait une forme fondamentale de contributions à la vie collective – associées par P. Veyne et d’autres à ce qu’il appelle l’évergétisme pour la frange la plus fortunée des habitants d’une citéFootnote 45. Mais ici aussi, après des productions historiographiques des années 1990 associant Orient et Occident, les chemins dans l’étude des aires provinciales se sont largement séparésFootnote 46. Ainsi, tout en tenant compte des héritages, il peut être fructueux aujourd’hui d’analyser les dons des élites dans les cités comme une pratique provinciale, insérée dans une structure normative et administrative impériale. L’observation des variations régionales permet de mieux comprendre le système impérial comme des traits précis de la pratique de la part d’élites locales entraînées dans des stratégies et des objectifs sociaux et politiques de plus en plus convergents.

Le modèle transactionnel de l’évergétisme grec

Dans le même temps, de nouvelles approches théoriques de l’évergétisme ont été développées, marquées, comme celle de P. Veyne, par l’anthropologie du don. Mais, à la différence de l’interprétation de P. Veyne, pour qui « le don est sans doute souvent plus une modalité d’expression de rapports de pouvoir qu’un ‘moyen’ de les produireFootnote 47 », ces travaux placent les échanges autour du don et des dynamiques de réciprocité au centre d’un pacte de pouvoir entre le peuple et les notables. De manière plus pragmatique, Maurice Sartre avait déjà proposé d’analyser l’évergétisme comme un « moyen de gouvernement de la cité antique »Footnote 48. Au-delà de la réciprocité symbolique – honneurs et statues en échange de dons, réciprocité construite par des valeurs culturelles communes et productrice de réseaux clientélairesFootnote 49 – est désormais envisagée, dans la cité grecque, une relation où l’évergétisme viendrait légitimer ou compenser le pouvoir détenu par les élites dans les cités. Dans tous les cas, la compétition dans le comportement aristocratique est, comme chez P. Veyne, identifiée comme un point fondamentalFootnote 50. Le compte rendu par John Ma d’un ouvrage rassemblant des contributions sur « les bienfaiteurs et les cités » dans le monde grec décrit cette approche :

La prolifération de l’octroi de dons publics peut être expliquée dans un modèle politique de gestes légitimants, compensatoires, de la part de l’élite, désormais politiquement dominante mais encore imbriquée dans un contexte institutionnel civique. Mais l’évergétisme jouait aussi un rôle constitutif innovant en deçà et au-dessus du niveau des institutions de la polis, en créant de nouveaux liens sociaux et des réseaux régionaux dans « une grande tapisserie impériale »Footnote 51.

Selon Arjan Zuiderhoek, en échange d’une redistribution modeste de leur fortune mais qui contribuait à améliorer sensiblement la vie du citoyen ordinaire, les inégalités étaient maintenues et perpétuées. Les « bienfaits » auraient été à la racine de ce pacte de pouvoir et de stabilité sociale. A. Zuiderhoek affine son modèle, explicitement inscrit dans une perspective de longue durée, en posant trois facteurs propres à la cité grecque dans toute son histoire pour expliquer « la centralité des dons publics par les élites » et les échanges de dons contre des honneurs entre élite et peuple : le premier facteur est le besoin de justifier les inégalités de pouvoir et de fortune dans des communautés caractérisées par une égalité politique, au moins basique, l’évergétisme venant légitimer la détention du pouvoir par quelques-uns ; le deuxième, la compréhension par les Grecs de la politique comme expression de la volonté de la communauté en tant qu’ensemble, une communauté dans laquelle il était nécessaire que les dissensions soient contrôlées en l’absence de moyens coercitifs, les dons publics contribuant à apaiser les tensions ; le troisième, enfin, est le fait que les cités n’étaient pas des États, mais des collectifs où le pouvoir était diffus dans une structure civique dont la cohésion devait être assurée par des actions collectives – le combat à la guerre, à l’époque hellénistique, ou la participation à des rituels civiques, mais aussi, selon A. Zuiderhoek, l’appréciation commune sur les dons publicsFootnote 52. En incluant les contributions, volontaires ou non, des notables, J. Ma propose de voir « les liturgies et l’évergétisme comme un marchandage entre différents acteursFootnote 53 ». Il dessine encore un autre chemin, à la croisée des explications fonctionnalistes et de celles de P. Veyne : cet ensemble de contributions peut être décrit comme la meilleure rationalisation disponible, dans ce cadre institutionnel, des obligations économiques de la part des élites civiques, allant de pair avec l’acceptation du pouvoir des plus riches de la part du peuple (J. Ma met l’accent sur la reconnaissance d’une supériorité économique plutôt que politique, celle-ci découlant de la précédente). Les notables donateurs auraient été soumis à une double pression, populaire et impérialeFootnote 54. Les dons, en anglais « elite public generosity », seraient ainsi un facteur crucial de la stabilité des cités grecques.

Philologie et statistiques : les « évergètes » en dehors des modèles

Revenons au terme grec « évergète », littéralement « celui qui agit bien », à l’époque impériale. L’historiographie de la fin du xxe siècle tendait à voir derrière toute statue en l’honneur d’un empereur désigné comme « évergète » ou « fondateur » un bienfait, sous forme de financement, pour la collectivité. Sur la base d’enquêtes systématiques, on peut montrer que les dons matériels des empereurs aux cités étaient en réalité destinés à des occasions particulières. Les empereurs disposaient surtout de la possibilité de faire bénéficier les cités de ressources de l’État romain (accès à des matériaux spécifiques, remises fiscales, aide technique fournie par le personnel militaire) et, plus important encore, de privilèges de nature juridique : le discours public employait alors le terme de bienfait ou de munificence sans qu’il résulte d’une dépense privée, en dépit de la littéralité apparente du vocableFootnote 55. La nature même du pouvoir princier suscitait des titres d’éloge, en dehors d’une politique spécifique.

L’étude récente par A. Heller des titres octroyés par les cités grecques à leurs concitoyens, aux administrateurs romains et à l’empereur vient apporter des éléments de réflexion particulièrement solides sur le titre d’évergète, à partir de dépouillements exhaustifs dans les corpus épigraphiques d’Asie Mineure et de méthodes statistiques. Sur l’ensemble du corpus analysé, le titre d’évergète est ainsi le plus fréquent, à hauteur de 14 % de tous les titres. Il est également le plus répandu d’un point de vue géographique : ce titre « se place en première position dans plus de la moitié des régions [d’Asie Mineure] » ; « c’est aussi le titre qui est en usage sur la plus longue période de temps »Footnote 56. Il convient de dissocier dons et réception « fléchée » de titres, et notamment du titre d’évergète : dans 97 % des cas, les empereurs reçoivent des titres sans qu’il soit fait mention d’aucun bienfait (don ou acte politique précis) ; il en va également ainsi pour 94 % des magistrats romains dans la même situation – magistrats romains (gouverneurs et personnel envoyé par Rome) qui exerçaient une fonction temporaire dans les provinces et ne s’y comportaient pas en donateurs, à l’exception d’actes ponctuels de dévotion envers une divinité. Le titre d’évergète est également le premier que ces deux catégories reçoivent, alors qu’il s’agit du cinquième et du troisième titre en nombre d’attestations pour, respectivement, les simples citoyens d’une cité et les citoyens romainsFootnote 57. L’historienne suggère d’y voir le résultat d’une meilleure réussite socio-économique des citoyens des cités grecques ayant obtenu la citoyenneté romaine. Sur les citoyens des cités grecques (citoyens romains ou non), A. Heller conclut :

L’engagement que représente l’exercice de fonctions civiques pourrait, dans certains cas, justifier à lui seul l’attribution d’un titre, sans qu’il soit besoin de délier sa bourse pour se montrer particulièrement généreux. L’efficacité, la probité, une bonne réputation parmi ses concitoyens seraient des raisons suffisantes pour être honoré de cette manière.

Cette conclusion, prudente, vient à nos yeux effriter la centralité des pratiques du don dans le modèle transactionnel. La reconnaissance civique résulte d’un spectre de comportements jugés conformes à l’éthos civique, plutôt que d’un pacte de pouvoir autour de contributions volontaires.

Dans une approche critique des dons élitaires, il vaut mieux essayer de bannir l’usage répété de formules directement issues des sources publiques, se plaisant à qualifier l’action des élites en termes de générosités, bienfaits, munificence, ce qui tend à embarrasser l’étude des faits d’un jugement de valeur. Cet usage procède directement des « mauvaises fées » penchées sur le berceau de « l’évergétisme » évoquées précédemment ainsi que de son évaluation moralisatrice et historiquement contextualisée dans la Grèce de la fin du xixe siècle soumise au regard des voyageurs français. La qualification de « dépense élitaire publique » peut être un vocabulaire suffisant, au sens précis de dépense d’argent d’un notable pour la communauté ou un groupe en son sein ; cette appellation a l’avantage de dépouiller cette dépense de l’interprétation incluse dans le terme « don » et de mettre de côté un sens symbolique de réciprocitéFootnote 58.

Les dépenses publiques des élites : contre-champs de l’évergétisme

Une fois dissocié le concept créé par les historiens, les dépenses publiques des élites et le qualificatif d’évergète tel qu’utilisé à l’époque impériale, il est possible d’examiner les dépenses élitaires publiques dans les cités grecques impériales en contre-champ de « l’évergétisme » dans les cités grecques. Une série de questions montre les limites de la notion dans sa centralité fonctionnelle – les dons ne peuvent généralement pas apparaître comme un facteur de lien social ni comme l’expression d’un idéal d’égalité – ainsi que celles de l’idée d’une dépendance sociale des cités à la dépense privée. Ces approches qui rendent compte des sources ne pouvant être insérées dans les modèles existants invitent à multiplier les angles sur les dépenses publiques volontaires des élites.

Ces interrogations concernent des pratiques – parfois bien repérées par les spécialistes – et leurs effets dans une sphère différente de celle des discours officiels. Cela ne signifie pas que ces discours publics étaient dénués d’efficacité : l’affirmation de valeurs collectives de stabilité et d’investissement pour la communauté constituait un référentiel proposé à tous qui donnait de l’importance à la coexistence quotidienne dans les cellules civiques, au-delà de pratiques politiques dans un cadre institutionnel précisFootnote 59. Toutefois, comme nous le verrons ci-dessous, des travaux de sociologie des élites mettent aussi en garde contre l’effet lénifiant de la commémoration d’une action supposément désintéressée et bienfaisante des détenteurs du pouvoir.

Dépenses élitaires publiques : le « public » comme synecdoque

Dans un premier temps, revenons sur l’accessibilité sociale, économique et juridique des espaces monumentaux et des bâtiments financés sur fonds publics ou privés d’une part, et sur le marquage temporel des distributions d’argent entre leurs différents bénéficiaires d’autre part. L’image de la cité, destinatrice de dons, apparaît ainsi comme une généralisation euphémisée, une synecdoque, pour une partie de la société civique. Le modèle veynien comme le modèle transactionnel placent tous deux les notables auteurs de dépenses élitaires publiques en regard de la collectivité en son sens de cité. Du côté transactionnel ou fonctionnaliste est posée l’idée que la citoyenneté (locale, en l’occurrence) procurait des avantages matériels sensibles par rapport à ceux qui ne la possédaient pas, de manière à apaiser les tensions dans les citésFootnote 60. Or, un premier problème consiste dans l’idée même que le citoyen ordinaire, voire le simple habitant d’une cité, était concerné, régulièrement, par les dépenses élitaires, et davantage que d’autres groupes.

Récemment, l’idée d’une accessibilité inégale aux services et espaces publics en fonction des niveaux sociaux ou du genre, voire des âges (en ce qui concerne les enfants), a suscité des débats publics dans nos sociétés. L’action politique municipale peut s’orienter vers une facilitation de l’accès à l’espace public pour les femmes, par exemple. Les premiers travaux sur cette question ont porté non pas sur les inégalités de genre, mais de groupes sociaux : le « droit à l’espace » ou la « production de l’espace », notions complexes élaborées dans les travaux d’Henri Lefebvre, ont amené à donner de nouvelles perspectives à l’étude de l’espace partagéFootnote 61. Si le zonage des villes et l’usage de l’urbain possédaient des caractéristiques propres dans l’Antiquité, l’usage social différencié des espaces, leur perception par les intéressés et leur conception par les autorités qui les élaborent constituent des problématiques adoptées également en histoire ancienneFootnote 62. Je pose ici un point d’attention sur le lien qui devrait être fait dans l’histoire du financement des aménités urbaines avec des réalités sociales, qui coexistaient avec les discours officiels sans s’y superposer. Les financements de bâtiments publics, quand ils sont en partie ou en totalité liés à des dons privés, sont invariablement considérés comme bénéficiant à la communauté civique, à la cité dans son ensemble : dans les dédicaces, le nom de la cité figure alors au datif, comme destinataire ; dans les inscriptions honorifiques, il est question du bien communFootnote 63.

