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Radikalisierter Konservatismus Natascha Strobl, Berlin: Suhrkamp, 2021, 189 p.

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Radikalisierter Konservatismus Natascha Strobl, Berlin: Suhrkamp, 2021, 189 p.

Published online by Cambridge University Press:  28 July 2025

Jean-Pierre Couture*
Affiliation:
Études politiques, Université d’Ottawa, Ottawa, ON, Canada
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Abstract

Information

Type
Book Review/Recension
Copyright
© The Author(s), 2025. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Que se passe-t-il dans la famille conservatrice? Autrefois gardienne de la tradition, pourquoi se range-t-elle derrière des hommes forts qui détruisent les règles communément admises et nous entraînent dans une guerre culturelle permanente? En réponse à ces questions, la politologue autrichienne Natascha Strobl pourfend la thèse commode d’une « droite dévoyée » et rappelle que les rapports du conservatisme avec l’État social (à sa gauche) et la tentation fasciste (à sa droite) sont aussi mobiles que précaires.

En centrant son analyse sur les figures de Donald Trump (au moment de son premier mandat) et de Sebastian Kurz (le chancelier issu du Parti populaire autrichien – ÖVP), Strobl livre un portrait analytique et concis de ces nouvelles droites qui accélèrent leur déplacement vers l’extrême. Le « conservatisme radicalisé » est la forme concrète qui en résulte. L’intérêt du parallèle Trump-Kurz coupe court à l’idée que la personnalité du chef (débridée chez le premier; sobre chez le second) soit déterminante dans le succès de ces transformations. Pour l’auteure, en effet, cette radicalisation ne relève pas de la forme, car elle marque un écart de fond avec les anciennes moutures des grands partis conservateurs qui « rejoignaient le consensus social d’après-guerre et sollicitaient l’appui de larges pans de la population à la manière des catch-all parties » (30–31).

À la modération et au pragmatisme de l’ancien conservatisme, le conservatisme nouveau préfère l’émotion et l’agressivité et il n’aménage aucun terrain propice au compromis. Cette attitude ne tombe cependant pas du ciel. Elle provient, insiste Strobl, de tendances internes aux partis. Celles-ci ont surmonté leur marginalisation, se sont fortifiées et ont résolu d’employer tous les moyens possibles dans une guerre culturelle lancée contre les institutions de la démocratie libérale. Si les conservateurs radicalisés nourrissent une campagne de peur contre des ennemis (minoritaires ou imaginaires), leur but « n’est pas de convaincre ou d’argumenter, mais plutôt de détruire les conditions mêmes du débat démocratique » (23).

Pour décrire cette révolution en cours, Strobl déploie une grille en six éléments. Le premier touche à la transgression des règles formelles et informelles du jeu parlementaire. Ne plus jouer selon les règles habituelles signale d’emblée le refus d’appartenir à l’establishment et vise à forger le mythe de l’homme fort qui résiste au pouvoir des élites. Si le profit engrangé par la fabrication d’une telle image a bénéficié tant à Kurz qu´à Trump, c’est la légalité et la constitutionnalité des élections qui en ont essuyé les coûts. Kurz a dépensé près du double de l’argent permis lors de son élection de 2017, la victoire faisant foi de tout. Trump n’a pas reconnu la légitimité et la légalité du résultat des élections de 2020, la défaite faisant foi de tout. En sus de leurs attaques envers les règles formelles, les conservateurs radicalisés ne se sentent plus liés aux règles informelles du fair-play à l’intérieur des institutions démocratiques. Le mensonge y remplace la vérité et le caractère désirable du consensus ou de l’unité, comme horizon, s’est volatilisé au profit de la polarisation comme fin en soi.

Selon Strobl, le « nous contre les autres » est le second ingrédient que les conservateurs radicalisés pilonnent dans leur mortier. Leur guerre culturelle contre les minorités ne connaît ni apaisement ni issue, quitte à inventer des menaces et des théories complotistes comme celle du « grand remplacement » (la substitution orchestrée des majorités blanches par l’immigration de masse). Ces menaces appellent une solution autoritaire en la personne même de l’homme fort. En s’appuyant sur le lexique de Carl Schmitt, Natascha Strobl identifie ici le troisième élément clé de la révolution conservatrice : une domination du peuple sans démocratie ou une légitimation plébiscitaire de la domination d’un seul.

À preuve, les conservateurs radicalisés visent explicitement – en quatrième lieu – le démantèlement des institutions de la démocratie libérale. « Ainsi, pour eux, le Parlement est dominé par l’élite, les médias forment une clique de gauche qui diffuse de fausses nouvelles et l’État social soutient les paresseux et les migrants aux dépens des citoyens productifs » (91-92). Autant de « maladies » que promet d’éradiquer l’homme fort du parti.

Enfin, le rapport aux médias chez les conservateurs radicalisés est plus ambigu qu’il n’y paraît et Strobl y décèle deux derniers éléments clés. D’abord, leur stratégie consiste à maximiser l’attention médiatique, et ce, en nourrissant une campagne d’excitation médiatique permanente, comme le montre la complaisance inaugurale des grands médias envers le moindre tweet de Trump. Puis, ils participent à la genèse de « réalités parallèles » (124) en employant le lexique conspirationniste ou en paraissant dans les médias souterrains qui le diffusent afin de faire campagne sur le dos « de menaces inventées qui appellent des solutions fictives » (134).

La combinaison inquiétante de ces six éléments, au fil de cette analyse perspicace, révèle le caractère aussi systématique que transnational de la radicalisation du conservatisme en Europe et dans les Amériques. Le maintien de Pierre Poilievre à la chefferie du Parti conservateur du Canada corrobore déjà la thèse de la radicalisation du conservatisme canadien et de son impact sur la culture médiatique et politique au pays.