Quelles sont les bases médiévales sur lesquelles s'est construite la société allemande moderne ? Poser la question, c'est remonter forcément aux origines et aux commencements de notre société et de notre civilisation, et au moins jusqu'au viie siècle, ce siècle fondamental au cours duquel s'estompe la civilisation antique, non seulement dans la Gaule, si fortement marquée par l'esprit romain, mais aussi dans les régions germaniques situées en deçà du limeset qui avaient été jadis provinces romaines. Déjà un monde nouveau apparaît, le monde romanogermanique du Moyen Age : l'Empire franc. Issu de la conquête, celui-ci n'aurait pu se maintenir dans sa structure, encore grossière au temps de Clovis et de ses successeurs, sans les résidus de la civilisation et de l'expérience administrative antiques, sans la collaboration de la vieille classe sénatoriale gallo-romaine tout à la fois dans l'Eglise et dans l'Etat. De ce point de vue, le sombre viie siècle constitue assurément une grande ligne de partage des eaux.

Sous l'ancien régime, les péages, droits seigneuriaux, se prélèvent sur le bétail et les marchandises, au passage sur les terres des seigneurs. Les sommes recueillies doivent servir à l'entretien des routes et des ponts. Au début du xviiie siècle, 5 688 péages subsistent encore en France. Mais le bétail et les marchandises ne sont pas seuls à être taxés. Jusqu'à la veille de la Révolution française, un péage corporel est imposé aux Juifs en Basse-Alsace, à l'entrée de la province et aux portes de la ville de Strasbourg. Le péage corporel assimile, en fait, l'homme à l'animal. « Juden- Leibzoll », péage corporel des Juifs, telle est la dénomination officielle de ce péage en Alsace.

Dès le xve siècle, une lutte a été engagée contre les péages exigés sans titres. Les marchands qui commercent dans les ports de la Loire, les premiers, dénoncent ces abus. Leurs représentations sont couronnées de succès.

La thèse est ancienne. Frobenius l'a soutenue au début du siècle; Burghardt Du Bois l'a reprise à partir de 1915; M. Cheikh Anta Diop a tenté de la fonder sur des arguments linguistiques dans Nations nègres et culture,en 1955 : il y aurait donc une Histoire des Noirs que les Européens auraient systématiquement négligée au xixe siècle.

« Depuis la genèse de l'empire du sucre et du royaume du coton, écrit M. Burghardt Du Bois, il y eut un effort soutenu pour rendre rationnel l'esclavage nègre, en excluant l'Afrique de l'Histoire mondiale. Il en résulte qu'on admet presque universellement aujourd'hui que cette histoire peut être véridiquement écrite sans référence à des peuples négroïdes. Je considère cela comme scientifiquement erroné et aussi comme dangereux pour les conclusions sociologiques qu'on peut en tirer. C'est pourquoi je cherche à rappeler aux lecteurs…, combien décisif fut le rôle joué par l'Afrique dans l'histoire de l'humanité et combien il est impossible, en l'oubliant, d'expliquer correctement la condition présente de l'humanité . »

Nous avons reçu à la Rédaction des Annales, voici quelque temps déjà, trois ouvrages allemands, parus presque simultanément, deux d'entre eux à Hambourg, le troisième en traduction à Paris : le café, le vin, le pain, voilà un menu déjà consistant6. Tous trois relèvent, malheureusement — et le titre nous l'avait fait craindre dès la couverture — d'une même critique de méthode, qu'il faut bien présenter avant tout autre chose : une histoire d'un élément alimentaire, si important soit-ii (ce qui n'est pas contestable lorsqu'il s'agit du pain) est une tranche verticale d'histoire, plus ou moins longue, assurément. Pour le vin, M. Christoffel doit remonter à l'antiquité, M. Jacob au néolithique pour le pain. Le cycle du café est plus court, puisqu'il ne couvre pas plus de quatre siècles…

Un nouveau livre sur la faim de Josué de Castro. Ajoutons que Le Livre noir de la Faim est publié sous les auspices de l'A.S.C.O.F.A.M. (Association mondiale de Lutte contre la Faim) dont l'action est appuyée par des personnalités telles que le Père Lebret, l'Abbé Pierre, Tibor Mende, Albert Schweizer, René Dumont et que cet ouvrage est à la fois un manifeste et un appel.

Dès la préface, il est annoncé que faim et sous-développement sont une seule et même chose et que la lutte contre la faim doit passer nécessairement par l'émancipation économique en même temps que par l'élévation des niveaux de production des populations sous-alimentées.