Cet universel politique est pourtant questionnable du point de vue de la société civique : on ne peut se détourner de ce constat si l’on défend l’hypothèse que les dons fondent les bases d’une relation pacifiée avec les simples citoyens et habitants des cités. Les bains (dont l’accès pouvait être payantFootnote 64), les bibliothèques ou les gymnases, lieux d’éducation physique et intellectuelle des jeunes gens de familles suffisamment fortunées pour bénéficier du temps libre à cet effet, les odéons, lieux de conférences, sont autant de monuments publics dont l’utilisation est contrainte par des considérations juridiques, sociales ou économiques, empreintes d’une coloration également culturelle. Hadrien reconnaît dans les messages de félicitation que lui ont adressés les néoi (groupe de jeunes gens usagers du gymnase) de Pergame les « signes de leur qualité d’hommes de bien » – échange gravé et exposé dans le gymnase lui-même, sur l’Acropole de la cité, alors que l’institution faisait l’objet de financements privés « évergétiques » (ainsi sans doute que de financements publics) abondants au début du iie siècleFootnote 65. Angelos Chaniotis a pour sa part attiré l’attention sur la réaffectation, sur ordre du gouverneur, de différents fonds pour assurer le bon fonctionnement du gymnase de Béroia, au iie siècle de n. è., en dépit des réticences populaires à ce sujetFootnote 66. L’octroi d’huile ou l’ouverture des gymnases à des groupes juridiquement et économiquement inférieurs lors de fêtes, notamment, ont été étudiés comme une évolution propre à l’époque impériale. Cet entrebâillement social élabore – à l’occasion car la pratique n’a rien de systématique – l’image d’une cité tout à la fois universelle et strictement hiérarchiséeFootnote 67. Le sophiste Héraclide le Lycien, au début du iiie siècle, enseignait à Smyrne où il finança, dans le gymnase d’Asklépios, une fontaine à huile dans une salle à plafond doréFootnote 68 : le gymnase apparaît ici encore comme un lieu d’entraînement, d’enseignement et d’entre-soi de gratifications élitaires. L’utilisation des services comme les systèmes d’adduction d’eau était généralement payante, tel que le rappelle une inscription récemment publiée de Laodicée du Lycos sur un aqueduc. Il arrivait qu’un contingent gratuit soit prévu spécifiquement pour les sénateurs locaux à la suite de décrets civiques – provoquant une aliénation de revenus publics que le gouverneur prit la peine d’interdire à LaodicéeFootnote 69. À l’autre bout du spectre, les sanctuaires civiques, les rues et leurs portiques, les places, les théâtres constituent des espaces d’un accès apparemment moins différencié dans le quotidien, en raison des services et des activités qui s’y déroulent.

Si l’on se tourne vers les distributions d’argent, leur caractère « souvent » hiérarchique a été relevéFootnote 70. Plus récemment, elles ont été examinées à la lumière du modèle « transactionnel »Footnote 71. Il reste toutefois beaucoup de précisions à apporter sur la base d’enquêtes systématiques, par exemple au sujet des occasions ou modes locales favorisant des distributions sur fonds privés incluant tous les citoyens : leurs attestations demeurent rares à Aphrodisias et Éphèse, deux cités pour lesquelles les sources épigraphiques publiées permettent une connaissance approfondie de la vie publiqueFootnote 72. Pour explorer ici les complexités du phénomène des dépenses élitaires en direction de sous-groupes privilégiés, j’ai opéré un nouveau dépouillement des attestations, provenant de cités d’Asie et de Lycie, rassemblées par A. Zuiderhoek dans son ouvrage de 2009, afin de pouvoir apporter des éléments supplémentaires aux résultats présentésFootnote 73. Le croisement de deux critères – celui de la catégorie des destinataires avec le caractère répété de ces distributions – vise à estimer l’existence d’un marquage social, en faveur de catégories spécifiques, des événements festifs et profitables « perpétuels » que constituent les distributions d’argent prévues dans le cadre de fondations (fig. 1).

Figure 1 – Répartition socio-juridique des bénéficiaires de distributions d’argent dans le cadre de fondations, dans des cités de Bithynie, Asie et Lycie

Référence de l’échantillon : Arjan Zuiderhoek, The Politics of Munificence in the Roman Empire: Citizens, Elites and Benefactors in Asia Minor, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 164-165.

Dans l’échantillon examiné, sur 131 mentions de distributions, 53 apparaissent dans le cadre de fondations, c’est-à-dire qu’elles se répètent à une périodicité prévue, en général année après année (on constate donc les problèmes posés par une mention unique, non pondérée par le critère de la répétition, si l’on n’introduit pas ce critère d’évaluation). Le diagramme révèle un déséquilibre marqué de l’identité socio-juridique des destinataires de ces gratifications perpétuelles : les trois quarts des bénéficiaires des fondations (77 %) pour des distributions sont des groupes élitaires – bouleutes, prêtres, gérousiastes (groupe d’anciens), archostatai et koinoboulioi (dignitaires fédéraux) en Lycie, mais aussi sitometroumenoi (ayants droit des distributions de blé) et ekklésiastes (membres de l’Assemblée formant un groupe distinct de celui des citoyens) dans cette même régionFootnote 74. Ces distributions marquent le temps commun, ont lieu en public ou dans des bâtiments spécifiques de ces groupes et rassemblent leurs membres, de manière festive et distinctive.

L’échantillon étant constitué de documents honorifiques ou de mémoriaux de bienfaiteurs, ne sont pas inclus dans cette estimation – d’où la nécessité de croiser les types d’enquête – les décrets et les calendriers civiques qui font connaître la régularité et l’institutionnalisation de la redistribution auprès de la gérousie ou du Conseil des revenus de capitaux ou de biens donnés au fil du temps par des notables, distributions périodiques relevées au moins à Éphèse, Argos, Milet et ThespiesFootnote 75. Au total, les remarques formulées depuis longtemps par Isidore Lévy ou André Balland paraissent amplement justifiées sur le « phénomène si constant » de la faveur économique pour les plus fortunés, rendue visible ici dans les distributions prévues de manière pérenne dans les fondationsFootnote 76. Si l’on convient qu’une idéologie civique est mise en œuvre, son caractère égalitaire ou sa capacité à jouer un rôle de renforcement de l’unité civique est davantage une projection rétrospective qu’une réalité sociale, économique ou idéologique. Il demeure, dans cet échantillon, qu’un quart des distributions perpétuelles concerne le peuple (ce qui demeure très général et peut voiler des schémas divers) ou des groupes populaires. Dans ces cas, il est possible qu’elles procèdent, de la part des donateurs concernés, d’un état d’esprit plus démocratique, voire soucieux de réalités matérielles.

Ainsi, le radar des enquêtes récentes sur les sociétés civiques grecques demeure peu sensible aux avantages accessibles aux sous-groupes intermédiaires, englobant des élites de divers niveaux. La stratification du groupe élitaire se retrouve dans la mise à disposition et la circulation de ressources et de biens matériels dans le cadre de la vie publiqueFootnote 77. Ces sous-groupes des « élites », bouleutes, gérontes, néoi, pouvaient inclure des pans socio-économiques relativement larges de la population mâle citoyenne, mais toujours selon des processus de distinction. Dans l’Orient romain, les conseils comptaient régulièrement plusieurs centaines de bouleutesFootnote 78. Dans des cités de taille moyenne, et a fortiori dans la grande cité d’Éphèse, la composition des conseils incluait ainsi nécessairement beaucoup de personnes moyennement fortunées, transformées néanmoins en élite locale du fait de la possession d’une autorité partagée au sein des organes civiques et de revenus – pas nécessairement assis sur une propriété foncière – un peu plus élevés que leurs concitoyens. Il importe ici de relever qu’il est impossible de considérer que dans le monde grec d’époque romaine le chiffre d’un cens équivalant à 100 000 sesterces (25 000 deniers), que l’on trouve dans des cités d’Italie, s’appliquait comme un minimum uniformeFootnote 79. Les petits notables constituaient ainsi la plus grande partie des conseils des petites cités ainsi qu’une composante non négligeable de ceux des cités moyennes et grandes.

Ces deux approches – la géographie sociale des espaces et bâtiments publics et l’appréhension temporelle des gratifications d’argent pour des sous-groupes – livrent donc une vision d’un universel limité socialement ainsi que des modalités d’interactions coopératives, et pas seulement compétitives, des élites. « L’évergétisme » met en avant le face-à-face bienfaiteur individuel/cité, dans les sources comme dans leur analyse, ainsi que la compétition entre individus ; les dépenses élitaires publiques invitent en revanche à prêter attention à un champ social et politique plus complexe, et à évaluer de manière plus critique le contenu et la mise en œuvre durable au Haut-Empire de la « solidarité collective » et de « l’égalité civique » vis-à-vis des autres composantes des corps civiquesFootnote 80.

Les cités sans dépenses élitaires publiques

Une autre limite du modèle transactionnel se joue dans le cas de cités sans dons publics volontaires ou sans dons significatifs. Les difficultés de cette approche consistent dans le fait d’enquêter sur une absence de mention et la possibilité de la considérer comme une absence réelle ; elles ne sont toutefois pas toujours insurmontables. Michel Sève a par exemple étudié les notables de Macédoine à la fin de l’époque hellénistique et au ier siècle : on connaît des magistrats qui ne font pas de dons publics et quelques rares dons publics qui émanent de citoyens ou de groupes particuliers, comme les negotiatores romainsFootnote 81. Plutôt que l’absence de notables évoquée par M. Sève, il est possible de diagnostiquer dans ce champ politique local la présence de simples « petits notables », au patrimoine moyen à la suite des vicissitudes qu’avait connues la Macédoine depuis l’époque hellénistique, endossant toutefois des responsabilités publiques et disposant de la gestion de leur cité, ce qui n’était pas rien en termes de distinction. À l’autre bout du spectre chronologique du Haut-Empire, en Asie Mineure occidentale, après un floruit des dépenses élitaires publiques jusqu’à l’époque des Sévères qui couvre le premier tiers du iiie siècle, on observe la disparition presque complète des dons publics dans les deux derniers tiers du siècle et encore à l’époque de ConstantinFootnote 82. À la fin de l’époque hellénistiqueFootnote 83, le vide laissé par l’effondrement des moyens publics avait été comblé, non sans conséquences politiques et sociales, par des dépenses provenant des rejetons de grandes familles, puis de Romains, en faveur des communautés locales. Rien de tel après les années 230 en Asie Mineure : les quelques dédicaces conservées, rassemblées pour l’essentiel après l’accession au pouvoir de Dioclétien en 284, attirent plutôt l’attention sur la persistance de financements publics. Par ailleurs, une élite fortunée demeure dans la région, visible au moins à travers les domaines des familles sénatoriales romaines ou des demeures urbaines. Dans les cités d’Asie Mineure, les notables les plus riches ne jugent alors plus utile de s’illustrer dans la vie locale. Une culture « moyenne » de la cité, fonctionnelle et sans éclat, est ainsi décelable, comme on la trouve décrite chez Ménandre le RhéteurFootnote 84. Cette situation historique révèle que les élites locales ou régionales peuvent ne pas se sentir tenues de « justifier » leur position sociale pour la maintenir, ni même d’adopter les dons publics comme une composante de leur style de vie et sans que cela ne provoque des troubles dans les cités.

En dehors même de telles conjonctures historiques, Richard Duncan-Jones a fait remarquer que la colonie romaine de Thamugadi en Afrique disposait de monuments publics importants, financés par le trésor de la colonie dans leur immense majorité, alors même que la colonie ne manquait pas de personnes suffisamment riches pour faire des donsFootnote 85. Concernant les cités de Macédoine, une autre situation apparaît. Une cité, pour fonctionner, avait assurément besoin de « plus riches que les autres », ne serait-ce que pour la prise en charge, au sein d’un Conseil établi sur critère censitaire, de l’organisation de la collectivité sur du temps non payé, mais cette différenciation sociale n’avait pas nécessairement besoin d’être très marquée. Des situations locales ou régionales révèlent des riches non donateurs, sans que le pacte civique soit en péril, ou encore des peu riches non donateurs dirigeant des cités.

Avant de s’intéresser à la question de l’opinion publique envers les notables des différentes parties prenantes de la cité, il convient de souligner l’importance des contributions ou services obligatoires (munera) des citoyens modestes à leur communauté. Rappelons que ces tâches étaient dues par tous les citoyens ou simples résidents d’une cité et étaient à la fois nombreuses et diverses. Point capital, leur nature différait en selon le niveau patrimonial (et de dignité) des individus : fonctions de direction, par exemple dans le prélèvement fiscal, ou d’ambassade au nom de la cité, auprès du gouverneur ou de l’empereur, pour les membres des sénats locaux, dont les propriétés pouvaient aussi être réquisitionnées pour héberger des administrateurs de haut rang en déplacement ; mais aussi tâches physiques, pour les moins fortunés ou contributions qui pouvant également peser sur leur peu de biens, par exemple pour héberger et nourrir des officiels subalternes, qui n’hésitaient pas à abuser de leur (petite) position de pouvoirFootnote 86. R. Duncan-Jones attirait ainsi l’attention sur les munera dus par les habitants des cités en termes de munitio (travaux d’entretien) des bâtiments publics, que l’on pourrait qualifier de corvées collectives, considérées comme très pénibles. Les citoyens et habitants de tout niveau social contribuaient ainsi réellement à la « cité », et pas seulement les élitesFootnote 87. À Irni, petit municipe latin de Bétique, cinq jours annuels de travail gratuit pouvaient par exemple être exigés des hommes et des animaux. Dans le monde des cités grecques, ces tâches étaient désignées sous le nom de liturgies mais étaient considérées comme munera par les juristes impériaux. À la fin du iiie siècle, la classification juridique des munera personnels comporte toujours l’entretien des voies publiques et peut être complétée par différentes tâches en fonction des lois de chaque cité, comme le précise Hermogénien, prenant ainsi en compte la diversité des situations localesFootnote 88. Si on les envisage comme un type de parafiscalité, probablement avec raisonFootnote 89, les contributions sous forme de liturgies et de munera – qui finirent par être très diverses à la fin du Haut-Empire et permettaient le déroulement de nombreuses activités collectives – ne doivent pas être considérées dans une même vaste catégorie qui inclurait des dons élitaires, même dans le cadre des modèles de l’évergétismeFootnote 90. On conviendra toutefois que les élites savaient brouiller les pistes : par exemple, les ambassades, pour lesquelles un défraiement, le viaticum, était prévu puisqu’il s’agissait d’un munus, pouvaient – en cas de succès – être financées à ses seuls frais par l’ambassadeur, ce qui renforçait alors l’éclat de sa mission par ailleurs célébrée dans une inscription honorifiqueFootnote 91.

Le savoir politique populaire sur les contributions à la vie collective

Dans ce contexte, la question de l’opinion publique vis-à-vis de la classe des notables à la tête des cités, tout en étant fondamentale, demeure délicate en raison de la nature des sources disponibles habituellement étudiées par les spécialistes. Elle rejoint la grande question du caractère plus ou moins démocratique des cités grecques à l’époque romaine. Le processus institutionnel de production des discours honorifiques demeure un enjeu historiographique crucialFootnote 92 : le peuple a-t-il une influence réelle dans leur élaboration ? Autrement dit, peut-on se servir de ces documents, qui donnent l’image du consensus et contribuent à construire une image collective de la communauté civique telle que les notables et les autorités romaines ont intérêt à la voir, pour juger des opinions populaires, de la faveur des acteurs politiques et de la capacité du peuple à peser sur les décisions ? Sur ce dernier point, des études portent également sur des mouvements d’agitation populaire, connus par différentes sources, et leur poids dans les décisions de la vie collectiveFootnote 93.

Dans le cadre précis de cette discussion, je propose de différencier, parmi les « opinions populaires », le mouvement d’agitation, ponctuel, de ce que l’on pourrait désigner comme un savoir politique populaire, plus stable et permanent. Par ailleurs, il est intéressant ici de ne pas recourir à des discours honorifiques, pour se tourner vers un autre gisement documentaire. Des extraits littéraires se trouvent en effet mobilisés dans les travaux sur l’évergétisme pour prouver une attente populaire importante vis-à-vis des contributions des notables et une capacité de pression à cet égard – ce qui paraît logique, d’un point de vue abstrait, dans des unités politiques de quelques milliers d’habitants, avec des capacités de contrôle policier limitées. Toutefois, une relecture de ces sources est susceptible de produire une image plus nuancée, notamment sur la question de l’attente populaire de distributions d’argent. Un extrait du Discours eubéen évoque une distribution d’argent dont le père du narrateur a bénéficié, ce dont l’Eubéen argue pour prouver sa citoyennetéFootnote 94. Dans un autre registre, plusieurs passages de Lucien, un polygraphe actif dans la deuxième moitié du iie siècle, originaire de Samosate, aux confins de l’Empire romain, que ses voyages avaient notamment conduit dans les cités grecques autour du bassin égéen, témoignent de l’accès aux distributions en fonction d’une qualité civique ainsi que de l’intérêt des pauvres pour leur tenueFootnote 95. Le passage suivant, dans Le Ssonge ou le Ccoq (Alectryon), est le plus suggestif, en apparence, de tensions sociales :

S’il faut partir en campagne, ils sont au premier rang pour affronter le danger, en tant que stratèges ou hipparques. Quant à toi, si tu as avec ton bouclier d'osier un équipement commode et léger pour te sauver, tu es tout prêt à fêter la victoire quand le stratège vainqueur offre le sacrifice.

En temps de paix d’autre part, toi qui appartiens au dèmos, tu montes à l’assemblée pour tyranniser les riches, tandis qu’ils frémissent, se terrent et essaient de t’apaiser par des largesses [dianomai, distributions]. Afin de te procurer bains, spectacles et tout le reste à satiété, les riches s’échinent, mais toi, inquisiteur et contrôleur exigeant comme un maître, parfois sans même leur laisser le droit à la parole, selon ton bon plaisir tu fais pleuvoir sur eux en abondance une grêle de pierres ou tu confisques leurs biens. Toi, tu ne crains point de sycophante ni de filou qui dérobe ton or en escaladant ta clôture ou en perçant ton mur. Tu n’as pas le souci de faire des comptes, ni de réclamer une dette, ni de te disputer avec tes maudits intendants, ni d’être tiraillé entre tant de tracas. Mais lorsque tu as achevé une chaussure et que tu tiens ton salaire de sept oboles, tu te lèves vers le soir, tu te baignes à ton gré, tu achètes un hareng saur ou des mendoles ou quelques têtes d’oignon et tu te donnes du bon temps en chantant à cœur joie et en philosophant en compagnie de l’excellente PauvretéFootnote 96.

Ce passage est régulièrement mis en avant dans sa littéralité pour arguer du poids des obligations pesant sur les riches dans les cités romaines. Toutefois, l’effet comique nous semble procéder précisément d’un effet de retournement. Le ton de cette tirade est ironique et s’inscrit dans une exagération délibérée du malheur d’être riche – et des joies supposées de la pauvreté – pour dissuader le savetier Micylle de rêver fortune, ce qui est évidemment paradoxal. Le récit est placé dans une époque possédant à la fois des traits du monde romain et de l’Athènes classique. Alectryon, le coq, range ainsi parmi les arguments devant faire haïr la richesse le fait que celle-ci conduirait les hommes à s’exposer aux dangers de la guerre au premier rang, en tant qu’hipparque ou stratège – un danger qui n’est plus, au moment de la rédaction de l’opuscule. On peut également relever que le peuple, à l’époque impériale, se trouve dans l’incapacité institutionnelle de confisquer les biens d’un concitoyenFootnote 97. Le décalage satirique témoigne en réalité du fait que les malheurs auxquels les riches se voyaient exposés étaient inoffensifs, voire imaginaires ; c’était en tout cas l’opinion partagée par le plus grand nombre dans le peuple.

Ce savoir sociologique et « politique » était également celui d’Aristote, dans sa description des cités gouvernées par une oligarchie – un passage paradoxalement utilisé pour étayer la mise en œuvre du modèle « transactionnel » du pouvoir. Dans ce cas, explique Aristote, le peuple accepte de ne pas participer au pouvoir et « a même de l’indulgence pour les magistrats du fait qu’ils doivent payer leurs magistratures d’une somme aussi importante » ; mais il conclut en ces termes : « Or dans les faits, les membres de l’oligarchie ne font pas cela, mais le contraire, car ils ne recherchent pas moins les profits que l’honneurFootnote 98. » Les aspirations populaires paraissent également frappées d’impuissance dans le Satiricon, dans un passage dont le dispositif – des pauvres qui parlent des riches – ressemble à celui de l’Alectryon. Cette œuvre, comme un célèbre article de P. Veyne l’a montré, révèle bien des réalités sociales et politiques de la fin de l’époque julio-claudienne, dans un monde fictif sis en Italie du SudFootnote 99. Ganymède se plaint du gouvernement de la cité et de la malhonnêteté des magistrats. Échion le chiffonnier lui répond qu’on croit toujours que la vie est plus belle ailleurs et qu’il y a quand même des satisfactions dans celle qu’ils ont dans leur cité : un certain Titus va dans trois jours donner un magnifique spectacle de combats de gladiateurs. Il commente : « Il a de quoi. Il a fait un héritage de trente millions : il a eu le malheur de perdre son père. À supposer qu’il en dépense quatre cent mille, sa fortune ne s’en apercevra pas et son nom deviendra immortel. » Un peu plus loin, il se réjouit également à la perspective d’être invité au banquet d’un magistrat élu et de recevoir deux deniersFootnote 100, ce qui permettra au donateur de gagner en popularité (fauor), par contraste avec un autre magistrat qui, par avarice, avait recruté des gladiateurs décrépits.

Plutôt que des revendications, ces textes montrent une conscience claire de la part de toutes les parties prenantes – élites, gens du peuple – que les dépenses élitaires publiques créent de la renommée, amplifiée par les inscriptions honorifiques. Les spectacles sont également attendus pour leur côté plaisant, les banquets et les distributions pour l’amélioration ponctuelle du quotidien qu’ils procurent. Toutefois, rien ne permet de parler ici de « transaction politique » ; il est plutôt question d’une analyse du monde comme il va, du constat fataliste que certains hommes politiques font bien peu, tandis que d’autres sont notoirement réputés pour leur malhonnêteté. Enfin, les chiffres importants donnés pour l’héritage comme pour le financement d’un très beau spectacle de gladiateursFootnote 101 offrent une corrélation d’environ 1 % de prélèvement sur la fortune à destination du « bien commun », défini en l’occurrence par le donateur, alors que la taxe du vingtième des héritages ne touchait pas la famille procheFootnote 102).

Dans ce même registre d’une littérature non destinée à un usage public, le corpus onirocritique d’Artémidore de Daldis, près d’Éphèse, actif au cours du iie siècle, décrit l’exercice de fonctions locales comme une occasion de mettre en œuvre un pouvoir qui impose sa supériorité, voire la crainte, dans l’espace politique civique, permet de briller en public et, éventuellement, de s’enrichirFootnote 103. Il n’est pas anodin, finalement, qu’un très riche comme Trimalcion projette avec enthousiasme de voir son tombeau orné d’une représentation de lui-même nummos de sacculo effundentem Footnote 104, « versant d’un sac l’argent à profusion », surplombant autrui depuis une estrade : le mouvement veynien, d’un spectacle d’abord de soi à soi, demeure central dans la compréhension des dépenses élitaires.

Les dépenses élitaires publiques à but lucratif, ou « boucles évergétiques »

Mais en deçà du plan symbolique, les dépenses élitaires publiques sont-elles unilatéralement une dépense d’argent privé pour la « cité », réelle ou synecdochique ? En dehors des grands modèles précités et à partir d’une lecture très fine de la documentation épigraphique, en 1992, Werner Eck observait déjà que l’évergétisme à l’époque romaine n’était pas indispensable aux finances municipales ; que les formes de la documentation survalorisaient le phénomène des libéralités sur fonds privés plutôt que les réalités des financements publics ; enfin, en revenant sur les motivations des évergètes, il soulignait l’existence de motivations privées, financières, à nombre de dépenses élitaires publiques. W. Eck cite Jean-Michel SpieserFootnote 105 :

Il est ainsi évident que, même si nous ne saisissons pas toujours clairement le fonctionnement du système, nous nous trouvons devant une situation où des dépenses, en apparence gratuites, finissaient par rapporter non seulement ce que Bourdieu appellerait un profit social ou culturel, mais aussi un profit financier.

W. Eck concluait en observant que le terme d’« évergète » (si libéralement repris dans les études contemporaines sur les dons, et dont la valeur axiologique est tout sauf neutre) voilait les réalités du phénomèneFootnote 106. Cette approche, fondée sur les sources, attire l’attention sur des tractations précises derrière les « bienfaits ». Dans le monde des cités hellénistiques également, des travaux historiques ont éclairé la mécanique financière, profitable aux donateurs ou aux personnes honorées, décelable dans des inscriptions faisant connaître des fondations ou encore dans des remises partielles, par un notable prêteur d’argent, d’intérêts dus par une communautéFootnote 107. Dans une autre perspective visant à étudier les motivations et l’impact auprès du public des grands dossiers documentaires inscrits, Christina Kokkinia, en faisant l’analyse du programme épigraphique relatif à C. Vibius Salutaris, qui finança des processions à Éphèse sous Trajan, a relevé que la donation effective du capital de la fondation était prévue seulement après la mort de Vibius Salutaris, que le capital immobilisé – 20 000 deniers – n’était pas très élevé au regard de son patrimoine et qu’il pouvait ainsi peut-être s’assurer la bienveillance des notables éphésiens pour bénéficier d’opportunités économiques dans le cadre de la grande cité portuaire et éventuellement « transformer l’influence en profit »Footnote 108. Sortant ce dossier d’un apparent isolement, C. Kokkinia suggère également d’autres exemples de personnages en situation de bénéficier, sur le plan économique, de leurs « bienfaits »Footnote 109.

Un autre cas de figure, rarement explicite dans la documentation, consiste dans la perception de droits d’usage ou dans une tarification associée à des événements collectifs financés par les « donateurs », sans que l’on sache comment s’équilibrent les dépenses et les recettes, comme dans le cas d’un éditeur de jeux à Cirta en Afrique qui avait également vendu des billets pour assister au spectacleFootnote 110. La mention dans une inscription de Panamara, sur le territoire de Stratonicée de Carie, de la restitution « des droits de la table » par le prêtre lors de banquets organisés pour la fête du sanctuaire de Zeus peut suggérer que de tels paiements ou cotisations n’étaient pas rares lors de différentes festivités collectives et qu’il n’était pas inhabituel que l’organisateur les gardeFootnote 111.

Tout en donnant crédit, comme système de valeur, aux discours publics des acteurs, une lecture « contre le grain »Footnote 112 permet de faire émerger d’autres dossiers sur les bénéfices prévus et attendus de dons qui seront alors mieux compris comme des investissements, profitables normalement aux deux parties, soit la communauté civique et l’individu à la fois bienfaiteur et investisseur qui, intégré au discours honorifique, est également un « homme de bien » ou un notable. La comparaison entre les pratiques observées dans les cités occidentales et celles de tradition grecque permet de repérer ces stratégies financières. Je propose donc de définir comme « boucles évergétiques » ces dépenses associées à une stratégie économique, parfois même patrimoniale à long terme : il n’y a pas qu’un flux financier d’un individu vers la cité, très visiblement médiatisé en général dans une inscription honorifique ; ce « don » déclenche un avantage pour la communauté, mais aussi, sous différentes formes possibles, un retour économique ou patrimonial positif pour le donateur. Ces boucles évergétiques n’apparaissent souvent que de manière partielle du fait du biais honorifique de la grande partie des sources ; il demeure possible d’en restituer les mécanismes, parfois à titre d’hypothèse, parfois avec plus de certitude.