Dus en général à des nutritionnistes utilisant les sources mises au jour par les historiens — médiévistes ou économistes — les essais d'histoire de l'alimentation « à travers les âges » ne manquent pas entièrement. L'exemple le plus remarquable reste L'Alimentation de l'Anglais par Sir Jack Drummond et Anne Wilbraham, dans la nouvelle édition procurée par Dorothy Hollingsworth. Sous le titre L'Origine des habitudes alimentaires, H. Renner en a donné un commentaire ingénieux (parmi ses suggestionsj relevons celle d'une carte de la salure du pain à travers l'Europe). Le même pays bénéficie d'une étude scientifique sur les pains, celle de Mac Cance et Widdowson. Tous ces livres sont peu répandus. Les patientes approches de Luigi Messedaglia (” Pour une histoire de l'agriculture et de l'alimentation ») sont encore moins accessibles hors de leur patrie.

Le 6 janvier 1894 à Moscou, dans la salle de la Société des Juristes, le IXe Congrès russe des médecins et naturalistes se réunissait pour entendre un rapport de L. N. Maress sur La méthode monographique de recherches et son application à la question de Valimentation.Selon l'auteur, un sujet aussi important pour la santé publique que celui de l'alimentation paysanne n'avait encore été l'objet d'aucune étude en Russie. Cette déclaration qui fait bon marché des travaux déjà publiés à l'époque sur ce sujeta marque le début d'une période de plus de cinquante années pendant laquelle le problème de l'alimentation de la population rurale allait susciter un intérêt croissant. Aux préoccupations des médecins — les effets de la famine de 1891-92 étaient encore présents à toutes les mémoires en 1894 — s'ajoutaient celles des fonctionnaires des zemstvo et du Ministère de l'Agriculture soucieux de l'évolution des revenus et de la consommation rurale.

Une « révolution féminine » s'est déroulée dans les villes européennes et nord-américaines dès les années 1930 : le maquillage a cessé d'être réservé à certains métiers exceptionnels, à un certain rang, ou à un certain âge, et le bronzage à l'homme, et, par suite * le vernis de couleur à ongles est apparu, imitation involontaire des Sénégalaises qu'admirait Adanson deux siècles avant.

Aussi le besoin d'un bilan s'est-il fait sentir. Neville Williams écrit en 1957 sous le titre « Poudre et fard » une première histoire de la « toilette » anglaise depuis le xvie siècle. En France, tout à fait indépendamment, Jacques Pinset et Yvonne Deslandres esquissent une «histoire des soins de beauté occidentaux à travers les âges ».

La présente note n'est pas le résultat d'un travail systématique et de longue durée; il s'agit plutôt de quelques réflexions, points de départ valables pour une discussion générale sur certains phénomènes économiques et sociaux communs à plusieurs pays européens au bas Moyen Age et au début de l'Epoque Moderne. Je pense à ces grands courants d'expansion qui suivirent, dès le XVe siècle, la longue période de crise ou mieux de dépression économique et sociale qui a commencé, pour certaines zones de notre continent, dès le milieu du XVIe siècle. Cette longue période n'est pas seulement une stagnation, elle a connu aussi d'importants changements dans ses structures sociales et économiques. J'ai ainsi essayé de prouver qu'aux XIVe et XVe siècles, il y a eu une « démocratisation » (si je puis employer ce terme) du grand commerce international surtout dans le trafic des draps. Aux XIVe et XVe siècles, les draps de qualité moyenne et même médiocre apparaissent en grand nombre dans les échanges, surtout entre les Pays-Bas et l'Europe Centrale, Orientale, et du Sud-Ouest.

Dans une importante communication présentée au XIe Congrès historique International de Stockholm, E. M. Žukov a exposé les thèses marxistes sur la périodisation de l'histoire mondiale, ouvrant ainsi une fois de plus une vieille discussion.Les historiens bourgeois déclarèrent qu'il ne s'agit pas, purement et simplement, d'établir des séparations entre périodes successives ; ce sont plutôt les questions fondamentales du développement historique qui doivent être débattues, c'est-à-dire la cause des transformations. La présente contribution n'a pas la prétention de faire un bilan, ni d'établir un rapport sur les débats de Stockholm. Elle prétend plutôt évoquer quelques aspects de la coupure entre l'Antiquité et le Moyen Age.