Deux exemples permettront d’en voir des caractéristiques. Le premier vient d’Italie. Theodor Mommsen avait remarqué le cas d’Aulus Quinctilius Priscus de Ferentinum, dans le Latium : sous Trajan, ce notable exerça des magistratures locales et fut honoré par le sénat de Ferentinum « en raison de son extraordinaire munificence », ob eximiam munificentiam. Quel était cet acte « d’extraordinaire munificence » ? Par le biais d’un achat de terres publiques, rendues à la cité, au prix de 70 000 sesterces, 4 200 sesterces annuels tirés de ces terres (1 050 deniers annuels, ce qui, au vu des chiffres croisés précédemment, n’est pas exceptionnel) permettraient à ses concitoyens, « pour toujours », de recevoir à son jour anniversaire, le 10 mai, quelques noix et du vin, ainsi que pour certains d’entre eux de l’argent au cours d’une distribution, de manière hiérarchique en fonction du niveau de dignité reconnu aux groupes concernés (par ordre décroissant, recevant plus ou moins d’argent et de friandises : les sénateurs de Ferentinum et leurs fils ; les sévirs augustaux qui étaient un groupe de six affranchis associés dans le cadre d’un culte impérial public ; puis, recevant uniquement des friandises : les citoyens et résidents de Ferentinum ainsi que les femmes mariées ; les garçons de la plèbe de Ferentinum)Footnote 113. Le taux de 6 % correspond à un taux souvent constaté dans les fondations basées sur un capital foncier. Mais le document précise : les terres seraient louées en location perpétuelle (in auitum). T. Mommsen, en éditant l’inscription en 1883, commentait que Priscus et ses descendants avaient ainsi probablement obtenu le droit d’être les locataires perpétuels de ces terres. La dépense de Priscus peut être comprise comme un investissement, dans un monde où il y avait souvent peu de terres à acheter – Pline le Jeune remarque que l’obligation faite par Trajan aux sénateurs romains de posséder un tiers de leur fortune foncière en Italie avait fait flamber les prixFootnote 114 – et où la fortune foncière formait la base d’un patrimoine permettant une reconnaissance sociojuridique.

Pour éclaircir la question de l’extraction d’un revenu de ces domaines au-delà des 4 200 sesterces mentionnés, une lettre de Pline le Jeune offre un parallèle : celui-ci explique en effet comment il a sous-estimé le prix d’une de ses terres offerte à la cité de Côme, en échange de quoi il s’occuperait personnellement de faire gérer le domaine, de manière toujours profitable pour le preneur, pendant que le loyer versé à la cité (équivalant aussi à 6 % de la valeur officielle de la terre) financerait une fondation alimentaire pour les filles et garçons libres. Une autre possibilité était un changement du type de culture ou un meilleur entretien du domaine. Il arrivait en effet que le prix des terres varie considérablement, si le fonds était dépréciéFootnote 115. Le prix de « vente », que l’on doit donc plutôt comprendre comme un paiement pour l’accès au bail permanent des terres, pouvait également avoir été négocié de manière favorable à celui qui était alors l’un des quattuorvirs de la cité – notabilité en réalité sans doute indispensable à l’accomplissement de la transaction et mettant le « donateur » en position de force. Pour ces raisons, l’attention au mécanisme à l’œuvre dans cette « boucle évergétique » doit moins porter sur la valeur nominale que sur l’investissement foncier réalisé.

Dans le système financier des cités gréco-romaines, le recours aux entrepreneurs privés pour les tâches publiques était habituelFootnote 116. La connaissance de ce phénomène dans le monde provincial repose sur des sources assez isolées, mais des lumières inattendues peuvent être fournies par des documents honorifiques. Un document de Chalcis en Eubée, qui constitue notre second cas d’étude, entrecroise dans une rhétorique de l’éloge les rôles respectifs du peuple, du Conseil et du « donateur »Footnote 117. Il permet de déceler un mécanisme comparable à ce qui est présenté comme un don et est lu en ce sens aujourd’hui, mais représente en réalité un investissement :

À la bonne Fortune. Sous le gouverneur Claudius Amiantus, alors qu’était amphipolos Lamyros fils du néocore ; le néocore à vie de [la nymphe] Chalcis Archégétis, Aurelius Hermodōros, selon les décrets qui ont été pris dans les conseils, introduits par le décaprote Claudius Amyntas et par Ulpius Pamphilos,

en raison d’une part des murs qu’il a fait faire autour du sanctuaire, du péribole dont il a enclos le domaine et du portique, qu’il a construit entièrement avant de le reconstruire après son effondrement, et d’autre part parce qu’il a fait faire une salle de banquet avec une table à trois lits et fourni des portes pour un ornement qui convient à la déesse, avec des plantes et des arbres, il a offert cela à la condition de la possession éternelle pour lui et ses enfants de la néocorie [l. 12-13 : ἐπὶ τῷ ἀΐδιον ἔχειν αὐτόν τε καὶ τὰ τέκνα αὐτοῦ τὴν νεωκορείαν] ;

les décrets ont été pris, alors qu’était secrétaire Iulius Mamertinus, stratège le décaprote L. Novius Lysanias ; les synèdres ont crié : « Pour Pamphilos, la proposition est bonne, qu’il en soit ainsi ! » ; le secrétaire Mamertinus [leur] demanda : « Celui auquel semble conforme à la volonté de vous tous la proposition de notre cher Pamphilos que cet honneur [teimē] soit aussi partagé avec les enfants de celui-ci, qu’il lève la main ! » ; les synèdres crièrent : « Il nous semble bon ! » ; adopté.

Du côté du peuple : le stratège pour la seconde fois Novius Lysanias a déclaré : « Vous faites bien de répondre aux hommes de bien et d’octroyer des honneurs non seulement à eux mais aussi à leurs enfants ; ainsi seulement, en effet, nous inciterons d’autres à de grandes choses ; le Conseil a déjà voté cela ; s’il vous semble juste, levez la main ! » ; le peuple s’écria : « Il nous semble juste ! » ; adopté. Le peuple cria : « Vivent les néocores ! »

Ce document renseigne sur le dialogue institutionnel entre le peuple et les conseils restreints. Il a été également analysé sous l’angle de financements privés en faveur de la communauté, permettant l’obtention d’un honneur. Apparemment tous les ingrédients de la « transaction évergétique » – c’est-à-dire un don pour une communauté, en échange d’avantages symboliques – sont présents, et même celui de la pression pesant sur les « hommes de bien », puisque le stratège Novius Lysanias déclare, de manière très traditionnelle dans les décrets de ce type, que l’octroi d’honneur incitera d’autres notables à agir de manière comparable. L’honneur décerné est toutefois inhabituel : il s’agit de la fonction de « néocore ». Or, un honneur consiste normalement dans un titre, un discours élogieux, une statue, non dans une charge publique. Si l’on revient un peu avant le moment de la dépense effectuée par Hermodōros, une clause attire l’attention : Hermodōros n’a pas obtenu un titre, un éloge ou une statue comme récompense a posteriori de ses dépenses, mais une fonction, par accord préalable avec la cité (l. 12-13). Le déroulement diffère de celui observé dans le décret pour Épié de Thasos à la fin de l’époque hellénistique : après avoir fait effectuer des travaux dans les sanctuaires, Épié accepte également d’être néocore, alors que personne d’autre ne souhaite accomplir cette « liturgie coûteuse », selon les termes du décretFootnote 118. Comme ceux d’Épié, les travaux réalisés par Hermodōros permettent que les activités religieuses se déroulent convenablement dans le sanctuaire. Les fonctions revêtues impliquent en effet la supervision d’un ensemble de services, tels que la fourniture d’animaux pour le sacrifice, la gestion des tables d’offrande – comme l’indique par exemple un document épigraphique de Nysa en Carie – ou la mise à disposition d’une salle de banquetsFootnote 119.

Une interprétation possible, mais peu défendable à nos yeux, serait que Hermodōros, en détenant ce titre, ait exigé d’ajouter une fonction coûteuse, par définition, à ses dépenses initiales, et, bien plus, ait souhaité à tout prix en charger ses enfants. Une autre voie consiste à comprendre que la néocorie est associée à un contrat de gestion du temple : Hermodōros a ainsi investi dans le sanctuaire, à la condition expresse d’en superviser la gestion, puis, par la suite, ses enfants. Pour l’époque hellénistique, Léopold Migeotte a repéré un dossier laissant transparaître une opération de « privatisation » d’un sanctuaire de Gythéion au profit de deux donateurs et de leurs descendantsFootnote 120. Les dispositions propres à Chalcis ne permettent pas de parler de « privatisation » ; toutefois, il s’agit également d’une stratégie patrimoniale. Ce monde des « dieux à l’encan », profitable à des entrepreneurs, est celui critiqué par le chrétien Tertullien à la même époque en Afrique et si brillamment expliqué par Claude Lepelley dans son article « Ubique respublica »Footnote 121. Aurelius Hermodōros était vraisemblablement bouleute, sa qualification d’homme de bien laissant peu de doute sur ce sujetFootnote 122. Il possédait quelques moyens pour réaliser ces travaux et les principaux magistrats de la cité le font acclamer. Le peuple n’est d’ailleurs ni dupe du discours d’éloge ni perdant dans cette opération : il est désormais possible d’accomplir ses dévotions dans un espace rénové. Les responsabilités dans un cadre cultuel étaient particulièrement propices, dans le monde grec, à de telles négociationsFootnote 123.

Aurelius Hermodōros conforte ses revenus et les espoirs matériels et financiers de ses enfants dans une « boucle évergétique ». Les documents de Ferentinum et de Chalcis ici présentés laissent entrevoir ce mécanisme, sans le dissimuler ni le rendre tout à fait explicite. Le fait même que des documents à forte tonalité honorifique le fassent connaître indique le caractère ouvert de la pratique, sa validation par les instances publiques et, peut-être, sa relative fréquence.

La configuration civique de la relation des élites de pouvoir à leur communauté politique

Les dépenses élitaires publiques sont donc énoncées selon des termes élogieux, mais variés, dans les discours publics, avant tout épigraphiques, qu’elles soient orientées réellement vers la cité ou vers des groupes restreints, qu’elles constituent une dépense d’argent plus ou moins grandiose ou apportent aussi in fine des avantages patrimoniaux à leurs auteurs. Nous avons également constaté qu’elles pouvaient être absentes du quotidien civique. Avec ces caractéristiques, ces dépenses élitaires dans les cités grecques d’époque romaine apparaissent d’une manière qui n’est prise en charge ni par P. Veyne ni par les récents développements du modèle de la transaction évergétique. L’éloge naturalise tout type de dépense élitaire publique en action positive pour la communauté et, dans le même temps, détourne l’attention des autres paramètres ou cas de figure. Cette configuration sociale historique – éloge des élites, opportunités privées en contexte public, faveurs intra-élitaires, pratiques spécifiques de don-investissement – n’est pas une anomalie dans la relation des élites de pouvoir à leur communauté à travers l’histoire. Il est ainsi possible d’éclairer la situation de ces élites vis-à-vis de leurs concitoyens par une approche granulaire, comparant des motifs d’une configuration historique à l’autre.

Dès son article de 1969, P. Veyne avait critiqué l’analyse consistant à interpréter la pratique des dépenses élitaires publiques comme l’élaboration d’une légitimité sociale ou politique, dénonçant l’approche surplombante et excessivement rationaliste des relations sociales qui la sous-tendaitFootnote 124. Ces relations quotidiennes existent entre les groupes et les individus, sans avoir besoin nécessairement d’expressions de légitimité. L’enquête au plus près des sources, dessinée à travers des contre-champs de l’évergétisme, montre en effet que les motivations de ces dépenses élitaires publiques ne se positionnaient pas à ce niveau. Il est utile ici de retravailler la notion d’« administration des notables » à partir des observations précédentes, modèle emprunté par P. Veyne à Max Weber pour définir les gouvernements civiquesFootnote 125. Les « notables » de M. Weber (Honoratioren) peuvent exercer la politique à titre de profession secondaire, tirant des revenus par ailleurs de rentes foncières ou d’activités professionnelles qui leur laissent du temps disponible, élément fondamental de la capacité à exercer le pouvoirFootnote 126. Le langage civique, dans les cités grecques d’époque romaine, reconnaissait abondamment cet investissement immatériel, temporel, en faisant l’éloge du « zèle » des magistrats. Les notables se distinguent également par une estime sociale qui, « par tradition », « à la longue », leur permet d’occuper des fonctions. Ces points trouvent en effet des superpositions aisées dans la configuration civique du pouvoir, surtout si l’on ajoute la position fréquente des notables à l’interface entre un centre « qui édicte des normes » et des périphéries (les cités en l’occurrence) où ces normes sont appliquéesFootnote 127.

D’autres aspects de cet idéal-type sont tout aussi intéressants en ce qu’au contraire des précédents, ils se différencient de ce que l’on sait aujourd’hui du gouvernement des cités dans l’Antiquité : en premier lieu, M. Weber insiste sur le caractère amateur, dilettante, de ce type de gouvernement tout autant que des notables dans la gestion de leur fortune. De ce point de vue, les travaux des spécialistes de l’économie de l’Antiquité ont bien montré la diversité des sources de revenus de ces notables, leurs stratégies patrimoniales ainsi que le caractère technique de la gestion financière des cités ou de leurs sanctuairesFootnote 128. Des hommes avertis, pourvus de rationalité économique – évidemment marquée par les possibilités et les valeurs de l’époque – et d’une « disposition au calcul »Footnote 129 géraient donc ces affaires communes : il existe un vaste écart d’attitudes entre la maximisation d’un intérêt personnel ou d’un groupe, ce qui n’est pas le cas ici, et sa négligence, qui se révèle également un mirage si elle est traitée comme un phénomène relevant d’une conduite polarisée par une rationalité de valeur et qui serait caractéristique d’une éthique notabiliaire. Cette éthique produit un discours susceptible de mettre en valeur des comportements individuels en faveur du collectif civique tout en rejetant dans l’ombre la question du contrôle ou des échanges de services dans des réseaux clientélairesFootnote 130. Le caractère « peu onéreux », voire « entièrement gratuit » pour la communauté de ce type de gestion, défini par M. Weber, n’est plus une conséquence logique du modèle, ou seulement en apparence. Si l’évergétisme selon P. Veyne témoigne de moins de politisation (plutôt que d’une dépolitisation)Footnote 131, on peut aussi dire que le discours sur les dépenses publiques des élites et l’ambiance générale de reconnaissance à leur égard dans le discours public témoignent de moins d’intérêt collectif pour le bien commun qu’à l’époque hellénistique. Le cadre institutionnel civique et impérial était moins propice à ce type d’investissement politique populaire du fait de l’entre-soi, parfois relatif, des sénats locaux ainsi que d’une politique du pouvoir central attentive aux intérêts privés des élites localesFootnote 132.

Yves Sintomer et Jérémie Gauthier soulignent que, chez M. Weber, ne sont pas interrogées les transactions et contestations du pouvoir « par le bas »Footnote 133. Charivaris, agitation, révoltes en cas de disette, voire pressions pour obtenir que les plus fortunés contribuent davantage à la vie commune existaient bel et bienFootnote 134. Sans minimiser le rôle du peuple dans les cités, nous avons vu que des traces explicites de résignation ou de fatalisme vis-à-vis de ce que le peuple pouvait obtenir des notables en termes de contributions volontaires existaient également. Les agitations ponctuelles demeuraient un horizon possible, qui suscitait la défiance des autorités locales et romaines. Ce point est également perceptible dans l’interprétation de songes par Artémidore de Daldis, où la « populace » est caractérisée par son inconstanceFootnote 135. Mais l’interprétation selon laquelle ces mouvements auraient eu pour conséquence d’infléchir le comportement des notables, d’exercer sur eux une pression de manière structurelle demeure, d’après notre analyse, douteuse. Le fatalisme des personnages du Satiricon correspond à une attitude réaliste, qu’il convient d’inclure dans le répertoire des opinions politiques populaires : « Ah ! si nous, nous avions des couilles, il ne ferait pas son malin [en parlant d’un édile malhonnête]. Mais aujourd’hui, le peuple c’est lion à la maison, renard au-dehorsFootnote 136 », ce que l’on peut comprendre comme une abstention habituelle de revendications fortement exprimées dans l’espace public, associée à des stratégies simples pour assurer ou améliorer le quotidien, seules disponibles dans un contexte de ressources rares et de temps contraint.

Dans le même temps, seuls les notables pouvaient faire l’objet, dans la cité, d’inscriptions honorifiques, autrement dit accroître leur capital symboliqueFootnote 137. Cette manière de « féliciter les élites pour leur interprétation réussie d’une conduite élitaireFootnote 138 » définit une sociodicée, un discours justifiant la position dominante des élites, vantant leurs dispositions et leur comportement, gommant les aspérités et permettant le renforcement de cette position dominante, son installation dans le temps. Ce cadre de pensée, auxquels les acteurs souscrivent de manière naturalisée, n’empêche pas des logiques sociales structurantes jouant différemment de ce que les discours énoncent. Les pratiques de « dons » publics peuvent aussi produire un « mensonge social » portant sur ce qu’il en coûte à la communauté de les accepterFootnote 139, par la définition et le renforcement des hiérarchies collectives, par exemple, la méfiance produite à l’encontre d’une démarche de vérification des procédures ou tout simplement du fait des avantages concrets revenant au donateur.

Pour la compréhension des sociétés civiques d’époque impériale, l’attention doit également se porter sur les caractéristiques et le fonctionnement du groupe élitaire. Bien qu’il fût relativement ouvert et diversifié localement par rapport à d’autres époques, ses membres cumulaient la maîtrise de nombreux éléments de pouvoir – tout à la fois politique, économique, culturel – dans le cadre de ces petites unités politiques, alors qu’ils sont différenciés dans de plus vastes structures. Leurs interactions dans des groupes dont l’ouverture était relative constituent aussi un « capital social »Footnote 140. Les apparents « hérétiques » de ce champ politique, comme le philosophe cynique Pérégrinos et peut-être le philosophe épicurien Diogène d’OinoandaFootnote 141, demeuraient inoffensifs. Lucien brocarde la poursuite de la gloire par Pérégrinos. Leur discours demeure marginal dans les sociétés civiques du Haut-Empire et peut aussi, par son existence qui critiquait sans les saper des principes de l’ordre établi, avoir contribué à relâcher les tensions autour des relations entre richesse et pouvoir. La reformulation de ces dernières n’advint que par le développement et le succès dans la société des propositions chrétiennesFootnote 142.

Au terme de cette analyse, je propose donc de repositionner les enjeux des dépenses élitaires publiques durant le Haut-Empire, à partir des acquis des enquêtes historiques sur les mondes civiques, de la discussion des deux modèles présentés et des sondages réalisés ici dans les sources. L’universel civique exprime un idéal collectif qui ne se superpose pas avec la réalité sociale des destinataires de dépenses d’origine privée ou publique. L’éloge de ces dépenses élitaires n’est pas propre à ce type d’action publique des notables. Certaines dépenses sont appréciées par le peuple qui les espère sans que l’on puisse leur attribuer un caractère indispensable, central ni en soi légitimant dans l’interprétation des relations entre peuple et élites. Leur absence ou leur disparition n’est généralement pas un ferment d’instabilité dans les cités et la pratique des bienfaits ne relève pas d’une logique dialectique de construction d’une légitimité sociale ou politique. Au passage, une partie du modèle de P. Veyne, faisant de cette manière de dépenser un trait d’un style de vie distinctif, conserve une valeur certaine, car ces dépenses revêtent une apparence publique spécifique, particulièrement mise en avant dans les sources. Cependant, la compréhension de l’architecture sociale complexe des cités ainsi que celle de la culture et des pratiques économiques des élites invitent à insérer cet élément d’interprétation dans un ensemble aujourd’hui différent de celui des propositions veyniennes.

La circulation de services au sein de groupes élitaires de niveaux variés appelle ainsi à élargir le prisme de l’analyse au-delà du duo peuple/Conseil, en dépit de sa visibilité dans les inscriptions publiques, pour des approches socio-politiques mettant en relation plusieurs segments des élites civiques, eux-mêmes variés d’un point de vue social et économique. L’attention est attirée vers les petits notables, leurs calculs et les stratégies disponibles pour avoir un peu plus, à l’instar d’Aurelius Hermodōros de Chalcis ou des bouleutes d’Aphrodisias, à l’occasion d’événements ou dans des activités valorisant l’image sociale de l’individu concerné ou du groupe. Ce mécanisme ne relève pas du cynisme ou du mensonge à l’égard des concitoyens ni d’une duperie : les différentes parties prenantes du corps social savaient à quoi s’attendre et, globalement, pendant les trois siècles du Haut-Empire, trouvaient naturel d’habiller le don privé du langage civique de l’éloge, par-delà les réalités matérielles et économiques, diverses et connues. Ce langage renforçait toutefois la domination des notables. Il n’y avait d’autre justification à celle-ci que l’ordre des choses établies, promu par le pouvoir central romain, et la nécessité d’avoir un groupe pour s’occuper des affaires communes, disposant de temps et, dans les meilleurs cas, de quelques compétences et idées empreintes de philosophie sur la bonne manière de gérer la cité.

Footnotes

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Cet article a été écrit dans le cadre du projet ERC PECUNIA (Grant agreement no. 101088477). Les opinions exprimées sont uniquement celles de l’autrice. Différentes étapes de cette réflexion ont été présentées à l’Institute for Advanced Study de Princeton lors d’un séjour comme Herodotus Fund member en 2019-2020, aux séminaires SOCIAMM de l’université libre de Bruxelles (mars 2024) et HisTeMé de l’université de Caen (déc. 2024), dont je remercie vivement les organisateurs et organisatrices. Je suis extrêmement redevable à Anna Heller et à Caroline Blonce pour leurs relectures et j’exprime également ma plus grande reconnaissance, pour leurs critiques et suggestions, aux évaluatrices et évaluateurs anonymes sollicités par le comité de rédaction des Annales. Les abréviations des références épigraphiques suivent les indications de l’Association internationale d’épigraphie grecque et latine (https://www.aiegl.org/grepiabbr.html).

References

1. I.Aphrodisias 2007, 14.12 ; voir Angelos Chaniotis, « Macht und Volk in den kaiserzeitlichen Inschriften von Aphrodisias », in G. Urso (dir.), Popolo e potere nel mondo antico, Pise, Edizioni ETS, 2005, p. 47-61, notamment p. 47-48, où sont adoptées les restitutions des lettres manquantes proposées dans I.Aphrodisias and Rome no 43, sur le montant de la somme consacrée (l. 14-15), et pour une analyse du rôle politique du peuple. J’ai estimé le montant du revenu de la fondation à partir d’intérêts à 8 % d’après les observations de Jean Andreau, La banque et les affaires dans le monde romain, ive siècle av. J.-C.-iiie siècle ap. J.-C., Paris, Éd. du Seuil, [1999] 2001, p. 181 ; autres références : Anne-Valérie Pont, « Le tirage au sort dans la vie publique des cités de l’Asie Mineure romaine », in J. Bothorel et F. Hurlet (dir.), Le tirage au sort dans l’Antiquité. Du monde grec à Rome, Lyon, MOM éditions, 2025, p. 215-236, notamment p. 223-224. Sur le Conseil dans les cités grecques d’époque romaine, voir Anna Heller, « La cité grecque d’époque impériale : vers une société d’ordres ? », Annales HSS, 64-2, 2009, p. 341-373. Les modalités du recrutement oligarchique des conseils pouvaient donner lieu à des variations au sein d’un groupe élargi, comme à Cyzique : Myles Lavan, « Quantifying the Spread of Roman Citizenship in the Province of Asia in the Second Century CE », Chiron, 50, 2020, p. 129-165, notamment p. 145. Sur le nombre de conseillers à Aphrodisias, que l’on peut évaluer à 200 au moment de l’inscription I.Aphrodisias 2007, 1.161, voir A.-V. Pont, « Le tirage au sort… », art. cit., p. 224, n. 50.

2. Loteries pour le peuple : sans doute dans I.Aphrodisias 2007, 12.803 et vraisemblablement 13.5 (dans I.Aphrodisias 2007, 12.1002, l’identité des bénéficiaires est inconnue) ; I.Ephesos 27, l. 246-253, 1/2 denier pour 250 citoyens par tribu (Christina Kokkinia, « A Roman Financier’s Version of Euergetism: C. Vibius Salutaris and Ephesos », Tekmeria, 14, 2017-2018, p. 215-252, notamment p. 241 et n. 73).

3. Observation également faite par Christel Müller, « Évergétisme et pratiques financières dans les cités de la Grèce hellénistique », Revue des études anciennes, 113-2, 2011, p. 345-363, ici p. 356.

4. Pour d’autres mises en perspectives historiographiques, voir Cédric Brélaz, « Les bienfaiteurs, ‘sauveurs’ et ‘fossoyeurs’ de la cité hellénistique ? Une approche historiographique de l’évergétisme », in O. Curty (dir.), L’huile et l’argent. Gymnasiarchie et évergétisme dans la Grèce hellénistique, Fribourg, Séminaire d’histoire ancienne de l’université de Fribourg, 2009, p. 37-56 ; C. Müller, « Évergétisme et pratiques financières… », art. cit. Sur l’évergétisme permettant l’écriture d’une « intrigue » pour rendre compte des phénomènes dispersés de dons, voir Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire. Essai d’épistémologie, Paris, Éd. du Seuil, 1971, p. 39-43.

5. Anastassios Anastassiadis, « Les pérégrinations de l’évergétisme en Méditerranée orientale du xviiie au xxie siècle : éthique chrétienne, technologie de gouvernement et concept historiographique », Le Mouvement social, 234, 2011, p. 45-62.

6. Gaston Deschamps, La Grèce d’aujourd’hui, nouv. éd., rev. et augmentée, Paris, A. Colin, [1892] 1897, p. 182-183.

7. Leur philanthropie s’intéressa également à la renaissance de compétitions sportives appelées « olympiques » : Françoise Étienne et Roland Étienne, « Les Jeux Olympiques de 1896 : réflexions sur une renaissance », R. Étienne (dir.), no spécial « Le sport dans le Sud-Est européen », Études balkaniques, 11, 2004, p. 33-60. Gaston Deschamps décrit les Záppas comme étant des frères.

8. G. Deschamps, La Grèce d’aujourd’hui, op. cit., p. 184.

9. A. Anastassiadis, « Les pérégrinations de l’évergétisme… », art. cit., p. 47.

10. Paul Veyne, Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris, Éd. du Seuil, 1976, p. 20.

11. A. Anastassiadis, « Les pérégrinations de l’évergétisme… », p. 56, tableau 2.

12. RE VI, 1, 1907, p. 978, s.v. Euergetes 1, O. Jessen (ce titre donné à des dieux demeurait rare, comme le montre Anna Heller, « Human Honours and Divine Attributes », in A. Palamidis et C. Bonnet (dir.), What’s in a Divine Name: Religious Systems and Human Agency in the Ancient Mediterranean, Berlin, De Gruyter, 2024, p. 551-568, notamment p. 555-558) et RE VI, 1, p. 978-980, s.v. Euergetes 2, J. Œhler.

13. P. Veyne, Le pain et le cirque, op. cit., p. 165, n. 7 : André Boulanger, Aelius Aristide et la Sophistique dans la province d’Asie au iie siècle de notre ère, Paris, De Boccard, 1923, p. 25.

14. Henri-Irénée Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, Éd. du Seuil, [1948] 1964, p. 438-439 ; Pline le Jeune, ep., IV, 13.

15. Paul Veyne, « Panem et circenses : l’évergétisme devant les sciences humaines », Annales ESC, 24-3, 1969, p. 785-825 ; id., Comment on écrit l’histoire, op. cit., p. 39-43 et p. 213 pour le « réductionnisme » au contre-don.

16. Id., Le pain et le cirque, op. cit., p. 15 et 20. Sur P. Veyne, son « porte-à-faux » et pour un bilan et une discussion de l’évergétisme, voir Paul Cournarie et Pascal Montlahuc (dir.), Comment Paul Veyne écrit l’histoire. Un roman vrai, Paris, PUF, 2023, et notamment les articles Paul Cournarie et Pascal Montlahuc, « Paul Veyne ou les ressources du porte-à-faux », p. 7-26, et Benjamin Gray, « Le Pain et le Cirque : le pouvoir symbolique des bienfaits », p. 103-136.

17. Ainsi, dans l’Italie impériale et les sociétés grecques, l’évergétisme aurait tout de même produit une forme de redistribution : P. Veyne, Le pain et le cirque, op. cit., p. 414-415. Sur le degré de « dépolitisation » des cités que présenterait P. Veyne, il existe des divergences d’appréciation entre B. Gray, « Le Pain et le Cirque », art. cit., p. 115-122 et Alice Le Goff, « Don, autorité et reconnaissance dans la sociologie de l’évergétisme de Paul Veyne », in L. Carré et A. Loute (dir.), Donner, reconnaître, dominer. Trois modèles en philosophie sociale, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016, p. 177-194, en particulier p. 190-191, selon qui P. Veyne parle d’une moindre politisation plutôt que de « dépolitisation ».