Les Annales ont récemment publié un intéressant article dans lequel A. Mazaheri a étudié l'origine de la balance romaine. La balance à deux plateaux s'oppose naturellement à cette dernière et il est normal qu'on compare les qualités et les défauts de ces deux sortes d'instruments. La balance romaine n'utilise qu'un seul poids, c'est l'une de ses évidentes supériorités, alors que la balance à deux plateaux ne se conçoit qu'accompagnée de sa boîte de poids.

Quand une telle boîte a été constituée, un problème de numération figurée est résolu, qui comporte des exigences nettes. Une fois choisi le poids unité, imposé par la sensibilité de la balance, il doit être possible, en effet, de peser, à une unité près, tout corps dont le poids est inférieur ou égal à la somme des poids contenus dans la boîte qui accompagne la balance.

Les Mélangesofferts à Paul-Edmond Martin, ancien Directeur des des Archives de la République et Canton de Genève, professeur et historien de son Université, témoignent pour l'universalité de l'histoire. Comme à leur donataire, tout leur est gibier, des fouilles mérovingiennes à l'actualité politique.

Cette « histoire totale » (p. 2) reçoit ainsi, de Marc-R. Sauter, l'hommage de l'anthropologie (physique) historique. Cette science encore jeune s'insère entre la paléontologie et la biologie pour étudier « les groupes humains soumis au jeu constant des pressions génétiques et des mouvements migratoires » depuis le Néolithique. Après l'accroissement récent de la taille moyenne, ce sont les recherches hongroises et allemandes sur les traces des invasions « jaunes », notamment la mode, peut-être apportée par les Huns, de compression du crâne par ligature, qui retiennent l'attention de l'anthropologue genevois. Il propose à ses collègues hongrois et soviétiques, de vérifier si certaines formes de dents, relevées par lui, ne seraient pas des signes mongoloïdes.

Voici un livre, fort bien présenté, dense, qui réunit vingt-huit essais et conférences, écrits sous l'égide de la Hansische Arbeitsgemeinsckajt,jeune société groupant en D.D.R. historiens et institutions membres du Hansischen Geschichtsverein,Conseils dont l'activité s'étend à l'ensemble de l'Allemagne. La collaboration est internationale, mais la grosse majorité des apports vient des chercheurs de la République Démocratique Allemande. Comme on relève, en outre, la participation de professeurs polonais, tchèques et russes, on s'attend bien un peu à trouver ce que promet la manchette : « L'esquisse, d'une urgente nécessité, de l'exposition marxiste d'une histoire de la Hanse » (Umriss einer dringend notwendigen marxistischen Darstellung der Hansegeschichte).

La richesse, les biens de ce monde déterminent mainte activité dans la civilisation occidentale. La production et la consommation se transforment de région en région et d'une époque à l'autre, grâce à la tension fondamentale entre riches et pauvres et, aussi grâce aux tensions concurrentes entre producteurs et consommateurs. Qui plus est, la richesse est périssable, en conséquence même des transformations dues soit aux innovations, soit aux limitations ou contradictions d'ordre structural. S'enrichir est bien : et voici l'événement; mais il reste encore à s'intégrer au groupe des riches, à y rester en prenant une assurance sur l'avenir. Les structures de la vie économique et sociale sont le mécanisme des oscillations rapides que vivent les hommes et qui dessinent, pour l'observateur, la marche de l'histoire. La recherche historique tient toujours compte de ces différents niveaux d'expression et de compréhension, et dans la mesure du possible, les concilie. Que la relativité de nos prises sur le réel soit consciente, et « l'histoire vécue » (globale, dirons-nous) est expliquée par la recherche et les techniques de l'historien. Mais rien ne saurait remplacer quelques exemples pour éclairer ce propos.

Publié la même année que le monumental tome IX de l'Encyclopédie française, « L'univers économique et social », précédant de peu L'Économie du XXe siècle qui rassemble les principales études scientifiques de François Perroux, parues durant les dix dernières années, Economie et Société », petit livre lourd de substance, semble être à la fois le fruit des méditations d'un homme qui vient de reconnaître en son entier le champ de sa spécialité, et l'annonce de recherches futures dans les territoires nouvellement ouverts à la science économique conçue comme science de l'homme.

François Perroux appartient à cette catégorie de savants que Florian Znaniecki appelle, dans un de ses ouvrages sur la sociologie de la connaissance, celle des « explorateurs », ceux qui découvrent de nouveaux problèmes.