18. P. Veyne, Le pain et le cirque, op. cit., p. 112.

19. Ibid., p. 122-123 ; p. 176, n. 150, sur l’exclusion des entrepreneurs de la noblesse au Moyen Âge comme dans l’Antiquité et la valeur accordée à « un style de vie aristocratique ».

20. Ibid., p. 208-209.

21. Ibid., p. 310-312, citation p. 312 et sur ce thème généralement, voir P. Veyne, « Panem et circenses… », art. cit.

22. Ibid., p. 253.

23. Philostrate, Vie d’Apollonios, IV, 8, est exemplaire de l’énonciation de valeurs compétitives au service de la patrie. Sur la rhétorique de l’éloge en général, voir Laurent Pernot, La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, Institut d’études augustiniennes, 2 vol., 1993.

24. P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, op. cit., p. 40 et 41 notamment. Le don compétitif appartient aussi au modèle de Marcel Mauss basé sur le potlatch.

25. Jean Andreau, Pauline Schmitt et Alain Schnapp, « Paul Veyne et l’évergétisme », Annales ESC, 33-2, 1978, p. 307-325.

26. P. Veyne, Le pain et le cirque, op. cit., p. 22-23.

27. Ibid., p. 190 : « […] les évergésies sont […] offertes à toute la cité et à elle seule ; elles sont civiques. L’évergète n’entretient pas une clientèle : il rend hommage à la cité, c’est-à-dire au corps de ses concitoyens » ; J. Andreau, P. Schmitt et A. Schnapp, « Paul Veyne et l’évergétisme », art. cit., p. 310.

28. P. Veyne, Le pain et le cirque, op. cit., p. 315 ; J. Andreau, P. Schmitt et A. Schnapp, « Paul Veyne et l’évergétisme », art. cit., p. 318.

29. P. Veyne, Le pain et le cirque, op. cit., p. 326-327.

30. Ibid.

31. Ibid., p. 9.

32. Philippe Gauthier, Les cités grecques et leurs bienfaiteurs, ive-ier siècle av. J.-C. Contribution à l’histoire des institutions, Paris, École française d’Athènes, 1985, p. 1-2.

33. Voir les remarques d’Antony Hostein, « Préface à la nouvelle édition », in F. Jacques, Le privilège de liberté. Politique impériale et autonomie municipale dans les cités de l’Occident romain, 161-244, Rome, École française de Rome, [1984] 2018, p. xiv ; voir aussi, dans ce même texte, les développements sur la faiblesse de la réception de cette œuvre chez les spécialistes de l’Orient grec (p. xxiii).

34. F. Jacques, Le privilège de liberté, op. cit., p. 707, à propos de P. Veyne, Le pain et le cirque, op. cit., p. 272. P. Veyne, Le pain et le cirque, op. cit., p. 21, notamment pour la confusion délibérée de ces notions.

35. François Jacques, « Ampliatio et mora : évergètes récalcitrants d’Afrique romaine », Antiquités africaines, 9, 1975, p. 159-180 ; id., Le privilège de liberté, op. cit. (cité d’après la 1re éd. de 1984), p. 687-765, en particulier p. 687-688, 707 et 743.

36. Pendant la légation de Pline en Bithynie, les cités établissent, si elles le souhaitent, un honorarium décurional de 1 000 ou 2 000 deniers (Pline le Jeune, ep. 10, 113).

37. Sur la temporalité du don et de sa commémoration dans les cités d’Asie, par comparaison avec les données des cités africaines étudiées dans les travaux de F. Jacques, voir Anne-Valérie Pont, Orner la cité. Enjeux culturels et politiques du paysage urbain dans l’Asie gréco-romaine, Bordeaux/Pessac, Ausonius, 2010, p. 368-372 et 405-408. La mention de contributions comme indemnités de retard a été élucidée dans F. Jacques, « Ampliatio et mora… », art. cit.

38. Dig. XXXIII, 1, 23 et 24, Marcien, aux livres 6 et 8 des Institutes ; F. Jacques, Le privilège de liberté, op. cit., p. 776-777.

39. C. Brélaz, « Les bienfaiteurs… », art. cit., p. 41-43 et 46.

40. J. Andreau, P. Schmitt, A. Schnapp, « Paul Veyne et l’évergétisme », art. cit. ; voir aussi John Ma, compte rendu de Marc Domingo Gygax et Arjan Zuiderhoek (dir.), Benefactors and the Polis: The Public Gift in the Greek Cities from the Homeric World to Late Antiquity, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2020, https://bmcr.brynmawr.edu/2022/2022.10.36/.

41. Parmi une vaste bibliographie, voir Léopold Migeotte, Les finances des cités grecques. Aux périodes classique et hellénistique, Paris, Les Belles Lettres, 2014 ; sur l’encadrement par les institutions civiques des marchés antiques, voir Alain Bresson, The Making of the Ancient Greek Economy: Institutions, Markets, and Growth in the City-States, trad. par S. Rendall, Princeton, Princeton University Press, 2016 (trad. et mise à jour de L’économie de la Grèce des cités, fin vie-ier siècle a. C., Paris, A. Colin, 2 vol., 2007-2008).

42. Werner Eck, « Der Euergetismus im Funktionszusammenhang der kaiserzeitlichen Städte », in M. Christol et O. Masson (dir.), Actes du Xe congrès international d’épigraphie grecque et latine, Nîmes, 4-9 oct. 1992, Paris, Éd. de la Sorbonne, 1997, p. 305-331 ; Christian Witschel, Krise, Rezession, Stagnation ? Der Westen des römischen Reiches im 3. Jahrhundert n. Chr., Francfort-sur-le-Main, Marthe Clauss, 1999, p. 129-132 et n. 131 ; Herta Schwarz, Soll oder Haben ? Die Finanzwirtschaft kleinasiatischer Städte in der Römischen Kaiserzeit am Beispiel von Bithynien, Lykien und Ephesos, Bonn, Habelt, 2001 ; Arjan Zuiderhoek, The Politics of Munificence in the Roman Empire: Citizens, Elites and Benefactors in Asia Minor, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 40-49. Des études spécifiques permettent d’abonder en ce sens : par exemple, Francesco Camia (« Spending on the Agones: The Financing of Festivals in the Cities of Roman Greece », Tyche, 26, 2011, p. 41-75) insiste sur la possibilité d’un financement public partiel, éventuellement important, des concours et des festivals, contre la communis opinio ; de même pour les ambassades : voir n. 91 ci-dessous.

43. Christophe Chandezon, « Les petites cités et leur vie économique. Ou : comment avoir les moyens d’être une polis », Topoi. Orient-Occident, 18-1, 2013, p. 37-65.

44. Jean Andreau, « Existait-il une dette publique dans l’Antiquité romaine ? », in J. Andreau, G. Béaur et J.-Y. Grenier (dir.), La dette publique dans l’Histoire. Actes des journées du Centre de recherches historiques des 26, 27 et 28 novembre 2001, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2006, p. 101-114.

45. Voir plus loin la discussion des liturgies/munera pesant aussi sur les habitants moins ou non fortunés des cités.

46. Une entreprise remarquable et sans lendemain pour l’association, sur le thème des finances locales, de perspectives occidentales (surtout) et orientales est constituée par Il capitolo delle entrate nelle finanze municipali in Occidente ed in Oriente. Actes de la Xe rencontre franco-italienne sur l’épigraphie du monde romain, Rome, 27-29 mai 1996, Rome, École française de Rome/Università di Roma-La Sapienza, 1999.

47. A. Le Goff, « Don, autorité et reconnaissance… », art. cit., p. 194 ; voir également p. 180 et 189.

48. Maurice Sartre, « L’évergétisme : comportement social ou moyen de gouvernement de la cité antique ? », in A. Bartoli Langeli, V. I. Comparato et R. Sauzet (dir.), Il governo della città. Modelli e pratiche, secoli xiii-xviii. Atti del colloquio di Perugia, 15-17 settembre 1997, Naples, Edizioni scientifiche italiane, 2004, p. 83-92 ; voir les observations de C. Müller, « Évergétisme et pratiques financières… », art. cit., p. 347-348.

49. Un modèle particulièrement développé par Koenraad Verboven, « Cité et réciprocité. Le rôle des croyances culturelles dans l’économie romaine », Annales HSS, 67-4, 2012, p. 913-942, avec un large cadrage occidental et oriental. Il faut noter que P. Veyne, précisément, réfute que l’évergétisme ait quoi que ce soit à voir avec l’entretien d’un réseau clientélaire (P. Veyne, Le pain et le cirque, op. cit., p. 190). Sur les honneurs en général dans le langage civique, voir Anna Heller et Onno M. van Nijf (dir.), The Politics of Honour in the Greek Cities of the Roman Empire, Leyde/Boston, Brill, 2017.

50. « Inter-elite competition », selon la formule souvent utilisée (par exemple, Kyriakos Kyrousis, « Money Distributions as Organising Means of Social Power in Imperial Lycia », Zeitschrift für Papyrologie und Epigrafik, 212, 2019, p. 121-136, ici p. 132), ou « intra-elite competition » ou « jealousy » (M. Domingo Gygax et A. Zuiderhoek [dir.], Benefactors and the Polis, op. cit., passim).

51. J. Ma, compte rendu de M. Domingo Gygax et A. Zuiderhoek (dir.), Benefactors and the Polis, art. cit. (je traduis).

52. Arjan Zuiderhoek, « Benefactors and the Poleis in the Roman Empire: Civic Munificence in the Roman East in the Context of the Longue Durée », in M. Domingo Gygax et A. Zuiderhoek (dir.), Benefactors and the Polis, op. cit., p. 223-227.

53. J. Ma, compte rendu de M. Domingo Gygax et A. Zuiderhoek (dir.), Benefactors and the Polis, art. cit.

54. Sur le thème de la pression, voir Marc Kleijwegt, « ‘Voluntarily, but Under Pressure’: Voluntarity and Constraint in Greek Municipal Politics », Mnemosyne, 47-1, 1994, p. 64-78 ; A. Zuiderhoek, « Benefactors and the Poleis… », art. cit., p. 232-233.

55. Fergus Millar, The Emperor in the Roman World, 31 BC-AD 337, Ithaca, Cornell University Press, [1977] 1992, p. 135-139 et 410-434 ; Anna Heller, « La rhétorique civique face à l’empereur », in A. Gangloff (dir.), The Emperor’s Qualities and Virtues in the Inscriptions from Augustus to the Beginning of Constantine’s Reign: “Mirrors for prince”? / Qualités et vertus de l’empereur dans les inscriptions d’Auguste au début du règne de Constantin. « Miroirs au Prince » ?, Leyde/Boston, Brill, 2022, p. 48-79 ; pour une époque plus tardive, voir Jean-Michel Carrié, « La ‘munificence’ du prince. Les modes tardifs de désignation des actes impériaux et leurs antécédents », in Institutions, société et vie politique dans l’Empire romain au ive siècle ap. J.-C. Actes de la table ronde autour de l’œuvre d’André Chastagnol, Paris, 20-21 janvier 1989, Rome, École française de Rome, 1992, p. 411-430.

56. Anna Heller, L’âge d’or des bienfaiteurs. Titres honorifiques et sociétés civiques dans l’Asie Mineure d’époque romaine, ier s. av. J.-C.-iiie s. apr. J.-C., Genève, Droz, 2020, p. 167.

57. Ibid., p. 216-217, 220 et 251.

58. Sur cette dimension relationnelle, Marc Domingo Gygax et Arjan Zuiderhoek, « Conclusion », in M. Domingo Gygax et A. Zuiderhoek (dir.), Benefactors and the Polis, op. cit., p. 330-338, notamment p. 330. Les auteurs appellent également « public gift » les honneurs avec lesquels les communautés remerciaient publiquement les « bienfaiteurs ».

59. Une approche récente de la question est livrée par Benjamin Gray, « L’invention du social ? Délimiter la politique dans la cité grecque (de la fin de la période classique au début de la période impériale) », Annales HSS, 77-4, 2022, p. 633-671. L’importance et l’efficacité d’une action du peuple en dehors de cadres institutionnels prévus à cet effet sont vivement défendues, dans un autre contexte et à partir d’observations tirées de la vie politique des démocraties libérales, par Anthony Kaldellis, « Civic Identity and Civic Participation in Constantinople », in C. Brélaz et E. Rose (dir.), Civic Identity and Civic Participation in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Turnhout, Brepols, 2022, p. 93-109, notamment p. 95-97 pour la discussion.

60. A. Zuiderhoek, The Politics of Munificence…, op. cit., p. 74 et 104. Ce modèle inspire l’étude de K. Kyrousis, « Money Distributions… », art. cit.

61. Henri Lefebvre, « Le droit à la ville », L’homme et la société, 6, 1967, p. 29-35.

62. Claudia Moatti et Christel Müller (dir.), Statuts personnels et espaces sociaux. Questions grecques et romaines, Paris, De Boccard, 2018 (voir notamment l’introduction et Jean-Manuel Roubineau, « Exclus du gymnase, exclus au gymnase. Note sur la loi gymnasiarchique de Béroia », p. 175-184) ; je propose une étude des lieux de rencontre des groupes liés au gymnase sous cet angle exploratoire dans A.-V. Pont, « Meeting-Places of Gymnasial Groups in the Greek Cities of the Roman Empire: Social Production of Space and Distinctive Accessibility », in O. Sadık Karakuş, Eskiçağ Anadolu ve Doğu Akdeniz Dünyasında Dernekler, Topluluklar ve Birlikler. Associations, Communities and Unions in Ancient Anatolia and Eastern Mediterranean World, Istanbul, Ege Yayınları, 2025, p. 69-87. Dans une perspective différente, J. Ma s’interroge sur la production de l’espace dans son ouvrage sur les statues à l’époque hellénistique (Statues and Cities: Honorific Portraits and Civic Identity in the Hellenistic World, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 134, n. 101) : « une géographie sociale de la polis reste à écrire » (je traduis). Ce constat ne paraît pas profondément modifié aujourd’hui pour la cité grecque d’époque impériale. Sur des espaces urbains italiens, voir Dunia Filippi (dir.), Rethinking the Roman City: The Spatial Turn and the Archaeology of Roman Italy, Londres, Routledge, 2021.

63. Voir par exemple, à Éphèse, la formule associant, dans cet ordre, Artémis, l’empereur régnant et la cité des Éphésiens ornée de ses titres.

64. Voir par exemple dans I.Magnesia, 116 les revenus que la gérousie (association des usagers plus âgés du gymnase) tire de ses bains, quand ils sont ouverts aux non-gérontes. Comparer, sur l’accès au bain, avec Lucien, Alectryon, 22, cité ci-dessous (le pauvre, assure le Coq, se baigne à son gré après l’achèvement de son labeur journalier).

65. I.Pergamon, 274 ; voir Juan Manual Cortés Copete, « Adriano y los Neoi de Pérgamo (I.Pergamon 273, 274) », Studia Historica. Historia Antigua, 37, 2019, p. 131-160.

66. A. Chaniotis, « Macht und Volk… », art. cit., p. 57-59.

67. Cette pratique est visible, par exemple, à Stratonicée de Carie. Parmi les enquêtes sur le sujet, voir Mark Beck, Der politische Euergetismus und dessen vor allem nichtbürgerliche Rezipienten im hellenistischen und kaiserzeitlichen Kleinasien sowie dem ägäischen Raum, Rahden, Verlag Marie Leidorf, 2015 ; Arjan Zuiderhoek, « Un-Civic Benefactions? Gifts to Non-Citizens and Civic Honours in the Greek Cities of the Roman East », in A. Heller et O. van Nijf (dir.), The Politics of Honour…, op. cit., p. 182-198. Le premier insiste sur les processus d’oligarchisation à l’œuvre, quand le second met en revanche l’accent sur la validité d’un idéal égalitaire et les processus de légitimation du pouvoir.

68. Philostrate, Vies des Sophistes, 2, 26 [613].

69. SEG 67, 1177, l. 25-27 (Laodicée du Lycos) ; à comparer avec CIL 10, 4760 (ILS 6296), de Suessa Aurunca en Italie, octroi d’eau gratuit à un affranchi qui a financé un spectacle, « comme un décurion en jouirait », et I.Beroia, 41 (SEG 48, 743).

70. Jean-Louis Ferrary et Denis Rousset, « Un lotissement de terres à Delphes au iie siècle ap. J.-C. », Bulletin de correspondance hellénique, 122-1, 1998, p. 277-342, notamment p. 299-301. Cela transparaît également de la lettre de Pline le Jeune sur les distributions en Bithynie, ep. X, 116.

71. A. Zuiderhoek, The Politics of Munificence…, op. cit., notamment p. 107 ; K. Kyrousis, « Money Distributions… », art. cit., où l’auteur conclut également sur le rôle des distributions d’argent pour stabiliser les relations de pouvoir avec les « masses » ; toutefois, de nombreuses remarques qu’il formule en commentant son relevé systématique amènent à nuancer cette conclusion, avec un nombre majoritaire d’attestations explicitement en faveur de sous-groupes privilégiés.

72. I.Aphrodisias 2007, 12.28 (pour les « tribus »), 12.803 (peut-être sous la forme de loteries) et 12.1111 ; I.Ephesos 644a (dans I.Ephesos 26, l. 17-19, la proposition de restitution des bénéficiaires de la distribution est débattue). Sur les loteries, qui constituent une catégorie de distributions que le vocabulaire ou l’état de conservation des textes ne permet pas toujours de distinguer au sein de cet ensemble, voir ci-dessus n. 2.

73. A. Zuiderhoek, The Politics of Munificence…, op. cit., corpus B, p. 164-165, comptant 90 inscriptions. Il est à noter que le rassemblement des inscriptions n’est pas systématique et est présenté comme ayant été opéré « randomly » (ibid., p. 16-17) : je préfère donc le terme d’échantillon à celui de corpus. Par exemple, l’inscription honorifique pour M. Ulpius Carminius Claudianus à Aphrodisias est citée dans le développement et pour les constructions monumentales, mais pas pour ses mentions de distributions. Malgré ces limites, ces chiffres sont utilisés ou ces données comparées avec le résultat d’autres études, par exemple, A. Heller, L’âge d’or des bienfaiteurs, op. cit., p. 249.

74. On ignore les critères de distinction des ekklésiastai, différenciés des citoyens dans une poignée d’inscriptions : voir Henri-Louis Fernoux, Le Démos et la Cité. Communautés et assemblées populaires en Asie Mineure à l’époque impériale, Rennes, PUR, 2011, p. 88-90. S’ils sont comptés dans les groupes populaires, les groupes privilégiés passent à 17 % et les groupes populaires à 6 %.

75. I.Thespies 37 ; autres attestations dans A.-V. Pont, « Le tirage au sort… », art. cit.

76. André Balland, Fouilles de Xanthos, t. 7, Inscriptions d’époque impériale du Létôon, Paris, Klincksieck, 1981, p. 189-190, p. 211 (cité n. 287, qui renvoie aussi à une remarque de P. Veyne), avec renvoi à la bibliographie antérieure.

77. Arjan Zuiderhoek, « Oligarchs and Benefactors: Elite Demography and Euergetism in the Greek East of the Roman Empire », in O. van Nijf et R. Alston (dir.), Political Culture in the Greek City After the Classical Age, Louvain/Walpole, Peeters, 2011, p. 185-195. A. Zuiderhoek y analyse cette stratification comme un risque pour les élites : le fait qu’il y ait de nouveaux entrants témoignerait d’une volatilité des positions élitaires, devant être assurées auprès des cellules civiques par des pratiques évergétiques.

78. Wolfgang Habermann, « Bemerkungen zur Grösse von Stadträten im kaiserzeitlichen griechischen Osten », Marburger Beiträge zur antiken Handels-, Wirtschafts- und Sozialgeschichte, 32, 2014, p. 227-248.

79. Wim Broekaert et Arjan Zuiderhoek, « Society, the Market, or Actually Both? Networks and the Allocation of Credit and Capital Goods in the Roman Economy », Cahiers du Centre Gustave Glotz, 26, 2015, p. 141-190 et 157, n. 70. Ce n’est pas ce qu’indique Richard P. Duncan-Jones, The Economy of the Roman Empire: Quantitative Studies, Cambridge, Cambridge University Press, 1974, p. 4, auquel les auteurs renvoient.

80. Sur cette analyse de la relation individus/cités et l’interprétation au prisme de l’égalité et de la solidarité, voir B. Gray, « Le Pain et le Cirque », art. cit., p. 130.

81. Michel Sève, « Notables de Macédoine entre l’époque hellénistique et le Haut-Empire », in P. Fröhlich et C. Müller (dir.), Citoyenneté et participation à la basse époque hellénistique, Genève, Droz, 2005, p. 257-273.

82. Anne-Valérie Pont, La fin de la cité grecque. Métamorphoses et disparition d’un modèle politique et institutionnel local en Asie Mineure, de Dèce à Constantin, Genève, Droz, 2020, p. 211-219.

83. Excellente synthèse dans Maurice Sartre, L’Anatolie hellénistique. De l’Égée au Caucase, 334-31 av. J.-C., Paris, A. Colin, 2003, p. 237-268.

84. A.-V. Pont, La fin de la cité grecque, op. cit., p. 173-177 et 240-244 ; sur les financements publics, ead., « Finances civiques, gouverneurs et empereurs en Asie Mineure de Dioclétien à Constantin d’après les sources épigraphiques », in J. Aliquot et al. (dir.), Mélanges Denis Feissel, Paris, Association des Amis du Centre d’histoire et civilisation de Byzance, 2024, p. 449-466.

85. Richard P. Duncan-Jones, « Who Paid for Public Buildings in Roman Cities? », in F. Grew et B. Hobley (dir.), Roman Urban Topography in Britain and the Western Empire, Londres, Council for British Archaeology, 1985, p. 28-33 ; voir également Claude Briand-Ponsart, « Thugga et Thamugadi : exemples de cités africaines », in M. Cébeillac-Gervasoni et L. Lamoine (dir.), Les élites et leurs facettes. Les élites locales dans le monde hellénistique et romain, Rome/Clermont-Ferrand, École française de Rome/Presses universitaires Blaise Pascal, 2003. Dans The Politics of Munificence…, op. cit., p. 33-34, A. Zuiderhoek envisage cet argument et conclut que les dépenses évergétiques pour les bâtiments n’étaient pas cruciales. Cependant, l’examen systématique des inscriptions de Thamugadi ne révèle pas des dons publics importants dans d’autres directions : distributions et jeux (L’Année épigraphique, 1941, 46 et 49a ; 1954, 154) ; deux actes de « munificence » d’un membre de l’ordre sénatorial et d’une flaminique (L’Année épigraphique, 2012, 1913 ; 1992, 1833 : dans ce cas, cette femme est connue par une autre inscription pour son intervention sur le macellum, CIL VIII, 2398).

86. L’un des exemples les plus éloquents de ce comportement se trouve dans la pétition de Skaptopara, village de Thrace, en 238 (texte latin et grec, et trad. fr. dans L’Année épigraphique, 1994, 1552).

87. R.P. Duncan-Jones, « Who Paid for Public Buildings in Roman Cities? », art. cit. ; Irni : chap. 83 (texte latin et trad. fr. dans L’Année épigraphique, 1986, 333).

88. Hermogénien, Dig. L, 4, 1, 2.

89. Sur les liturgies dans les États prémodernes, voir Andrew Monson et Walter Scheidel, « Studying Fiscal Regimes », in A. Monson et W. Scheidel (dir.), Fiscal Regimes and the Political Economy of Premodern States, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2015, p. 3-28, ici p. 7.

90. Voir ci-dessus, note 34, sur les positions de P. Veyne et F. Jacques au sujet d’une forme de contribution qui ne touchait cette fois que les élites, à savoir les summae honorariae (mais P. Veyne incluait dans son énumération les liturgies) et les notes 52-53 sur l’inclusion des liturgies dans l’appréciation de la contribution des élites grecques d’époque impériale.

91. Sur l’importance du défraiement pour des missions sans éclat et qui n’ont pas laissé de trace épigraphique, voir Pline le Jeune, ep. X, 43-44. Pline décide que, pour éviter ces coûts, une simple lettre sera envoyée pour présenter les hommages de la cité de Byzance au gouverneur et à l’empereur, ce qui économisera au total 15 000 sesterces de frais publics et inutiles par an. Voir également Jean-François Claudon, « Les ambassades des cités grecques d’Asie Mineure auprès des autorités romaines : de la libération des Grecs à la fin du Haut-Empire (196 av. J.-C.-235 apr. J.-C.) », thèse de doctorat, École pratique des hautes études, 2015, p. 284-286 et p. 286, n. 241 : sur environ 200 inscriptions mentionnant des ambassadeurs à l’époque impériale en Asie Mineure, une quarantaine fait connaître l’accomplissement de cette fonction à titre gratuit pour la cité. L’auteur conclut (p. 286) que « les ambassades réalisées sine viatico [c’est-à-dire aux frais de l’ambassadeur] restent […] une ‘exception’ tout au long du principat » – conclusion allant à rebours de la communis opinio prévalant à ce sujet.

92. Cette question suscite une abondante bibliographie. Je cite ici les travaux qui s’attachent particulièrement aux mécanismes institutionnels et à une étude des termes employés dans les discours publics : A. Heller, L’âge d’or des bienfaiteurs, op. cit., p. 80, les travaux de Cédric Brélaz déjà mentionnés et H. Fernoux, Le Démos et la Cité, op. cit., ainsi qu’A. Chaniotis, « Macht und Volk… », art. cit., p. 52.

93. C’est une question récurrente du volume collectif de C. Brélaz et E. Rose (dir.), Civic Identity and Civic Participation…, op. cit..

94. K. Kyrousis, « Money Distributions… », art. cit., p. 123 ; Dion de Pruse, or. 7, 49.

95. K. Kyrousis, « Money Distributions… », art. cit., renvoie ainsi à L’assemblée des dieux, 2-3 (avoir part aux distributions et aux sacrifices : νῦν ἐπ’ ἴσης διανομάς τε νέμονται καὶ θυσιῶν μετέχουσιν) ; Peregrinus, 14-15 (à l’assemblée des Pariens, les pauvres gens qui espèrent des distributions, se réjouissent du legs fait par Pérégrinos à la cité) ; Ploion, 24 (s’il devenait extrêmement riche, l’Athénien Adeimantos distribuerait chaque mois 300 drachmes à chaque citoyen et la moitié aux métèques, il construirait théâtres et bains) ; Alectryon, 21-22 (voir la note suivante).

96. Lucien de Samosate, Alectryon, 21-22, éd. et trad. par J. Bompaire, Paris, CUF, 2003, p. 136-138.

97. Sur les causes dévolues aux tribunaux civiques à l’époque impériale, voir Julien Fournier, Entre tutelle romaine et autonomie civique. L’administration judiciaire dans les provinces hellénophones de l’Empire romain, 129 av. J.-C.-235 apr. J.-C., Athènes, École française d’Athènes, 2010.

98. Aristote, Les politiques, Livre 1, 1321a, éd. et trad. par P. Pellegrin, Paris, Flammarion, 1990.

99. Paul Veyne, « Vie de Trimalcion », Annales ESC, 16-2, 1961, p. 213-247.

100. Pétrone, Le Satiricon, 45, dans Romans grecs et latins, éd. et trad. par P. Grimal, Paris, Gallimard, 1958, p. 37.

101. « 30 millions », selon P. Veyne, « Vie de Trimalcion », art. cit., p. 233 et n. 3. En Occident, voir R. P. Duncan-Jones, The Economy of the Roman Empire, op. cit., p. 344.

102. Sven Günther, Vectigalia nervos esse rei publicae. Die indirekten Steuern in der Römischen Kaiserzeit von Augustus bis Diokletian, Wiesbaden, Harrassowitz, 2008, p. 23-94.

103. Anne-Valérie Pont, « Les riches et le gouvernement de la cité d’après les rêves transmis par Artémidore de Daldis », in C. Chandezon et J. du Bouchet (dir.), L’onirocritique grecque. D’Artémidore à Foucault, Paris, Les Belles Lettres, 2023, p. 169-200.

104. Pétrone, Le Satiricon, 71.

105. W. Eck, « Der Euergetismus… », art. cit., à partir de la n. 98, avec renvoi à Edmond Frézouls, « L’‘évergétisme alimentaire’ dans l’Asie Mineure romaine », in A. Giovannini (dir.), Nourrir la plèbe. Actes du colloque tenu à Genève les 28 et 29. IX. 1989 en hommage à Denis van Berchem, Bâle, F. Reinhardt, 1991, p. 1-18, notamment p. 17 ; Jean-Michel Spieser, « La christianisation de la ville dans l’Antiquité tardive », Ktema, 11, 1986, p. 49-55, ici p. 54.

106. W. Eck, « Der Euergetismus… », art. cit., p. 331.

107. Joshua D. Sosin, « Endowments and Taxation in the Hellenistic Period », Ancient Society, 44, 2014, p. 43-89 ; C. Müller, « Évergétisme et pratiques financières… », art. cit., p. 347-348.

108. C. Kokkinia, « A Roman Financier’s Version of Euergetism », art. cit., notamment p. 236.

109. Ibid., p. 236, n. 59. Le dossier de Publius Licinius Priscus Juventianus à Corinthe est particulièrement intéressant. L'avantage obtenu n'est connu que grâce à une validation par les soins du gouverneur, qui a été gravée à côté de l'inscription en son honneur, muette sur ce point (Daniel J. Geagan, « The Isthmian Dossier of P. Licinius Priscus Juventianus », Hesperia, 58-3, 1989, p. 349-360).

110. Anne-Florence Baroni, « Divo Pertinaci… ex reditibus locorum amp(h)itheatri. À propos d’une inscription de Cirta (ILAlg, II, 1, 560) », Mélanges de l’École française de Rome – Antiquité, 128-1, 2016, https://doi.org/10.4000/mefra.3383, en particulier au paragraphe 23 et note 85. En l’occurrence, une partie au moins de ces revenus a été utilisée par l’éditeur de jeux pour ériger une statue de l’empereur Pertinax.

111. IStratonikeia, 205, l. 24. Sur les tables dans les sanctuaires, voir aussi ci-dessous n. 119.

112. Karine Karila-Cohen et al., « Nouvelles cuisines de l’histoire quantitative », no spécial « Histoire quantitative », Annales HSS, 73-4, 2018, p. 771-783, ici p. 775 sur cette expression traduite littéralement de l’anglais « reading against the grain ».

113. CIL X, 5853 (commentaire de T. Mommsen, p. 581) ; voir également Jean Andreau, Les affaires de Monsieur Jucundus, Rome, École française de Rome, 1974, p. 63-64, faisant le bilan, à partir de Lucio Bove, Ricerche sugli « Agri vectigales », Naples, E. Jovene, 1960, des avantages liés à ce type de location « qui assure à celui qui a pris le fonds en location des garanties exceptionnelles ; si la redevance est régulièrement payée, la cité ne peut rompre le contrat ; le locataire peut hypothéquer la terre, et ses droits sont transmissibles à ses héritiers, ou même à un tiers » ; Andreina Magioncalda, « Donazioni private a fini perpetui destinate alle città. Esempi dalla documentazione latina in età imperiale », in Il Capitolo delle entrate nelle finanze municipali in Occidente ed in Oriente. Actes de la Xe rencontre franco-italienne sur l’épigraphie du monde romain, Rome, Publications de l’École française de Rome, 1999, p. 175-216, ici p. 187-188.

114. Pline le Jeune, ep. VI, 19.

115. Pline le Jeune, ep. III, 19 et VI, 3, sur des terres dépréciées ; sur la fondation alimentaire, VII, 18 ; à ce sujet, voir A. Magioncalda, « Donazioni private a fini perpetui destinate alle città », art. cit., p. 186.

116. Jean-Jacques Aubert (dir.), Tâches publiques et entreprise privée dans le monde romain. Actes du diplôme d’études avancées, universités de Neuchâtel et de Lausanne, 2000-2002, Neuchâtel/Genève, Université de Neuchâtel, Faculté des lettres et sciences humaines/Droz, 2003.

117. IG XII, 9, 906. Sur cette inscription, pour d’autres aspects, voir Friedemann Quass, Die Honoratiorenschicht in den Städten des griechischen Ostens. Untersuchungen zur politischen und sozialen Entwicklung in hellenistischer und römischer Zeit, Stuttgart, F. Steiner, 1993, p. 297-298 ; Nikos Giannakopoulos, « Decrees Awarding Offices for Life and by Hereditary Right as Honours », in A. Heller et O. van Nijf (dir.), The Politics of Honour, op. cit., p. 220-242, notamment p. 229-233.

118. En dernier lieu, voir Julien Fournier, Corpus des inscriptions de Thasos, t. 5, Documents publics d’époque romaine, Athènes, École française d’Athènes, 2023, p. 49-55, n. 8 (je remercie A. Heller d’avoir attiré mon attention sur ce texte). Sur la néocorie dans les cités d’Eubée, voir Denis Knoepfler, « Le tronc à offrandes d’un néocore érétrien », Antike Kunst, 41-2, 1998, p. 101-116.

119. Pour Nysa, voir Patrice Hamon, Bulletin épigraphique, 2011, 527, sur Funda Ertuğrul et Hasan Malay, « An Honorary Decree from Nysa », Epigraphica Anatolica, 43, 2010, p. 31-42.

120. Léopold Migeotte, « La privatisation du culte d’Apollon à Gytheion », in B. Biscotti (dir.), Kállistos Nómos. Scritti in onore di Alberto Maffi, Turin, Giappichelli, 2019, p. 93-101.

121. Claude Lepelley, « Ubique respublica. Tertullien, témoin méconnu de l’essor des cités africaines à l’époque sévérienne », in L’Afrique dans l’Occident romain, ier siècle av. J.-C.-IVe siècle ap. J.-C. Actes du colloque, Rome, 3-5 décembre 1987, Rome, École française de Rome, p. 403-421 et 412-413, sur les temples pris à bail, et la traduction de l’Ad nationes, I, 10, 22-24.

122. Dans le même sens, Pline le Jeune, ep. X, 79, recommande de faire entrer dans les sénats des cités de Pont-Bithynie des honesti plutôt que des enfants du peuple.

123. Beate Dignas, « Benefitting Benefactors: Greek Priests and Euergetism », L’Antiquité classique, 75, 2006, p. 71-84 ; voir également les ventes de prêtrises, connues jusqu’au Haut-Empire, avec les avantages divers qui leur étaient liés : L. Migeotte, Les finances des cités grecques, op. cit., p. 337-341 ; enfin, sur les privilèges individuels ou collectifs attachés à des positions officielles, voir François Lefèvre, « Privilèges honorifiques ou avantages contractuels ? Observations sur quelques documents épigraphiques ambigus », Chiron, 49, 2019, p. 187-213.

124. Voir plus haut et encore P. Veyne, « Panem et circenses… », art. cit., p. 797 : « Les groupes sociaux ont-ils ainsi une vision de la société globale qui leur permet d’estimer si leur part dans le partage est satisfaisante ? »

125. Max Weber, Économie et société, vol. 1, Les catégories de la sociologie, trad. par J. Freund et al., Paris, Pocket, [1921 ; 1971] 1995, p. 378-380. « L’administration des notables » apparaît en effet à la fin du chapitre sur les « types de domination », dans un sous-chapitre consacré à « l’administration de groupements en dehors de toute relation de domination et l’administration par des représentants ». Quelques remarques sur l’emprunt de ce modèle dans Ivana Savalli-Lestrade, « Remarques sur les élites dans les poleis hellénistiques », in M. Cébeillac-Gervasoni et L. Lamoine (dir.), Les élites et leurs facettes, op. cit., p. 51-64, notamment p. 51-53.

126. Pierre Bourdieu, Sociologie générale. Cours au Collège de France, 1983-1986, vol. 2, éd. par P. Champagne et J. Duval, avec la collab. de F. Poupeau et M.-C. Rivière, Paris, Raisons d’agir/Éd. du Seuil, 2016, cours du 26 avril 1984, « Temps et exercice du pouvoir ».

127. Éric Kerrouche, « Notable », in R. Pasquier, S. Guigner et A. Cole (dir.), Dictionnaire des politiques territoriales, Paris, Presses de Sciences Po, [2011] 2020, p. 395-404.

128. Harry W. Pleket, « Urban Elites and the Economy in the Greek Cities of the Roman Empire », Münstersche Beiträge zur Antike Handelsgeschichte, 3-1, 1984, p. 3-35 ; Jean Andreau, « Vie financière dans les deux moitiés de l’Empire romain : remarques comparatives », in T. Hantos (dir.), Laurea internationalis. Festschrift für Jochen Bleicken zum 75. Geburtstag, Stuttgart, F. Steiner, 2003, p. 9-25 ; id., « Remarques sur les intérêts patrimoniaux de l’élite romaine », Cahiers du Centre Gustave-Glotz, 16, 2005, p. 57-77. Sur les techniques comptables, voir Véronique Chankowski, « L’apport des sources d’époque impériale à la connaissance des finances des cités grecques », Topoi. Orient-Occident, 20-2, 2015, p. 435-461.

129. Pierre Bourdieu, Anthropologie économique. Cours au Collège de France, 1992-1993, éd. par P. Champagne et J. Duval, avec la collab. de F. Poupeau et M.-C. Rivière, Paris, Raisons d’agir/Éd. du Seuil, 2017, p. 49-50, sur le problème d’une disposition universelle au calcul.

130. Voir le cas caractéristique de Iulius Piso d’Amisos (Pline le Jeune, ep. X, 110) qui, sous prétexte qu’il s’était « presque » ruiné pour sa patrie, avait obtenu bien plus qu’une rente de secours : la cité lui avait versé 40 000 deniers, ce qui représentait, sous le règne de Domitien à l’époque où avait eu lieu l’événement, une fortune d’un montant très confortable. Vingt ans plus tard, la cité se retourna en vain contre lui pour lui réclamer ce don.

131. Voir, ci-dessus, n. 17.

132. Trajan dans Pline le Jeune, ep. X, 111.

133. Yves Sintomer et Jérémie Gauthier, « Les types purs de la domination légitime. Forces et limites d’une trilogie », Sociologie, 5-3, 2014, p. 319-333, notamment p. 329-331. Les sociétés sans État dont il est question, en dépit d’un vocabulaire comparable à celui utilisé par A. Zuiderhoek par exemple, ne sont pas assimilables aux cités de l’époque gréco-romaine, en effet dépourvues d’État mais pas d’un pouvoir institutionnellement défini ni d’une infrastructure de gestion de la communauté (documentation administrative et archives, personnel servile ou libre).

134. A. Chaniotis, « Macht und Volk… », art. cit., p. 53-55.

135. Artémidore de Daldis, I 17, P 26, 11-12 ; III 16, P 211, 9.

136. Pétrone, Le Satiricon, 44, op. cit., p. 36.

137. Pierre Bourdieu, « Sur le pouvoir symbolique », Annales ESC, 32-3, 1977, p. 405-411 ; id., « Ökonomisches Kapital, kulturelles Kapital, soziales Kapital », in R. Kreckel (dir.), Soziale Ungleichheiten, Göttingen, 1983, p. 183-198, en particulier p. 190-191.

138. Clifford Ando, « Local Citizenship and Civic Participation in the Western Provinces of the Roman Empire », in C. Brélaz et E. Rose (dir.), Civic Identity and Civic Participation…, op. cit., p. 39-63, notamment p. 49 : « […] les élites en tant que collectif déployaient régulièrement leur exercice de l’autorité sociale par l’intermédiaire du Conseil de la cité, pour féliciter les membres individuels de l’élite pour leur interprétation réussie d’une conduite élitaire » (je traduis).

139. Sur les tensions irrésolues du don chez P. Bourdieu, voir Philippe Chanial, « Bourdieu, un ‘héritier’ paradoxal », no spécial « Marcel Mauss vivant », Revue du MAUSS, 36-2, 2010, p. 483-492.

140. Voir notamment la définition dans Pierre Bourdieu, « Le capital social. Notes provisoires », Actes de la recherche en sciences sociales, 31, 1980, p. 2-3.

141. On trouve un utile bilan dans Matthias Haake, « Die Diogenes-Inschrift in Oinoanda. Eine monumentale Inschrift, ein philosophisches Monument und ein monströser mega-euergetischer Akt eines Epikureers in den Bergen Nordlykiens », Cahiers des études anciennes, 59, 2022, http://journals.openedition.org/etudesanciennes/2072.

142. Dans une vaste bibliographie, sur ce moment charnière, voir Évelyne Patlagean, Pauvreté économique et pauvreté sociale à Byzance, 4e-7e siècles, Paris/La Haye, EHESS/Mouton, 1977 ; Peter Brown, À travers un trou d’aiguille. La richesse, la chute de Rome et la formation du christianisme en Occident, 350-550, trad. par B. Bonne, Paris, Les Belles Lettres, [2013] 2016.

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Figure 1 – Répartition socio-juridique des bénéficiaires de distributions d’argent dans le cadre de fondations, dans des cités de Bithynie, Asie et LycieRéférence de l’échantillon : Arjan Zuiderhoek, The Politics of Munificence in the Roman Empire: Citizens, Elites and Benefactors in Asia Minor, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 164-165.